3 Psychologie positive et bien-être des groupes
le moral1
Qu’est-ce qui fait que la vie vaut le plus la peine d’être vécue ? Réduire à leur plus simple expression les résultats de ce nouveau domaine de recherche qu’est la psychologie positive revient à mentionner l’importance d’autrui. C’est bien au sein de groupes que nous vivons, travaillons, aimons et jouons, les groupes devraient donc être une préoccupation prioritaire pour les chercheurs s’intéressant à la santé et au bien-être. Dans le présent chapitre, est considéré le moral comme indicateur majeur du bien-être des groupes. Puis est présenté l’état des connaissances actuelles concernant le moral en général dans différents types de groupes : sa signification, la façon de le mesurer, ses antécédents et conséquences supposées. Est esquissé ensuite un programme de recherche futur qui appréhenderait le moral de façon multidimensionnelle aux niveaux à la fois individuel et groupal et accorderait une attention particulière aux retombées positives associées au moral du groupe.
Introduction
Depuis son développement en 1998, la psychologie positive a été définie comme l’étude scientifique de ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue (Seligman et Csikszentmihalyi, 2000). Parmi ses axes prioritaires de travail, on note les expériences positives telles que le bonheur et l’engagement, les traits positifs comme les forces de caractère et les talents, les relations positives comme l’amitié et l’amour, et les institutions plus larges comme la famille et l’école qui permettent le développement de ceux-ci (Peterson, 2006).
Les centres d’intérêt et les buts de la psychologie positive précèdent de beaucoup la dénomination de ce champ et nombre de thématiques ayant des lignées de recherche durables constituent à présent des piliers de ce nouveau domaine. Alors qu’est-ce que la psychologie positive apporte de nouveau ? La psychologie positive comporte une valeur considérable en tant que dénomination pouvant regrouper des domaines de recherche jusque-là séparés et leur permettant d’être considérés comme reliés (Peterson et Park, 2003). Par exemple, la plupart de nos propres travaux en tant que chercheurs en psychologie positive impliquent une juxtaposition des forces de caractère et de la satisfaction par rapport à la vie, et nous souhaiterions penser que, par là, de nouvelles perspectives ont émergé (Park et al., 2004).
Ce chapitre a pour objet de suggérer qu’une autre thématique importante – le moral – pourrait être considérée comme faisant partie de la psychologie positive, où celle-ci pourra être analysée en lien avec d’autres éléments de la psychologie positive (Viteles, 1953 ; Worthy, 1950). À ce jour, les institutions facilitatrices sont reconnues comme étant le maillon faible de la psychologie positive et la prise en compte du moral au niveau du groupe permet d’étendre la perspective de la psychologie positive au-delà des caractéristiques individuelles habituellement étudiées (Wright, 2003).
Nous considérons le moral comme un indicateur du bien-être des groupes, tout comme la satisfaction par rapport à la vie est un indicateur du bien-être individuel. Tandis que l’attention des chercheurs en psychologie positive se tourne vers le domaine applicatif permettant de promouvoir une bonne santé psychologique, les objectifs ne doivent pas seulement inclure les individus, mais aussi les groupes au sein desquels les individus vivent, travaillent, aiment et jouent. Non seulement les interventions au niveau du groupe seraient plus efficaces et sans doute moins coûteuses que les interventions au niveau individuel, mais elles pourraient aussi multiplier la puissance de l’intervention. La vie bonne est de manière inhérente une vie sociale, alors pourquoi ne pas comprendre et promouvoir une vie bonne au niveau où celle-ci existe (Peterson, 2006) ?
Bien que nous approuvions les appels récents pour la mise en place d’indicateurs nationaux de bien-être, ces derniers ne devraient pas rester de simples mesures individuelles de bonheur et de satisfaction par rapport à la vie (voir Diener, 2000 ; Diener et Seligman, 2004 ; Gallup Organization, 2007). Ils devraient également inclure des mesures de bien-être des groupes. Le moral aurait le potentiel de devenir un indicateur de ce type.
Britt et Dickinson (2006) ont anticipé la thèse du présent chapitre et nous nous sommes inspirés de leur revue de questions et de nombre de leurs idées. Ces auteurs se sont focalisés plus particulièrement sur le moral militaire au cours des combats. Ici, nous proposons une discussion plus générale sur le moral que nous considérons comme un indicateur important du bien-être de tout type de groupe.
