8. Stratégies thérapeutiques et gestion du stress
Des études récentes ont montré l’influence directe du stress comme facteur de risque cardiovasculaire et facteur de pronostic des maladies coronariennes [1]. Le stress chronique réduit le calibre des artères coronaires par des mécanismes hormonaux, inflammatoires et immunitaires. Dans l’exercice clinique, deux groupes de patients existent. Certains signalent d’emblée le stress, aigu ou chronique, comme un facteur important de leur maladie. Ils décrivent des événements difficiles de leur vie, des situations conflictuelles, des enjeux professionnels majeurs. D’autres patients, eux, semblent banaliser, ne pas ressentir ou avoir du mal à exprimer les facteurs de stress dont ils sont victimes. On les a décrits sous le terme de personnalité de type A [2]; il s’agit de sujets compétitifs, exigeants, pressés, dynamiques. Ces sujets méconnaissent le sentiment de stress ou bien ne le perçoivent qu’après de graves incidents cardiaques.
La reconnaissance clinique du stress et de l’anxiété passe par quelques questions s’intéressant à des événements de vie importants, à des facteurs de contexte ou des difficultés professionnelles. Au-delà de la reconnaissance du diagnostic, l’entretien clinique s’attache à préciser si les éléments de stress ou d’anxiété sont aigus, chroniques, durent plusieurs mois ou s’ils appartiennent à la personnalité, voire même s’ils relèvent d’un héritage parental. La plupart des patients au fil des conversations avec leur entourage, par les médias, par Internet, possèdent une information sur le stress; elle est fournie, disparate et nécessite une éducation pour la santé et une éducation thérapeutique :
• l’éducation pour la santé fournit une série de conseils autour de l’hygiène de vie : activités physiques régulières, règles diététiques, sommeil en quantité suffisante avec un rythme défini, moments de relaxation à plusieurs reprises dans la journée;
• l’éducation thérapeutique oriente les renseignements sur les différentes formes de psychothérapie et de relaxation utiles dans les maladies cardiovasculaires. Ces approches sont intitulées approches psychocorporelles, elles s’allient aux traitements médicamenteux.
Approches corporelles et psychiques du stress
Plusieurs thérapies utilisent le corps comme une médiation; elles permettent au patient de prendre conscience de ses sensations corporelles et de relâcher son tonus musculaire.
L’idée générale est d’apprendre à accepter une détente et une passivité, à s’entraîner au calme, à focaliser son attention sur les sensations corporelles. Les séances de relaxation durent 30minutes. Elles sont plus efficaces quand elles sont enseignées par un thérapeute puis accompagnées; un relais peut être pris au bout de 7 à 8 séances par une cassetteque l’on écoute. Les exercices de relaxation se focalisent sur des parties du corps, sur la respiration ou la fréquence cardiaque. Parmi les variantes de la relaxation, certaines font appel à des images visuelles, où l’on demande à un sujet de penser à une scène ou à un paysage qui le détend. On le prie d’imaginer qu’il s’y trouve et d’analyser des perceptions. D’autres instaurent un dialogue avec le thérapeute comme dans la relaxation psychosomatique [3].
Biofeedback ou neurofeedback : une variante de relaxation
Le sujet contrôle son niveau de relaxation soit au travers de l’existence d’ondes alpha sur l’électro-encéphalogramme, soit sur sa tension musculaire, soit grâce à l’évaluation de la réaction électrodermale de la peau. Des capteurs mesurent un de ces paramètres; il s’affiche sous la forme de voyant ou de bip sonore. Le patient apprend à contrôler des niveaux de tension interne. Ces techniques auraient une efficacité sur les troubles anxieux [4]. Une application du biofeedback plus récente adaptée à la cardiologie est représentée par le travail sur la cohérence cardiaque. L’expiration stimule le parasympathique et ralentit le cœur. Par exemple, des logiciels d’images permettent de voir des animaux se regrouper autour d’une mare en bonne harmonie lorsque la fréquence cardiaque ralentit; ils se séparent quand le cœur s’accélère.
