par lambeau de grand dorsal

Chapitre 8 Reconstruction par lambeau de grand dorsal



Le lambeau de grand dorsal a été utilisé pour la première fois en 1896 par l’italien Tansini pour la fermeture d’une mammectomie [9].


Ce n’est que dans les années 1970 que son usage en chirurgie est réapparu (Olivari, 1976 [10]) avec les autres lambeaux musculocutanés.


Lorsque la trophicité des tissus de la paroi thoracique ne permet pas une reconstruction mammaire simple par prothèse, l’apport de tissu devient indispensable : le lambeau de grand dorsal est une des techniques de référence dans cette indication [3, 11]. Il peut être utilisé en couverture lors d’exérèse large impossible à fermer directement ou en reconstruction immédiate ou secondaire, avec ou sans prothèse en fonction de la taille du sein à reconstruire et de l’étoffe cutanée et graisseuse du dos.





LAMBEAU DE GRAND DORSAL ET PROTHÈSE EN RECONSTRUCTION SECONDAIRE image



Dessins préopératoires


Le dessin de la palette cutanée s’effectue avant l’intervention sur une patiente en position debout. Plusieurs tracés sont possibles en fonction des besoins tant au niveau cutané que musculaire :



tracé vertical avec une palette centrée sur le bord antérieur du muscle (figure 8.1). L’avantage de cette technique est que le prélèvement peut se réaliser en décubitus dorsal avec un billot en paravertébral. L’inconvénient souvent décrit est qu’on majore l’oreille axillaire. Nous privilégions plutôt cette technique pour les lambeaux de couverture ne nécessitant pas une grosse palette cutanée;

tracé oblique en bas et en avant (figure 8.2). C’est le dessin qui permet en théorie de prélever la plus grande palette autofermante cutanée dorsale. L’avantage est d’avoir le maximum de tissu pour mieux galber le sein reconstruit. L’inconvénient est la séquelle cicatricielle dorsale (cicatrice très longue). Il faut que le tracé ne soit pas trop haut pour ménager un débord musculaire supérieur qui, une fois le lambeau translaté sur le thorax avec une rotation de 180°, permettra de tapisser le sein jusqu’au sillon sous-mammaire (entre la berge inférieure de la palette et le sillon, zone où la prothèse est sous la peau « mammaire » donc fine, source de visibilité de la prothèse);

tracé horizontal dans le bandeau du soutien-gorge (d’où l’importance de faire le dessin chez une patiente qui vient de retirer son soutien-gorge) (figure 8.3). L’avantage est esthétique, pour masquer le plus possible la cicatrice; l’inconvénient est que la palette cutanée prélevée est souvent plus petite.





Installation de la patiente


L’installation s’effectue soit en décubitus dorsal pour un dessin vertical avec le bras dans le champ, pour favoriser la dissection proximale, et un billot paravertébral, soit en décubitus latéral (figure 8.4 et 8.5). Il faut être vigilant sur toutes les zones d’appui et les protéger au mieux (gel de silicone) avec la jambe déclive pliée et la jambe au-dessus tendue (attention au nerf sciatique poplité externe avec la tête du péroné). Un billot dans l’aisselle déclive peut être nécessaire pour dégager les vaisseaux. Le bras repose sur un appui au zénith sans tension ni traction pour éviter toute compression vasculaire ou nerveuse (plexus brachial).





Déroulement de l’intervention



Incision au bistouri froid de toute la palette cutanée (figure 8.6)




Dans le cas particulier où il existerait un doute sur la perméabilité du pédicule thoracodorsal, l’incision reprendra soit la cicatrice de l’aisselle, soit la cicatrice de mammectomie pour explorer dans un premier temps le creux de l’aisselle et apprécier l’état du pédicule. Nous évaluons en préopératoire la trophicité du muscle dorsal par une palpation bilatérale du bord antérieur du muscle en adduction contrariée.




Deuxième temps


Le deuxième temps permet de décoller la peau en distalité le plus loin possible, en fonction des besoins musculaires et de la fermeture dorsale (figure 8.8). Ce plan de dissection est prémusculaire au ras du périmysium – contrairement au plan de dissection du grand dorsal autologue (cf. infra).



