Hanche peu ou pas douloureuse
Slightly painful hip
J.-M. Laffosse, J.-L. Tricoire, N. Lapie, F. Molinier and B. Chaminade (email: lafosse.jm@chu_toulouse.fr)
Institut de l’appareil locomoteur, service de chirurgie orthopédique et traumatologie, CHU Rangueil-Toulouse, 1, avenue Jean-Poulhès, TSA 50032, 31059 Toulouse cedex 9
Résumé
On peut être conduit à porter l’indication de reprise de prothèse totale de hanche face à des situations où la symptomatologie douloureuse est absente ou peu importante. La démarche diagnostique sera rendue alors plus difficile, et c’est un faisceau d’arguments qui va nous faire appréhender le diagnostic qui conduit à cette indication de reprise. Il est important, dans ces situations, d’analyser les images, de recourir parfois à la ponction articulaire après avoir pratiqué une échographie, ou encore donner du crédit aux sensations le plus souvent auditives du patient. Ce sont les trois parties que nous développons dans ce chapitre : la métallose, l’ostéolyse localisée, le squeaking.
Mots clés :
Summary
Hip revision can be indicated even in the case of a painless joint. However, diagnosing primary arthroplasty failure will be more difficult and decision making should be based on objective findings to confirm clinical suspicions. Analysis of imaging documents and needle aspiration of the hip with or without ultrasound guidance may give more credence to the patient’s symptoms, especially those he hears. In this chapter, this issue is developed in three parts : metallosis, localized osteolysis, squeaking.
Introduction
On peut être conduit à porter l’indication de reprise de prothèse totale de hanche face à des situations où la symptomatologie douloureuse est absente ou peu importante. La démarche diagnostique sera rendue alors plus difficile, et c’est un faisceau d’arguments qui va nous faire appréhender le diagnostic qui conduit à cette indication de reprise. Il est important, dans ces situations, d’analyser les images, de recourir parfois à la ponction articulaire après avoir pratiqué une échographie, ou encore donner du crédit aux sensations le plus souvent auditives du patient. Ce sont les trois parties que nous développons dans ce chapitre : la métallose, l’ostéolyse localisée et le squeaking.
Métallose
La métallose qui survient essentiellement sur des couples dur/dur n’est pas de diagnostic évident car, nous l’avons dit, les phénomènes douloureux sont peu importants, le tableau peut parfois en imposer pour une atteinte septique évoquée devant un tableau fébrile; enfin, les signes radiographiques ne sont pas toujours présents aux phases de début. Il faut donc y penser devant une PTH «un peu imparfaite» avec des petits signes inflammatoires et surtout la présence d’un couple dur/dur, type métal/métal, ou dans les suites d’une fracture de tête en céramique remplacée sans un nettoyage des débris suffisant.
Généralités
La métallose correspond à la «maladie des débris», survenant dans une articulation prothésée (hanche, genou, coude, épaule, etc.). Elle entraîne des réactions cellulaires et tissulaires de l’organisme aux débris d’usure des différents éléments constitutifs de la prothèse, ceci est potentialisé par la corrosion. Cette pathologie iatrogène a pris le devant de la scène à l’occasion de séries de fractures de tête en alumine. L’usage de nouveaux couples de frottement de type dur/dur a fait apparaître une recrudescence des métalloses [1]. L’usage de couples de frottements insuffisamment appareillés (figure 1), de cônes morses non conformes à la pente de la tête ou une modularité [28] défaillante en sont actuellement les principales causes. Ceci confirme qu’il est préférable de ne pas désappareiller les implants et de poser dans une articulation les implants d’un même fabriquant. Les complications liées à la présence d’un couple dur/dur dans les PTH sont toutefois très rares comme le montre l’étude de la bibliographie [33].
Figure 1 |
La libération d’ions métalliques à partir du couple de frottement va déclencher in situ des réactions biologiques qui retentissent sur le tissu osseux et conduit à une ostéolyse, un descellement de la PTH jusqu’à une hyper-production osseuse donnant à cette réaction osseuse un aspect pseudo-tumoral. Le processus biologique est dépendant des alliages, de la granulométrie, de la géométrie (des angles vifs auront en plus un effet mécanique délétère), de leur taille et de leur quantité (clearance). La réaction tissulaire inflammatoire est proportionnelle à la quantité de particules. Au-dessus d’un stade de saturation la nécrose tissulaire survient.
