Pourquoi et comment traiter les troubles cognitifs de la schizophrénie ? Le programme RECOS et ses développements

5. Pourquoi et comment traiter les troubles cognitifs de la schizophrénie ? Le programme RECOS et ses développements

P. Vianin, J. Favrod and F. Giuliani




Dans le cadre des soins proposés aux patients schizophrènes, les thérapies cognitivo-comportementales ont pour objectif une meilleure adaptation à l’expérience psychotique et reposent sur le modèle de stress-vulnérabilité (Zubin et Spring, 1977). D’après ce modèle, la vulnérabilité à la schizophrénie est un trait individuel durable qui peut s’exprimer en cas d’événements stresseurs. Dès lors, la capacité de l’individu à faire face à ces événements devient primordiale pour éviter l’apparition ou la résurgence de la maladie et ses conséquences. Les stratégies qui permettent de faire face à ces stresseurs dépendent à la fois de la faculté d’adaptation du patient (coping) et du soutien assumé par le réseau socio-familial. Le seuil de vulnérabilité résulte ainsi de l’équilibre entre l’activation de ces ressources et l’impact du stress (Grivois et Grosso, 1998).

Dans un article récent, Beck et Rector (2005) suggèrent que les déficits cognitifs présents durant le stade prodromique de la schizophrénie rendraient les patients vulnérables aux obstacles rencontrés aussi bien dans leur vie interpersonnelle que dans leur formation ou leur carrière professionnelle. Ces sources de stress, à leur tour, conduiraient à des distorsions cognitives telles que je suis quelqu’un d’inférieur ou personne ne peut me comprendre, qui auraient pour conséquences des comportements mal adaptés, comme le retrait social ou des attitudes de méfiance à l’égard de son entourage. Autrement dit, les déficits cognitifs observés dans la schizophrénie – problèmes attentionnels, déficits des fonctions exécutives, troubles de la mémoire de travail – associés à une vulnérabilité au stress créeraient les conditions nécessaires à l’apparition de la maladie. Si l’on se réfère à ce modèle, on se rend compte de l’importance des déficits cognitifs dans les processus éthiopathogéniques de la schizophrénie.

La figure 5.1 présente ce modèle du développement de la schizophrénie. Comme nous l’avons illustré sur ce graphique, les principales interventions cognitivo-comportementales ont visé certaines des étapes menant à la maladie. Cependant, force est de constater que ces thérapies ont centré leurs efforts jusqu’ici sur l’une ou l’autre des étapes de ce processus menant à la psychose, mais ne se sont préoccupées que de manière marginale des troubles cognitifs de base. C’est pour combler cette lacune que nous avons développé un programme de remédiation cognitive pour patients schizophrènes à Lausanne.








B9782294705632000053/gr1.jpg is missing
Figure 5.1
Modèle du développement de la schizophrénie (d’après Beck et Rector, 2005).



Remédiation cognitive

Bien que la recherche actuelle souligne l’impact des troubles cognitifs sur le fonctionnement général des patients schizophrènes (Barch, 2005 ; Green et coll., 2000), une revue de la littérature scientifique indique que les programmes de remédiation cognitive n’ont qu’un impact mineur sur les performances cognitives et ne présentent qu’un bénéfice modeste en terme de répercussions fonctionnelles (Krabbendam et Aleman, 2003 ; Kurtz et coll., 2001 ; Twamley et coll., 2003). Les pistes suggérées pour améliorer l’efficacité de ces programmes concernent la combinaison avec un programme de réhabilitation psychiatrique comme l’entraînement aux habiletés sociales (Roder et coll., 2006), la mise en lien de la phase de remédiation avec des situations de la vie réelle (Krabbendam et Aleman, 2003 ; Twamley et coll., 2003), la remédiation des déficits cognitifs responsables du dysfonctionnement psycho-social (Green et coll., 2000) ou associés à certains symptômes considérés isolément (Favrod et coll., 2006). De manière assez surprenante, la prise en charge différenciée des troubles observés après une évaluation cognitive n’a été évoquée que rarement (Kurtz et coll., 2001).