Le moral
Commençons par tourner notre attention vers les connaissances actuelles concernant le moral. Nous n’oublierons pas de souligner également ce qui n’est pas encore connu dans ce champ. La perspective de la psychologie positive est utile pour établir des projets de recherche futurs.
Étymologie et sens
Le terme « moral » est issu du français et fut introduit dans le langage courant au milieu du dix-huitième siècle. À l’origine, il signifiait morale ou bonne conduite, mais rapidement le moral fut introduit comme concept signifiant la confiance et fut particulièrement utilisé dans le cadre des forces militaires2. La démoralisation apparut plus tardivement, au cours de la révolution française, et désignait, à l’origine, la corruption de la morale. Encore une fois, ce terme fut typiquement utilisé dans un contexte militaire et décrivait le but visant à réduire la confiance de l’armée ennemie.
Tel qu’il est utilisé de nos jours, le moral est une position cognitive, émotionnelle et motivationnelle orientée vers les buts et les tâches d’un groupe. Il inclut la confiance, l’optimisme, l’enthousiasme et la loyauté de même que la conscience de la poursuite d’un but commun. Le moral est utilisé pour décrire des individus aussi bien que des groupes, une complexité qui pose un défi permanent lors des tentatives de recherche réalisées par les chercheurs en sciences humaines. L’esprit de corps est un autre terme utilisé pour décrire le moral d’un groupe et introduit par là de nouvelles connotations de dévotion au groupe et de respect de son honneur (Manning, 1991 ; Mitchell, 1940).
L’usage contemporain du moral s’étend au-delà du contexte militaire. Ainsi, le moral se réfère à la volonté collective des citoyens d’une nation en guerre, de soutenir le combat. Le moral figure également dans les discussions des équipes de sports, dans les écoles et dans les entreprises (exemple : Hart, 1994).
Comme nous l’avons déjà mentionné précédemment, le moral est un terme utilisé pour décrire des individus ou des groupes. Les commandants militaires, par exemple, sont moins concernés par le moral des individus soldats que par le moral de leurs troupes en tant qu’entités (Baynes, 1967). Cependant, il est difficile d’imaginer un groupe ayant un bon moral au sein duquel seuls quelques membres seraient dévoués et confiants. La plupart des groupes de taille suffisante peuvent maintenir un bon moral malgré la présence d’une poignée de membres désolidarisés ou mécontents, mais il y a bien sûr un niveau seuil.
Parmi les théoriciens ayant travaillé à de précédentes approches du moral en sciences humaines, certains ont considéré le moral uniquement comme une caractéristique du groupe (exemples : Grinker et Spiegel, 1945 ; Leighton, 1943 ; Motowidlo et Borman, 1978), alors que d’autres théoriciens l’ont décrit uniquement comme un trait spécifique d’un individu au sein d’un groupe (exemple : Manning, 1991). Aucun but constructif n’est servi par une approche unidimensionnelle du moral, en particulier lorsque l’on a la possibilité d’avoir recours à des stratégies d’analyse multiniveaux qui permettent d’étudier des phénomènes au niveau individuel et collectif (Britt et Dickinson, 2006). Nous aborderons donc le moral individuel aussi bien que le moral de groupe.
L’évaluation du moral reste un défi et les chercheurs ne devraient pas choisir le chemin de la facilité en mesurant uniquement le moral individuel à travers des entretiens ou des questionnaires en agrégeant ensuite les résultats pour produire un indice de moral du groupe. De nombreux chercheurs ont recours à cette stratégie, laissant de côté les liens entre les niveaux d’analyse qui pourraient varier selon les groupes.
Composants
Le moral est un concept du langage ordinaire qui résiste à une description en termes de conditions nécessaires et suffisantes (Wittgenstein, 1953). En d’autres termes, le moral est multidimensionnel, défini au travers d’une combinaison de plusieurs composantes. Les chercheurs en psychologie positive se sont attelés à la clarification d’autres concepts du langage courant de manière très utile, comme le bonheur ou le caractère, en articulant leurs dimensions et en construisant des mesures séparées pour chacun d’entre eux (exemples : Peterson et al., 2005 ; Peterson et Seligman, 2004). Nous postulons que le moral peut être approché de la même manière et décrit pour un groupe ou pour un individu en termes de profil regroupant ses différentes composantes significatives. Certaines de ces composantes peuvent se superposer, mais il semble peu probable qu’un groupe ou un individu puisse « avoir tout » au vu de l’ensemble des dimensions comprises dans la notion de « bon moral ». Dans son célèbre roman Anna Karénine, Tolstoï écrit que « les familles heureuses se ressemblent toutes » ; nous sommes en désaccord avec cette affirmation. Les chemins qui mènent au bonheur (bon moral) au sein des familles et dans d’autres groupes, sont potentiellement aussi nombreux que les chemins menant au bonheur individuel et au bien-être (Peterson et al., 2005).
