4. Psychopathologie
modèles expérimentaux
Les facteurs génétiques apparaissent cependant importants : les phobies d’animaux sont héritables à 47 %, les phobies dus sang et des blessures à 49 %, et les phobies situationnelles à 46 % (Kendler et al, 1999).
Phobies
Phobies spécifiques
Les facteurs génétiques semblent surtout clairs dans les phobies du sang et des blessures qui sont les seules phobies où le cœur se ralentit et la tension artérielle chute, ce qui entraîne dans certains cas une perte de connaissance. Ce type particulier de phobie correspondrait à une anomalie héritable du système nerveux végétatif. Mais pour les autres types de phobie spécifique, on discute les autres mécanismes de formation.
Conditionnement classique
Dans cette perspective, l’anxiété est une réponse apprise au cours d’une expérience traumatique où un stimulus neutre est fortuitement associé à un stimulus inconditionnel aversif (douleur, son violent, etc.). Très rapidement la théorie du conditionnement classique a été discutée. Nombre de sujets soumis à des circonstances pénibles ou dangereuses ne développaient pas de phobie. Il est plus facile de conditionner des sujets à la peur d’animaux que d’objets inanimés. Cela suggère que les stimuli phobogènes doivent avoir certaines caractéristiques ; il s’agit d’apprentissages préparés. Ces constatations ont conduit Seligman (1971)à proposer une division des phobies en deux classes :
• les phobies « Préparation (des phobies)préparées » dont l’apprentissage a lieu en fonction d’une prédisposition génétique. Ce sont des phobies qui correspondent à des comportements qui ont une valeur fonctionnelle pour assurer la survie de l’espèce (éviter les animaux, les lieux inconnus, la solitude, l’obscurité, etc.). De ce fait, elles ont été sélectionnées par l’évolution naturelle car elles favorisaient la survie de l’homme prétechnologique. L’anxiété vis-à-vis de ce type de situation se trouverait donc en dépôt dans le pool génétique de l’espèce humaine ;
• les phobies non préparées qui correspondent à des situations qui ne menacèrent jamais l’homme prétechnologique (autobus, armes à feu, voitures, etc.). Cette théorie, malgré son intérêt, n’a reçu pour l’instant que des confirmations incomplètes (Barlow, 2002).
Kendler (2002) a étudié 7500 paires de jumeaux en évaluant leur degré de neuroticisme (névrosisme) et a recherché cinq types de phobies selon le DSM : agoraphobie, phobie sociale, animaux, phobie situationnelle, phobie du sang et blessure. Il aboutit à la conclusion que les phobies sont pour une bonne part innées et le modèle le plus probable est l’apprentissage non-associatif (Erich Kandel, 2006), en une seule rencontre avec le stimulus phobogène et potentialisation à long terme. Une étude du même groupe vient nuancer ce point de vue. Hettema et al. (2003) ont étudié des jumeaux monozygotes (90 paires) et dizygotes (83 paires). Ils ont accepté de participer à une expérience de conditionnement par des chocs électriques légers soit à des stimuli préparés par l’évolution (serpents, araignées) soit non préparés (cercle et triangles). L’expérience comportait trois phases : habituation, conditionnement et extinction. La mesure de l’anxiété se faisait par la réponse électrodermale. Deux types génétiques d’acquisition ont été retrouvés :
• Apprentissage non-associatif : sensibilisation
• Apprentissage associatif : processus de conditionnement
Ce qui permettait de conclure que les gènes expliquent les variations individuelles dans l’habituation, l’acquisition et l’extinction des phobies.
Il est évident qu’il faut poursuivre ces recherches sur l’interaction gène/environnement pour mieux comprendre l’étiologie des différents types de phobie.
Conditionnement opérant
Devant les difficultés d’un modèle fondé uniquement sur le conditionnement classique, l’on a proposé que les phobies seraient acquises par conditionnement classique et maintenues par le conditionnement opérant. Le conditionnement opérant est un apprentissage par les conséquences de l’action. Le phobique qui évite apprend à se soulager de l’angoisse par l’évitement de la situation qu’il redoute. Il est négativement renforcé à échapper ou à éviter des situations dont la conséquence est pour lui une crise d’angoisse situationnelle. En effet, l’affrontement de la situation ne peut aboutir à la réduction de l’angoisse qu’après plusieurs « expositions prolongées » à la situation provocatrice d’anxiété d’au moins trois quarts d’heure chacune. Éviter représente donc un moyen rapide de se débarrasser de l’angoisse. Mais le comportement inhibé va rapidement se généraliser à d’autres situations qui rappellent la situation initiale.
