7. Organisation de l’exploration oculaire dans le cadre d’un traitement de l’évitement du contact visuel
F. Giuliani, J. Favrod, C. Bonsack and F. Schenk
L’étude des mouvements oculaires dans l’exploration d’une scène visuelle est largement abordée depuis plus de soixante-dix ans. D’un côté, l’étude des divers aspects du message sensoriel a permis de définir les conditions de l’acte perceptif (temps de réaction oculomoteur, seuils d’excitabilité par un stimulus lumineux, seuils de discrimination, acuité visuelle, etc.) ; de l’autre, l’étude de l’intégration de ces messages a permis de définir la notion de performances perceptives. En sciences humaines, l’étude des mouvements oculaires est souvent utilisée, d’une part, comme un outil d’observation des indicateurs d’une activité mentale ou d’un fonctionnement spatial et, d’autre part, comme un moyen de vérification des modèles comportementaux. Dans l’étude d’une scène visuelle, par exemple, l’analyse de l’emplacement, du nombre et de la durée des fixations oculaires, de l’amplitude des saccades et des variations de la direction du regard nous donne autant d’indices des opérations mentales de traitement des informations visuelles qui se déroulent d’une façon automatique ou contrôlée. Ainsi les premiers travaux portant sur l’oculométrie datent déjà de 1935.
Buswell, professeur de psychologie à l’Université de Chicago (Buswell, 1935), fut le premier à publier un ouvrage intitulé How people look at pictures. Sa contribution fut très importante dans l’histoire de l’oculométrie, car il fut le premier à analyser les points de fixation de deux cents sujets dans une scène visuelle. Il observe que les points de fixation sont corrélés aux informations contenues dans l’image et qui sont pertinentes pour le sujet. Une décennie plus tard, Brandt (1945) publiait un ouvrage sur l’oculométrie dans la publicité. Son investigation portait sur le rôle joué par les mouvements oculaires dans les stratégies d’apprentissage. Yarbus (1967) montra que l’attention à une scène visuelle dépend des attentes du sujet face au contenu des images et à leur pertinence subjective. Ainsi, les fondements du rôle des mouvements oculaires dans l’attention et l’émotion étaient posés.
Plus récemment, les recherches se sont orientées vers un autre axe de compréhension : les structures oculomotrices hiérarchiquement plus élevées, c’est-à-dire vers les aires oculomotrices corticales et leurs connexions sous-corticales. Les avancées majeures réalisées dans ce domaine ont révélé l’importance des liens qui associent la motricité oculaire et la cognition. Par conséquent, les mouvements oculaires apparaissent aujourd’hui comme un outil privilégié pour l’exploration de fonctions cognitives aussi variées que la prise de décision, le contrôle de l’attention, la mémoire de travail, les capacités de prédiction ou encore les phénomènes d’adaptation. L’analyse des mouvements oculaires a donc été progressivement intégrée à l’étude de patients neurologiques ou psychiatriques atteints de schizophrénie et présentant des troubles cognitifs. Les premières études oculomotrices de patients schizophrènes remontent à plus de trente ans (Pass et coll., 1978). Elles étaient essentiellement consacrées à l’analyse de la poursuite oculaire, tâche dans laquelle le sujet doit suivre attentivement des yeux une cible en mouvement. Outre la difficulté à rester concentrées sur la cible visuelle, les personnes atteintes de schizophrénie présentent des anomalies complexes de l’initiation de la poursuite, qui seraient en partie le reflet d’une dysfonction des capacités à prédire la trajectoire d’une cible en mouvement.