Ce dernier point a suscité dans une grande mesure le développement du Programme de remédiation cognitive pour patients présentant une schizophrénie ou un trouble associé (RECOS) (Vianin, 2007a and Vianin, 2007b). Au vu de la très grande hétérogénéité du profil cognitif des patients schizophrènes, il nous a paru en effet essentiel qu’un programme de remédiation soit adapté à la nature des déficits de chaque patient, comme c’est d’ailleurs le cas pour toute démarche rééducative en neuropsychologie.

De manière à mesurer avec précision les déficits cognitifs de chaque patient, nous avons développé une batterie neuropsychologique qui recouvre la majorité des fonctions cognitives souvent déficitaires dans cette population (Vianin et Jaugey, 2007), à savoir l’attention, la mémoire et les fonctions exécutives. Cette évaluation détaillée permet en effet de cibler avec précision le travail de remédiation en proposant des modules d’entraînement individualisés. À notre connaissance, il s’agit d’une approche inédite dans le domaine de la schizophrénie et des troubles apparentés.

La schizophrénie regroupe un ensemble de symptômes dont aucun n’est suffisant pour déterminer la présence de la maladie. Le même constat peut être fait pour les troubles cognitifs. Malgré les tentatives d’identifier des marqueurs cognitifs de la maladie (Brewer et coll., 2006), force est de constater que l’on ne connaît pas encore à ce jour de déficits cognitifs qui caractériseraient l’ensemble des patients schizophrènes de manière spécifique. Il est intéressant de noter à ce titre que si 94 % des patients présentent un déficit à l’une au moins des composantes des fonctions exécutives (Fery, 1999), on en a probablement trop vite conclu que les mêmes déficits touchaient la plupart des patients. Les fonctions exécutives recouvrent en réalité des facteurs cognitifs variés tels que la planification, la mémoire de travail, l’attention sélective, l’organisation de l’action, la flexibilité de la pensée ou la résolution de problèmes. Les travaux récents de neuropsychologie tendent à montrer qu’il s’agit de compétences en partie indépendantes (Fery, 1999). Dès lors, il devient nécessaire de disposer d’outils de mesure qui permettent d’évaluer le degré de performance de l’individu dans les multiples facettes de son fonctionnement cognitif de base.

Il faut relever la volonté de plusieurs programmes de remédiation cognitive de cibler exclusivement la rééducation des fonctions exécutives. C’est le cas notamment du programme Cognitive Remediation Therapy (CRT) (Morice et Delahunty, 1996) qui a été largement diffusé et qui a été l’objet de nombreuses publications (pour une revue, voir Wykes et Reeder, 2005). Plusieurs études suggèrent cependant que la mémoire épisodique est également souvent déficitaire chez les patients schizophrènes et que les troubles observés impliqueraient non seulement le cortex préfrontal, mais également une activation anormale de l’hippocampe lors de l’encodage et de tâches de rappel (pour une revue de la question, voir Zhou et coll., 2008). Comme cela avait déjà été avancé par Andreasen (1999), ces résultats suggèrent que les troubles cognitifs observés reflètent un trouble de la connectivité entre les aires frontales/préfontales et d’autres structures cérébrales, comme cela a pu être évoqué pour la structure hippocampique (Zhou et coll., 2008) ou encore les aires visuelles (Vianin et coll., 2002).

En termes de remédiation, nous avons ainsi adopté une démarche visant à traiter les déficits rencontrés en favorisant une meilleure connexion entre les aires spécifiquement altérées. Les fonctions exécutives, qui sont identifiées depuis de nombreuses années comme l’une des fonctions cognitives fréquemment déficitaires chez les patients souffrant de schizophrénie, jouent précisément un rôle essentiel dans la coordination des processus cognitifs dans leur ensemble et sont probablement nécessaires pour favoriser le lien entre les structures neurocognitives impliquées dans les différentes activités de la vie quotidienne. Autrement dit, notre démarche vise à cibler les déficits rencontrés lors de l’évaluation tout en privilégiant les techniques généralement utilisées pour l’entraînement des fonctions exécutives. En faisant cela, nous visons à rétablir une meilleure connexion entre les aires frontales et les autres structures altérées de manière différenciée chez chacun des patients traités. Nous avons ainsi privilégié les techniques de résolution de problèmes (D’Zurilla et Goldfried, 1971) et de verbalisation ou de médiation verbale, connues pour la rééducation des syndromes dysexécutifs (Fasotti et Spikman, 2004). L’intérêt d’utiliser les techniques de résolution de problèmes pour des pathologies psychiatriques, comme la dépression, les troubles de la personnalité ou la schizophrénie, a également été souligné récemment (Mynors-Wallis, 2001).



