4 Le patient blessé médullaire
INTRODUCTION AUX PATHOLOGIES
DÉFINITIONS [1]
On entend par paraplégie un déficit des fonctions motrices et/ou sensitives des segments médullaires thoraciques, lombaires ou sacrés, quels que soient la cause et le siège de la lésion. Les paraplégies comprennent l’atteinte du tronc, des membres inférieurs et des organes pelviens.
ÉPIDÉMIOLOGIE [2, 3, 4]
D’après les études épidémiologiques, il y aurait 900 nouveaux cas de blessés médullaires par an en France, dont 50 % de tétraplégique. Le ratio homme/femme est évalué à 4/1 et la moyenne d’âge de survenue de la lésion médullaire entre 16 et 30 ans dans 50 % des cas. Il est impossible de donner des chiffres précis de prévalence des paraplégies, notamment concernant les paraplégies d’origine médicale, pour lesquelles aucune épidémiologie n’est connue [1].
Dans 80 % des cas, les lésions médullaires sont d’origine traumatique, par :
Les causes médicales peuvent être classées selon le mode de survenue de la paraplégie :
ANATOMOPHYSIOLOGIE [5]
Une section de la moelle atteint les voies motrices descendantes et les voies sensitives ascendantes car elle assure la communication entre la périphérie et les centres supérieurs :
CLASSIFICATION DES BLESSÉS MÉDULLAIRES [1, 6, 7]
La classification internationale et fonctionnelle des lésions médullaires (fig. 4.1) a été développée par l’American Spinal Injury Association (ASIA) [1] au début des années 1980 pour les lésions traumatiques : l’échelle ASIA, puis adoptée par la communauté internationale depuis 1992 pour toutes les étiologies [6]. Elle permet d’évaluer les niveaux d’atteinte et le caractère complet ou non de la lésion :
Le niveau moteur
La classification et le score moteur ASIA analysent cinq groupes musculaires clés au membre supérieur et cinq groupes musculaires clés au membre inférieur, à droite et à gauche.
LES DIFFÉRENTS SYNDROMES [1]
Les grands syndromes rencontrés sont les suivants.
Forme flasque définitive
Il arrive qu’une paraplégie d’origine médullaire demeure flasque : c’est une paraplégie sensitivomotrice massive. Elle correspond soit à une grande myélomalacie à point de départ dorsal, soit à une paraplégie dont le niveau lésionnel est sacré ou lombaire bas, liée à une atteinte du cône médullaire associée à celle de la queue de cheval.
CHRONOLOGIE
La survenue de la lésion médullaire
Les fractures du rachis compliquées de compressions médullaires constituent une urgence chirurgicale absolue qui vise à lever la compression ou fixer une lésion vertébrale instable [8]. Certaines techniques opératoires autorisent une remise en charge au 21e jour et d’autres à 45 jours, sous protection d’un corset et/ou minerve jusqu’au 3e mois ;
Phase de choc spinal
Elle apparaît après le traumatisme et correspond à l’abolition totale de la mobilité et de la sensibilité en sous-lésionnel, associée à l’abolition des réflexes ostéo-tendineux (ROT) et cutanés. Il est difficile, à cette phase, de déterminer exactement les niveaux lésionnel et sous-lésionnel. Les complications sont graves et mettent en jeu le pronostic vital, notamment les complications respiratoires (trachéotomie) et uro-néphrologiques [9] à cause de la rétention des urines et des matières.
PRINCIPALES COMPLICATIONS DES BLESSÉS MÉDULLAIRES [1]
Escarres
Elles sont redoutables, pouvant mettre en jeu le pronostic vital et fonctionnel du patient [1] (voir annexe). La constitution de l’escarre est très rapide, pouvant se former en quelques heures. Leur traitement long et difficile comprend une immobilisation prolongée avec absence d’appui sur les zones atteintes jusqu’à complète guérison et de nombreux soins prodigués par les infirmières. Les localisations fréquentes sont les coudes, le sacrum, les ischions, le coccyx, les trochanters, les genoux et les talons.