Depuis les années 2000, une vingtaine de recherches ont à nouveau vu le jour sur l’utilisation de l’oculométrie dans une compréhension de mécanismes sociaux, recherches qui ont été initiées dans les années 1980. En effet, le contact visuel est probablement le signal social le plus important. Le contact visuel est utilisé pour réguler le tour de parole dans une conversation, exprimer la familiarité. Comme l’a soulignéKleinke (1986), le contact visuel permet de percevoir les valeurs sociales positives et négatives : interprétation des signes d’hostilité et de colère tout aussi bien que l’interprétation des signes de gentillesse, de séduction et d’intérêt. Récemment, il a été démontré que les points de fixation étaient liés à l’expression faciale. Les expériences montrent qu’il y a plus de points de fixation lorsqu’il s’agit d’une émotion positive que lorsqu’il s’agit d’une émotion négative (Adams et Kleck, 2003 ; 2005). Les premiers à proposer un modèle dans lequel ils décrivent comment les humains combinent les informations du regard, du visage et du corps dans les compétences sociales furent Emery et coll. (1997) et Baron-Cohen et coll. (1997). Pour eux, les adultes, mais aussi les enfants et les bébés, ont une préférence marquée pour les yeux par rapport aux autres parties du visage ou du corps (telles que la bouche ou les mains). Ces résultats ont d’ailleurs été largement étayés empiriquement (Mackworth et Morandi, 1967 ; MacRae et coll., 2002 ; Vecera et Johnson, 1995). Ces hypothèses sont confirmées également par les travaux effectués dans l’anxiété sociale ou la phobie sociale. L’anxiété sociale est souvent caractérisée par une peur considérable des autres (Clark et Wells, 1995) ; le contact visuel étant clairement un signal d’interaction sociale, pour les personnes souffrant de phobie sociale, l’évitement du contact visuel pourrait être un comportement sécurisant. De plus, comme ces chercheurs l’ont démontré (Horley et coll., 2004 ; Wieser et coll., 2009), la peur engendrée par l’anxiété sociale ferait augmenter le niveau de vigilance donc, par la même occasion, le niveau attentionnel, celui-ci pouvant être mesuré au niveau de la dilatation de la pupille.
Dans ce chapitre, nous nous proposons de décrire l’oculométrie non seulement dans un objectif de compréhension de déficit, mais aussi dans un but thérapeutique, notamment pour corriger l’évitement du contact visuel chez un patient souffrant d’une schizophrénie paranoïde.
Oculométrie et schizophrénie
Anomalies du contact visuel dans la schizophrénie
Un dysfonctionnement de la poursuite visuelle continue (Smooth pursuit eye movement, SPEM) est un trait qui apparaît chez 40 à 80 % des personnes atteintes de schizophrénie (Holzman et al., 1973 and Holzman et al., 1974). Il s’agit du déficit le plus fréquemment répliqué dans la littérature psychophysiologique concernant la schizophrénie (O’Driscoll et Callahan, 2008). Cette anormalité du mouvement oculaire ne ressort que lorsque le sujet suit une cible mouvante. Le plus souvent, le sujet doit suivre un point lumineux qui se déplace de façon sinusoïdale, dans un mouvement de va-et-vient sur un écran. Le mouvement peut également être triangulaire ou carré. La plupart des sujets contrôles parviennent à suivre le point lumineux de façon homogène et régulière. En revanche, chez les patients présentant un dysfonctionnement, le mouvement oculaire sera irrégulier, saccadé, avec des secousses et des changements de direction. Ces irrégularités viennent du fait que l’œil se déplace plus lentement que la cible et que, pour compenser les retards, des mouvements rapides sont produits de manière répétitive pour suivre la cible (saccades). Comme cette anomalie survient chez 25 à 40 % des parents du premier degré des personnes atteintes de schizophrénie (Chen et coll., 1999 ; Holzman et coll., 1974), l’idée que cette manifestation pouvait être un marqueur de la maladie ou une manifestation pléiotropique a été émise (Holzman, 2000 ; Trillenberg et coll., 2004). Toutefois, les travaux récents indiquent que les parents de personnes atteintes de schizophrénie ne diffèrent pas des sujets contrôles (Brownstein et coll., 2003 ; De Wilde et coll., 2008) ou que des problèmes méthodologiques au niveau des critères de sélection des groupes étudiés ne permettent pas de confirmer cette hypothèse (Levy et coll., 2004). Une autre hypothèse explorée est que les troubles du tracé visuel soient associés davantage au syndrome déficitaire qu’au syndrome productif (Ross, 2000). Ils auraient une pathophysiologie sous-jacente commune et représenteraient un sous-type de schizophrénie, caractérisé par des déficits neuropsychologiques, des mouvements oculaires anormaux et d’autres anomalies neurocognitives. Pourtant cette hypothèse nécessite des recherches supplémentaires. Au niveau du tracé visuel, on sait néanmoins que sur des figures géométriques ou sur des images fixes, on observe davantage un tracé de mouvements plus étroits chez les patients avec des symptômes négatifs (Gaebel, 1989 ; Kojima et coll., 1990 ; 1992), et l’on observe un tracé plus élargi (moins de points de fixation de courte durée, mais des distances plus longues entre les points) chez les patients avec des symptômes positifs (Gaebel et coll., 1986 ; 1987).