À ce jour, les recherches ont généralement étudié le moral de manière unidimensionnelle, rendant impossible l’analyse de ce que nous considérons comme des questions fondamentales concernant le moral. Les profils de moral diffèrent-ils en fonction des groupes ? Les différentes dimensions ont-elles un impact spécifique ? Celles-ci varient-elles en fonction du type de groupe ? Certaines composantes sont-elles plus faciles à cultiver que d’autres ? Une fois mises en place, certaines composantes sont-elles plus résistantes que d’autres ?
De précédents auteurs ont souligné la superposition conceptuelle entre le moral et certaines notions telles que l’engagement et la satisfaction au travail, la fierté liée au travail, le travail de groupe, la cohésion des équipes, l’efficacité collective, et ils peuvent tenter de les distinguer du moral. Nous considérons qu’il s’agit là d’arguments futiles, car ils tentent d’opposer des éléments appartenant à différents niveaux d’analyse. Si le moral est défini en termes multidimensionnels, ces notions similaires sont perçues comme des dimensions du moral et non comme des concepts pouvant ou devant être distingués du concept plus large que constitue le moral.
Recherches empiriques
Les caractéristiques du moral sont des états, non des traits, et sont fortement liées à un contexte donné. Cela n’aurait aucun sens de discuter du moral et de ses composantes en soi, mais seulement eu égard aux tâches et aux buts poursuivis par un groupe à un moment de son histoire. Le moral et ses dimensions croissent et décroissent, et il appartient à la recherche de déterminer les facteurs induisant des niveaux plus élevés ou plus faibles.
Malgré l’apparente importance du moral, quelle qu’en soit sa définition, les recherches sur le moral en soi sont rares3. Comme d’autres thématiques positives, le moral semble avoir été laissé de côté par les chercheurs se centrant davantage sur les problèmes. On constate, par exemple, qu’il y a bien moins d’articles sur le moral militaire que sur le syndrome de stress post-traumatique dans cette population (Britt et Dickinson, 2006). Les recherches portant sur les groupes s’intéressent souvent aux environnements de travail pouvant avoir un impact négatif sur les salariés comme le climat conflictuel, le harcèlement, les préjugés, les problèmes de communication, mais rarement sur les environnements de travail sains qui encouragent le bien-être et l’épanouissement – ceux-ci étant corrélés au bon moral (Cameron et Caza, 2004).
Lorsque les recherches ont porté sur le moral, elles se sont fréquemment basées sur des mesures autorapportées. Ces questionnaires validés du point de vue du contenu sont souvent très courts – parfois un item unique – et ne peuvent refléter la multidimensionnalité du moral. Ces questionnaires sont généralement administrés à des individus d’un groupe à qui l’on demande d’évaluer leur moral personnel ou celui du groupe. La plupart des recherches ont observé le moral au niveau individuel. Lorsqu’elles se focalisent sur le moral du groupe, des scores composites sont souvent formés à partir de l’agrégation des mesures individuelles (exemple : Motowidlo et Borman, 1978). Cette stratégie de recherche comporte un risque de simplification extrême, mais certains résultats intéressants ont pu émerger. Cependant, davantage d’éléments ont été démontrés concernant les antécédents du moral que ses conséquences, peut-être parce qu’il est plus facile de produire des résultats significatifs à partir d’une étude rétrospective que prospective.
Quels sont les facteurs qui contribuent au moral ? Nous allons présenter les connaissances actuelles concernant le moral au sein de différents types de groupes. Dans l’armée, le bon moral – conceptualisé et mesuré de manière unidimensionnelle – est influencé par l’entraînement intensif, les ressources matérielles suffisantes et la taille et la force des divisions face à l’ennemi (Henderson, 1986 ; Kollett, 1982). D’autres facteurs jouent également un rôle important : un bon leadership, le respect et la confiance mutuels au sein du groupe, la clarté de la mission, le soutien public perçu, les succès passés au combat (histoire de la division), et le faible taux de victimes (Département de l’Armée, 2006). Les divisions ayant un faible taux de turnover ont tendance à avoir un meilleur moral, de même que dans les divisions où les membres s’attendent à effectuer une longue carrière. Il est intéressant de noter que les auteurs ayant publié des articles sur le moral militaire constatent que l’idéologie a peu d’impact sur le moral. Les membres de l’armée ne combattent pas tant pour leur drapeau ou pour leur pays que pour leurs frères et sœurs de tranchée (Little, 1964 ; Stouffer et al., 1965).