Attaques de panique et agoraphobie
Modèles issus du conditionnement intéroceptif (pavlovien) et du conditionnement opérant
De nombreux chercheurs ont suggéré que la peur de la peur qui se manifeste dans le trouble panique était fondée sur le conditionnement intéroceptif (McNally, 1990). Sheehan (1982) a proposé une conception biopsychologique longitudinale des attaques de panique qui évolueraient en six étapes.
1 Il existe un noyau de vulnérabilité biologique qui sensibilise à la survenue d’une attaque de panique. Celle-ci va se déclencher soudainement sans lien précis avec un stimulus déclencheur externe.
2 L’attaque de panique représente un stimulus inconditionnel qui va s’associer fortuitement à la première situation où elle a eu lieu : celle-ci deviendra alors une situation phobogène et le sujet développera une phobie circonscrite.
3 La répétition des attaques de panique dans des lieux variés va entraîner une généralisation des situations phobogènes.
4 Des phénomènes de conditionnement intéroceptif vont se surajouter : le sujet qui a fait une tachycardie au cours d’une attaque de panique va percevoir toute accélération cardiaque comme le début d’une nouvelle attaque de panique. Cette interprétation déclenchera une nouvelle attaque.
5 Des situations de plus en plus nombreuses sont évitées pour ne pas ressentir les conséquences néfastes d’un affrontement (conditionnement opérant par renforcement négatif). C’est le stade des phobies multiples et de l’évitement du contact social, de peur de présenter une attaque de panique en public.
6 L’évolution se fera vers l’hypochondrie et la dépression, et l’alcoolisme qui cherche à réduire l’anxiété et la dépression. Plus tard apparaîtront les complications sociales et conjugales.
Modèles cognitifs
Les modèles cognitifs insistent sur les perturbations du traitement de l’information chez les sujets phobiques. Les théories cognitives postulent que les phobiques n’ont pas développé des signaux de sécurité ou qu’ils ont acquis précocement des « schémas cognitifs de danger », stockés dans la mémoire à long terme et qui vont systématiquement sélectionner l’information en ne retenant du monde extérieur que ce qui a trait au danger. Selon Beck et al. (1985), il existe un contenu de pensée particulier aux sujets qui présentent des états d’anxiété. Les patients anxieux « tunnelisent » leur perception de l’environnement et de leurs sensations physiques en fonction de processus cognitifs erronés. Ces dysfonctionnements de la pensée logique consistent en erreurs cognitives dont les principales sont l’inférence arbitraire, la généralisation, l’exagération des dangers et la minimisation des situations sécurisantes, enfin la personnalisation de tout ce qui peut avoir trait à la vulnérabilité individuelle. Le tableau 4.1 résume ces hypothèses cognitives.
1 – Schémas cognitifs Sélectionnent les stimuli intéroceptifs et extéroceptifs uniquement dans leurs virtualités de danger Stockés dans la mémoire à long terme |
2 – Distorsions cognitives (inférences arbitraires) Aboutissent à un traitement erroné de l’information concernant la sécurité et le danger Magnification du danger Minimisation de la sécurité |
3 – Événements cognitifs Monologues intérieurs et images mentales qui traduisent l’anticipation du danger : peur de mourir, de devenir fou ou de perdre le contrôle de soi |
Modèle de Barlow (2002)
Ce modèle intégre divers niveaux de causalité :
• vulnérabilité biologique héritable qui n’explique pourtant que partiellement la genèse des attaques de panique et de l’agoraphobie (Kendler et al., 1992) ;
• événements de vie. Cette vulnérabilité est activée par une interruption aversive du comportement occasionné par des événements de vie négatifs ;
• réaction de stress : vraie alarme. L’événement est suivi d’une réaction de stress diffuse qui implique le système hormonal et entraîne également un accroissement de l’activité monoaminergique. De façon plus ou moins rationnelle suivant la nature de l’événement, le sujet va ressentir celui-ci comme une menace vitale. Ces réactions de stress sont d’intensité suffisante pour déclencher des fausses alarmes, soit immédiates, soit différées ;
• vulnérabilité psychologique : alarme apprise. Le sujvet pense que l’événement initial est imprévisible. S’il revient, il ne pourra pas le contrôler. Ce stade correspond à une vulnérabilité psychologique où le sujet se perçoit comme incapable et résigné.
