9. Psychosociologie
ASPECTS SOCIAUX DES PATIENTS INSUFFISANTS RÉNAUX, DIALYSÉS ET TRANSPLANTÉS
INTRODUCTION
Dans le meilleur des cas, cet équilibre n’est perturbé que pour quelques jours ou quelques semaines.
Malheureusement pour le patient souffrant d’insuffisance rénale sévère, les perturbations sont au long cours.
A partir du moment où la fonction rénale est jugée insuffisante, la survie du patient sera assurée.
La dialyse
Elle sera à la fois son salut et son astreinte et ce, quelle que soit la méthode utilisée. Le patient deviendra alors dépendant d’une machine ou d’une technique et les contraintes ne feront que s’additionner, la plus importante étant celle du temps voué au traitement.
La transplantation rénale
Elle libère le patient de la dialyse, tant que le greffon est fonctionnel, mais elle nécessite un suivi médical très strict et l’observance du traitement médicamenteux. De plus, la moindre alerte amène le patient à consulter et, suivant la décision médicale, à être hospitalisé pour quelques jours.
Il en découlera obligatoirement des difficultés pour gérer sa vie privée et professionnelle. La dépendance à une machine, à une équipe médicale, à un lieu de soins sera un frein supplémentaire à la mobilité du patient, notamment en période de vacances. L’insuffisant rénal est obligé de repenser sa vie et celle de son entourage en fonction de ces nouvelles données.
VIE FAMILIALE
Une étude menée par l’ASNEP (Assistances sociales en néphrologie, EDTNA, Glasgow, 1992) met en évidence que les 3/4 des patients mariés, hémodialysés en centre, se sentent compris et soutenus par leur conjoint.
D’autre part, si un patient sur cinq nécessite une aide extérieure, telle que femme de ménage, aide ménagère ou auxiliaire de vie, un patient sur cinq également reconnaît avoir recours à une personne de l’entourage.
Pendant les dialyses, la famille vivra soit les séances à la maison avec ses avantages et inconvénients, soit une absence répétée et importante du malade avec des horaires imposés souvent insatisfaisants.
L’entourage familial, toujours concerné, doit absolument être associé à la prise en charge du patient. Il doit comprendre la maladie, ses traitements et participer au choix de celui-ci.
L’autonomie du patient et de la cellule familiale tendra ainsi à être préservée et les problèmes de dépendance, induits par le traitement, minimisés.
VIE SOCIALE
Pour briser le cycle monotone du traitement, le patient, le couple ou la famille a besoin de jalonner l’avenir de projets plus ou moins réalisables; relations sociales et activités de loisirs doivent coûte que coûte être préservées.
C’est ce qui explique la place prépondérante accordée aux vacances, domaine où l’improvisation n’est plus de mise. C’est en hiver qu’il faudra décider les dates et la destination des vacances d’été et réserver sa location saisonnière en même temps qu’une place dans un centre de dialyse proche.
La liberté, quant aux dates et aux lieux de vacances, est compromise; les régions les plus fréquentées, tel le midi de la France, seront difficilement accessibles pendant les périodes de congés scolaires.
Par ailleurs, d’autres régions restent très pauvres en centres et sont alors inaccessibles pour des patients en perte d’autonomie ou âgés, pour lesquels souhaiter passer quelques jours dans sa maison de campagne ou sa famille devient illusoire.
Heureusement, d’autres régions ouvrent des centres pendant les périodes estivales, ou permettent temporairement l’accès des centres d’autodialyse à des patients non formés à ce mode de traitement.
VIE PROFESSIONNELLE
Envisager la vie professionnelle d’un patient insuffisant rénal, dialysé, ou transplanté, n’est possible que dans la mesure où elle est intégrée dans l’ensemble du parcours médical, parcours composé d’étapes se précédant ou se succédant les unes les autres.
Au niveau de la législation du travail et de la législation sociale, rien n’a été spécialement prévu pour l’insuffisant rénal : on raisonne à ce niveau, comme pour toute autre pathologie, en terme de capacité de travail, d’amélioration ou de consolidation d’un état pathologique.
La situation économique actuelle, le taux de chômage croissant, les lenteurs de certaines administrations ou organismes de formation rendent absolument primordial d’examiner la situation professionnelle du patient dès la découverte de l’insuffisance rénale chronique et de vérifier si le travail exercé est compatible avec l’évolution de la maladie et les traitements qui en découlent.
Il faut alors tout mettre en place pour que l’intéressé puisse, quand cela est possible, conserver son activité professionnelle tout en intégrant les contraintes de son traitement. Cela va entraîner, au moins dans un premier temps, un arrêt de travail plus ou moins long. Si l’activité professionnelle ne peut être maintenue, des indemnités journalières pourront être versées, voire des compléments de revenus, par l’employeur ou un organisme de prévoyance.
Certains salariés, en fonction de leur âge, de leur niveau d’études et de leur motivation, pourront bénéficier d’un reclassement professionnel.
