16. Réhabilitation et thérapie cognitive des états psychotiques chroniques et aigus
Les neuroleptiques, depuis leur introduction par Deniker en 1952, ont considérablement amélioré le pronostic de cette maladie, dont les formes majeures signifiaient, autrefois, un internement à vie. La baisse du taux d’hospitalisation dans les hôpitaux psychiatriques est contemporaine de l’apparition des neuroleptiques. Cependant, de nouveaux problèmes sont apparus, liés cette fois à l’observance médicamenteuse, à la chronicité intermittente, aux limitations intrinsèques des neuroleptiques et aux réactions du milieu où vivent les sujets psychotiques. En deux ans de vie dans la communauté, 50 % des patients qui quittent l’hôpital psychiatrique vont rechu-ter. Ce syndrome dit « de la porte tournante » a conduit à développer une sociothérapie fondée sur les principes de l’apprentissage social et cognitif. Ces interventions sociothérapiques sont combinées aux neuroleptiques et cherchent à en optimiser la prise et les effets. Elles cherchent aussi à instaurer des comportements prosociaux qui n’ont jamais été appris par le patient du fait des altérations neurobiologiques qu’il présente et de l’interaction de ces altérations avec un milieu social et familial plus ou moins rejetant, anxieux, hostile ou acceptant.
Économies de jetons
Les systèmes intégrés de renforcement sont représentés essentiellement par des « économies de jetons » (Ayllon et Azrin, 1973) et les « systèmes de crédit motivationnel » (Liberman, 1991). Ces techniques se justifient à notre sens essentiellement chez des sujets très régressés. Le principe en est simple : il consiste à établir une liste de comportements que contractuellement l’institution et le patient désirent voir modifier et, en parallèle, une liste de renforçateurs que le sujet désire obtenir en échange de l’émission de comportements. Le sujet reçoit en échange de l’émission du comportement, dans des conditions qui sont spécifiées par un programme, des jetons ou des points positifs de crédit. Le renforcement doit avoir lieu aussitôt après l’émission du comportement. Il peut ensuite convertir ce jeton, ou des points de crédit, en renforçateurs. Les renforçateurs sont des objets de « luxe », des privilèges ou encore du temps passé avec des thérapeutes, etc. L’essentiel est donc d’établir un système monétaire et une balance de l’offre et de la demande. Cela ne peut se faire sans la motivation du patient et sans son accord. Il doit être informé sur les buts et les moyens de l’opération. L’ensemble des principes du conditionnement opérant, de même que l’apprentissage par imitation, s’appliquent à ce type de programme. L’avantage des jetons sur d’autres formes de renforçateurs est qu’ils permettent un renforcement immédiat du comportement dont il a été décidé avec le patient d’accroître la fréquence. Les comportements peuvent être renforcés à n’importe quel moment. Enfin, les comportements peuvent se maintenir pendant de longues périodes, même s’il n’est pas possible d’échanger les jetons contre des renforçateurs tangibles.
Si le sujet améliore son comportement, il faut pouvoir substituer, aux renforçateurs matériels, des renforçateurs sociaux que sont l’attention, l’approbation, le contact verbal et visuel, etc. Il est nécessaire de revoir très fréquemment les programmes en équipe et de les réajuster selon l’évolution du malade. En outre, la thésaurisation ou la perversion de l’économie par de la « fausse monnaie » sont des phénomènes qu’il faut surveiller et contrôler. Le patient doit évoluer progressivement du renforcement matériel vers le renforcement social qui maintiendra les comportements adaptés à une vie sociale dans la communauté.