La métallose peut revêtir deux tableaux cliniques : soit apparition rapide en postopératoire après la pose de la PTH que l’on pourrait appeler «arthrite métallosique», soit un deuxième tableau d’apparition plus tardive et chronique, correspondant à une usure progressive des implants ou leur mobilisation dans le cadre d’un descellement. Aux débris métalliques, de céramique (alumine) s’ajoutent les débris de polyéthylène et de ciment également à la base d’ostéolyse (granulome). La métallose correspond strictement à des débris d’usure en rapport avec les métaux, les alliages ou les matériaux obtenus par frittage.
«Arthrite métallosique»
Sa survenue rapide après la pose de la PTH est due à un conflit par effet-came qui correspond classiquement à un contact entre le rebord métallique de la cupule métallique et le col fémoral, (cupule en acier, col plus fragile en titane). Ce contact ou «impingement» [21] est secondaire à une malposition des implants plus ou moins importante. Il peut aussi être lié à une configuration prothétique particulière comme les cols extra-longs qui, pour des raisons de solidité, nécessitent une jupe. Celle-ci augmente le diamètre du col et diminue donc sa mobilité par rapport à la cupule. Le contact sera donc plus précoce et plus fréquent pour des mouvements moins amples ce qui va majorer l’usure. Le couple dur/dur est moins tolérant à un conflit qu’un couple métal/polyéthylène. Le polyéthylène a la capacité à se déformer modérément lors du conflit, le couple métal/polyéthylène est plus adaptatif.
Dans le cas de métallose :
• La clinique est dominée par la présence de douleurs, de fièvre assez fréquemment, d’une tension articulaire, parfois une sensation de ressaut ou de subluxation.
• Biologiquement, il existe un syndrome inflammatoire, une augmentation de la valeur de la VS et de la CRP, pouvant en imposer pour une arthrite septique.
• L’échographie retrouve du liquide intra-articulaire et permet une ponction écho-guidée. Celle-ci ramène un liquide caractéristique, épais, louche, homogène, puriforme. Son étude bactériologique dédouane une infection par absence de germe. Devant cet aspect, il convient toujours d’adresser un prélèvement à l’anatomie pathologiste qui va faire le diagnostic en retrouvant les corps étrangers responsables.
• La scintigraphie montre une hyper-fixation, mais il faut considérer ce résultat par rapport à la date de la pose de la PTH. La scintigraphie fixe normalement pendant les six premiers mois post-opératoires. Elle n’est donc pas significative.
• La radiographie à ce stade est normale. La mise en évidence d’une encoche ou d’un rail sur le col n’est pas toujours évidente (figure 2) même si celui-ci est important. Mais sur des incidences variées, elle visualise la possible position du conflit (figure 3).
Figure 2 (Remerciements au Dr Besombes.) |
Figure 3 |
• Le traitement chirurgical consiste en la suppression du conflit par réorientation des pièces prothétiques. Il est peut-être plus sûr de changer de couple de friction et de revenir à un couple métal/polyéthylène après avoir largement excisé les tissus infiltrés par la métallose dans l’articulation et en périarticulaire. Ce nettoyage est dit «carcinologique» pour bien insister sur le soin apporté à cette exérèse (figure 4).
Figure 4 |
Métallose chronique
L’apparition de la métallose est plus tardive, soit due à une usure progressive des implants, soit due à un descellement de la PTH et à sa mobilisation. La douleur est plus de type mécanique. Le syndrome inflammatoire est moins important. La scintigraphie montre une hyperfixation (figure 5). Dans de rares cas, il peut exister une fistule. Les radiographies montrent l’apparition d’ostéolyses localisées (granulomes). Le descellement prothétique n’est pas net. Parfois, des réactions osseuses particulières et «exubérantes» donnent (figure 6) un aspect de pseudo-tumeur [34].