Programme RECOS



Indication au programme

La constatation clinique de la présence de troubles cognitifs ou l’écoute des plaintes des patients à ce propos suffisent pour adresser le patient au programme RECOS. Il est cependant recommandé que les patients soient suffisamment stabilisés cliniquement, de manière à tirer pleinement bénéfice du programme.


Évaluation clinique (tableau 5.1)

Des questionnaires cliniques évaluent la symptomatologie négative et positive (Positive and Negative Syndrome Scale), l’estime de soi (Échelle de Rosenberg), les plaintes subjectives des déficits cognitifs (Subjective Scale to Investigate Cognition in Schizophrenia), les troubles de l’adaptation sociale du patient (Morning Rehabilitation Status Scale) et la conscience des symptômes de la maladie (Insight Scale for Psychosis). Cette évaluation clinique a lieu avant et après la phase de remédiation cognitive. Outre le fait de comprendre les relations entre les déficits cognitifs et les symptômes de la maladie, cette évaluation vise à mesurer les bénéfices cliniques d’un programme de remédiation cognitive ciblé.




























Tableau 5.1 Échelles pour l’évaluation clinique
Nom de l’échelle Référence Adaptation française
Subjective scale to investigate cognition in schizophrenia (SSTICS) Stip et coll., 2003 L’instrument a été publié en français.
Échelle de Rosenberg Rosenberg, 1965 Chambon (1992, non publié)
Positive and negative symptoms scale (PANSS) Kay et coll., 1987 L’instrument a été publié en français.
Insight scale for psychosis (IS) Birchwood et coll., 1994 Favrod et Linder (2006, non publié)
Morning rehabilitation status scale (MRSS) Affleck et Mc Guire, 1984 V. Pomini (1996, non publié)



Les tests sélectionnés, pour lesquels nous disposons de normes bien établies pour une population tout-venant, permettent d’évaluer les cinq fonctions cognitives à entraîner. Nous avons cherché à sélectionner les tests neuropsychologiques couvrant au mieux les déficits cognitifs les plus souvent mesurés chez les patients souffrant de schizophrénie (Vianin et Jaugey, 2007).



















































































Tableau 5.2 Tests neuropsychologiques pour l’évaluation cognitive
N. B. Pour des raisons de fatigabilité, l’évaluation cognitive se déroule en deux sessions d’une durée approximative de 60 minutes chacune. Les deux sessions ont lieu à une semaine d’intervalle.
1L’épreuve Code Copie est utilisée en complément et permet de s’assurer que le score attribué à la vitesse de traitement ne traduit pas en réalité un ralentissement moteur.
Tests neuropsychologiques Référence Modules d’entraînement
Session 1
15 mots de Rey –rappel immédiat Rey, 1966 Mémoire verbale
Symboles WAIS III (Wechsler, 1997a) Mémoire et attention visuo-spatiales
Attention sélective
Mémoire des chiffres WAIS III (Wechsler, 1997a) Mémoire de travail
Mémoire spatiale (blocs de Corsi) MEM III (Wechsler, 1997b) Mémoire et attention visuo-spatiales
Mémoire de travail
Tour de Hanoï Bustini et coll., 1999 Raisonnement
Stroop couleur Trenerry et coll., 1988 ; Dodrill, 1978 Attention sélective
15 mots de Rey – rappel différé Rey, 1966 Mémoire verbale
Wisconsin Card Sorting Test Loong et coll., 1989 ; Berg, 1948 Raisonnement
Session 2
Scènes de famille I MEM III (Wechsler, 1997b) Mémoire et attention visuo-spatiales
Code WAIS III (Wechsler, 1997a) Mémoire et attention visuo-spatiales
Code Copie WAIS III (Wechsler, 1997a) N’appartient à aucun module d’entraînement1
Mémoire logique I MEM III (Wechsler, 1997b) Mémoire verbale
D2 Brickenkamp, 1962 Attention sélective
Matrices WAIS III (Wechsler, 1997a) Raisonnement
Scènes de famille I MEM III (Wechsler, 1997b) Mémoire et attention visuo-spatiales


