Moyens osseux
Bones means
P. Chiron1, J.-P. Courpied2, L. Vastel2, J. Caton3, L. Barnouin3 and B. Vargas Barreto3
1Service de chirurgie orthopédique et traumatologique, CHU Rangueil-Toulouse, 1, avenue Jean-Poulhès, TSA 50032, 31059 Toulouse cedex 9
2Hôpital Cochin, Pavillon Ollier, 75674 Paris Cedex 14;
3Clinique orthopédique Emile De Vialar, 69003 Lyon
Résumé
Les révisions de prothèse totale de hanche de plus en plus fréquentes s’accompagnent de pertes osseuses qui peuvent être importantes. Le matériel de comblement de type osseux des pertes de substance lors des reprises de prothèse totale de hanche est largement utilisé. Il existe différents types de greffe et de matériel. La greffe la plus utilisable est l’autogreffe prélevée sur le patient. Chez les sujets généralement âgés, le volume osseux à compenser ne peut être complété par une simple autogreffe – pourtant le meilleur matériel – soit en raison de la trop grande quantité nécessaire, soit parce que la prise d’autogreffe alourdissant trop le geste chirurgical ne peut être utilisée. Les substituts osseux ne remplissent qu’incomplètement le cahier des charges de ce type de reconstruction à la fois cavitaire et structurale.
Ce type de chirurgie a recours de plus en plus souvent aux allogreffes. Celles-ci proviennent de banques d’os. Il existe des allogreffes spongieuses (tête fémorale) ou massives (cortico-spongieuses). Les allogreffes permettent d’effectuer des reconstructions plus importantes.
L’évolution de la règlementation a fait disparaître les banques d’os personnelles. L’utilisation d’allogreffes lyophilisées dévitalisées chimiquement et irradiées est une solution pour obtenir un matériel osseux nécessaire à la reconstitution des stocks osseux détruits par l’ostéolyse. Nous rappelons l’utilisation du procédé Phoenix® ainsi que les précautions sécuritaires, en particulier sur les infections bactériennes, virales ou fungiques. Les greffons fournis ne voient pas leur propriété biomécanique altérée par le traitement Phoenix®. Des essais cliniques ont été effectués donnant, à l’heure actuelle, des résultats très satisfaisants à plus de cinq ans.
Les différents types de greffe, les règles administratives entourant les banques d’os et une expérience de greffons traités et conservés sont rapportés dans ce chapitre.
Mots clés :
Summary
Revision of total hip arthroplasty is increasingly common and frequently accompanied by bone loss. Bone grafts are often necessary to correct this bone deficiency and different types of graft are used to rebuild an acceptable hip before fixing a new total hip prosthesis. Autografts taken from the patient are the most commonly used. However, in elderly persons, bone destruction may be too significant to be compensated by autograft alone, or harvesting of autograft may too greatly increase the extent of surgery; in such cases, other methods are required. Bone substitutes are useful to fill defects, but are not always strong enough to provide a reconstruction that can withstand strain.
Thus, this surgery frequently requires allografts, usually provided by bone banks. Their quality is variable: cancellous bone (i.e., femoral head from primary hip arthroplasty) or cortical bone of different types to strut against strain (complete cylindrical femur or a portion of same). Allograft allows major reconstruction.
The evolution of recommendations and regulations has led to the disappearance of local, personal bone banks using femoral heads from first intention surgery in hip arthritis. Lyophilized, chemically devitalized and radiated allografts provide a solution to obtain bone material to rebuild bone stock destroyed by osteolysis. We report the experience of using Phoenix® and the special precautions required for medical security, especially in preventing infections. The biomechanical quality of the graft is not disturbed by the Phoenix® preparation process. Clinical follow-up of more than five years shows integration and stability of these grafts.
This chapter develops the relevant data and discusses types of graft, bone bank regulations and clinical experiences using a type of lyophilized graft.
Comblement osseux lors des RPTH
P. Chiron
Le choix du meilleur matériel de comblement pour les pertes de substance osseuse [1] dans le cadre des reprises d’arthroplasties peut s’avérer très complexe lorsqu’on tient compte à la fois du terrain local et général, du type de perte de substance osseuse, des différents matériaux à notre disposition et des différents principes de reconstruction prothétique. Par ailleurs, les études prospectives et comparatives sont rares car chaque malade est en fait un cas particulier, les groupes de malades sont difficiles à appareiller, la qualité de l’intégration d’une greffe osseuse ou d’un substitut osseux, quel qu’en soit son type, est imparfaitement évaluée au vue de simples radiographies, de tomodensitométrie, d’IRM ou de scintigraphie. Les biopsies systématiques sont bien naturellement inexistantes si ce n’est dans des cas particuliers de reprises qui ne peuvent servir de référence.