Les divisions ayant un bon moral sont bien connues. Pensez par exemple à la Garde romaine prétorienne, à la Garde impériale de Napoléon, à la Légion étrangère française, aux Forces spéciales américaines et au Spetsnaz soviétique. Les divisions ayant un bon moral sont aussi celles qui sont les plus sélectives (« l’élite ») ; il semble difficile de considérer qu’il s’agisse d’une pure coïncidence. Cela pose la question des caractéristiques psychologiques et des compétences que les individus présentent au sein de ces groupes. Sur quoi se fonde la sélection ? Les capacités physiques et les compétences sont bien sûr importantes pour la division, mais qu’en est-il des traits positifs tels que les capacités à collaborer, la persévérance et l’optimisme ?
Suivant cette perspective, les caractéristiques psychologiques du dirigeant militaire sont aussi considérées comme ayant un impact significatif sur le moral de ses troupes (Département de l’Armée, 2006 ; Gall, 1986). Une étude portant sur des vétérans de la deuxième Guerre mondiale a mis en avant, par exemple, que les dirigeants les plus compétents étaient ceux qui montraient l’exemple, enduraient les épreuves aux côtés de leurs soldats, conservaient leur calme même en cas de stress et se mobilisaient pour préserver le bien-être de ceux qu’ils commandaient (Stouffer et al., 1965). L’armée américaine considère l’effort partagé et le respect mutuel comme des déterminants fondamentaux du bon moral des troupes (Département de l’Armée, 2006).
Au travail, le bon moral – également conceptualisé et mesuré de manière unidimensionnelle – est développé grâce à la sécurité de l’emploi, la sécurité au travail, le montant du salaire et des bénéfices, les opportunités réalistes d’évolution de carrière, l’adéquation des ressources à la tâche demandée, le statut de l’emploi occupé et la valeur sociale accordée aux buts de l’organisme fréquenté (Hart et Cooper, 2001). Comme dans l’armée, le moral au travail est influencé par les caractéristiques psychologiques des collègues et du supérieur hiérarchique ou de l’employeur (Peterson et Park, 2006). Si l’entreprise répond aux besoins fondamentaux du personnel et que les individus se sentent valorisés par leurs dirigeants, leur moral pourra être plus élevé (Hersey, 1955).
Dans les écoles, le moral des enseignants est accru grâce à la définition claire de leur rôle, à la reconnaissance, la participation à la prise de décision, la quantité adaptée de travail à fournir, aux mesures disciplinaires efficaces, à la réussite des élèves, à la cohérence des programmes et à l’opportunité d’évolution de carrière (Anderson, 1953 ; Coverdale, 1973 ; Hart, Wearing, Conn, Carter et Dingle, 2000 ; Young, 2000). Nos propres recherches montrent que les enseignants fortement engagés présentent une bonne persévérance au travail, une bonne intelligence relationnelle, de l’entrain et de l’humour. Dans ce contexte, un leadership soutenant est également considéré comme crucial pour préserver le moral des enseignants (Rempel et Bentley, 1964 ; Silverman, 1957).
Lorsque des pays sont en guerre, le moral de la population générale est affecté par le niveau de compréhension et d’adhésion aux objectifs de la guerre par les citoyens, leur degré de croyance dans le fait que la guerre vaut la peine d’être gagnée, ainsi que leur confiance dans la possibilité de la gagner (Watson, 1942). La peur de ce qui peut se produire en cas de défaite est également un facteur important.