L’impact des neuroleptiques a été peu étudié. Si les premiers travaux ont été réalisés avant l’introduction des neuroleptiques, ils ont été effectués sans les techniques oculographiques modernes. Il y a peu d’études qui focalisent directement sur l’impact des neuroleptiques, et si c’est le cas, les périodes d’arrêt de neuroleptiques ont été trop brèves pour en supprimer les effets potentiels sur la poursuite visuelle continue (Siever et coll., 1986, Spohn et coll., 1988). Quelques études ont en revanche montré que les neuroleptiques conventionnels administrés à des volontaires sains pouvaient conduire à des altérations importantes des performances de poursuite visuelle continue (King, 1994 ; Malaspina et coll., 1994). Chez des personnes atteintes de schizophrénie, on observe une baisse des performances de poursuite visuelle avec la clozapine, en comparaison avec des neuroleptiques traditionnels (Friedman et coll., 1992 ; Litman et coll., 1994). L’introduction d’un neuroleptique atypique chez des patients vierges de neuroleptiques est accompagnée d’une baisse des performances de poursuite visuelle ; ces effets continuent à un an de suivi, même si la qualité des poursuites a tendance à se normaliser (Lencer et coll., 2008). Il est donc difficile d’assurer que les déficits de poursuite visuelle ne sont pas associés également au traitement neuroleptique (Hutton et Kennard, 1998). La nicotine peut aussi améliorer les performances de poursuite visuelle chez des personnes atteintes de schizophrénie (Larrison-Faucher et coll., 2004 ; Tanabe et coll., 2006). La population de personnes atteintes de schizophrénie est connue pour consommer plus fréquemment du tabac que la population générale, et cette consommation semble être en lien avec le traitement neuroleptique (Barr et coll., 2008). Le déficit de la poursuite visuelle continue reste pourtant la mesure neurocognitive la plus puissante pour différencier les personnes atteintes de schizophrénie des sujets contrôles (O’Driscoll et Callahan, 2008).
Pauvre contact visuel et schizophrénie
Le jugement de compétence sociale et d’appréciation positive d’autrui est fréquemment associé à un bon contact visuel (Kirkpatrick et coll., 2006). Il existe toutefois peu d’études ayant spécifiquement observé ce comportement chez des personnes atteintes de schizophrénie dans des conditions d’interactions sociales. Pitman et coll. (1987) ont montré que les personnes atteintes de schizophrénie établissent moins de contact visuel que les sujets contrôles lors d’une interview. Dans le cadre d’une étude conduite par Davidson et coll. (1996), les personnes atteintes de schizophrénie ont tendance à montrer moins de comportements faciaux, comparativement à des personnes atteintes de dépression, de démence ou de Parkinson, lors d’un entretien clinique standardisé, notamment en ce qui concerne les signes d’acquiescement de la tête et les sourires.