Ensuite, le décollement s’effectue vers l’avant sans faire communiquer le large décollement dorsal et celui du sein, ce qui pourrait être source de déplacement secondaire de la prothèse dans le dos. Le bord antérieur du muscle dorsal est toujours plus antérieur que le rebord palpé; il est plus facile à individualiser plus en haut, en se souvenant que ses fibres musculaires sont verticales et plus rosées que celle de l’oblique et du dentelé. On décolle ainsi le muscle par sa face profonde (figure 8.9), d’abord à la partie médiane, peu vers le haut à ce moment – on repère juste la branche thoracique plaquée en profondeur sur le muscle dentelé antérieur – et on prolonge le décollement surtout vers le bas. On peut ainsi sectionner le muscle d’abord à sa partie distale puis médiane en remontant. On prendra soin de faire des hémostases des grosses perforantes rencontrées, surtout en arrière et à proximité de la pointe de la scapula (figure 8.10). En remontant en arrière, il faudra bien libérer les fibres musculaires du trapèze : elles sont obliques en bas et en avant alors que les fibres du dorsal sont transversales (figure 8.11). S’il existe un doute, il est alors recommandé de repérer le trapèze en haut et de descendre le long de sa pointe. En regard de la scapula, le bord inférieur du muscle dentelé antérieur est libre de toute insertion et il est possible de passer sous ce dernier (figure 8.12). Il est conseillé, en cas de doute, de repérer le bord du dentelé vers l’avant et de reprendre la dissection d’avant en arrière. Quand on arrive au bord supérieur du muscle dorsal après avoir sectionné ses insertions internes, la dissection devient plus aisée car le bord supérieur du muscle est lui aussi libre de toute insertion. Il existe parfois des adhérences avec les fibres musculaires antérieures du grand rond, adhérences qu’on peut sectionner sans danger.






Enfin, en repère le pédicule thoracodorsal par sa face profonde, soit en longeant la branche thoracique, soit en l’abordant directement par le bord postérieur en haut (figure 8.13). Celui-ci est libéré et on repère son point d’entrée dans le muscle de façon à sectionner les insertions proximales au-dessus de ce point. Cette section musculaire s’effectue au niveau du tendon; elle peut être complète ou partielle en fonction des besoins de mobilisation du lambeau (figure 8.14).




La branche thoracique n’a pas besoin d’être liée dans cette indication – elle peut néanmoins l’être, ce qui augmente l’arc de transfert du lambeau.




Troisième temps


Le troisième temps consiste à exciser la cicatrice de mammectomie (qui est adressée systématiquement pour examen en anatomopathologie) (figure 8.15), puis à redécoller la peau mammaire, surtout vers le haut et un peu vers le bas sans dépasser le niveau du sillon sous-mammaire – il est même conseillé de s’arrêter quelques centimètres plus haut et d’ajuster la position du sillon en position demi-assise (cf. infra « Modelage »). Puis on réalise la tunnellisation en redécollant la peau de l’aisselle en restant toujours suffisamment proximal pour que le tunnel ne permette pas à la prothèse de se luxer dans le dos (figure 8.16). Attention aux vaisseaux axillaires vers le haut et au pédicule thoracodorsal en profondeur; il peut être prudent de réaliser ce décollement en suivant le trajet du pédicule. Le lambeau est ensuite transféré sur le thorax avec une rotation de 180° de sa palette (figures 8.17 et 8.18). Les berges cutanées sont fixées transitoirement par des agrafes ou des fils. La fermeture dorsale se fait après vérification de l’hémostase et de l’absence de traction sur le pédicule, sur un ou plusieurs drains de Redon (figures 8.19 et 8.20). Certains proposent de capitonner toute la surface de décollement par des points résorbables en accrochant plus ou moins le derme au muscle, en plusieurs lignes jusqu’à la cicatrice. Le drainage s’effectue par drain de Redon ou lame.










Modelage


Le modelage s’effectue en position assise, les deux seins dans le champ opératoire.


On libère le lambeau de sa fixation transitoire; on vérifie l’hémostase, la bonne vitalité du lambeau par son saignement et l’absence de contrainte dans la tunnellisation. Le premier temps va consister à positionner le sillon sous-mammaire, soit en prolongeant tout simplement le décollement vers le bas en s’arrêtant au niveau désiré, soit éventuellement en effectuant un large décollement inférieur pour réaliser un lambeau d’avancement abdominal (LAA) avec fixation du sillon (figure 8.22). Le niveau du sillon sera soit au même niveau que le sein controlatéral soit un peu plus bas, considérant que la prothèse aura tendance à remonter légèrement.



