17. Neuroleptiques
INTRODUCTION
Les neuroleptiques sont souvent appelés «antipsychotiques». Certains auteurs leur reconnaîtraient trois pôles d’activité: un pôle sédatif par action adrénolytique, un pôle antihallucinatoire par action dopaminolytique, un pôle désinhibiteur par action dopaminergique.
DÉRIVÉS DE LA PHÉNOTHIAZINE
De nombreux dérivés de la phénothiazine ont été proposés à la suite de la chlorpromazine. Ils modulent l’action de la chlorpromazine sans s’en écarter de façon importante.
Chlorpromazine. Largactil
La chlorpromazine est le premier neuroleptique. Elle a permis d’individualiser cette classe de médicaments dont elle demeure le chef de file.
Action sur le système nerveux central
La chlorpromazine déprime le SNC, et entraîne une inhibition psychomotrice, une perte de l’initiative, un ralentissement du cours de la pensée, l’allongement du temps de réaction, la neutralité émotionnelle et l’indifférence affective. Les mouvements sont ralentis, l’attitude et la mimique figées. Elle induit de la catalepsie (conservation des attitudes imposées) et une diminution du tonus musculaire. Elle provoque la fermeture des paupières ou blépharoptose (ou ptosis).
D’un point de vue électrophysiologique, sous son influence on observe une dépression des potentiels évoqués par stimulation sensorielle dans la substance réticulée, une synchronisation corticale chez le chat à encéphale isolé (section cervicale de la moelle) mais non chez le chat à cerveau isolé (section intercolliculaire, entre les tubercules quadrijumeaux et au-dessus du pont de Varole), une abolition de la réaction d’arrêt consécutive à la stimulation chimique de la substance réticulée (par amphétamine, ésérine, nicotine, mescaline ou lysergamide).
La chlorpromazine, quoique sédative, n’est pas à proprement parler hypnotique puisqu’une stimulation extérieure entraîne une réaction. Elle efface néanmoins les réflexes conditionnés et les comportements acquis Elle diminue l’agressivité des rats «tueurs» dont le septum a été détruit, des rats tueurs interspécifiques, des souris mâles isolées.
La chlorpromazine est hypothermisante.
Elle potentialise l’action hypnotique des barbituriques et des anesthésiques généraux, l’action analgésique de la morphine et des salicylés, l’action anesthésique locale de la procaïne, l’action paralysante des curares.
Elle ne modifie pas ou accroît les convulsions à la strychnine, au pentétrazol ou dues à l’électrochoc.
Elle s’oppose aux effets excitants centraux de l’amphétamine, de la cocaïne, de la caféine, du nicéthamide et empêche les vomissements provoqués par l’apomorphine (effet dopaminergique de l’apomorphine sur le «trigger-zone» chimiosensible de l’area postrema).
Action sur le système nerveux autonome
La chlorpromazine diminue les réactions émotionnelles neurovégétatives par une action sympatholytique et une action parasympatholytique. Par la première, elle bloque les effets hypertenseurs de l’adrénaline en les inversant, elle diminue les effets de la noradrénaline et de la stimulation des chaînes sympathiques. Par la seconde, elle inhibe faiblement la salivation et la sécrétion gastrique.
Autres actions
La chlorpromazine possède des propriétés antihistaminiques H1 et elle antagonise la sérotonine.
Actions sur le système endocrinien
La chlorpromazine libère les gonadostimulines hypophysaires (FSH et LH), l’hormone thyréotrope (TSH) et l’hormone corticoadrénotrope (ACTH) en agissant sur l’hypothalamus. Elle abolit ensuite les sécrétions de l’hormone folliculostimulante FSH, de l’hormone lutéotrope (LH), de TSH et de l’ACTH.
Elle provoque une brève décharge de l’hormone antidiurétique (ADH) puis, à forte dose, en inhibe la synthèse et la libération.
Action sur le système cardio-vasculaire
La chlorpromazine, hypotensive, diminue la résistance vasculaire périphérique par une action directe sur la fibre lisse et par une inhibition des centres vasomoteurs. Elle dilate les vaisseaux coronariens et diminue la conductivité intracardiaque.
Action sur le système hémopoiëtique
La chlorpromazine en début de traitement entraîne une hypoleucocytose, suivie dans le traitement prolongé par une hyperleucocytose.
Mécanismes d’action
Au niveau de la formation réticulée du mésencéphale, la chlorpromazine inhibe les éléments activateurs et stimule les éléments inhibiteurs. En effet, le seuil de stimulation électrique de la substance réticulée est accru. On observe l’apparition d’ondes lentes irrégulières à l’électroencéphalogramme. Une stimulation sensorielle ou nociceptive intense provoque une réaction d’éveil de courte durée. Les afférences sinocarotidiennes et cardio-aortiques produisent des effets inhibiteurs.
