5 Le patient traumatisé crânien
INTRODUCTION À LA PATHOLOGIE
DÉFINITION [1]
On appelle traumatisme craniocérébral (TC) toute atteinte cérébrale ou bulbaire caractérisée par une destruction ou une dysfonction du tissu cérébral provoquée par le contact brusque (accélération, décélération ou rotation) entre le tissu cérébral et la boîte crânienne. Un traumatisme craniocérébral peut aussi être causé par une fracture ouverte ou par un objet pénétrant. Pour qu’il y ait traumatisme craniocérébral, il faut que le cerveau ait été secoué ou frappé directement ou indirectement, de façon à provoquer la destruction de cellules ou à entraîner une irrégularité dans son fonctionnement normal.
ÉTIOLOGIES ET ÉPIDÉMIOLOGIE
Aux États-Unis, 1,4 million de personnes sont examinées, par an, aux urgences pour un traumatisme crânien [2]. En France, environ 15 à 20 000 personnes par an sont victimes d’un traumatisme crânien, dont 5 à 10 % d’un TC sévère pouvant entraîner des séquelles invalidantes. La prévalence est plus importante chez les hommes et dans la tranche d’âge 15-25 ans [3]. Le traumatisme crânien représente 75 % des causes de mortalité chez les jeunes de moins de 30 ans et fait le plus souvent suite à un accident de la voie publique (AVP) [4].
ASPECTS ANATOMOCLINIQUES [5, 6]
Le traumatisme crânien peut entraîner des lésions immédiates (contusions, hématomes) et secondaires (conséquences de l’hypertension intracrânienne, agressions cérébrales secondaires d’origine systémique). Elles peuvent concerner, à des degrés variables, les hémisphères cérébraux et/ou le tronc cérébral [6].
Commotion cérébrale
Elle est définie par un ébranlement du cerveau consécutif à une chute ou à un coup sur le crâne, accompagné d’une perte de connaissance initiale. Il s’agit d’un dysfonctionnement temporaire de la substance réticulée ascendante (SRA) située dans la profondeur du cerveau et qui est responsable du maintien de l’état d’éveil. Dans les formes graves qui correspondent à des lésions diffuses des axones dans la substance blanche associées à de l’œdème, le coma se prolonge et peut aboutir à un état végétatif. La surveillance est maintenue, surtout s’il y a fracture du crâne, pour dépister les possibles complications secondaires : hématome extradural, hématome sous-dural, œdème cérébral.
Hématomes intracrâniens
Le scanner cérébral va mettre en évidence le type d’hématome :
ÉVALUATION INITIALE D’UN TRAUMATISME CRÂNIEN [7]
EXAMENS COMPLÉMENTAIRES [6, 8]
Imagerie encéphalique
Le scanner cérébral est systématique lors de tout traumatisme crânien grave ; en cas de déficit de la conscience, même transitoire ou de survenue secondaire, en cas de déficit neurologique (baisse de la mobilité d’un membre, troubles de la parole, amnésie), en cas de survenue de crise convulsive ou en cas de vomissements [9]. Il est réalisé à l’admission du patient aux urgences et à la 24e heure pour diagnostiquer la majorité des lésions.
Radiographie
COMA [8, 10]
Le traumatisme craniocérébral s’accompagne souvent d’une perturbation de l’état de conscience, qui peut aller d’une confusion minime à un coma profond dans les cas graves. Le coma a été défini par un trouble de la vigilance, qui interdit de façon stable l’activation de toutes les fonctions de la conscience [8]. Ce changement d’état de conscience peut être de très courte durée ou se prolonger pendant plusieurs jours ou même plusieurs mois.
Qu’est-ce que la vigilance et la conscience [8] ?
Qu’est-ce que le coma ?
Le coma est un « état de non-réponse dans lequel le sujet repose les yeux fermés et ne peut pas être réveillé » (selon Plum et Posner) [11]. Il peut être de durée très variable mais est considéré comme prolongé au-delà de 3 semaines.
Les échelles utilisées pour évaluer la profondeur du coma sont la Glasgow Coma Scale [12] (GCS) et le Full Outline of Unresponsivenesss score (FOUR) [13].
► Échelle de Glasgow
Elle apprécie [8, 14] :
La somme E + V + M donne un score de 3 à 15 (tableau 5.1).
