1 Le patient hémiplégique
INTRODUCTION À LA PATHOLOGIE
DÉFINITION DE L’HÉMIPLÉGIE
L’hémiplégie est la « perte plus ou moins complète de la motricité volontaire dans une moitié du corps ». Elle est due à une lésion unilatérale de la voie motrice principale entre le neurone d’origine de la voie pyramidale et sa synapse avec le motoneurone alpha dans la corne antérieure de la moelle. Une lésion hémisphérique, du tronc cérébral ou médullaire peut entraîner une hémiplégie controlatérale ou, exceptionnellement (si la lésion siège en aval de la décussation du faisceau pyramidal), homolatérale à la lésion [1]. L’hémiplégie est le plus souvent la conséquence d’un accident vasculaire cérébral (AVC). L’atteinte motrice est fréquemment associée à des troubles sensitifs, neuropsychologiques, etc. [1].
ÉTIOLOGIES ET ÉPIDÉMIOLOGIE
L’accident vasculaire cérébral est, selon la définition internationale [2], « un déficit brutal d’une fonction cérébrale focale sans autre cause apparente qu’une cause vasculaire ». L’AVC survient lors de l’interruption brutale du flux sanguin cérébral, privant ainsi une ou différentes parties du cerveau en oxygène, causant leur dysfonctionnement puis leur mort en quelques minutes [3].
L’AVC est la première cause de handicap acquis chez l’adulte et la troisième cause de mortalité en France [4]. Touchant chaque année environ 130 000 nouveaux patients en France, l’AVC a un taux d’incidence multiplié par 2 tous les 10 ans après 55 ans ; 25 % des AVC surviennent chez les moins de 65 ans (c’est-à-dire dans la population active), et plus de 50 % chez les personnes de 75 ans et plus.
Après un premier AVC, le risque de récidive est important, estimé entre 30 et 43 % à 5 ans.
Les étiologies de l’hémiplégie, hormis l’AVC, sont diverses et nombreuses [1, 3] :
PHYSIOPATHOLOGIE DE L’AVC
Accidents vasculaires cérébraux constitués
Deux catégories d’AVC constitués sont individualisées [2, 3, 5] :
Accidents ischémiques transitoires
Un accident ischémique transitoire (AIT), selon l’HAS [2], est un épisode bref de dysfonction neurologique due à une ischémie focale cérébrale ou rétinienne, dont les symptômes durent typiquement moins d’une heure, sans preuve d’infarctus aigu à l’imagerie cérébrale.
DIFFÉRENTS TABLEAUX CLINIQUES [1, 2, 6]
L’hémiplégie vasculaire est caractérisée par la diversité des tableaux cliniques. Les AVC ont des conséquences polymorphes dépendant de l’artère bouchée et du territoire touché : déficit moteur marqué par une perte de sélectivité de l’activation musculaire volontaire, apparition de schémas moteurs réflexes dits primitifs, ainsi que d’un tonus musculaire anormal. Ils peuvent être associés à des troubles praxiques, sensitifs, cognitifs ou perceptifs : hémianopsie latérale homonyme, diplopie, héminégligence (tableau 1.1), etc.
AVC dans le territoire carotidien
AVC du territoire vertébrobasilaire
TRAITEMENTS PRÉVENTIFS ET CURATIFS [2, 7]
Traitements médicaux de la spasticité [7, 8]
► Traitements locaux de la spasticité
Traitements chirurgicaux [8]
Ils s’adressent à la spasticité elle-même et/ou à ses complications musculotendineuses [7]. La solution chirurgicale permet d’associer en un temps le traitement de la spasticité et le traitement des anomalies orthopédiques.
► Neurotomie partielle sélective
Elle consiste en une section chirurgicale aux 3 à 4/5 du nerf moteur, dans sa partie la plus distale afin de rester le plus sélectif possible. Elle s’associe souvent à d’autres gestes neuroorthopédiques : allongements tendineux, transferts tendineux, arthrodèse, ce qui permet de restaurer des amplitudes articulaires perdues ou de rééquilibrer des forces autour d’une articulation [7]. Le programme de chirurgie orthopédique comporte en général une neurotomie fasciculaire du nerf tibial associée à une valgisation du jambier antérieur pour lutter contre le varus, un allongement du tendon d’Achille pour corriger l’équin et une ténotomie des fléchisseurs des orteils [8].
HÉMIPLÉGIE ET TROUBLES ASSOCIÉS
L’hémiplégie se caractérise par un trouble de la commande, accompagné de troubles du tonus (spasticité), et par la présence de mouvements anormaux (syncinésies) [3]. Les cliniciens distinguent [9] :
L’hémiplégie est rarement isolée et s’accompagne de troubles associés, en particulier cognitifs, spécifiques à chaque hémisphère cérébral [3, 5, 10] :
COMPLICATIONS [1, 5, 7]
Pour Pariel-Madjlessi et al. (2005) [2], « la survenue d’une dépression est une complication fréquente des AVC et influence la récupération fonctionnelle, qui est un facteur crucial pour l’avenir du patient. La physiopathologie de la dépression post-AVC ferait intervenir plusieurs mécanismes : retentissement direct de lésions cérébrovasculaires, notamment pour certaines topographies, mécanisme spécifique neuroendocrinien ou encore dépression réactionnelle liée à un événement de vie responsable d’une agression majeure et de handicap ».