Massage
Les massages doux par effleurage léger du corps, les vibrations modérées, les étirements ou l’utilisation de certains massages réflexogènes stimulant des points précis provoquent une sensation de relaxation et de bien-être. Dans ces séances de massage, on repère les zones ou groupes musculaires contractés. Au début, des séances rapprochées (2 à 3 fois par semaine) sont nécessaires. La détente musculaire produite par les massages fait appel au lien entre la peau, le système musculaire superficiel et le système limbique. Massages et relaxation sont souvent utilisés dans des programmes de thalassothérapie et de cure thermale.
Elles utilisent les bains, statiques ou dynamiques, et les douches, sédatives ou en immersion. Les massages sous l’eau et les temps de repos font généralement partie de la cure. En matière de stress et d’anxiété, plusieurs villes thermales offrent des programmes de soins sur 3 semaines, faisant alterner bains, douches, séances de massage et séances de repos ou de relaxation. Parmi les villes recommandées, on peut mentionner Saujon, Divonne, Lamalou-les-Bains… Les données récentes de la littérature suggèrent une efficacité sur les troubles anxieux [5].
Tai-chi
Cet art martial « interne », appelé également « boxe de l’éternelle jeunesse », est apparu en Chine à la fin du premier millénaire de la dynastie Song. Il vise à harmoniser les mouvements, détendre et faciliter la coordination. Les exercices lents du tai-chi facilitent la circulation d’énergies, améliorent la respiration et aboutissent à une détente corporelle. L’utilisation du tai-chi dans plusieurs maladies coronariennes est bien connue [6].
Ces différentes méthodes utilisent surtout le corps comme médiateur. La transition avec les méthodes plus psychothérapeutiques se fait au travers de la sophrologie.
Sophrologie
Cette méthode inspirée de l’hypnose, du yoga et du zen a été développée par Alfonso Caycedo, psychiatre colombien. Il s’agit d’une méthode combinant la relaxation et des niveaux d’étapes dans la vigilance et la conscience psychique appelées sophronisations pouvant aller jusqu’à un état pré-hypnotique. L’indication majeure de la sophrologie est l’anxiété et le stress [7]. On considère qu’il existe trois cycles de relaxation : réductif, radical et existentiel. La sophrologie par son action sur les niveaux de conscience fait la transition avec l’hypnose.
Hypnose
Le principe de l’hypnose consiste à induire un état de détente, de détachement pouvant aller, chez certains patients, jusqu’à une transe hypnotique. Dans la plupart des cas, cet état cérébral particulier est utilisé pour réduire la formation de douleurs, pour diminuer la tension musculaire et pour autoriser des échanges verbaux marqués par moins de résistance et de contrôle. L’hypnose induit un état de régression avec un sentiment de détente corporelle, de flottaison dans l’espace. Cet état de détente est particulièrement utile à la fois pour faire percevoir à un sujet un autre état corporel mais aussi pour l’interroger sur des raisons moins apparentes à l’origine de son stress. Là aussi, une dizaine de séances sont souvent nécessaires. L’hypnose représente un des précurseurs de la psychothérapie en ce sens qu’elle autorise le patient à relater des événements conflictuels ou traumatiques que son état conscient ne lui permet pas de livrer.
Thérapies cognitives et comportementales (TCC)
Il s’agit de thérapies brèves comprises entre 3 et 6 mois en matière de stress ou d’anxiété. Ces thérapies cognitives réalisent d’abord une analyse des symptômes de stress et d’anxiété. Elles essaient de trouver des situations déclenchantes, elles apprécient les pensées à l’origine du stress ou de l’anxiété, elles reprennent des éléments inconscients comme de fausses croyances ou des attentes exagérées. Souvent une grille d’analyse est réalisée, définissant les symptômes, les situations, les comportements et les émotions. Dans les TCC, le thérapeute explique l’origine des symptômes, les mécanismes psychiques et propose soit des exercices, soit de nouvelles façons de penser ou de réagir. Les TCC nécessitent une participation active du patient et du thérapeute. Le thérapeute formule des hypothèses sur l’origine du stress ou de l’angoisse puis propose une phase d’expérimentation pour modifier les schémas de pensée et les causalités établies. Les TCC cherchent à reconstruire un certain nombre de systèmes de pensée ou de modes de réaction. Un des intérêts des TCC est de donner au patient le sentiment qu’il peut contrôler une partie ou la totalité de ses troubles, ou qu’il peut réduire leur intensité. L’idée que certaines situations professionnelles, familiales, sources de stress et d’angoisse, peuvent être abordées différemment, est souvent un soutien puissant pour ces patients. Les TCC ont évolué vers une seconde génération de thérapie où le niveau émotionnel a pris une part considérable.
