Chapitre 11 Lambeaux perforants en reconstruction mammaire
Le lambeau TRAM (Transverse Rectus Abdominis Muscle flap), décrit par Hartrampf en 1982 [54], a longtemps été le moyen de reconstruction du sein par tissus autologues le plus employé et le plus efficace. Les problèmes liés à la morbidité du site donneur, retrouvés dans les suites des lambeaux TRAM pédiculés, et les progrès des techniques microchirurgicales ont conduit au développement du lambeau TRAM libre en emportant uniquement une partie du muscle et de son aponévrose. Cependant, malgré ces procédures, une diminution de force significative des muscles abdominaux, associée à des anomalies de contours, survenait en postopératoire. C’est en suivant ce principe d’économie du muscle droit de l’abdomen et de son aponévrose que le lambeau DIEP a été développé. Décrit initialement par Koshima et Soeda en 1989 [75], le DIEP est un lambeau cutanéograisseux vascularisé par le pédicule épigastrique inférieur profond, n’emportant pas de muscle droit de l’abdomen ni d’aponévrose antérieure. Il a initialement été utilisé pour couvrir des pertes de substance de la face, du thorax, de l’abdomen ou des membres. Allen et al. ont ensuite décrit son utilisation en reconstruction mammaire en 1994 [76]. Il s’est alors rapidement imposé comme un lambeau de référence en reconstruction mammaire par tissus autologues. Par la suite, d’autres lambeaux cutanéograisseux se sont développés selon le même principe, utilisant d’autres réseaux de perforantes. Ces lambeaux sont prélevés sur l’abdomen, la région fessière, voire la cuisse, en fonction de l’anatomie de la patiente. La plupart de ces lambeaux sont des lambeaux perforants.
Dans notre pratique, le DIEP représente environ 85 % des lambeaux libres pour reconstruction mammaire et le lambeau Superficial Gluteus Artery Perforator (SGAP) la plupart des cas restants, les autres techniques étant anecdotiques dans notre pratique. Nous décrirons donc essentiellement ces deux lambeaux, en insistant sur le DIEP, qui est devenu maintenant de pratique courante dans les services de chirurgie plastique à travers le monde.
Définitions
LAMBEAU DIEP
Vascularisation
Vascularisation artérielle
Le lambeau DIEP (Deep Inferior Epigastric Perforator) est vascularisé par les perforantes transmusculaires directes issues des pédicules vasculaires des muscles droits de l’abdomen. La vascularisation du muscle droit de l’abdomen est assurée par deux pédicules dominants : les vaisseaux épigastriques supérieurs et les vaisseaux épigastriques inférieurs profonds (type III de la classification de Mathes et Nahai [3]). L’artère épigastrique inférieure profonde naît de l’artère iliaque externe, à l’opposé de l’origine de l’artère circonflexe iliaque profonde, quelques millimètres en arrière et au-dessus de l’arcade crurale. Elle se porte en dedans puis s’infléchit et monte vers l’ombilic en décrivant une crosse à concavité supérieure qui contourne l’orifice inguinal profond. Dans son segment oblique, l’artère suit une direction donnée par une ligne joignant le milieu de l’arcade crurale à l’ombilic. Elle monte obliquement pour croiser le bord latéral du muscle droit, 3 ou 4 cm sous l’arcade de Douglas. Jusqu’à l’arcade de Douglas, l’artère est située en avant du fascia transversalis. À partir de l’arcade, elle monte dans la gaine, en arrière du corps musculaire, jusqu’à l’ombilic où elle pénètre dans le muscle et s’anastomose avec l’artère épigastrique supérieure par l’intermédiaire de vaisseaux de petit calibre. Pour Moon et al., il existe trois variations anatomiques de l’artère épigastrique inférieure profonde au niveau de l’arcade de Douglas [77] :
Le nombre d’anastomoses augmente proportionnellement au nombre de branches de l’artère épigastrique inférieure profonde. Les perforantes transmusculaires directes sont issues de ces différentes branches. Selon Heitmann et al. [78], il y a toujours au moins une perforante de calibre supérieur à 1 mm de chaque côté. Le plus fréquemment, on retrouve deux perforantes (68 % des cas) et moins fréquemment trois perforantes musculocutanées (10 %) ou une perforante (22 %). La vascularisation du lambeau n’est donc pas liée au nombre de perforantes mais à l’anatomie de celles-ci.