PRISE EN CHARGE DU PATIENT HÉMIPLÉGIQUE [2, 7, 11]
Prise en charge en service de soins de suite et de réadaptation
Les patients sont ensuite transférés le plus souvent en centre spécialisé pour poursuivre leur rééducation. Il a été prouvé que la prise en charge et la rééducation en service de soins de suite et de réadaptation (SSR) améliorent nettement l’indépendance physique des patients suite à un AVC [2].
La prise en charge du patient est multidisciplinaire et fait intervenir :
Retour à domicile
Les patients et leurs familles ont le sentiment d’« être abandonnés » lors de la sortie de SSR. Ils expriment le souhait de disposer de plus de soutien et d’aide dans leurs démarches pour organiser les prises en charge soignante et médicosociale. Le handicap du proche devient le « handicap familial » [12].
Les patients qui souffrent le plus après le retour à domicile sont ceux qui présentent [13] :
BILAN DU PATIENT HÉMIPLÉGIQUE
DOSSIER MÉDICAL ET ENTRETIEN AVEC LE PATIENT
Dossier médical
Interrogatoire du patient
Il est judicieux de faire remplir au patient une échelle de qualité de vie : Stroke Impact Scale (SIS), SF-36, index de santé perceptuelle de Nottingham (ISPN) ou index de réintégration à la vie normale (IRVN) [4], et l’analyser avec lui.
The Stroke Impact Scale [14] est un autoquestionnaire de 59 questions groupées en 8 domaines :
BILAN DES DÉFICIENCES COGNITIVES [5, 6]
L’hémiplégie, rarement isolée, s’accompagne de troubles associés en particulier cognitifs, spécifiques à chaque hémisphère cérébral. Elle justifie une prise en charge en rééducation tenant compte de ces troubles qui retentissent sur la rééducation motrice. Tous les troubles neuropsychologiques sont développés dans le chapitre 5 (Traumatisé crânien).
Hémiplégie droite : déficience du langage, du geste et de la communication
► Aphasie [6]
C’est un trouble du langage acquis, secondaire à une lésion cérébrale localisée.
Le langage, code de la communication, comprend :
Les différentes échelles d’évaluation de l’aphasie sont :
► Apraxie
L’apraxie est un trouble acquis du comportement gestuel volontaire, empêchant la réalisation sur commande de certains gestes alors qu’il n’existe ni déficit moteur ou sensitif, ni incoordination, ni trouble majeur de la compréhension.
Il existe deux types d’apraxies [16] qui peuvent être associées :
Hémiplégie gauche : troubles de l’attention et troubles liés à l’espace
► Héminégligence ou négligence spatiale unilatérale (NSU)
Ce syndrome est définit par Heilman comme « l’incapacité pour le patient de rendre compte, de réagir à et de s’orienter vers des stimulations signifiantes ou nouvelles présentées dans l’hémi-espace controlatéral à une lésion cérébrale ». Il résulte d’une lésion au niveau du lobe pariétal droit, en particulier de sa partie postérieure, dont le rôle est essentiel dans les processus visuospatiaux, somatospatiaux, attentionnels, ainsi que dans les comportements affectifs et émotionnels [5]. La NSU touche 50 à 85 % des patients après lésion cérébrale droite et retentit sur de nombreuses activités de la vie quotidienne [17].
De plus, la NSU peut revêtir différents aspects selon l’espace impliqué. On reconnaît la négligence corporelle ou extracorporelle selon que le trouble se manifeste respectivement soit sur l’espace corporel du patient (corps et/ou espace proche à portée de main), soit sur l’espace lointain (par exemple regarder de loin avant de traverser une route) [3].
La négligence corporelle peut se manifester par le fait que le patient ne fait pas attention à son hémicorps hémiplégique, par l’oubli d’habiller le côté gauche ou de raser le côté gauche du visage, etc. À un stade plus prononcé, on parle d’hémiasomatognosie, qui se traduit par une totale ignorance de cet hémicorps, un sentiment de non-appartenance [18].
La négligence corporelle entraîne une négligence motrice unilatérale [19], qui se traduit par une sous-utilisation fonctionnelle de l’hémicorps hémiplégique. Elle peut être mise en évidence par l’observation d’activités motrices globales mettant en jeu les deux hémicorps simultanément [18] : activités bimanuelles, changement de position, etc.
Enfin, la NSU peut être associée à l’anosognosie [20], définie par la non-reconnaissance de l’existence d’un trouble, ce qui accroît l’asymétrie et affecte même la motricité du côté sain, l’empêchant de s’organiser par rapport au côté gauche, dont l’immobilité est ignorée.