Il existe encore aujourd’hui trop de licenciements pour inaptitude au travail, par peur, par ignorance de cette pathologie. C’est pourquoi des circuits de communication efficaces doivent être mis en place entre le patient, son employeur, la médecine du travail, le médecin-conseil, le médecin traitant, le travailleur social de l’entreprise, de l’hôpital ou de l’association qui suit le patient.
Expliquer la pathologie, analyser ses conséquences et leurs applications sur le poste de travail, examiner les possibilités de postes adaptés, d’horaires aménagés, de mise en place de revenus de remplacement ne seront jamais du temps perdu et seront les garants, malgré les difficultés et les contraintes de toutes sortes, d’une prise en charge réussie tant du point de vue médical que professionnel, social et personnel.
PERSONNES ÂGÉES EN DIALYSE
L’augmentation de l’espérance de vie, l’amélioration des techniques médicales ne font qu’accroître le nombre de personnes âgées traitées par dialyse. Il faut être particulièrement attentif à la prévention des problèmes de dépendance, au choix du mode de traitement.
Les conditions de maintien à domicile doivent être évaluées avec attention, afin de pallier la diminution d’autonomie due à la fatigue croissante et de lutter contre un sentiment d’isolement et de solitude.
Les personnes âgées représentent la catégorie la plus touchée par le problème des déplacements. Parfois, propriétaires d’une petite résidence secondaire à la campagne, elles voient leur séjour impossible par manque de structures de soins sur place, par des centres de dialyse locaux saturés, par des transports trop fatigants…
Nous constatons un déficit en moyens : insuffisance et inadaptation de prise en charge spécialisée (hébergement, intervenants sanitaires, suivi…), ainsi que des disparités en fonction du lieu de vie du patient.
Si on prend l’exemple des patients traités par dialyse péritonéale, la demande de placement en EHPAD est refusée pour la plupart d’entre eux compte tenu du coût de l’assistance qui incombe à l’établissement et, quasiment impossible, en long séjour médicalisé.
QUELQUES POINTS DE LÉGISLATION
Les insuffisants rénaux chroniques ne forment pas une catégorie particulière de malades au regard des diverses administrations dont ils relèvent, malgré la spécificité de leur traitement.
Ils sont par conséquent assimilables aux autres patients atteints d’affections jugées de même niveau de gravité que la leur et ils bénéficient des mêmes avantages.
Les prestations en nature de l’assurance maladie
Elles consistent en le remboursement de tout ou partie des frais occasionnés par la maladie de l’assuré ou de ses ayants droit. Elles ne sont dues que lorsque l’assuré satisfait à des conditions de cotisations ou de durée minimale de travail.
Certaines maladies comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse sont prises en charge à 100 % du tarif de la Sécurité sociale. C’est le cas de la néphropathie chronique grave, du syndrome néphrotique pur primitif, et des suites de transplantation d’organe.
En cas d’hospitalisation, le montant du forfait journalier restera malgré tout à la charge du patient assuré social.
Les franchises
C’est fin 2004 que la première franchise médicale a été décidée; elle a été mise en place en janvier 2005. Communément appelée participation forfaitaire de 1 euro, elle a été complétée en 2006 par une participation forfaitaire de 18 euros pour les actes dont le coût excède 91 euros.
En janvier 2008, une nouvelle franchise médicale a été décidée et appliquée, portant entre autres sur les transports, les boîtes de médicament, etc.
Les prestations en espèce de l’assurance maladie
Elles consistent au paiement d’indemnités journalières à l’assuré lorsque sa maladie le rend incapable de travailler. Elles sont soumises également à des conditions d’immatriculation, de cotisations ou de temps de travail.
Pour les affections chroniques, les indemnités journalières versées dans le cadre d’une ALD ne sont pas soumises à déclaration fiscale au-delà de 6 mois.
D’autre part, un assuré suivant des séances d’hémodialyse sur son temps de travail peut percevoir des indemnités compensatrices de perte de salaire (ICPS), égales à la perte effective de salaire, dans la limite de la fraction du plafond de l’indemnité journalière maladie, défini à l’article R. 323-9 du code de la Sécurité sociale et correspondant au nombre d’heures effectivement perdues.
Il n’y a pas de modification de contrat de travail mais une suspension de celuici durant la période utilisée.
Il n’y a pas D’ICPS pour les fonctionnaires et assimilés mais une imputation du congé longue maladie de façon fractionnée.
L’assurance invalidité
Après l’expiration de la période pendant laquelle l’assuré a bénéficié d’indemnités journalières, il peut prétendre au versement d’une pension d’invalidité si sa capacité de travail ou de gain est réduite d’au moins 2/3.
Le montant de la pension varie suivant le fait que l’assuré :
– est encore capable d’exercer une activité rémunérée à temps partiel,
– est totalement incapable d’exercer une profession quelconque,
– a besoin de l’assistance d’une tierce personne pour exercer les actes de la vie quotidienne.