Ouverture des yeux | |
Spontanée | 4 |
À l’appel | 3 |
À la douleur | 2 |
Aucune | 1 |
Meilleure réponse motrice | |
Obéit à la commande verbale | 6 |
Réponse aux stimuli douloureux : | |
localisatrice | 5 |
évitement | 4 |
flexion inadaptée | 3 |
extension | 2 |
aucune | 1 |
Meilleure réponse verbale | |
Claire et adaptée | 5 |
Confuse | 4 |
Mots inappropriés | 3 |
Sons incompréhensibles | 2 |
Aucune | 1 |
Le score établi au moyen de l’échelle de Glasgow définit 3 différents stades de coma :
►Évaluation par le FOUR [15]
Suite à la mise en évidence de faiblesses du score de Glasgow (pas de prise en compte des anomalies des réflexes du tronc cérébral, du rythme respiratoire et du fait que les patients puissent être intubés ou ventilés), Wijdicks et al. [16] ont validé en 2005 un nouveau score d’évaluation des comas : le Full Outline of Unresponsiveness score, qui répond à ces critiques en prenant en compte la réponse oculaire, la réponse motrice, les réflexes du tronc cérébral et le rythme respiratoire ou la nécessité de recours à la ventilation mécanique (tableau 5.2).
Annexe 1. FOUR score (OCU + MOT + TC + RESP). |
Réponse oculaire (OCU) 4 = paupières ouvertes spontanément ou ouvertes par l’examinateur montrant une poursuite oculaire ou un clignement à la demande NB : rechercher la poursuite oculaire horizontale. Si celle-ci est absente, rechercher la poursuite verticale |
Réponse motrice (MOT) |
Réflexes du tronc cérébral (TC) |
Respiration (RESP) |
Complications du coma
Un patient comateux est exposé à des complications en rapport avec la détresse neurologique du fait de la dépression des fonctions végétatives et favorisées par des lésions neurologiques focales [8] :
Sortie du coma et diagnostics différentiels [6, 8, 13]
D’après J. Giacino [17], le patient passe du coma à un état végétatif puis à un état paucirelationnel et enfin à un état de conscience minimale :
L’état végétatif et l’EPR sont distingués d’autres états proches, quant à leurs manifestations cliniques [6, 8] :
Amnésie post-traumatique [6]
Lorsqu’il y a reprise d’une activité consciente chez le patient, elle se fait graduellement. Avant que le patient ne retrouve ses fonctions cognitives, il existe une période de transition que l’on appelle amnésie post-traumatique (APT), pendant laquelle le patient présente le plus souvent une amnésie, une confusion, une agitation. L’expression « amnésie post-traumatique » (APT) décrit la difficulté à garder en mémoire les faits et événements survenus durant la période qui s’étend du moment de la perte de conscience initiale (ou amnésie) jusqu’à la récupération des souvenirs. Elle comprend l’absence de souvenir de l’accident, qui est définitive, une période plus ou moins longue d’amnésie des événements qui se sont déroulés avant l’accident et une période d’amnésie qui suit l’accident [14].
L’APT peut durer de quelques secondes à plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Elle est évaluée par le Galveston Orientation and Amnesia Test (GOAT). La durée de l’APT au-delà de laquelle le pronostic s’assombrit est de 2 semaines [6]. Il a été établi un rapport entre la durée de l’APT et la quantité de tissus cérébraux lésés. La fin de l’APT est le moment où le patient reste réorienté dans l’espace et retrouve une mémoire continue [20].
SÉQUELLES DU TRAUMATISÉ CRÂNIEN “>[21–25] : UN « HANDICAP À PART »
Les séquelles sont de différentes natures et peuvent persister à distance du TC. On observe principalement des troubles neurologiques physiques et des troubles cognitifs. Ces troubles cognitifs sont largement dominés par l’asthénie, les troubles de la mémoire, des fonctions exécutives et de l’attention [3].
Fatigue [3]
La fatigue est un symptôme fréquent et persistant après un TC. Elle touche, en fonction des études, de 43 à 73 % des patients et est ressentie comme un des premiers symptômes par 7 % d’entre eux. Van Zomeren et al. [26] ont proposé comme modèle physiopathologique de la fatigue après TC l’hypothèse du « coping » (adaptation), selon laquelle la fatigue serait directement secondaire aux troubles cognitifs, et en particulier aux troubles attentionnels. Plus précisément, la fatigue serait due à l’effort supplémentaire fourni par les patients cérébrolésés pour maintenir un bon niveau de performance dans la vie quotidienne. La réalisation d’une tâche cognitive nécessiterait une mobilisation importante, un « hypereffort », pouvant entraîner une sensation de fatigue.
Atteintes motrices
Le traumatisme peut entraîner des désordres de la motricité par [7, 21] :
Atteintes sensorielles
Séquelles neuropsychologiques [3, 24, 27]
► Troubles de la communication
Le patient TC peut présenter :
► Troubles de la mémoire [29, 30]
C’est le déficit cognitif le plus fréquent des traumatisés crâniens sévères (30 % d’entre eux garderaient ces déficits mnésiques plusieurs années après le traumatisme) [3].