De plus, les économies de jetons peuvent servir non seulement à développer les comportements prosociaux, mais aussi à éliminer ou freiner les comportements non adaptés. Le coût de la réponse, tout comme une banale amende, définira la relation entre un comportement inadapté (violences, etc.) et un retrait de jetons. Une approche plus intéressante à cette pratique un peu simpliste est le « renforcement différentiel des autres comportements », en particulier des comportements incompatibles avec le comportement que l’on veut éliminer. Ainsi, un patient agressif sera renforcé s’il fait la queue patiemment au moment de la distribution des repas, ou s’il parle d’une manière amicale par exemple. Le renforcement différentiel des comportements incompatibles doit étudier et spécifier clairement le renforcement des réponses qui interfèrent avec la réalisation du comportement indésirable.
Enfin, il faut souligner que le jeton ou le crédit obtenu par le patient mesure autant l’activité de celui-ci que celle de l’institution et des équipes psychiatriques, de même que le bon fonctionnement du groupe. Car la programmation et l’instauration de buts à court terme renforcent autant les équipes que les malades. De ce point de vue, l’économie de jetons est un instrument excellent de déchronicisation et de traitement de la dépression asilaire, aussi bien celle des patients que des soignants, que connaissent bien tous ceux qui ont travaillé en hôpital psychiatrique.
Les systèmes intégrés de renforcement peuvent d’ailleurs être mis en œuvre dans d’autres indications, en particulier dans les foyers pour patients sortis de l’hôpital. Dans les arriérations mentales, l’autisme infantile, à l’hôpital psychiatrique ou en hôpital de jour, ils ont également donné des résultats intéressants. Le tableau 16.1 résume les buts et les moyens des économies de jetons et des programmes apparentés.
Buts | |
1. | Développer un environnement motivant |
2. | Développer les comportements fonctionnels positifs pour une réinsertion |
3. | Implication de la personne entière et non des comportements isolés |
Moyens | |
1. | Procédures de quantification Implication des soignants dans l’évaluation et la relation avec les patients à travers les procédures de renforcement |
2. | Spécifier en termes simples et descriptifs les comportements cibles |
3. | Proposer des renforçateurs symboliques immédiats échangeables contre des biens matériels que l’on peut obtenir à terme |
4. | Utilisation du renforcement positif ou de sa suspension |
5. | Absence de coercition : les renforçateurs matériels sont des objets de luxe par rapport aux besoins vitaux habituels qui sont assurés par l’institution |
6. | Ne pas fixer la nature des renforçateurs a priori, mais les induire à partir de l’observation directe du comportement des patients |
7. | Passer des renforçateurs matériels aux renforçateurs sociaux, puis à l’autorenforcement |
Programmes de développement des compétences (ou « habiletés ») sociales (social skills training)
Ils se fondent sur le fait que, chez le schizophrène, existent un déficit cognitif et une altération de la communication verbale et non verbale qui l’empêchent de mener une vie sociale satisfaisante pour lui et les autres et aboutissent au retrait et à l’institutionnalisation. Les techniques du jeu de rôle, du feedback positif, de la répétition du jeu et de l’apprentissage par imitation de modèle sont complétées par la modification des capacités à recevoir, traiter et envoyer des messages, ainsi que par des techniques cognitives de développement des autoverbalisations allant à l’encontre de la pensée délirante. Il apparaît nécessaire que les sujets puissent entre chaque séance réaliser les tâches qui leur sont contractuellement assignées. Liberman (1991) résume les principes de base de la pratique actuelle de la Entraînement à la communicationcommunication sociale.
Tout d’abord la compétence sociale est montrée en Vidéovidéo ou présentée par des modèles réels, puis elle jouée et répétée en jeu de rôle. Les principes sont identiques à ceux utilisés en affirmation de soi pour les phobiques sociaux. Il faut décomposer les attitudes visées en éléments spécifiques qui sont enseignés un par un au patient. Il faut chez des patients psychotiques respecter pendant longtemps un bas niveau de performance et encourager le moindre pas positif dans la bonne direction étant donné que l’estime de soi leur est fragile. Les résultats doivent être ensuite transférés dans le milieu naturel sous la forme de tâches pratiques qui sont réévaluées à chaque séance.