L’Allocation adulte handicapé (AAH)
L’insuffisant rénal chronique, s’il est dans l’incapacité de travailler, et s’il ne peut prétendre au bénéfice d’indemnités journalières, ou d’une pension d’invalidité, ou encore d’une pension vieillesse, peut solliciter le versement de l’AAH. Attribuée par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), c’est une allocation différentielle assurant un revenu mensuel (652,60 euros en 2008), à laquelle s’ajoute la majoration pour la vie autonome (104,77 euros en 2008) si la personne dispose d’un logement indépendant, ou le complément de ressources (179,31 euros en 2008) attribué au bénéficiaire de l’AAH dont la capacité de travail est inférieure à 5 % (non cumulable avec la majoration).
L’allocation est attribuée au patient dont le taux d’incapacité permanent est d’au moins 80 % (attention : ce taux est apprécié par la MDPH et non par la Sécurité sociale) ou qui est dans l’impossibilité de se trouver un emploi du fait de son handicap.
Un taux de 80 % est reconnu pour « une insuffisance rénale chronique sévère nécessitant un traitement de suppléance (dialyse péritonéale, rein artificiel) selon le degré de compensation clinique, le retentissement sur la vie quotidienne et professionnelle. L’insuffisance rénale greffée sera évaluée selon la valeur de fonction rénale rétablie, la tolérance du traitement immunosuppresseur, la persistance de manifestations cliniques d’insuffisance rénale. » (JO du 06-11-1993).
► La carte d’invalidité
Pour l’insuffisant rénal qui s’est vu attribuer un taux d’au moins 80 % par la MDPH, la carte d’invalidité, délivrée par le préfet, peut apporter quelques avantages :
– en matière fiscale,
– exonération de la redevance télévision, sous certaines conditions.
La carte européenne peut être demandée; elle est attribuée selon des critères bien définis, notamment un périmètre de marche inférieur à 200m.
ASPECTS PSYCHOLOGIQUES DES PATIENTS INSUFFISANTS RÉNAUX, DIALYSÉS ET TRANSPLANTÉS
UN TRAITEMENT POUR LA VIE
Si d’un mot, nous devions étiqueter l’aspect psychologique cataloguant l’insuffisance rénale chronique, dire le phénomène autour duquel pivotera l’existence de la personne (et celle, professionnelle, de « ses » soignants) aux prises avec une pathologie de cette nature, nous n’hésiterions pas à dénoncer la chronicité.
Ad vitam, l’insuffisance rénale, lorsqu’elle s’avère chronique, sera comme son nom l’indique, le lot de la personne qui en est atteinte. Sans omettre que la transplantation rénale n’en triomphe pas non plus : réalité qu’il n’est guère de bon ton de rappeler, ni d’entendre. Le traitement par greffe réussit en effet à faire oublier (les soignants y échappent-ils?), grâce à l’allégement qu’il représente comparé à la dialyse (succès statistique et moindre coût), qu’il n’en demeure pas moins l’une des thérapeutiques actuelles, certes la plus fine, de l’insuffisance rénale chronique, mais qu’elle ne permet ni son éradication, ni sa définitive guérison.
Khrônos chapeaute la maladie, qui s’écoulera d’année en année de façon inexorable. Avant que le malade ait l’opportunité de passer d’une modalité de traitement à une autre, apparaîtront les vicissitudes nées de la répétition. Celles des séances, pour qui dialyse, où que ce soit, quelque formule que ce soit, les va-et-vient, gestes et lieux, se répètent obligatoirement. L’existence des dialysés, et de leur entourage soignant, pourrait ainsi se définir en termes d’éternel retour.
Les personnes greffées n’échapperont pas à la règle : le suivi est serré les mois suivant l’opération, et la prise médicamenteuse de l’immunosuppression impérative au quotidien pour contrecarrer le rejet, le temps imprévisible que durera la greffe.
La familiarité, elle, naîtra de la répétition et ni les soignés ni les soignants n’occulteront les difficultés relationnelles qu’elle engendre. C’est enfin la lassitude qui fera écho à l’éprouvé, au fil du temps passé, au vécu des uns et des autres : malades, familles, soignants.
Dans ce qui va suivre, c’est donc au temps que nous consacrerons la place : répétition, chronicité, familiarité, lassitude, seront les bases sur lesquelles se fondera notre propos pour aboutir sur l’aide du soignant dans ce contexte. Les aspects spécifiques aux personnes transplantées seront cités au fil du texte.
UN DIAGNOSTIC SANS APPEL
« Mais, puisque j’urine… je ne comprends pas… cela va sûrement revenir?! » « N’existe-t-il pas un traitement oral qui épurerait mon organisme ou un régime spécial que je respecterais pour éviter d’en arriver à la dialyse? » ou encore : « Pourquoi ne pas faire qu’une seule séance, même plus longue, par semaine? » Et tant d’autres réticences pour résister à l’évidence de ce qui arrive de définitif dans la vie, qui en sera, en effet, bouleversée.