La longueur moyenne du pédicule épigastrique inférieur profond est de 10,3 cm (9 à 13 cm) et son diamètre moyen de 3,6 mm (2,8 à 5 mm). Cette variabilité implique une difficulté dans la dissection. Cette grande variabilité lui donnait une réputation de lambeau aléatoire ayant limité son utilisation.
L’apparition de l’angioscanner a permis d’obtenir des images fiables pour ce type de lambeau, donnant non seulement le type de pédicule mais aussi la forme et la disposition des perforantes. La coopération avec une équipe de radiologue est donc indispensable.
Nous utilisons un scanner multibarrettes 64 à acquisition hélicoïdale. Les patientes sont placées en décubitus sur la table CT exactement comme elles le seraient au cours de l’intervention chirurgicale. Le produit de contraste est injecté mécaniquement à un taux de 4 ml, avec des coupes d’épaisseur de 0,625 mm. Les images sont numérisées avec rendu tridimensionnel sur une station de travail dédiée.
Au niveau cutané, les perforantes du réseau profond s’anastomosent avec les artères cutanées directes. Les principales artères cutanées directes sont, en haut, l’artère épigastrique supérieure superficielle, en bas l’artère épigastrique inférieure superficielle (artère sous-cutanée abdominale) et l’artère circonflexe iliaque superficielle, et, latéralement, les branches à destinée cutanée des artères intercostales.
Le réseau superficiel est ainsi superposable au réseau profond, tout en prenant une origine beaucoup plus latéralement.
Cette disposition anatomique implique que le lambeau sur l’artère épigastrique superficielle ne soit possible que lorsque celle-ci est dans une forme médiale. Ces formes sont relativement rares, ne représentant que 10 % des patientes. De plus, cette dissection est difficile vers le pli inguinal, avec une artère qui est souvent de petit calibre. Le lambeau SIE est donc un lambeau beaucoup plus aléatoire comparé au lambeau perforant DIEP. Par opposition au système profond, le réseau superficiel est directement en continuité avec le réseau superficiel controlatéral par l’intermédiaire d’anastomoses transversales médianes. Le croisement de la ligne médiane se fait de manière première au moyen de plexus sous-dermiques mais également par des vaisseaux qui courent à la surface de l’aponévrose antérieure.
On définit, comme pour le TRAM, quatre zones physiologiques de vascularisation artérielle du lambeau. Le sang arrive au lambeau par l’artère épigastrique inférieure profonde. Il se distribue au réseau superficiel de la zone I via la perforante musculocutanée disséquée. Le réseau superficiel est essentiellement constitué par un réseau sous-dermique. Le sang se distribue à la zone III par continuité, au hasard. Il en est de même pour la zone II, sous réserve de l’existence d’un croisement de la ligne médiane, quasi systématique sur le versant artériel. Le problème se pose pour la zone IV. En effet, les zones II et III sont proches de la zone I : ceci est compatible avec leur vitalité par l’extension vasculaire au hasard. En revanche, la zone IV est très éloignée de la zone I : le débit sanguin s’épuise, le rapport L/l est trop important : le risque de nécrose de cette zone est très élevé; c’est pour cette raison que nous l’excisons systématiquement lors du modelage du lambeau.
Drainage veineux
Le drainage veineux provient des veines comitantes des perforantes transmusculaires directes. Ces veines vont rejoindre les veines profondes comitantes des artères épigastriques profondes.