Évaluation des répercussions fonctionnelles

Au terme de l’évaluation cognitive, les résultats sont présentés au patient. Le thérapeute lui explique alors la signification de chacun des résultats enregistrés en évoquant les différentes fonctions cognitives évaluées par la batterie RECOS.

Comme nous l’avons souligné, l’objectif principal d’un programme de rééducation cognitive est d’améliorer la situation du patient dans sa vie quotidienne. Le questionnaire d’Évaluation des répercussions fonctionnelles (ERF) a ainsi été développé dans le but d’évaluer les conséquences dans la vie quotidienne des domaines cognitifs déficitaires, évalués préalablement par la batterie neuropsychologique. Un patient qui présente des déficits aux tests mesurant la mémoire verbale devra, par exemple, nous indiquer s’il présente des difficultés à mémoriser ce que les gens lui disent (les consignes de son employeur, les prescriptions de son médecin, etc.). La cotation se fait en fonction des réponses données par le patient et également selon le comportement observé au cours de l’entretien (pour la mémoire verbale, cela pourrait se traduire, par exemple, par une difficulté à mémoriser le contenu de l’entretien). Le choix du module d’entraînement se fait non seulement en fonction de l’évaluation cognitive, mais aussi en fonction des réponses données à l’ERF.


Psychoéducation et définition d’objectifs

Au terme de la phase évaluative, la séance psychoéducative se déroule en présence du médecin et/ou du clinicien référent et, si possible, d’un ou de plusieurs proche(s). Plusieurs travaux récents (Liberman, 2008 ; Pitschel-Walz et coll., 2006 ; Rabovsky et Stoppe, 2006) soulignent les effets bénéfiques des séances de psychoéducation pour les patients souffrant de psychose : réduction du taux de rechute, augmentation de l’observance du traitement, réduction du sentiment de culpabilité de la famille et diminution du stress lié aux symptômes.

Cette séance permet également de discuter des objectifs individualisés poursuivis durant la phase de remédiation. Ces objectifs sont définis en lien avec les répercussions fonctionnelles des troubles cognitifs observés. Ils font l’objet d’un accord entre le thérapeute et le patient et figurent sur le contrat de participation signé lors de la séance suivante. Ils sont rediscutés régulièrement avec le patient lors de la phase de remédiation proprement dite et sont évalués au terme du programme.


Critères de sélection des fonctions cognitives traitées

Trois critères ont orienté notre sélection des fonctions cognitives évaluées et traitées par le programme RECOS :


1. Les répercussions fonctionnelles des troubles : Green et coll. (2000) ont souligné à ce titre que les déficits observés en mémoire verbale, en mémoire de travail, en attention soutenue, en fluence verbale ou encore pour des tâches de classement pouvaient avoir des conséquences sur l’acquisition de compétences psychosociales, la résolution de problèmes interpersonnels ou encore l’acquisition de compétences dans les activités quotidiennes.


2. Les liens avec les symptômes cliniques : des auteurs comme Liddle, 1987 and Liddle, 1995 ou encore Hogarty and Flesher, 1999a and Hogarty and Flesher, 1999b ont tenté d’associer certains troubles cognitifs aux symptômes de la schizophrénie. Un modèle de la schizophrénie à trois dimensions a ainsi été proposé :


– « Distorsion de la réalité » : les patients de ce groupe présentent principalement les symptômes positifs de la maladie, tels que des hallucinations et des idées délirantes. Des problèmes de mémoire sont fréquemment observés, notamment lorsqu’il s’agit d’identifier la source d’une information.