C’est pourquoi, dans le cas de perte de substance osseuse, pour appliquer une stratégie thérapeutique consistant à évaluer pour chaque matériau de substitution les risques et les bénéfices, il faut bien connaître les différents moyens. Ainsi, pour chaque cas, il sera possible de réfléchir en commençant par les matériaux les plus simples à utiliser les moins risqués en terminant par les greffes à plus haut risque qui, bien entendu, ne devront être utilisées qu’à type d’exception. Dans tous les cas, il convient de respecter un certain nombre de règles simples : les éléments prothétiques doivent avoir une bonne stabilité primaire avec l’aide si nécessaire d’anneaux de soutien; le centre de rotation de la tête fémorale doit être correctement positionné.
Technique de reconstruction sans matériau de comblement
De nombreuses pertes de substance osseuse partielles du fût fémoral ou cavitaires de l’acétabulum ne nécessitent pas forcément un comblement si la stabilisation primaire des pièces prothétiques est assurée.
Les différentes techniques de reconstruction sans greffe peuvent elles-mêmes être classées en fonction de leur complexité et des risques. Ainsi, il est possible de réfléchir dans l’ordre à une reprise par une tige ou une pièce acétabulaire cimentée, par une tige ou une cupule standard non cimentée, une tige ou une cupule non cimentée vissée (figure 1), une prothèse fémorale à embase variable, une cupule cimentée renforcée par un anneau de soutien, une cupule à pivot, une cupule à bosse (Jumbo), une «fagottisation» des corticales d’un fût fémoral trop large autour de la tige.
Figure 1 |
Autogreffe spongieuse
Une autogreffe spongieuse est la meilleure des greffes. Elle sert de référence à tous les autres matériaux de comblement [2, 3]. Elle a de nombreuses qualités et notamment un pouvoir ostéo-conducteur idéal et un pouvoir ostéo-inducteur. Les cellules osseuses restent vivantes et les fragments osseux sont rapidement revascularisés (5 jours); la consolidation des fragments les uns par rapport aux autres se fait sans passage par une phase cartilagineuse au bout de quatre semaines [4]. Ce type de greffe résiste mieux que les autres en milieu septique. La présence de moelle autologue et l’absence de stérilisation secondaire confèrent à l’autogreffe un pouvoir ostéo-inducteur fort, qui favorise non seulement l’intégration de la greffe mais la vitalité des tissus osseux du site receveur. La quantité de greffe nécessaire est souvent surévaluée; il est possible d’obtenir des fragments osseux en autogreffe en combinant un certain nombre de fragments osseux prélevés sur le site opératoire et sur un prélèvement raisonnable des crêtes iliaques. Dans certains cas, il peut être utile de favoriser la stabilisation primaire grâce à l’utilisation d’une autogreffe cortico-spongieuse.
Cependant, l’autogreffe n’est pas disponible en quantité suffisante chez une personne âgée ostéoporotique ou chez un sujet ayant déjà fait l’objet d’un prélèvement de ce type. Le prélèvement de la greffe est une contrainte supplémentaire lors de l’intervention augmentant les pertes sanguines et la douleur post- opératoire. Si un malade nécessite une reprise d’arthroplastie d’un côté et une arthroplastie totale standard de la hanche de l’autre, il est tout à fait possible d’utiliser la tête fémorale prélevée d’un côté pour faire la greffe de l’autre. Il s’agit alors d’une autogreffe dans des conditions idéales. Cependant, la tête fémorale ainsi prélevée doit passer par le circuit des banques de tissus avec les différents prélèvements et tests nécessaires. Il convient de bien préciser au centre que cette greffe doit être conservée pour être réimplantée dans le cadre d’un don autologue qui est tout à fait légal (figures 2 et 3).
Figure 2 |
Figure 3 |
L’autogreffe spongieuse en dehors de ce cas particulier a une indication idéale lorsqu’elle est suffisante en quantité pour combler une perte de substance osseuse lors d’une reconstruction d’une arthroplastie septique en un ou deux temps.
Substituts osseux
Les substituts osseux de tout type, hydroxyapatite, phosphate tricalcique ou combinés, d’origine animale ou non, peuvent être utilisés pour combler des pertes de substance cavitaire [5] (figure 4). Cependant, les substituts osseux assurent avec difficulté une parfaite stabilité primaire et l’intégration, s’il existe une perte de substance supérieure à un centimètre, reste très aléatoire [6]. Ces substituts peuvent donc être utilisés en complément d’une autogreffe dont le volume est insuffisant, ou seuls si la stabilité primaire de l’implant peut être obtenue sans artifice. Les substituts osseux sous forme compacte, tels qu’ils sont utilisés dans les ostéotomies tibiales, ne sont pas réellement adaptés à la chirurgie reconstructrice fémorale ou acétabulaire, car leur réhabilitation est insuffisante.