La veine épigastrique inférieure profonde est constituée de deux branches qui s’unissent, le plus souvent, dans la région inguinale avant de se jeter dans la veine iliaque externe. Le diamètre moyen mesure 2,8 mm. Ces deux branches sont en règle situées de part et d’autre de l’artère. Il existe de nombreuses anastomoses entre ces deux branches, mais aussi entre les deux veines épigastriques inférieures profondes, surtout dans la région péri-ombilicale et sus-pubienne.
Pour des raisons physiologiques, le réseau superficiel est plus développé que le réseau profond.
La veine épigastrique inférieure superficielle (veine souscutanée abdominale) se jette dans la veine fémorale. Son calibre à l’origine mesure 1,5 à 2 mm de diamètre. Au cours de son trajet, superficiel par rapport au fascia superficialis, elle reçoit des branches latérales, constantes et de bon calibre, drainant les plexus sous-dermiques des zones éloignées du lambeau (zone III), des branches médiales, inconstantes et de calibre variable, permettant de drainer la moitié controlatérale au pédicule du lambeau (zones II et IV) et des branches reliant le réseau veineux épigastrique profond. Ce sont les veines perforantes accompagnant les artères perforantes selon un trajet oblique en bas et en dedans, de la superficie vers la profondeur. Elles sont systématiquement présentes et de calibre variable, certaines mesurant plus de 1 mm de diamètre. L’étude anatomique réalisée par Blondeel et al. a mis en évidence que, dans 18 % des cas, le croisement de la ligne médiane se fait au moyen de larges branches collatérales reliant les deux veines épigastriques superficielles [5]. Dans 45 % des cas, il se fait au moyen d’interconnexions indirectes par un petit réseau veineux collatéral. Enfin, dans 36 % des cas, on n’identifie pas de branche croisant la ligne médiane. Dans ce dernier cas de figure, ceci peut avoir des répercussions sur la vitalité de l’hémilambeau controlatéral au pédicule.
Le retour veineux est d’abord assuré par le réseau superficiel, qui n’est pas valvulé. Le sang veineux rejoint ensuite le réseau profond au moyen de la ou des veines perforantes transmusculaires disséquées. Ceci a été prouvé par les travaux de Blondeel et al., qui ont étudié les rapports entre le réseau superficiel et le réseau profond [5]. Ils ont montré que l’injection du système veineux épigastrique superficiel entraîne une opacification du système veineux épigastrique profond et ce, de façon bilatérale. En revanche, l’injection du système veineux profond n’atteint pas le système veineux superficiel mais le réseau profond veineux controlatéral. On l’explique par la présence de valvules au niveau des perforantes veineuses. La circulation veineuse se fait donc du réseau veineux épigastrique superficiel vers l’axe veineux profond par les perforantes veineuses.
Ainsi, le drainage veineux du lambeau s’effectue de la palette cutanéograisseuse vers le système veineux épigastrique profond au moyen d’une ou deux veines perforantes comitantes des artères, essentiellement péri-ombilicales. Le retour veineux est ensuite assuré par la veine épigastrique inférieure profonde. La congestion veineuse globale du lambeau peut être expliquée par la physiologie du flux sanguin veineux dans le lambeau.
L’ensemble du retour veineux passe par la ou les perforantes veineuses disséquées. Si leur calibre est insuffisant, il y a une gêne au retour veineux et surcharge en amont, c’est-à-dire dans le lambeau, expliquant donc sa congestion globale.
Par conséquent, le calibre de la perforante est fondamental. Son choix judicieux détermine le futur succès de l’intervention.
Ceci a des répercussions sur le drainage veineux de l’hémilambeau controlatéral au pédicule, se manifestant le plus souvent par une congestion veineuse en zone IV, la plus éloignée du pédicule – c’est un argument supplémentaire pour réséquer systématiquement la zone IV. Parfois, ce croisement est totalement absent, expliquant les rares cas de nécrose d’origine veineuse de la moitié du lambeau controlatérale au pédicule. Le problème repose donc sur la variabilité des anastomoses entre les réseaux superficiels droit et gauche et son côté imprévisible. L’angioscanner prend alors toute sa place car le temps tardif peut déterminer la qualité du drainage veineux.