– « Pauvreté psychomotrice » : les principales difficultés rencontrées par les patients de ce groupe incluent l’appauvrissement du langage et des gestes ainsi qu’une réduction de l’affectivité (symptômes négatifs). Les troubles cognitifs apparaissent principalement lorsque les patients doivent planifier, organiser leur journée. Une réduction de l’intérêt les conduit à un retrait social et à une absence de vie professionnelle.


– « Désorganisation » : les patients de ce groupe présentent des troubles de la pensée, un comportement et des affects désorganisés. Les difficultés cognitives concernent principalement une capacité diminuée à rester focalisé sur une tâche et à envisager des alternatives lors de la résolution de problèmes. Les buts professionnels semblent changer régulièrement, sans raison apparente.


3. Les différences interindividuelles : bien que 80 % des patients qui souffrent de schizophrénie présentent des troubles cognitifs, les patients évalués ne présentent pas les mêmes déficits. Même en tenant compte des trois dimensions définies par Liddle (1987), il n’est pas possible de cataloguer les patients selon un profil cognitif spécifique. Partant de ce constat, nous avons décidé d’utiliser une batterie neuropsychologique suffisamment détaillée, de manière à orienter les patients vers des modules d’entraînement ciblés.


Fonctions cognitives traitées par le programme RECOS

Les fonctions cognitives répondant aux critères présentés font l’objet d’un module d’entraînement spécifique. Ces fonctions sont les suivantes.



Mémoire et attention visuo-spatiales

La vie quotidienne nécessite que nous portions régulièrement notre attention sur les formes des objets et que nous soyons capables de nous représenter leur position dans l’espace. La mémoire et l’attention visuo-spatiales nous permettent ainsi d’analyser et de stocker les informations visuelles pour développer nos activités au sein de l’environnement : imaginer la position d’un objet par rapport à un autre, estimer la distance qui nous sépare d’un obstacle ou encore percevoir la position de notre corps sont autant de capacités qui nous permettent d’évoluer sans encombre dans notre environnement.

Les données disponibles concernant le fonctionnement de la mémoire visuo-spatiale chez les patients schizophrènes sont contradictoires. Alors que certaines études montrent des performances préservées à la tâche des blocs de Corsi (Kolb et Whishaw, 1983 ; Tamlyn et coll., 1992), des données plus récentes montrent un empan spatial réduit chez les patients souffrant de schizophrénie (Rizzo et coll., 1996 ; Salame et coll., 1998). Une explication possible de ces résultats contradictoires proviendrait de la nature à la fois dynamique (phase d’encodage) et statique (représentation de la configuration générale de la trajectoire sous forme de Gestalt) de ce test (Cocchi et coll., 2007).


Mémoire de travail

La mémoire de travail intervient dans le traitement et le maintien temporaire des informations nécessaires à la réalisation d’activités cognitives aussi diverses que la compréhension, l’apprentissage et le raisonnement. Ainsi, la mémoire de travail permet non seulement de reproduire immédiatement les informations, mais également de les manipuler, les « travailler » mentalement. C’est par exemple la mémoire qui permet de suivre une conversation, de comprendre le contenu d’un texte (roman, article de journal, etc.) ou encore de retenir un numéro de téléphone lu dans l’annuaire afin de le composer.

Fréquemment observés dans la schizophrénie, les troubles de la mémoire de travail traduisent probablement un dysfonctionnement du cortex préfrontal (Goldman-Rakic et Selemon, 1997). Les déficits de mémoire de travail ont des répercussions importantes sur la vie quotidienne du patient, notamment dans ses interactions sociales.


Attention sélective

L’attention sélective correspond à la capacité de porter son attention sur un seul type d’informations (les paroles d’une chanson, l’odeur d’un repas, la forme d’un objet…), de manière à ce que les autres stimuli de l’environnement ne viennent pas perturber la tâche en cours (ex. : le bruit du tram qui m’empêche de comprendre le texte que je lis). Deux mécanismes sont donc nécessaires pour pouvoir effectuer ce travail cognitif : la sélection de l’information pertinente et l’inhibition des informations non pertinentes.