► Troubles de l’attention
Ces troubles peuvent intéresser les différents types d’attention :
La plupart des études expérimentales concordent pour admettre l’existence chez les traumatisés crâniens sévères d’un déficit marqué des capacités d’attention divisée, conséquence surtout de la lenteur du traitement de l’information. Azouvi et al. [31], dans une étude portant sur 43 patients traumatisés crâniens graves, ont tenté d’évaluer la relation entre les troubles attentionnels et l’effort mental. Les résultats suggéraient que le déficit d’attention divisée des patients traumatisés crâniens était lié à une réduction des ressources de traitement disponibles. Le niveau élevé d’effort mental subjectif pourrait aussi expliquer la fatigue perçue par la plupart des patients TC.
► Troubles des fonctions exécutives [27, 32]
► Syndrome frontal [33]
► Troubles perceptifs et praxiques
► Agnosies
Après un TC, ce sont les séquelles neuropsychologiques qui sont les plus invalidantes : troubles de la mémoire, des fonctions exécutives et de l’attention, sur lesquels se rajoutent un ralentissement non spécifique de la vitesse de traitement de l’information, et des modifications du comportement et de la personnalité. Elles conditionnent, en grande partie, le pronostic ultérieur et en particulier la réinsertion sociale, familiale et professionnelle [24].
ÉVOLUTION ET RETENTISSEMENTS DES DÉFICITS DU PATIENT TC
L’évolution du handicap (appréciation des conséquences sociales des déficiences) chez le TC est interdépendante de l’évolution des déficits neurologiques et neuropsychologiques. De nombreuses études ont analysé l’évolution des troubles neuromoteurs, neuropsychologiques, et leurs conséquences sur la qualité de vie des patients TC à moyen et long terme [21, 36]. Elles présentent les conclusions suivantes.
Évolution des déficits
L’évolution des déficits neuromoteurs, souvent favorable, est assez rapide les 6 premiers mois [10].
L’évolution des déficits neuropsychologiques se poursuit pendant plusieurs années après le traumatisme. Mailhan et al. [36] ont réalisé une étude sur l’évolution de ces troubles chez 50 patients TC 6 ans après le traumatisme. Les résultats ont montré que les principaux déficits neuropsychologiques qui persistaient et gênaient les patients dans leurs AVQ concernaient la mémoire et les fonctions exécutives (notamment la difficulté de réalisation des doubles tâches).
Conséquences sur la qualité de vie
L’étude [36] a montré que le score au GOS (évaluation du handicap) était lié significativement aux troubles des fonctions exécutives, aux troubles attentionnels et de communication. Malgré un accompagnement psychologique du patient et de sa famille, le retour à domicile est souvent très difficile à supporter pour le conjoint et la famille si le patient souffre de troubles neuropsychologiques importants et difficilement compatibles avec une vie de famille, ce qui conduit souvent à une séparation conjugale. La période dépressive [33] est une étape constante chez les sujets qui retrouvent une mémoire de fixation suffisante : elle comporte souvent une première phase de deuil concernant l’atteinte physique, suivie d’une deuxième phase concernant le potentiel intellectuel perdu.
Le retentissement des troubles psychocomportementaux dans la vie sociale et professionnelle est considérable, et facteur de perte d’emploi, de réduction du niveau d’activité et de loisir [37]. Le pronostic de réinsertion [23] dépend des troubles cités précédemment, de l’emploi occupé au moment de l’accident et de la personnalité antérieure. Selon les auteurs et les pays, le pourcentage de patients qui travaillent quelques années après le TC varie de 18 % aux États-Unis [38] à 40 % en France [4]. Tous les auteurs notent toutefois une grande difficulté pour les patients à garder leur emploi (3,5 ans en moyenne dans l’étude Hoofien [25]), et a fortiori à obtenir de l’avancement. Les traumatisés crâniens souffrant de troubles de mémoire et de troubles exécutifs sont obligés de réduire leur temps de travail et leur statut professionnel (déclassement fréquent, surtout pour les métiers à haute qualification). Des structures d’accompagnement telles que l’UEROS aident les TC pour la réinsertion socio-professionnelle. Dans le cas de TC ayant de graves séquelles, il est mis en place un statut social adapté (protection des biens, tutelle, etc.).
La prise en charge multidisciplinaire du patient TC grave s’étend sur de longues années. Les actions pluriprofessionnelles, familiales et associatives (UNAFTC, France trauma crânien), s’enchaînent, s’entrecroisent et se complètent pour réaliser le tableau d’accompagnement global et complet du patient traumatisé crânien [39].