La chlorpromazine inactiverait le système mésolimbique et le système nigrostriatal en s’opposant aux effets centraux de la noradrénaline et de la dopamine. Elle agirait également sur les mécanismes centraux cholinergiques. La chlorpromazine se fixerait sur des récepteurs dopaminergiques centraux en les bloquant, ce qui expliquerait son effet antiémétique et son effet extrapyramidal. La chlorpromazine se fixerait sur le récepteur D2.
Une théorie plus récente fait intervenir une augmentation des récepteurs D2 du cortex cérébral (up-regulation) et une diminution des récepteurs D1 (downregulation).
Pharmacocinétique et effets latéraux
La chlorpromazine, rapidement absorbée par voie buccale, présente une demivie sanguine de 10 à 30 heures. Elle subit plusieurs transformations: elle est métabolisée en sulfoxyde et dérivé sulfoné, hydroxylée en position 3 et 7, déméthylée avec formation du dérivé N-monométhyle. Les dérivés hydroxylés sont glycuroconjugués et excrétés par le rein. L’élimination urinaire est prédominante quoique l’on observe une élimination digestive associée à un cycle entérohépatique.
L’administration de la chlorpromazine détermine une sécheresse des muqueuses (par effet parasympatholytique), une hypotension orthostatique (par effet sympatholytique), de la somnolence, des vertiges et des ictères par cholostase. Ont été constatées des réactions allergiques, comme une sensibilisation cutanée à la face et aux mains du personnel hospitalier.
En traitement prolongé, la chlorpromazine provoque l’apparition d’un syndrome parkinsonien soigné par le trihexyphénidyle et non par la lévodopa. Apparaissent également de la galactorrhée et de l’hyperleucocytose.
Le syndrome malin des neuroleptiques, rare, est traité par le dantrolène, myorelaxant (voir p. 111). Il serait dû à un déséquilibre du rapport noradrénaline/dopamine par déplétion en dopamine du système nerveux central. Il se manifeste par une hyperthermie, des tremblements, des troubles neurovégétatifs: sudation, hyperpnée.
Indications thérapeutiques
Considérée comme médicament essentiel par l’OMS, la chlorpromazine est utilisée comme préanesthésique associée aux analgésiques et aux anesthésiques généraux. Elle est employée en obstétrique comme analgésique et antiéclamptique. En psychiatrie son emploi s’est développé dans la schizophrénie, les manies dépressives, les états confusionnels, l’anxiété, l’angoisse. Elle est utilisée aux doses orales de 0,025 à 0,150g/j et chez l’enfant aux doses de 1 à 2mg par kg de poids corporel. La dose en perfusion lente intraveineuse (chirurgie) est de 25mg.
Principaux dérivés de la chlorpromazine
On a cherché à supprimer ou à exalter certaines propriétés de la chlorpromazine en modifiant sa formule. Les substitutions sur le noyau de la phénothiazine modifient les intensités mais non les activités neuroleptiques, diminuent les effets sur le système nerveux autonome. La modification de la chaîne propylène-diamine altère les propriétés psychotropes: la méthylation en 2 de la chaîne propyle exalte les propriétés sédatives, l’introduction d’un cycle pipéridine conduit à des neuroleptiques sédatifs plus puissants, alors que la présence d’un cycle pipérazine oriente vers une inhibition de l’émotivité et vers un effet antihallucinatoire. Néanmoins, demeurent l’action catatonisante chez l’animal, l’activité antipsychotique, les syndromes extrapyramidaux akinétohypertoniques et dyskinétohypertoniques.
La substitution de l’azote du cycle phénothiazine par un carbone isostère à double liaison (cycle du thioxanthène) conserve les propriétés neuroleptiques.
Les dérivés de la chlorpromazine sont utilisés à dose forte et prolongée dans les états psychotiques et à dose faible dans les affections névrotiques, les dystonies neurovégétatives. Lambert a proposé de les classer en neuroleptiques sédatifs entraînant une diminution de l’agitation, de l’anxiété et en neuroleptiques incisifs déterminant une levée des inhibitions, une amélioration du repli autistique autorisant ainsi une psychothérapie. Dans le premier groupe entrent les dérivés pipéridinés de la chlorpromazine, dans le second les dérivés pipérazinés (tableaux 17.I et 17.II).
R1 | R2 | Doses usuelles R1 R2 journalières (en g) | |
Acépromazine | COCH3 | 0,025-0,2 | |
Lévomépromazine | OCH3 | 0,025-0,2 | |
Thioridazine | SCH3 | 0,2-0,8 | |
Pipotiazine | SO2N(CH3)2 | 0,01-0,02 | |
Fluphénazine | CF3 | 0,025-0,30 | |
Perphénazine | Cl | 0,005-0,05 | |
Thiopropérazine | SO2N(CH3)2 | 0,005-0,05 |