Les chercheurs en sciences humaines ont longtemps étudié le rôle de la propagande dans la formation des croyances et des attitudes des citoyens, et notamment l’impact que cela peut produire sur le moral général face à la guerre. Cependant, encore une fois, les caractéristiques psychologiques des individus, citoyens ou dirigeants politiques influencent le moral de la nation en guerre. L’exemple du succès de la chanson God Bless America (Que Dieu bénisse l’Amérique) composée en 1918 par Irving Berlin, hymne américain officieux chanté par Kate Smith et de son image représentant la pureté montre comment il fut possible de rassembler le peuple pour soutenir les efforts de guerre et encourager les sacrifices nécessaires pendant la deuxième Guerre mondiale (Merton, Fiske et Curtis, 1946). De même, les paroles prononcées par les dirigeants nationaux lors de périodes difficiles peuvent être des éléments cruciaux : par exemple, Franklin Roosevelt en 1932 (« La seule chose que nous devons craindre, c’est la peur elle-même ») ou Ronald Reagan en 1987 (« Monsieur Gorbatchev, détruisez ce mur »). Concernant les exemples plus contemporains, observez le succès actuel de l’équipe irakienne de football dans les compétitions internationales et comment elle inspire – et provisoirement unit – les nations en conflit (Aliraqi, 2007 ; BBC News, 2007). Hussein Saeed, le président de la fédération nationale de football, précise : « Nous souhaitons donner un bon exemple aux hommes politiques et au peuple, que lorsque l’on est uni et que l’on travaille ensemble – comme la fédération, le coach et les joueurs – il est possible de surmonter l’adversité. Le football envoie un message positif à tout le peuple concernant l’amitié et tout le reste ». L’équipe comprend des membres sunnites et chiites, une distinction significative pour les joueurs et pour les fans lorsque l’équipe est sur le terrain. De nombreux joueurs ont perdu des membres de leur famille et le psychothérapeute de l’équipe est décédé dans un attentat juste avant la coupe d’Asie en 2007, qui fut remportée par l’équipe d’Irak. Le moral de l’équipe est très bon, et cela imprègne tout le peuple lorsque l’équipe joue. Selon Saeed, « Lorsque l’équipe de football est en train de jouer, il n’y a pas de bombardements en Irak car tout le monde regarde le match ».
Dans tous les sens du terme, le moral joue sur la motivation, augmentant ainsi la persévérance et sans doute le succès des tâches assignées au groupe, en particulier dans un contexte difficile (Manning, 1991). Ainsi, le manque de recherche portant sur les conséquences du moral est surprenant et déplorable. Il est évident que les dimensions du moral, telles qu’elles ont été identifiées, ont un impact positif sûr au niveau de l’individu et du groupe.
Au niveau individuel, le dévouement (ou le fait d’être charitable) est corrélé à une bonne santé physique (Brown, Nesse, Vinokur et Smith, 2003), l’optimisme à la persévérance (Peterson et Barrett, 1987), l’enthousiasme (ou entrain) à la satisfaction au travail (Peterson, Park, Hall et Seligman, 2009), et les buts (ou le sens) à la bonne santé mentale (Peterson et Park, sous presse). Au niveau du groupe, la confiance (ou efficacité collective) entraîne une production accrue d’efforts (Zaccaro, Blair, Peterson et Zazanis, 1995), l’attention portée à l’honneur augmente les efforts fournis pour venger une insulte (Nisbett et Cohen, 1996) et le sens de la morale mène à l’innovation et la créativité (Murray, 2003). Ce que nous ignorons, c’est la manière dont ces caractéristiques rassemblées prédisent le succès, et si ce type de succès est fonction du type de groupe et de ses buts.
Une question essentielle concerne le fait de savoir si le moral et ses dimensions sont la cause de la réussite ou s’il s’agit d’éléments concomitants ou encore de conséquences des succès. Le proverbe tiré du milieu sportif qui consiste à dire « gagner guérit de tous les maux » ne doit pas être ignoré des chercheurs afin d’éviter de confondre les conséquences putatives au moral avec ses causes possibles. Depuis peu, les chercheurs en psychologie positive ont pu démontrer que le bonheur est plus qu’un épiphénomène, il mène à des conséquences désirables dans plusieurs domaines – académiques, occupationnels, physiques et sociaux – plutôt que d’être simplement corrélé aux (heureux) succès (Lyubomirsky, King et Diener, 2005). Plus récemment encore, les chercheurs en psychologie positive ont montré que la relation entre le bonheur et la réussite dépend du résultat spécifique étudié (Oishi, Diener et Lucas, 2007). Les personnes heureuses sont plus efficaces que les personnes malheureuses dans presque tous les domaines, mais les personnes « très heureuses » ne réussissent pas aussi bien au niveau scolaire ou professionnel que ceux qui sont simplement « heureux ». Cependant, on ne peut jamais être trop heureux si la réussite est évaluée au niveau interpersonnel. Des nuances similaires émergent lorsque le moral et ses dimensions sont étudiés de manière longitudinale en regard des différents résultats.