Figure 4 |
Allogreffes [1, 7, 8 and 9]
Allogreffes de tête fémorales
Elles peuvent être utilisées sous différentes formes, allant de copeaux spongieux à une greffe cortico-spongieuse. L’intégration de ce type de greffe est légèrement retardée par rapport à une autogreffe, mais avec un délai qui ne dépasse pas un mois. L’intégration est de l’ordre de un centimètre à partir des berges. Cette difficulté à l’intégration peut faire réfléchir à la manière d’utiliser ces greffes; l’utilisation d’anneaux de renfort pour assurer la stabilité primaire des implants est une sécurité dont il ne faut pas se passer même lorsqu’on utilise une allogreffe de tête fémorale non morcelée dont la stabilité initiale paraît bonne. Les résultats des allogreffes de tête fémorales se rapprochent de ceux obtenus avec des autogreffes spongieuses [7, 8 and 9] (figure 5).
Figure 5 |
Le risque de transmission d’une maladie du donneur au receveur est devenu très théorique. L’utilisation depuis plus d’une trentaine d’années de ce type de greffe n’a jamais conduit à la transmission d’une maladie connue. Ces greffes sont prélevées de manière stérile chez des donneurs vivants. Actuellement, le circuit des banques de tissus, réglementé par l’Établissement français des greffes paraît fiable. Il est possible de proposer des méthodes complémentaires de sécurisation des allogreffes des têtes fémorales. Les diverses méthodes de sécurisation doivent être évaluées, tant en ce qui concerne l’incidence sur l’incorporation des greffes (la plupart des méthodes altérant les facteurs de croissance), que leur toxicité.
Une allogreffe de tête fémorale ne doit pas être utilisée en première intention. Cependant, dans bien des cas, ces greffes restent aujourd’hui le meilleur matériau de comblement en quantité suffisante et suffisamment malléable pour reconstruire les pertes de substance osseuse acétabulaire ou les pertes de substance cavitaire fémorale, par exemple selon la technique de comblement cimentage d’Exeter.
Allogreffes massives
Certaines pertes de substance osseuse segmentaires peuvent conduire à utiliser des allogreffes massives tant au niveau du cotyle que du fémur.
Au niveau du cotyle, les greffes acétabulaires pourraient être indiquées pour certains lorsque la perte de substance osseuse dépasse 10 centimètres vers la sacro-iliaque ou atteint l’articulation sacro-iliaque. Pour d’autres, il semble qu’il soit possible d’obtenir une reconstruction suffisante à l’aide d’allogreffe de tête fémorale et de renfort acétabulaire.
Au niveau du fémur, des greffes fémorales segmentaires, encastrées ou apposées, peuvent venir en complément d’une reconstruction par tige. Il est bien évident que ce type de greffe ne peut être utilisé que dans des cas particuliers lorsque aucune autre solution ne paraît fiable (figure 6).
Figure 6 |
La réalisation d’irradiation pour sécuriser des allogreffes massives peut être à l’origine de fracture secondaire.
Autogreffe massive [10]
La mauvaise intégration de certaines allogreffes massives peut pousser à utiliser une autogreffe massive dans certains cas de reconstruction importante d’une perte de substance osseuse du bassin, notamment lors de la chirurgie tumorale en l’absence d’arthroplastie antérieure. L’extrémité supérieure du fémur peut être ainsi utilisée pour reconstruire la poutre pelvienne correspondant à l’éperon de Rouvière et dont la biomécanique a été décrite par Puget. Une arthroplastie de reconstruction remplace l’extrémité supérieure du fémur réséquée. Il s’agit là d’un cas de reconstruction extrême, mais qui, en balance avec des allogreffes massives de bassin ou des prothèses massives de reconstruction, donne de bons résultats à long terme (figure 7).
Figure 7 |
En synthèse, il convient pour chaque malade de tenir compte du type de reconstruction que l’on compte utiliser, du type de perte de substance osseuse, de la qualité de l’os du malade; il faut réfléchir tout d’abord s’il n’est pas possible de réaliser une reconstruction sans greffe; si une autogreffe ne pourrait pas être utile notamment dans le cadre des reprises septiques; si un substitut osseux ne pourrait pas être suffisant pour une petite perte de substance osseuse cavitaire ne modifiant pas la stabilité primaire des implants; si une allogreffe de tête fémorale morcelée ou non morcelée, en association avec un anneau de soutient, ne pourrait pas permettre à combler une perte de substance osseuse qui entraîne une perte de la stabilité primaire de la prothèse. Enfin, dans certains cas particuliers et extrêmes, s’orienter vers l’utilisation d’allogreffe corticale.