Thérapies de pleine conscience ou mindfulness training
Elles ont des racines dans le bouddhisme. Elles visent à entraîner les patients à obtenir un détachement vis-à-vis de leurs émotions négatives par la méditation. Le patient se centre sur les sensations présentes sans porter de jugement ni se laisser submerger par de l’anxiété, de l’angoisse ou de la colère. Cette présence détachée vis-à-vis de soi et du monde extérieur permet de réduire fortement le niveau d’anxiété. Les données récentes de la littérature suggèrent une efficacité de ces techniques sur la réduction du stress [8].
Thérapies d’acceptation et d’engagement (ACT : acceptance and commitment therapy de Steve Hayes)
Elles recentrent le sujet sur ses valeurs personnelles [9]. La thérapie consiste à aider le sujet à se dégager de ses pensées néfastes pour avoir un contact direct avec ses émotions. Elles cherchent à aider le patient à obtenir une manière d’être en cohérence avec ses propres valeurs. Ces thérapies tentent de ramener le sujet vers ses valeurs spécifiques, son projet personnel et se rapprochent des thérapies existentielles de Yalom [10] ou des thérapies centrées sur le sens de Wong ou la logothérapie de Frankl [11]. Dans la plupart des cas, ces thérapies dérivées des techniques cognitives cherchent à réduire l’impact ou l’emprise du stress et de l’anxiété, en amenant les sujets à focaliser leurs pensées sur des enjeux personnels ou des projets existentiels qui leur sont propres.
Psychothérapie interprétative et psychanalyse
Pour Freud, es névroses d’angoisse ou les névroses actuelles sont peu accessibles à la psychanalyse, ceci d’autant plus que leurs troubles peuvent s’accompagner de manifestations corporelles : oppression, hypersudation… Mais les états anxieux chroniques représentent une bonne indication de psychothérapie interprétative.
Pour la psychanalyse, deux théories de l’angoisse existent selon Freud. La première explique l’angoisse par une sexualité réduite, insuffisante, avec une absence de décharge sexuelle. Cette tension sexuelle qui s’accumule donne naissance à des crises d’angoisse. La deuxième théorie de l’angoisse fait intervenir des menaces potentielles contre le Moi de l’individu. Ces menaces potentielles peuvent être une séparation, la crainte d’une castration symbolique, des angoisses devant des personnes étrangères ou des angoisses devant la mort. Les entretiens psychothérapeutiques cherchent à relier ces menaces avec l’histoire parentale ou avec des traumatismes psychiques précoces.
Prise en charge médicamenteuse
Phytothérapie
Des traitements à base d’extraits végétaux ont été proposés dans la prise en charge des manifestations anxieuses légères. Les extraits les plus souvent utilisés sont ceux d’aubépine et de valériane. Les données récentes de la littérature médicale ne retrouvent pas une efficacité supérieure de ces produits par rapport au placebo dans les troubles anxieux [12].
Anxiolytique conventionnel
Différentes classes
Les médicaments les plus utilisés dans l’anxiété restent les benzodiazépines. Ceci peut s’expliquer par une prescription initiale « facile » voire abusive ou inadaptée (anxiété normale, dépression…) et un risque de dépendance important induit par les benzodiazépines, qui est à l’origine de nombreux renouvellements « de complaisance ». Selon un large consensus, ces médicaments sont sur-prescrits en France. Les molécules commercialisées sont nombreuses et ne diffèrent que très peu les unes des autres, si ce n’est par leur demi-vie. Elles présentent toutes les mêmes propriétés anxiolytiques, sédatives, anticonvulsivantes, myorelaxantes et amnésiantes. Leur efficacité sur l’anxiété est rapide et importante, mais elles sont à l’origine d’un phénomène de dépendance et de tolérance ainsi que d’un retentissement cognitif certain (amnésie, désinhibition). L’une des molécules les plus utilisées est le bromazépam (Lexomil®).