La thérapie familiale comportementale
Les études épidémiologiques ont montré que l’émotionnalité exprimée des familles de psychotiques – anxiété, sur-implication et commentaires critiques – est un facteur de rechute (Liberman, 1991). Cela ne veut pas dire, une fois de plus, que la famille cause la schizophrénie, mais qu’avoir un enfant schizophrène entraîne des difficultés familiales et une boucle d’interaction parfois pathogène, qu’il faut aider les familles à modifier. La première étape de cette modification est l’information. La thérapie familiale comportementale se sert de trois méthodes fondamentales pour modifier ce facteur de risque :
• l’éducation par des brochures explicatives sur les problèmes que peut soulever la vie avec un psychotique ou des discussions à ce sujet avec des thérapeutes. Il ne s’agit pas, une fois de plus, de culpabiliser les familles, mais de reconnaître que la pathologie schizophrénique est un tel fardeau financier et émotionnel que certaines familles peuvent être perturbées. Il s’agit d’une pathologie de la relation où le patient autant que la famille sont impliqués à la fois comme cause et effet ;
• le développement par le jeu de rôle de communications non pathogènes. Des contrats familiaux de contingences de renforcement peuvent également être mis en place. Le thérapeute observe de quelle manière les membres de la famille se gratifient et se punissent les uns les autres. Il doit construire l’empathie familiale en utilisant le jeu de rôle. Ainsi seront définis des buts, c’est-à-dire les comportements que les différents membres de la famille veulent voir changer et en échange de quelle modification chez eux. L’établissement de contrats libres de toute coercition, même dissimulée, et l’action du thérapeute comme renforçateur social permettront de modifier le système familial et d’aménager la place du sujet psychotique ;
• les techniques de résolution de problème.
Les modules de réhabilitation
Ils ont été mis au point principalement par le groupe de l’UCLA (Liberman, 1991) et couvrent tous les domaines de la réhabilitation, de l’hôpital psychiatrique à la vie indépendante, en passant par les structures intermédiaires.
Les traitements sont présentés sous forme de modules qui couvrent un aspect de la vie sociale ; le thérapeute fonctionne comme un enseignant, et un groupe de cinq à six patients comme des élèves. Thérapeute et patients ont chacun un manuel qui couvre la zone particulière de la vie sociale qui est à modifier. La vidéo et le jeu de rôle sont systématiquement utilisés pour mettre en place la compétence sociale à l’étude, ainsi la capacité à converser, préparer la nourriture, trouver un logement, trouver un emploi, l’argent et sa gestion, la prise de médicaments, les programmes de vie sociale indépendante, la gestion des crises à domicile, etc. Un exemple peut être donné dans le module de gestion des médicaments, module qui couvre les domaines de compétence suivants :
• obtenir de l’information sur les neuroleptiques ;
• savoir prendre correctement les médicaments et en évaluer les effets ;
• savoir reconnaître les effets secondaires des médicaments ;
• savoir discuter des problèmes des médicaments de santé avec les professionnels. En particulier : « Comment retenir l’attention du docteur pressé ? »
Un programme tel que celui préconisé par Wallace et Liberman (1985) implique plus de cent heures par patient sur neuf semaines :
• Développement des habiletés sociales : jeu de rôle, vidéo pour augmenter les capacités de réception, de traitement et d’émission de l’information. Traitement par groupes de trois patients pour deux thérapeutes

• Thérapie familiale : accent mis sur la communication et la résolution de problème :

Actuellement, ces méthodes sont bien codifiées et se présentent sous forme de manuels pour les patients et les thérapeutes, qui ont été édités en français. Différents modules de développement des compétences sociales existent et commencent à être appliqués couramment au Québec, en France, en Suisse et en Belgique, dans des centres spécialisés. Il existe des modules pratiques en français couvrant les domaines suivants : gestion des symptômes, éducation au traitement neuroleptique, travail et recherche d’emploi, loisirs (Liberman, 1992a and Liberman, 1992b).

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