Ensuite, on excise plus ou moins de peau thoracique pour positionner la berge inférieure de la palette du lambeau le plus possible proche du sillon. Pour cela, il faut avoir une palette cutanée suffisamment haute et large. En effet, nous pensons qu’il vaut mieux une cicatrice inférieure un peu haute mais un galbe et un remplissage harmonieux, surtout de la partie haute du sein et donc du décolleté. Dans l’absolu, un lambeau idéal est un lambeau qui permet une cicatrice inférieure juste dans le sillon sous-mammaire, suffisamment de peau pour reproduire la ptose souhaitée et une couverture musculaire de toute la surface du sein et de la prothèse et un remplissage harmonieux du décolleté et du prolongement axillaire.



Le choix de la prothèse sera fonction de la forme et du volume désiré et du projet de symétrisation (figure 8.23). Le muscle pectoral est décollé vers le haut, la prothèse est ainsi glissée sous le muscle pectoral en haut et recouverte sur tout le reste de sa surface par le muscle dorsal (figure 8.24). Certains ne décollent pas le pectoral et recouvrent la prothèse par le muscle dorsal seul en fixant bien la loge de la prothèse pour éviter tout déplacement secondaire. Dans certaines situations anatomiques, la couverture interne musculaire n’est pas totale; il est prudent, dans ces conditions, de prévoir une désépidermisation de la palette cutanée à sa partie interne pour mieux couvrir la prothèse à cet endroit.




La berge inférieure du lambeau est suturée et positionnée en fonction des besoins cutanés internes et externes.


La loge musculaire est suturée en externe pour permettre une bonne fixation de la prothèse; le débord musculaire dorsal est étalé largement vers le haut et fixé le plus haut possible pour minimiser l’effet de « marche d’escalier » dans les quadrants supérieurs (figure 8.25). Enfin, l’excès cutané est désépidermisé en fonction des besoins à la fois de remplissage et de ptose désirée (figures 8.26 et 8.27).





Certains ne positionnent pas le lambeau dans la cicatrice de mammectomie mais directement dans le sillon sous-mammaire. Si la quantité de peau est suffisante, alors toute la peau entre le sillon et la cicatrice de mammectomie est excisée; dans le cas contraire, la cicatrice de mammectomie est laissée en place; la palette cutanée est alors utilisée pour le galbe du sein.



GRAND DORSAL SANS CICATRICE DORSALE


Cette technique s’adresse aux indications rares où la peau mammaire paraît en quantité suffisante (éventuellement associée à un lambeau d’avancement abdominal) mais où la finesse des tissus rendrait une reconstruction par prothèse seule de médiocre qualité; mais aussi en cas d’exposition de prothèse. Ainsi, l’apport d’un lambeau musculaire pur de grand dorsal fournit l’étoffe nécessaire pour un résultat plus satisfaisant.


Dans ces conditions, l’apport de peau n’étant plus nécessaire aucune cicatrice dorsale n’est réalisée. L’intégralité de la dissection va s’effectuer soit par la cicatrice de mammectomie, et éventuellement celle du curage, soit par vidéochirurgie.


L’installation est la même que celle décrite précédemment en décubitus latéral. Nous préconisons de réaliser la dissection du pédicule à ciel ouvert par la cicatrice axillaire ou de mammectomie. Cette dissection est simple avec les instruments habituels. Ensuite, il convient de réaliser un très large décollement à la fois sous-cutané puis sous-musculaire, qui n’est possible qu’avec des valves éclairantes suffisamment longues ou, à défaut, par des instruments de vidéochirurgie en fonction de l’expérience de chacun. Dans ces conditions, on utilise des valves longues avec des optiques rigides (cœliochirurgicales) et les instruments habituels de cette chirurgie. Le muscle est ensuite sectionné en bas et en dedans puis transposé selon la technique déjà citée (figures 8.28 à 8.30).





Puis, en position assise, le muscle est étalé sur toute la surface. Le muscle pectoral peut là aussi être soulevé pour augmenter encore l’étoffe musculaire. La prothèse sera positionnée dans son étui et le muscle fixé pour en assurer la meilleure couverture.



LAMBEAU DE GRAND DORSAL ET PROTHÈSE EN RECONSTRUCTION IMMÉDIATE






COMPLICATIONS


Nous rapportons notre expérience de l’Institut Curie sur l’analyse rétrospective des complications de trois cent soixante-dixhuit reconstructions mammaires par lambeau de grand dorsal.