En comparaison des autres populations étudiées, le contact visuel avait tendance à être plus long chez les personnes atteintes de schizophrénie quand elles parlaient que lorsqu’elles étaient silencieuses. Il pourrait éventuellement s’agir d’un problème spécifique du comportement visuel dans le tour de parole, qui contribuerait à des problèmes de fonctionnement interpersonnel. Dans une interaction à deux personnes, le locuteur a tendance à terminer sa prise de parole par un contact visuel prolongé, pour communiquer à son auditeur que c’est à son tour de parler. La reprise du tour de parole se fait également par une reprise du contact visuel. L’évitement du contact visuel avant son tour de parole peut être un moyen utile pour organiser sa pensée, et le contact visuel ensuite est une manière de recevoir un feedback. Cependant, les recherches plus récentes indiquent que les tours de paroles dépendent fortement de variables contextuelles et des motivations personnelles des interlocuteurs (Kleinke, 1986). L’interaction avec des personnes atteintes de schizophrénie semble ainsi varier selon le partenaire (Nisenson et Berenbaum, 1998). Les patients, comme n’importe qui, sourient davantage avec certaines personnes qu’avec d’autres. En revanche, le contact visuel semble être plus indépendant de l’interlocuteur.
Malgré le peu d’études sur le contact visuel, plusieurs échelles qui mesurent les symptômes négatifs utilisent la pauvreté du contact visuel comme item, par exemple la Scale for assessment of negative symptoms, ou SANS (Andreasen, 1989) ou la Negative symptom rating scale, ou NSRS (Kirkpatrick et coll., 2006). Toutefois, ces échelles ne permettent pas de spécifier si une personne atteinte de schizophrénie évite le contact visuel à cause d’un symptôme négatif primaire ou secondaire. Un symptôme négatif primaire serait un comportement déficitaire lié à l’émoussement affectif ou à l’apathie. Un symptôme négatif secondaire serait une réaction à un autre problème. Quelqu’un peut éviter le contact visuel à cause d’idées de référence ou de persécution. Il s’agirait alors d’un comportement de sécurité comme dans la phobie sociale (Freeman et coll., 2001). La continuité entre la peur du jugement d’autrui, le sentiment d’être observé et les idées de persécution (Freeman et coll., 2005). suggère qu’il y a peut-être des biais d’attribution dans la façon dont les patients se sentent regardés. Souvent, les personnes atteintes de schizophrénie ont l’impression subjective que les autres dirigent leur attention vers eux.
Biais dans la perception du regard d’autrui chez les patients souffrant de schizophrénie
Il y a relativement peu d’études sur la perception du regard d’autrui dans la schizophrénie. Une première étude a investigué la perception de la direction du regard en utilisant des diapositives de visages avec un regard direct ou détourné (Rosse et coll., 1994). Les sujets devaient identifier, sans limite de temps, si la personne les regardait. Les personnes atteintes de schizophrénie avaient plus de chances que les sujets du groupe contrôle de dire que la personne sur l’image les regardait, même quand le regard était détourné. Ce résultat suggère un biais autoréférentiel. Le patient se sent visé ou concerné par le regard de l’autre. Cette étude ne permet pas de dire s’il s’agit d’un déficit spécifique de la perception du regard, d’un déficit général de la perception ou d’une distorsion cognitive.
Franck et coll. (1998) ont investigué les capacités de perception du regard de patients avec un diagnostic de schizophrénie, en utilisant trente portraits dont les regards se portent en direction de la droite ou de la gauche. Les patients n’ont pas montré d’altération sur le plan perceptuel. Il semble dès lors que les jugements erronés sur le regard peuvent être influencés par des mécanismes cognitifs plus sophistiqués. Dans une seconde étude, Franck et coll. (2002) ont étudié non seulement comment les sujets identifient la direction du regard, mais aussi si les sujets se sentent regardés ou non. Là, les auteurs ont utilisé le regard centré et six autres déviations gauche et droite du regard à 5, 10, 15, 20, 25 et 30 degrés d’inclinaison dans chaque direction. Les résultats indiquent que les patients prenaient plus de temps pour décider si le portrait les regardait que pour déterminer si le regard était orienté vers la gauche ou la droite. Les sujets contrôles ne diffèrent pas dans le temps de réponse des deux tâches. Ce résultat renforce l’idée que les capacités perceptuelles des patients sont intactes et que leur jugement de regard mutuel est associé à des niveaux d’analyse plus complexes.