Innervation
À l’intérieur du muscle, les nerfs sont étroitement liés à l’axe vasculaire épigastrique inférieur profond et peuvent cheminer soit en avant soit en arrière de l’axe vasculaire, en fonction du niveau du nerf, sachant que les nerfs le plus haut situés cheminent généralement en arrière.
Ceci a des conséquences sur la dénervation après la dissection [79, 80]. En effet, quand le nerf pénètre dans le muscle en dehors du pédicule, l’innervation de la partie latérale est totalement respectée, alors que celle de la partie médiane est supprimée. Elle sera éventuellement réinnervée par la croissance nerveuse de la partie latérale. En revanche, lorsque le nerf pénètre le muscle en dedans du pédicule, l’innervation de la partie médiale est totalement supprimée, mais celle de la partie latérale est assurée par des branches collatérales accessoires envoyées avant que le tronc principal pénètre dans le muscle. La réinnervation devra se faire selon le même mode.
Technique chirurgicale 
La patiente est installée en décubitus dorsal. Les deux bras sont positionnés à 90° d’abduction sur deux tables à bras. L’abdomen, le thorax et les deux creux axillaires sont inclus dans le champ opératoire. L’installation doit permettre d’asseoir la patiente en fin d’intervention pour le modelage du lambeau et la fermeture abdominale. Nous réalisons un examen Doppler préopératoire afin de localiser et de quantifier les perforantes musculocutanées, qui peuvent être légèrement décalées par rapport à la vision que donne l’angioscanner. Le dessin doit s’adapter au repérage des perforantes. La palette cutanée est dessinée comme celle d’une plastie abdominale classique, mais les dimensions sont à adapter en fonction des impératifs de la reconstruction. C’est une palette fusiforme. La ligne inférieure, variable selon les besoins, n’est pas obligatoirement aussi basse que dans une plastie abdominale classique. La ligne inférieure peut au maximum suivre le bord supérieur des poils pubiens et s’incliner latéralement dans les plis inguinaux en direction des épines iliaques antérosupérieures. La ligne supérieure passe nécessairement au-dessus du sommet de l’ombilic, pour capter les perforantes sous-jacentes, et rejoint les extrémités de la ligne inférieure.
L’intervention est au mieux réalisée à deux équipes Dans le cas d’une reconstruction mammaire immédiate, on réalise une mastectomie de type Patey – au mieux avec une cicatrice basse proche du sillon sous-mammaire – ou une mastectomie sous-cutanée conservant l’étui cutané. Dans ce cas, l’incision est dessinée autour de l’aréole puis en « T » inversé avec un prolongement externe suivant le sillon sous-mammaire et se dirigeant vers le creux axillaire.
Dans le cas d’une reconstruction mammaire différée, on commence par exciser la cicatrice de mastectomie. Cette cicatrice est envoyée en anatomopathologie afin de détecter une récidive pariétale. La peau est ensuite décollée vers le haut dans le plan prémusculaire jusqu’au futur sillon sus-mammaire. Puis le décollement sous-cutané préfascial est poursuivi vers le bas jusqu’au futur sillon sous-mammaire. La hauteur est déterminée par rapport au niveau du sillon controlatéral. La peau inférieure est excisée en fonction des besoins et de ses qualités trophiques. Elle sera remplacée par celle du lambeau.
Le creux axillaire est abordé et l’aponévrose clavi-pectoroaxillaire ouverte sous le tendon du muscle grand pectoral.
L’artère et la veine subscapulaires sont repérées puis disséquées jusqu’à la bifurcation en pédicule thoracodorsal et pédicule circonflexe scapulaire. Le pédicule circonflexe scapulaire est disséqué le plus loin possible, jusqu’à ce qu’il pénètre le triangle omotricipital.
Il est fondamental que l’artère et la veine circonflexes scapulaires soient libérées jusqu’à leur origine afin d’éviter les coudes, sources de perturbation du débit sanguin lors du positionnement du lambeau après réalisation des anastomoses ou lors des mouvements.

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