Figure 5 |
Figure 6 |
Le traitement est celui du descellement de la prothèse, il est important de réaliser ici aussi un nettoyage «carcinologique» de la métallose articulaire, osseuse et musculaire ce qui n’est pas toujours sans incidence fonctionnelle. Cette excision diminuera les risques de récidive. Souvent, ces patients sont traités après de nombreuses consultations car la symptomatologie n’est pas toujours évidente. Mais devant la constance des plaintes mécaniques, un aspect scintigraphique évocateur mais non spécifique, l’indication finie par être portée. Les lésions de la métallose sont alors de découverte opératoire.
Conclusion
On doit penser au diagnostic de métallose en présence d’un couple dur/dur si le tableau clinique apparaît dans les trois premières années suivant l’implantation pour la forme «d’arthrite métallosique» ou à plus long terme après un suivi régulier du patient dont la hanche est douloureuse sans signe évident de défaillance mécanique. L’imagerie précoce en cours d’évaluation n’apporte pas aujourd’hui toute l’aide escomptée.
Ostéolyse localisée sur PTH
Le tableau de l’ostéolyse localisée est plus «facile» à authentifier, surtout si on assure un suivi radiologique des PTH avec des consultations successives. On voit apparaître des zones d’ostéolyse localisées surtout au niveau du grand trochanter pour le fémur et de la partie supéro-interne au niveau du cotyle. Un examen tomodensitométrique donnera des précisions sur ces localisations. La question que l’on se pose aujourd’hui est de savoir si on peut traiter seulement la localisation de l’ostéolyse en évitant un changement complet des pièces prothétiques. C’est l’analyse que nous rapportons.
Généralités
Les reprises bipolaires de PTH doivent être considérées comme des chirurgies majeures et lourdes [14]. Les patients sont habituellement plus âgés et plus fragiles que pour la chirurgie prothétique primaire, ce qui favorise la survenue de complications périopératoires (de 30 à 80 % selon les séries) [2, 9, 14, 39]. Les circonstances conduisant à la reprise sont variables [13], mais deux causes dominent : l’ostéolyse, potentiellement associée à un descellement, et l’instabilité. Dans ces deux circonstances, la révision bipolaire peut être évitée au profit de la révision unipolaire d’un des deux composants (pivot fémoral ou cupule acétabulaire) [6, 14, 36], voire une révision partielle, en profitant de la modularité des implants [12]. En effet, malgré la présence d’une ostéolyse et/ou d’une usure marquée du polyéthylène (PE), les implants peuvent rester solidement ancrés. En ce qui concerne les zones d’ostéolyse associées aux PTH, elles sont d’autant plus fréquentes que la durée du suivi augmente [41], mais, même très étendues, elles ne sont pas toujours associées à des douleurs et évoluent ainsi le plus souvent de manière sourde [5, 20, 26, 41]. Il est alors possible en théorie de ne traiter que l’ostéolyse en y associant le changement de l’insert en PE [5, 6, 43]. Cela a plusieurs avantages : diminution de la morbidité de la chirurgie, conservation du stock osseux, etc.
La physiopathologie de l’ostéolyse commence maintenue à être bien connue [27] : il s’agit d’une réaction ostéolytique secondaire à la présence de débris d’usure de PE. Des réactions ostéolytiques peuvent également accompagner d’autres processus pathologiques tels que les métalloses ou les infections, mais ces dernières ne relèvent pas de notre propos ici. Les particules de PE, dont la taille est comprise entre 1 et plusieurs centaines de microns, sont phagocytées par les macrophages qui sont activés. Ils sécrètent alors des cytokines pro-inflammatoires (TNFα et IL1) qui ont des effets sur l’ostéoclastogenèse et sur l’activité des ostéoclastes. Ces activités sont régulées par la balance système RANK-RANK-L et ostéoprotégérine (OPG). Le système RANK-RANK-L stimule la différenciation des cellules souches en ostéoclastes et active les ostéoclastes tandis que l’OPG, sous l’action de différents stimuli (TGF-β1, BMP2…), inhibe le système RANK-RANKL. On comprend dès lors que plus l’usure du PE est importante avec production de débris, plus le risque d’ostéolyse l’est aussi [32]. L’ostéolyse apparaît progressivement comme une zone de résorption osseuse, puis va s’étendre sous la forme d’une géode pseudo-tumorale [27] renfermant le granulome. Connaître ces phénomènes nous permet de mieux appréhender les traitements possibles des ostéolyses associées aux PTH; chacun visant à enrayer soit la production des particules d’usure, soit leur diffusion, soit la cascade biologique en réaction à la présence des débris de PE [27].