Une étude de Hooker et Park (2005) indique que les patients avec un diagnostic de schizophrénie ont une tendance à juger que les autres les regardent, alors que ce n’est pas le cas. La comparaison avec une tâche contrôle dans laquelle les sujets devaient déterminer si un carré noir était au centre d’un rectangle blanc montre que la tendance des patients à interpréter le regard comme dirigé sur eux n’est pas lié à un déficit perceptuel. Même lorsque le regard est dévié de 30 degrés, les patients jugent que le portrait les regarde significativement davantage que le groupe contrôle ; pourtant cette différence n’apparaît pas pour les stimuli géométriques. Les patients et les contrôles ne diffèrent pas sur l’identification d’un regard direct. Cette étude indique que si un patient suspecte la possibilité que quelqu’un pourrait le regarder, il va vraisemblablement décider que c’est le cas et agir en conséquence.
L’ensemble de ces données suggère que les patients souffrant de schizophrénie éprouvent une plus grande difficulté à identifier l’intention d’autrui à leur égard, et non une simple difficulté avec les jugements directionnels ou angulaires, indépendamment de la possibilité d’un engagement social. Cette observation corrobore l’expérience clinique, notamment quand les patients avec des idées de référence ou de persécution nous disent qu’ils se sentent observés et regardés. Lors d’expositions comportementales dans la rue, le sentiment d’être observé est souvent lié au simple fait que les gens ont des yeux et pas forcément à la détection de regards directs.
Perception de la menace sociale
L’interprétation correcte des émotions transmises par les expressions faciales est essentielle à la communication. Les investigations de l’attention visuelle à des éléments liés à une menace sociale montrent un évitement du contact visuel chez des sujets ayant une propension à délirer ou un délire franc. Les sujets enclins à délirer réduisent leurs fixations sur des visages exprimant la colère ou la peur (Green et coll., 2003). Chez les personnes atteintes de schizophrénie et cliniquement délirantes, on observe une réduction des fixations et de leur durée sur des visages exprimant la peur, la tristesse ou la colère comparativement à des sujets sains (Green et coll., 2003). Lorsqu’on compare des personnes atteintes de schizophrénie, délirantes ou non, on constate que les personnes délirantes démontrent significativement moins de points de fixation sur des visages exprimant la peur (Green et coll., 2003). La réduction du tracé visuel sur les caractéristiques spécifiques de la menace indique, chez les patients délirants, que la zone des yeux est particulièrement périlleuse pour les sujets paranoïdes. Ce phénomène s’observe également sur des visages neutres (Phillips et David, 1997). Ces données doivent être interprétées en prenant en compte les études antérieures du tracé visuel scanné dans le domaine de la schizophrénie et qui ont montré un pattern robuste de tracé rétréci (moins de fixation de durée plus longue et de plus petites distances entre les points de fixation), tant avec les visages neutres (Phillips et David, 1997 ; 1998 ; Williams et coll., 1999) qu’avec les visages exprimant des émotions (Loughland et coll., 2002 ; Streit et coll., 1997). Les patients délirants semblent avoir moins de points de fixation, mais plus espacés. Dans une étude de Phillips et coll. (2000), les participants regardaient des situations sociales évaluées comme étant neutres, ambiguës ou clairement menaçantes. Les patients schizophrènes délirants ont montré une appréhension réduite des zones menaçantes sur les scènes ambiguës et une augmentation de la fixation dans les zones non menaçantes. Tous les sujets regardaient davantage la situation clairement menaçante que la situation ambiguë. Cette étude indique que les idées de persécution peuvent être associées à la perception de menace dans des endroits inappropriés dans des contextes ambigus. Il serait intéressant d’étudier dans quelle mesure ce phénomène est lié à une intolérance au flou (Colbert et Peters, 2002).