L’état d’alarme peut être atténué par le fait que le sujet possède un réseau relationnel qui lui assure un soutien au moment de l’épreuve. De même, il peut avoir à sa disposition des stratégies personnelles d’ajustement au stress. Mais une fois établi le feedback entre vulnérabilités biologiques et psychologiques, le sujet entre dans un cycle d’appréhension anxieuse chronique.
Le stockage dans la mémoire à long terme de cette structure cognitivo-affective peut expliquer le maintien d’un comportement irrationnel une fois l’épisode traumatique révolu.
Il y a un certain nombre d’arguments expérimentaux en faveur d’un modèle cognitif des attaques de panique. Le modèle psychologique et clinique est certainement plus convaincant que le modèle strictement biologique, parce que l’on peut provoquer des attaques de panique avec divers agents chimiques (lactate, CO2, isoprénaline, cholécystokinine) ou en manipulant expérimentalement des variables psychologiques. En effet, l’illusion de contrôle que possède ou non le patient demeure un élément psychologique fondamental, à provocation chimique de panique égale, ainsi que l’a montré Sanderson (1989) dont l’expérimentation consistait en l’inhalation, pendant 15 minutes, d’air avec 5 % de CO2 chez vingt patients paniqueurs qui reçevaient la même dose de CO2. Les patients étaient divisés en deux groupes :
• groupe I : dix sujets ayant l’illusion de pouvoir contrôler le débit de CO2 ;
• groupe II : dix sujets n’ayant pas cette possibilité fictive.
La fréquence d’attaques de panique se révéla plus importante dans le groupe II, « sans illusion de contrôle » que dans le groupe I « avec illusion de contrôle ».
Des travaux maintenant nombreux ont montré que les techniques psycholinguistiques et neuropsychologiques, qui activent ces interprétations catastrophiques, accroissent la fréquence des attaques de panique, alors que les interventions expérimentales qui diminuent ces interprétations catastrophiques diminuent la fréquence des attaques de panique (pour une revue détaillée de ces travaux, voir Zinbarg et al., 1994).
Sensibilité à l’anxiété – les facteurs de personnalité
Les attaques de panique sont un phénomène banal puisque jusqu’à 30 % de la population générale peut présenter des attaques de panique trop peu fréquentes pour atteindre les critères du DSM-III (Norton et al., 1986). McNally (1990) a cherché à établir quels facteurs prédisposaient à développer des attaques de panique ; il a proposé le concept de sensibilité à l’anxiété qui dénote la tendance à répondre à des symptômes d’anxiété par des interprétations catastrophiques. Il a pu ainsi montrer qu’un index de sensibilité à l’anxiété était un meilleur facteur prédictif d’attaque de panique induite par les lactates qu’une histoire d’attaques de panique. La sensibilité à l’anxiété – ou tendance à répondre aux symptômes d’anxiété – diffère de l’anxiété qui se définit, elle, comme la tendance à répondre par la peur à des stimuli stressants. Il faut donc prendre en compte des facteurs de personnalité comme la sensibilité à l’anxiété, le neuroticisme ou l’évitement du danger. Globalement, ce facteur tempéramental correspond à un des cinq facteurs de personnalité (OCEAN) étudiés dans les travaux modernes sur la génétique de la personnalité (tableau 4.2). Il fait partie des quatre facteurs qui ont été validés (Livesley et al., 1998).
Ouverture→Fermeture au nouveau | − |
Contrainte→Impulsivité | + |
Extraversion→Introversion, inhibition | + |
Altruisme agréable→Antisocial | + |
Neuroticisme, anxiété→Stabilité émotionnelle | + |
Modification thérapeutique des cognitions hypocondriaques
L’attaque de panique serait donc une « hypocondrie aiguë » génératrice d’interprétations erronées des sensations physiques qui auto-entretiennent le phénomène de panique : ainsi se crée « la peur de la peur ». C’est sur ce facteur central et spécifique que la thérapie cognitive se centre à présent. Les études contrôlées convergent aujourd’hui pour suggérer qu’aussi bien dans l’exposition in vivo aux situations anxiogènes que dans la modification cognitive visant les pensées catastrophiques, le facteur central en relation avec l’évolution favorable est la modification des interprétations des phénomènes somatiques de l’attaque de panique (Margraf et al., 1991).