Diagnostic radiologique et clinique
Radiographiquement, l’aspect des zones d’ostéolyses varie selon qu’il s’agisse d’implants avec ciment (figure 7) ou sans ciment (figures 8, 9 et 10) [47]. Cela est dû en grande partie à la capacité de diffusion des particules de PE au sein de «l’effective joint space». Pour les implants cimentés, les zones d’ostéolyses sont linéaires, d’épaisseur variable, situées à l’interface os-ciment. Cette ostéolyse va provoquer alors plus ou moins rapidement un descellement de l’implant. Au contraire, pour les implants non cimentés, si l’ostéo-intégration a été satisfaisante, la diffusion des débris est rendue plus difficile et ces derniers vont se concentrer dans des endroits spécifiques du fait de leur déclivité (grand et petit trochanters, trou obturé…) ou de leur «vulnérabilité» (trous des vis des métal-back, le long des vis…). Les zones d’ostéolyse sont ici plus localisées et volontiers expansives [26, 47], pouvant devenir très sévères alors que l’implant reste encore bien scellé. C’est le cas à l’acétabulum, où il peut persister seulement deux ou trois zones d’ancrage privilégiées mais suffisantes pour assurer la stabilité de la cupule, mais également au fémur où un piédestal, même peu étendu, peut suffire à rendre une tige fémorale non cimentée inextirpable. Ces zones d’ostéolyse doivent être différenciées de l’ostéopénie induite par le phénomène de stress-shielding [5]. Au niveau des zones d’ostéolyses, on retrouve une zone frontière plus dense entre l’os sain et le défect donnant un aspect de géode, bien circonscrite, voire dessinée à l’emporte-pièce [27] (figure 8). Au sein de la lésion, la diminution de la densité osseuse est très marquée par rapport à l’os environnant et on note l’absence de trabécules spongieux, à la différence de l’ostéopénie où les trabécules sont moins nombreux, plus fins et présents sans zone frontière nette. L’ostéolyse est souvent sous-estimée par les radiographies standard [20] du fait de la superposition des différentes structures osseuses surtout à l’acétabulum et le recours à la tomodensitométrie peut être utile [16] pour mieux évaluer ces dernières si on désire conserver la cupule en place. De plus, le granulome, parfois très volumineux, peut s’étendre au niveau des parties molles, notamment le long de la gaine ou dans la bourse du psoas. On peut distinguer deux types d’ostéolyse. Les ostéolyses dites «contenues» ne sont pas en communication, ou alors seulement de manière étroite avec une cavité (articulation, fosse iliaque externe ou pelvis) (figure 8), par exemple en arrière d’une cupule acétabulaire bien fixée. Les ostéolyses «non contenues» qui sont largement ouvertes dans ces mêmes cavités (figure 9), par exemple face médiale du massif trochantérien, toit de l’acétabulum, etc.
Figure 7 |
Figure 8 |
Figure 9 |
Figure 10 (Remerciements aux Drs Lavigne, Roy et Vendittoli.) |
Cliniquement, les ostéolyses isolées sont rarement associées à des douleurs marquées [5, 20, 41]. Elles n’ont alors le plus souvent aucun caractère spécifique. On retrouve cependant, pour certains modèles de tiges au dessin non adapté à l’anatomie du patient, des cas d’ostéolyse en bout de tige associée à des douleurs de cuisse très invalidantes (figure 10C). L’usure marquée du PE peut être en revanche à l’origine de phénomènes de subluxation avec sensation de ressaut par le patient (figure 11). Les douleurs accompagnant l’ostéolyse sont surtout présentes en cas de descellement associé (douleur de cuisse pour l’implant fémoral et inguinal pour la cupule) [26]. Ainsi, en cas d’ostéolyse apparemment isolée, toute douleur intense doit faire rechercher une autre cause : fracture non visible (notamment du grand trochanter), implant descellé, infection… Un bilan tomodensitométrique et un bilan biologique inflammatoire (VS et CRP) permettront en grande partie de faire le diagnostic différentiel.