En résumé, les études du tracé visuel scanné montrent que les personnes avec schizophrénie et idées délirantes regardent moins les caractéristiques saillantes des expressions faciales ou de situations sociales liées à la menace. Cet évitement pourrait être une conséquence d’une sensibilité anormale aux stimuli menaçants. Il s’agirait d’une stratégie pour réduire l’anxiété associée à la perception de stimuli sociaux menaçants, qui surviendrait durant les étapes plus tardives du traitement de l’information visuelle et servirait de facteur de maintien des idées délirantes. Cette hypothèse s’appuie sur le fait que le traitement pré-attentif de mots se référant aux thèmes délirants en utilisant la procédure de Stroop indique que les patients avec des idées délirantes sont plus lents lorsqu’ils doivent identifier la couleur d’un mot au moment où celui-ci représente quelque chose de menaçant, en comparaison avec des mots neutres ou reliés à des affects négatifs (Bentall et Kaney, 1989).
Il existe peu d’études qui ont cherché à améliorer spécifiquement le contact visuel dans la schizophrénie, sauf dans le domaine de l’entraînement des habiletés sociales où cette variable est depuis longtemps traitée (Finch et Wallace, 1977 ; Liberman et coll., 1986 ; Silverstein et coll., 2009). Dans ce chapitre, nous voulons montrer comment on peut utiliser un traceur visuel mobile pour corriger l’évitement du contact visuel, chez un patient atteint d’une schizophrénie avec idées de références associées à des hallucinations auditives et des intrusions dans la pensée.
Méthode
Sujet
Notre sujet est un patient de 40 ans qui souffre d’une schizophrénie paranoïde. La durée de la maladie est de 18 ans. Il travaille régulièrement dans un atelier protégé et vit seul dans un appartement indépendant. Il a une relation amoureuse stable depuis plusieurs années. Il présente des hallucinations auditives ou des pensées intrusives qui insultent autrui. Ces symptômes sont accompagnés de l’idée que les autres pourraient lire dans ses pensées. Il fait face à cette idée en évitant le contact visuel. Suite à une thérapie des symptômes psychotiques, on observe une baisse importante des hallucinations et des pensées intrusives, ainsi qu’une réduction notable de la croyance que les autres peuvent lire dans son esprit. Toutefois, l’évitement du regard d’autrui persiste et reste l’un des derniers stigmates de la maladie. Il s’agit d’une personne ayant tendance à l’abnégation et au sacrifice. Il est très gentil et généreux avec autrui. Le patient est sous faible dose de neuroleptique atypique correspondant à 100 mg d’équivalents chlorpromazines. En termes d’analyse fonctionnelle, le patient est conscient, suite à l’intervention cognitive, que les hallucinations auditives ou les pensées intrusives sont directement associées à l’expression de la colère. L’évitement du contact visuel est une conséquence de l’idée qu’on pouvait lire dans ses pensées, ce qui le dérange particulièrement quand les pensées intrusives ou les hallucinations profèrent des insultes. Les symptômes psychotiques ont quasiment disparu mais peuvent survenir lorsque le patient n’a pas exprimé de colère dans une situation pourtant blessante ou frustrante.
Appareillage
Le « Mobile Eye » est un système d’oculométrie adapté à des utilisations libres et sans contrainte, puisque ce système est mobile et ne nécessite pas d’être utilisé en laboratoire. On peut s’en servir n’importe où, car le système optique est extrêmement léger (76 g) et discret, se portant comme une paire de lunettes, et son dispositif d’enregistrement assez petit pour être porté à la ceinture grâce à une sacoche.

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