Les facteurs de risque [10] tels que le caractère complet sensitivomoteur, la compression, l’insensibilité ou les troubles de la vascularisation cutanée liés à la lésion médullaire exposent d’autant plus le patient à la survenue d’escarres. D’autres facteurs sont favorisants : dénutrition, fièvre, artériopathie, troubles orthopédiques, appareillage, et coussins de siège mal adaptés, agression par agents physiques (brûlures)…
Accidents thrombo-emboliques
Les thromboses veineuses profondes sont fréquentes chez les blessés médullaires, dans les premiers mois après la survenue de la lésion mais exceptionnelles au-delà de 6 mois [11]. L’embolie pulmonaire justifie un dépistage régulier par écho-Doppler, surtout chez le blessé médullaire de niveau lésionnel supérieur à T6 chez qui la douleur thoracique de l’embolie pulmonaire peut manquer. Un traitement anticoagulant préventif est systématique au cours des premiers mois ainsi que le port de bas de contention. A noter que la spasticité et les spasmes ont un effet de pompe sur le système veineux et favorisent ainsi le retour veineux [12].
Complications urinaires et anorectales
► Rappel sur l’équilibre vésicosphinctérien
L’équilibre vésicosphinctérien résulte d’une continence vésicale lors de la phase de remplissage et de l’évacuation régulière et complète des urines lors de la phase de miction, tout en protégeant le haut appareil urinaire d’un reflux. Une bonne miction nécessite une parfaite synergie entre la contraction du détrusor et l’ouverture du col vésical et le relâchement du sphincter strié urétral. Ces actions, soumises à un contrôle encéphalique permanent, sont intégrées aux niveaux médullaires sacrés et dorsolombaires.
► Dans le cas de lésions médullaires
Au niveau de la synergie ano-rectale, elle est plus ou moins conservée selon le niveau lésionnel.
► Principales complications
Les complications urinaires les plus fréquentes sont :
Les complications ano-rectale les plus fréquentes sont les fécalomes, les hémorroïdes et la fissure anale [11].
► Sondage
Le sondage [13] correspond à l’introduction d’une sonde dans l’urètre pour permettre la miction. L’apprentissage est supervisé par les infirmières qui apprennent au patient les gestes, la gestion des besoins de miction et les conditions d’hygiène afin qu’il puisse ensuite s’autosonder. Sont disponibles des sondes adaptées selon le sexe, autolubrifiées, des kits sondepoche prêts à l’emploi et des petites sondes pour les femmes. Le patient doit procéder à un minimum de 5 à 7 sondages par jour et boire 2 L par jour [11].
Lorsque le niveau lésionnel ne permet pas les autosondages, sont proposés [1] :
Complications respiratoires
Elles dépendent principalement du niveau lésionnel et de la présence de lésions thoraciques associées. Les muscles respiratoires sont atteints proportionnellement au niveau [7, 14](fig. 4.2)
Complications neurovégétatives
Complications neuro-orthopédiques
La diminution partielle ou totale de la commande motrice, associée à la spasticité sont à l’origine des complications neuro-orthopédiques [11].
Syringomyélie
C’est une cavité qui se développe de part et d’autre d’une lésion compressive ou après chirurgie médullaire, favorisée par un défaut de réduction (cyphose angulaire) ou par l’existence de matériel endocanalaire [9] ; elle peut menacer d’une perte fonctionnelle d’un ou plusieurs métamères. Toute modification de l’examen neurologique doit y faire penser.
Ostéoporose
En sous-lésionnel, l’association de deux mécanismes explique l’ostéoporose [9] :
Cette ostéoporose débute immédiatement après la phase initiale et se stabilise au bout de 6 mois environ. Elle a deux complications essentielles : l’hypercalciurie, responsable de lithiases comme vu précédemment, et la survenue de fractures spontanées [11].
La prévention repose donc sur des mobilisations et une verticalisation précoces.
Douleurs [1, 16, 17]
La prévalence des douleurs lésionnelles et sous-lésionnelles varie de 33 à 94 % chez les blessés médullaires [17], selon les auteurs :
Troubles génitosexuels [1]
► Chez l’homme
► Chez la femme
ÉVOLUTION ET PRONOSTIC
De nombreuses observations médicales permettent d’établir quelques quasi-certitudes [1] :
Les patients para et tétraplégiques avaient auparavant une espérance de vie plus courte que la population générale en raison des complications. Actuellement, grâce à une prise en charge précoce et adaptée, elle est quasi identique à celle de la population générale [11].
BILAN KINÉSITHÉRAPIQUE DU BLESSÉ MÉDULLAIRE
DOSSIER MÉDICAL ET ENTRETIEN AVEC LE PATIENT
Dossier médical
Entretien avec le patient
Il faut faire remplir une échelle de qualité de vie au patient et l’analyser avec lui : IRVN ou ISPN [18] (fig. 4.4). La qualité de vie du patient blessé médullaire est diminuée d’autant plus fortement que le tableau clinique est lourd et ses incapacités importantes.