On peut résumer l’ensemble de ces données (figure 4.1) sur un modèle qui intègre les différents niveaux de la recherche dans le domaine des attaques de panique (Cottraux, 1999).
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Figure 4.1 (d’après Cottraux, 1999) |
Phobie sociale
La peur d’agir sous le regard d’autrui fait de cette catégorie un problème à part souvent limité à une ou deux situations (parler ou manger en public, uriner dans des toilettes publiques) ou bien parfois généralisé à toutes les situations sociales. Il ne semble pas que ce type de phobie soit acquis par imitation bien que l’on retrouve assez fréquemment des antécédents familiaux de timidité. La phobie sociale survient sur un terrain biologiquement préparé. Une plus grande conditionnabilité à répondre anxieusement à des visages d’individus en colère a été démontrée chez ce type de patients. Le trouble se déclenchera lors d’une expérience sociale traumatique (rejet social par exemple) ou d’un épisode de déficit dans les conduites sociales. Cet épisode se situe en général au début de l’adolescence, époque où le sujet est particulièrement vulnérable (Barlow, 2002).
Cependant, des modèles cognitifs ont également été proposés, tenant compte essentiellement des interprétations que font les sujets phobiques sociaux et aboutissant à des comportements de sécurité, qui accroissent leur trouble (Wells et Clark, 1997). Ces comportements résultent d’une observation anxieuse de soi et sont destinés à prévenir des catastrophes imaginées : ainsi l’évitement complet des situations sociales. Des comportements plus subtils sont mis en œuvre pour rester en situation : bouger doucement, agripper les objets comme les verres de peur de les renverser, porter des vêtements légers pour éviter de transpirer, utiliser des déodorants plusieurs fois par jour, se cacher le visage avec la main, toucher son nœud de cravate, éviter le contact visuel, se repeigner, se taire, etc. Tous ces comportements reliés à une perception exagérée du danger social renforcent les cognitions négatives, ainsi que la peur d’être évalué négativement. Ils peuvent aussi, du fait de leur exagération, provoquer les catastrophes redoutées : par exemple renverser un verre que l’on tient trop fermement, comme dans les films comiques. La figure 4.2 résume le lien entre cognitions et symptômes selon le modèle de Wells et Clark (1997).
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Figure 4.2 |
Modèles des obsessions-compulsions
Habituation et modèles cognitivo-comportementaux
Beech et Perrigault (Beech, 1974) ont proposé un modèle qui s’appuie sur la notion d’une activation anormalement élevée chez l’obsessionnel, primum movens de toute leur pathologie. Une activation anormale entraînerait de l’anxiété et des troubles de l’humeur. Si l’activation dépasse un seuil critique, le sujet pourrait associer son état interne d’activation à un stimulus environnemental (par exemple la saleté) selon un phénomène de pseudo-conditionnement. Il présentera ensuite des rituels et effectuera un récit a posteriori pour justifier son comportement irrationnel. Cette explication discutable montre l’importance des difficultés d’habituation chez les obsessionnels.
Marks, 1981 and Marks, 1987 devait, à la suite de Meyer (1966), systématiser et étudier une pratique thérapeutique fondée sur le principe comportemental intitulé « exposition et prévention de la réponse ». Cette pratique se fonde sur l’habituation des réponses physiologiques. Il s’agit d’une forme élémentaire et primitive d’apprentissage qui peut être assez facilement utilisée comme paradigme expérimental et principe thérapeutique. L’exposition in vivo et/ou en imagination entraîne l’habituation des réponses physiologiques et l’extinction des rituels qui n’ont plus lieu d’être, du fait de la réduction d’anxiété. L’habituation des réponses cardiaques au cours des traitements comportementaux par exposition prolongée a été mise en évidence. L’habituation des idées obsédantes a été étudiée par les cognitivistes (Salkovskis, 1985) qui ont mis en évidence le rôle de pensées neutralisantes conformistes empêchant l’habituation des idées obsédantes antisociales et contraires à la morale.

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