Perspectives d’avenir
La thérapie cellulaire et le génie génétique nous laissent espérer la possibilité de pouvoir faire pousser du tissu osseux rapidement ou du moins d’augmenter la capacité des greffes actuellement utilisées à s’intégrer [11, 12, 13, 14, 15 and 16].
Cependant, ces différentes solutions restent encore expérimentales et nécessitent de nombreuses études difficiles à mettre en œuvre. Le coût des protéines ostéo-inductrices limitera de toute façon leur utilisation. Il est possible d’augmenter la capacité d’intégration des greffes en utilisant des facteurs de croissance sous forme d’autogreffe par simple prélèvement de moelle ou centrifugation de la moelle afin de prélever les facteurs plaquettaires ou les cellules progénitrices ayant une activité plus spécifique [12, 17, 18] (figure 8). Il convient alors de réaliser de préférence les différentes manipulations au bloc opératoire, ce qui permet un meilleur contrôle de l’ensemble des gestes et évite de se référer à des lois complexes concernant la transformation des tissus humains.
Figure 8 |
Aspects théoriques et réglementaires de l’utilisation d’autogreffes
J.-P. Courpied, L. Vastel
Cadre réglementaire
L’activité de prélèvement, de conservation, et de sécurisation du tissu osseux allogénique est depuis les lois de bio-éthiques de 1994 très encadrée. Ainsi, seuls désormais les organismes agréés par l’Agence française de sécurité sanitaire sont autorisés à conserver, transformer et distribuer les tissus utilisés dans un but thérapeutique. Ils doivent respecter des règles de bonnes pratiques fixées par décret et concernant leur équipement, leur personnel, leur statut (public, ou à but non lucratif exclusivement), leurs procédures internes, et les modalités de la traçabilité des greffes : documents, archivage, étiquetage, transport… [19]. Les modalités d’importations sont également définies par les textes fixant l’obligation de transit des greffons par une banque agréée, qui doit s’assurer que l’origine des tissus et les procédés de sécurisation employées sont conformes à la réglementation française. Enfin, la loi désigne clairement le chirurgien comme responsable de l’implantation du greffon comme de son prélèvement lorsqu’il le réalise. Celui-ci, pour chaque implantation, doit pouvoir justifier de la nécessité d’une greffe (responsabilité normale de son geste thérapeutique), au regard de son risque potentiel. Il doit s’adresser à une banque agréée, prendre connaissance des résultats du bilan de sécurisation et respecter les règles de traçabilité édictées par les textes et formalisées par les banques lors de la délivrance des greffons [20].
Origine des greffons
Le tissu osseux a actuellement deux provenances : d’une part les têtes fémorales ôtées à l’occasion d’une arthroplastie de hanche, qui ont le statut de résidus opératoires et peuvent être prélevées, avec le consentement du donneur, dans tous les établissements de soins. D’autre part, les segments osseux massifs, prélevés le plus souvent dans le cadre des prélèvements multi-organes, dans des établissements autorisés, sous le contrôle de la coordination régionale de l’Agence de biomédecine. Les donneurs doivent ne pas avoir fait connaître de leur vivant une opposition à un tel don, et le témoignage de la famille sur ce point est systématiquement recueilli [19].
Sécurisation des greffes
Bilan de sécurisation usuel
Ce bilan comprend obligatoirement trois étapes. La première est une sélection des donneurs permettant d’écarter du don les personnes comportant un risque accru de transmission d’une pathologie au receveur. Sont ainsi exclues les personnes ayant des antécédents infectieux (bactérien et viraux personnels ou familiaux, de maladie de Creutzfeldt-Jakob), tumoraux ou présentant une maladie systémique d’étiologie encore mal connue. Certains critères sociaux, correspondant à un risque accru d’être en phase de séroconversion virale, interdisent aussi le prélèvement. Pour des raisons liées à l’utilisation ultérieure de la greffe, les antécédents traumatiques, les radiations ionisantes, ou la nécrose de la tête fémorale sont également des critères d’exclusion.
La deuxième étape consiste en un bilan biologique comprenant les sérologies des hépatites B et C, du HTLV, de la syphilis, et du VIH, le dosage de l’antigène P24.
Une anomalie de ce bilan est un critère de rejet du greffon. Un examen bactériologique est par ailleurs systématiquement réalisé.