La répartition était similaire entre reconstruction secondaire (187, soit 49,5 %) et immédiate (191, soit 50,5 %).


L’analyse des complications précoces montre un taux global de nécrose de 1,8 %, toutes traitées pas excision et cicatrisation dirigée, sauf un cas de nécrose complète sûrement en raison d’une irradiation de l’aisselle majeure quinze ans auparavant. On remarque un taux plus élevé de nécrose dorsal dans le groupe « grand dorsal autologue » que dans le groupe « grand dorsal et prothèse » en raison du prélèvement plus extensif et superficiel donc ischémiant du dos. Le taux de nécrose thoracique est lui plus élevé dans le groupe de reconstruction immédiate que secondaire, là aussi en raison du risque plus ischémiant d’une mammectomie concomitante.


Le taux d’hématome est de 3,2 % et le taux de complications thromboemboliques de 0,3 %.


Le pourcentage de lymphocèle dorsale est de 28,3 %; nous avons pu noter un taux plus élevé de lymphocèle dorsale dans les indications de reconstruction immédiate que dans les reconstructions secondaires. Cette différence pourrait s’expliquer par l’ajout du risque d’épanchement lymphatique de la mammectomie et de l’exploration ganglionnaire. Nous n’avons en revanche pas relevé de différence sur le taux de lymphocèle entre le groupe « grand dorsal autologue » (deux cent vingt et un cas) et le groupe « grand dorsal et prothèse » (cent cinquante-cinq cas). Nous pensons que ceci est dû au prélèvement assez large de nos reconstructions par grand dorsal-prothèse.


Le taux de désunion dorsale était plus élevé après lambeau graisseux autologue.


La radiothérapie n’entraînait pas d’augmentation de l’incidence des complications.


Les facteurs de risque vasculaire (surpoids, tabac…) dans notre série n’entraînent pas d’augmentation significative du risque de complications chirurgicales.


Les complications tardives restent peu importantes, principalement esthétiques (aspect des cicatrices dorsales). Les séquelles fonctionnelles sont négligeables : ressenties comme une plus grande fatigabilité à l’effort soutenu et des limitations dans les mouvements extrêmes de l’épaule. Quelques très rares cas nécessitent un traitement antalgique de fond pour des séquelles douloureuses dorsales possiblement invalidantes.



Prise en charge des complications


Le pansement de sortie de bloc doit ménager une fenêtre pour monitorer la palette cutanée du lambeau; il faut également bien installer la patiente dans son lit, bras légèrement en abduction. En cas de souffrance du lambeau, en tout premier lieu il convient de vérifier la bonne position du bras, l’absence de compression extrinsèque sur le trajet du pédicule (pansement) ou d’hématome. En cas de persistance des signes de souffrance à la phase aiguë, il ne faut pas hésiter à réintervenir pour libérer et explorer le creux et le trajet du lambeau ainsi que de son pédicule.


Les rares souffrances cutanées sont celles de la peau thoracique (peau irradiée, mammectomie trop superficielle ou tabagisme important) et sont traitées le plus souvent par cicatrisation dirigée. Les rares nécroses de portion interne du lambeau sont les plus à risque car, si la couverture musculaire n’est pas parfaite, le risque d’exposition de prothèse est important. Il est important à ce titre de prévoir une désépidermisation interne du lambeau pour limiter le risque.


Les désunions ou nécroses de cicatrices dorsales nécessitent le plus souvent une reprise chirurgicale pour excision et suture si possible. En effet, la cicatrisation dirigée sur cette zone est souvent longue du fait de la lymphorrhée et de l’importance du décollement. Les pansements par pression négative peuvent apporter une aide à la cicatrisation, de même que les greffes de peau.


La lymphocèle dorsale reste un des inconvénients de ce type de chirurgie, sans qu’aucune méthode n’ait prouvé scientifiquement sa supériorité (capitonnage, drainage par Redon ou lame, colle biologique ou corticoïdes retard) [13]. Une des solutions reste la ponction itérative.


Le phénomène de coque périprothétique est souvent moins perceptible que dans les reconstructions par prothèse simple, du fait de l’épaisseur des tissus entre la peau et la prothèse. Néanmoins, celles-ci, comme les infections de prothèse, peuvent conduire au retrait de l’implant et faire discuter soit la remise en place d’une prothèse soit des séances itératives de lipofilling.


May 5, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on par lambeau de grand dorsal

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