BILAN FONCTIONNEL
Les différents bilans et notamment le bilan fonctionnel seront très différents selon le caractère complet ou incomplet de la para/tétraplégie.
Mode de déplacement en fauteuil roulant et transferts
Réactions parachutes
Tester les réactions parachutes avec des poussées. Elles vont conditionner la sécurité lors des exercices en rééducation.
Motricité en sus-lésionnel
Possibilités du tétraplégique avec ses membres supérieurs
RECHERCHE DE TROUBLES ET COMPLICATIONS
Complications à rechercher
► Escarres (voir annexe)
Les deux principales échelles qui évaluent le risque d’escarre sont [10] :
Perception sensorielle | Humidité | Activité |
Mobilité | Nutrition | Friction-cisaillement |
► Troubles neuro-végétatifs [8]
BILAN SENSITIF
Sensibilité superficielle
Sur chaque point clé de l’échelle ASIA, la réponse au tact fin (coton) et à la piqûre (épingle de sûreté) sont analysées et cotées séparément selon une échelle à 3 items :
BILAN DE LA DOULEUR
Douleurs mécaniques et inflammatoires
Le MK va rechercher d’éventuel conflits et lésions tendineuses [19] :
BILAN MOTEUR
Évaluation de la spasticité avec l’échelle d’Ashworth
Spasmes et contractures
► Spasmes
Les spasmes en flexion ou extension et la spasticité sont souvent associés. Ce sont des réflexes polysynaptiques que l’on observe au cours des lésions complètes et incomplètes. Le MK va évaluer les répercutions fonctionnelles chez le patient. L’apparition de spasmes des abdominaux, par le déséquilibre antérieur du tronc qu’elle génère, peut compromettre le transfert en cours de réalisation. Le risque de chute est alors accru [12]. Des spasmes des extenseurs communs des doigts rend par exemple inefficace l’effet ténodèse et la saisie d’un objet.
L’importance des spasmes est évaluée par l’échelle de Penn [7] :
BILAN ARTICULAIRE ET EXTENSIBILITÉ MUSCULAIRE
Les troubles orthopédiques peuvent être nombreux si la spasticité est importante car elle va favoriser la survenue de rétractions musculaires (par modifications histologiques ou biochimiques) et d’enraidissements capsulo-ligamentaires et rendre problématique le positionnement du patient au FR [12].
BILAN RESPIRATOIRE
Les conséquences de l’atteinte médullaire sur le système ventilatoire actif dépendent du niveau neurologique [14] comme vu précédemment. Le bilan kinésithérapique comporte [20] :
CONCLUSIONS DU BILAN SELON LA CIH
LIMITATION D’ACTIVITÉ
Plus on monte dans l’atteinte médullaire plus la dépendance augmente :
RESTRICTION DE PARTICIPATION
La gravité du handicap dépend de la réduction du capital musculaire, des troubles neurologiques, orthopédiques et végétatifs associés.
QUALITÉ DE VIE
Le traumatisme médullaire entraîne une souffrance physique et psychologique, intense et brutale, car il modifie le statut fonctionnel, psychologique et social du patient [18], altérant de fait sa qualité de vie (QDV). Selon la définition de l’OMS, la santé n’est plus seulement « l’absence de maladies ou d’infirmités » mais « un état de complet bien-être physique, psychologique et social ».
Des études ont démontré que le niveau de QDV était corrélé positivement à la qualité de la réinsertion du blessé médullaire [22]. La connaissance des insatisfactions et de leurs répercussions sur la QDV des patients permet de déterminer les critères physiques, psychologiques, sociofamiliaux et environnementaux [23] sur lesquels la rééducation doit influer positivement.
Selon une étude réalisée sur la qualité de vie des patients tétraplégiques, les variables qui ont un effet direct sur la qualité de vie sont [24] :
PRISE EN CHARGE DES BLESSÉS MÉDULLAIRES SELON LES PHASES
RÉÉDUCATION EN PHASE POST-TRAUMATIQUE
Il s’agit de la période de décubitus strict qui va durer de une à plusieurs semaines, depuis le jour de la lésion médullaire jusqu’à la fin des soins intensifs initiaux et la mise au fauteuil. Selon l’enquête Tetrafigap, les principales complications lors de la phase aiguë post-traumatique sont [25] : la fièvre d’origine urinaire, les escarres, la fièvre d’origine pulmonaire, la trachéotomie, la POAN et les fractures.