Les troubles d’attention sélective sont décrits comme des déficits cognitifs majeurs de la schizophrénie (Perlstein et coll., 1998). Les performances au test de Stroop sont souvent corrélées négativement à la sévérité des symptômes de désorganisation (troubles de la pensée formelle, associations relâchées, affects inappropriés). Chez ces patients, les difficultés à rester focalisés sur une tâche sont importantes et entravent bien souvent la vie professionnelle.


Raisonnement

Dans le contexte de ce programme, le « raisonnement » fait référence aux fonctions exécutives et comprend les capacités d’organisation, de planification, de flexibilité cognitive et de logique1. Le raisonnement définit des traitements de l’information appelés de « haut niveau » parce qu’il requiert la mise en place de stratégies parfois complexes. De bonnes capacités de raisonnement permettent ainsi de s’adapter à une situation nouvelle, de planifier le déroulement d’une action ou encore de modifier son comportement lorsque celui-ci n’est plus adapté.


Les patients schizophrènes souffrant des symptômes négatifs de la maladie présentent fréquemment des difficultés au Wisconsin card sorting test (WCST), un test où il s’agit de déduire une règle de classification et d’intégrer des changements de stratégie (Nuechterlein et coll., 1994). De faibles performances ont également été enregistrées chez les patients schizophrènes aux tests de la Tour de Hanoï ou de la Tour de Londres (Bustini et coll., 1999). Ces tâches peuvent être résolues par une décomposition de l’objectif principal (arriver à obtenir une configuration prédéterminée) en sous-objectifs ou étapes à franchir avant de parvenir à résoudre le problème. De nombreuses études ont mentionné également des troubles du raisonnement chez les patients schizophrènes avec idées délirantes. Les patients schizophrènes souffrant d’idées de persécution utiliseraient un nombre moins élevé d’informations avant de tirer des conclusions (jump-to-conclusions) que les patients non délirants ou que les sujets contrôles (Garety et coll., 1991). Selon une étude récente, ce biais de raisonnement serait directement impliqué dans la formation des idées délirantes dans la population générale (Colbert et Peters, 2002).


Phase de remédiation

Chaque module d’entraînement propose des exercices papier-crayon et des exercices informatisés. Les séances papier-crayon permettent au patient – avec l’aide de son thérapeute – de développer les stratégies les plus efficaces pour faire face au problème posé. Ces stratégies seront ensuite appliquées par le patient au cours des exercices sur ordinateur. Il s’agit de séances individuelles qui ont lieu une à deux fois par semaine en présence du thérapeute. Un travail à domicile est également effectué une fois par semaine et son contenu fait l’objet d’une discussion entre le patient et son thérapeute. Il est généralement en lien direct avec les préoccupations de chacun des participants. Ces séances à domicile sont importantes, car elles favorisent le transfert des compétences acquises en séance (voir ci-dessous la partie consacrée à la remédiation métacognitive).

Au cours du programme, les patients sont amenés à verbaliser, catégoriser, organiser et planifier. Les stratégies de résolution de problèmes (D’Zurilla et Goldfried, 1971) sont également utilisées dans la mesure où elles permettent de contrer la tendance des patients les plus déficitaires à persévérer dans leur fonctionnement. Cette technique s’est en outre révélée efficace pour plusieurs troubles psychiatriques, et ce dans une perspective de traitement psychothérapeutique de courte durée (Mynors-Wallis, 2001).


Réévaluation cognitive et clinique

Au terme des modules d’entraînement, une évaluation cognitive similaire à celle réalisée initialement est effectuée dans le but de comparer les performances cognitives avant et après la phase de remédiation. La même évaluation clinique permet également d’évaluer l’« impact » des progrès cognitifs sur la symptomatologie et le fonctionnement psychosocial.

Jun 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Pourquoi et comment traiter les troubles cognitifs de la schizophrénie ? Le programme RECOS et ses développements

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access