Dans les formes sévères, la NSU est repérée facilement chez le patient par la déviation spontanée de la tête du côté droit, le membre supérieur gauche pendant, et l’absence de réponse à tout stimulus visuel ou verbal en provenance de l’hémi-espace gauche [5]. Le patient ou son fauteuil roulant heurte systématiquement les obstacles sur sa gauche, il lit un texte en commençant au milieu ou par l’extrémité droite de la ligne, ne mange que les aliments situés sur la partie droite de son assiette ou encore ne se rase qu’à droite.
Dans les formes modérées, le diagnostic de la NSU est plus difficile et doit être recherché à l’aide de tests cliniques [5] :
Autres déficiences : troubles de la mémoire ou troubles mnésiques [5]
15 à 20 % des patients atteints d’AVC présenteraient des troubles de la mémoire, évalués par :
BILAN FONCTIONNEL [5]
Observation de la marche
► Phase d’appui
► Phase oscillante
Marche et déconditionnement à l’effort
Functional Ambulation Classification (FAC) | Aide de marche utilisée : |
Indépendance
On mesure l’indépendance du patient avec les échelles de MIF et de Barthel [13] :
BILAN DU MEMBRE SUPÉRIEUR
Il comprend le bilan de l’épaule, du coude et de la main :
Pour évaluer la préhension, différents tests peuvent être utilisés :
Les tests d’évaluation de la préhension sont :
Classification fonctionnelle de la préhension d’Enjalbert |
Ce test n’a été validé que chez l’hémiplégique vasculaire. |
EXAMEN MOTEUR [5]
Évaluation de la motricité involontaire
► Spasticité
Ce sont les conséquences fonctionnelles globales de la spasticité que le MK doit observer : lors de la marche ou de la préhension. On peut les objectiver lors de la mesure de la vitesse de marche, du test d’endurance des 6 minutes et dans la MIF.
La spasticité d’un muscle peut théoriquement limiter la commande motrice de son antagoniste, et ainsi avoir des répercussions fonctionnelles néfastes [9] :
Mais elle peut aussi être fonctionnellement bénéfique, par exemple :
Les groupes musculaires les plus souvent spastiques sont [5] :
L’évaluation des muscles spastiques se fait avec l’échelle d’Ashworth modifiée (tableau 1.8) [24].
Échelle d’Ashworth modifiée, d’après Bohannon et al. [5] | |
1 | Tonus musculaire normal. Augmentation discrète du tonus musculaire, se manifestant par un ressaut, suivi d’un relâchement ou par une résistance minime en fin de mouvement. |
1+ | Augmentation discrète du tonus musculaire, se manifestant par un ressaut, suivi d’une résistance minime perçue sur moins de la moitié de l’amplitude articulaire. |
2 | Augmentation plus marquée du tonus musculaire, touchant la majeur partie de l’amplitude articulaire, l’articulation pouvant être mobilisée facilement. |
3 | Augmentation importante du tonus musculaire, rendant la mobilisation passive difficile. |
4 | L’articulation concernée est fixée en flexion ou extension, abduction ou adduction. |
(d’après Bohannon et al. [25])
Examen de la motricité volontaire
L’évaluation analytique de la motricité est réalisée avec l’échelle de Pierrot-Deseilligny et avec le Motricity Index (tableau 1.9).
On cherche une commande motrice volontaire sur les différentes articulations et on note la variabilité de celle-ci en fonction de la position du membre. Par exemple :
BILAN SENSITIF ET DOULOUREUX
Évaluation de la sensibilité objective
Il faut rechercher une extinction sensitive [3] en portant une stimulation tactile fine sur les deux hémicorps simultanément afin de mettre en compétition les deux hémisphères cérébraux. Dans le cas de l’extinction sensitive, le patient, sans troubles sensitifs, ne décrira que la stimulation effectuée sur l’hémicorps droit alors que le MK stimule les deux hémicorps. La présence d’une extinction sensitive peut témoigner aussi bien d’un trouble fin de la sensibilité tactile que d’un trouble attentionnel, notamment en cas d’hémiplégie gauche.
BILAN ARTICULAIRE, EXTENSIBILITÉ MUSCULAIRE
Les troubles orthopédiques peuvent être nombreux si le patient se trouve en fauteuil roulant ou alité, ou si la spasticité est importante, car les muscles spastiques ont tendance à se raccourcir par diminution du nombre de sarcomères en série de chaque fibre [26].
Le MK doit apprécier (tableaux 1.10 et 1.11) :
BILAN RESPIRATOIRE ET DÉGLUTITION
CONCLUSIONS DU BILAN SELON LA CIF [27, 28]
ATTEINTES DE FONCTIONS ORGANIQUES ET STRUCTURES ANATOMIQUES
C’est de l’intrication de ces trois déficiences que résulte la motricité de l’hémiplégique.