Greffe morcelée impactée et tiges cimentées dans les révisions fémorales de hanche
Femoral impaction grafting and cemented stems in revision total hip arthroplasty
M. Soenen, P. Riera, J. Girard, H. Migaud and A. Duquennoy
Pôle de l’appareil locomoteur, Hôpital Salengro, CHRU de Lille, 59037 Lille cedex
Résumé
Le descellement des pivots fémoraux des arthroplasties totales de hanche s’accompagne souvent d’une diminution du stock osseux périprothétique. L’ablation des implants peut aussi majorer la perte de capital osseux, ainsi qu’une fragilisation du fût fémoral. Plusieurs solutions sont proposées pour prendre en charge ces pertes osseuses durant les rescellements, appelant à des techniques cimentées ou non. Nous présentons l’utilisation de greffes morcelées impactées associée à l’utilisation d’une tige longue cimentée, dans des indications particulières de pertes de substance osseuse fémorale proximale sévère, en précisant leurs indications vis-à-vis de techniques non cimentées.
Mots clés :
Summary
The loosening process of total hip arthroplasty may produce progressive bone stock loss. Removal of the failed components in a revision procedure may cause additional bone defects. The key problem in revision surgery is how to deal with bone deficiencies, keeping in mind the possibility of additional repeated revisions. Several options have been suggested, including both cemented and uncemented techniques. We report the use of impaction bone grafting associated with a cemented polished stem to address severe proximal bone loss, as an alternative to the uncemented technique.
La fréquence des révisions de prothèses totales de hanche (PTH) est en augmentation au fil des années, en raison de la pose d’arthroplasties primaire chez des patients de plus en plus jeunes, dont l’espérance de vie augmente. Les progrès tribologiques récents (couple de friction dur/dur) nous permettent d’espérer une meilleure survie des implants. Cependant, les reprises d’arthroplasties totales de hanche actuelles posent souvent le problème d’un stock osseux périprothétique de médiocre qualité, avec parfois des ostéolyses de stades 3 et 4, et pour lesquelles une reconstruction fémorale doit être envisagée.
Les années 1980 ont vu émerger des techniques de reconstruction fémorale par greffes morcelées impactées, initialement dans le service [12, 17] puis l’équipe d’Exeter [6]. Le but était de rétablir un stock osseux fémoral, à la fois pour la tenue mécanique du nouveau scellement, mais aussi pour apporter un lit osseux spongieux capable d’améliorer la fixation par des interdigitations avec le ciment.
Technique opératoire
Comme pour toute technique de révision, une planification opératoire précise est indispensable. Elle permet de déterminer :
• le choix de l’implant fémoral, sa longueur et son diamètre;
• les difficultés d’extraction des implants et du ciment, ce de manière à prévoir la localisation et l’importance des pertes de substance osseuse [19].
Le choix de la longueur de l’implant est fonction de la méthode choisie. La méthode d’Exeter amène à utiliser un pivot fémoral court lisse (capable de supporter une migration distale quasi inévitable avec cette méthode) ayant une forme de coin. Cependant, une évolution récente de l’équipe d’Exeter amène à choisir des implants plus longs sur les pertes de substance sévère afin de limiter le risque de fracture postopératoire [20]. La technique lilloise amène à utiliser des implants longs, permettant une fixation distale 3 à 5cm sous la perte de substance, ou pontant une fenêtre distale si celle-ci venait à être réalisée. Nous utilisions des implants rectilignes trochantéro-diaphysaires, permettant d’obtenir une bonne stabilité primaire et facilitant ainsi la reconstruction.
Outre un implant dont la longueur est adaptée, la technique lilloise utilise un treillis métallique, destiné à protéger les greffons d’une pénétration trop importante du ciment, et à armer ce dernier (figure 1).
Figure 1 |
L’intervention débute par la préparation fémorale. Toutes les voies d’abord sont envisageables dès lors qu’elles permettent une exposition parfaite du canal fémoral. Le pré-requis d’un fémur continent pour la réalisation de la technique contre-indique la réalisation d’une fémorotomie étendue, et en cas de difficulté nous recommandons une trochantérotomie digastrique pour faciliter l’accès au canal fémoral. Une fenêtre osseuse peut cependant être envisagée pour l’ablation d’un bouchon de ciment, tout en gardant la continence fémorale, et en prévoyant un pontage suffisant par la tige envisagée lors du planning préopératoire. Le ciment est retiré par voie rétrograde, à l’aide de ciseaux appropriés et sous couvert d’une irrigation pour bien localiser l’interface os-ciment.
La reperméation du canal fémoral est indispensable, notamment lorsqu’une tige plus longue doit être utilisée (figure 2). Après ablation du ciment et des tissus granulomateux endofémoraux, l’obturation du canal fémoral est pratiquée. Cette obturation doit être solide et stable, car le «tuteur guide centro-médullaire» va y prendre appui pendant toute la phase de reconstruction par greffe (figure 3 a).
Figure 2 |
Figure 3 |
La technique de préparation des greffons doit être d’autant plus précise que la méthode originale d’Exeter est utilisée [6]. La technique lilloise est moins soumise aux variations de taille et de qualité des greffes dans la mesure où elles sont moins soumises aux contraintes du fait de la cimentation distale et du renfort mécanique apporté par le treillis [2]. Nous utilisons des allogreffes spongieuses morcelées, à l’aide d’un «broyeur d’os».
Pour guider la reconstruction, nous utilisons un tuteur cylindrique, dont le diamètre est comparable à celui de la partie moyenne de la tige planifiée (figure 3a). Le diamètre distal du guide est supérieur au diamètre distal de la tige de reconstruction envisagée, ceci afin d’éviter une migration de la greffe en zone non détruite, et pour permettre une cimentation «hors greffe» directe dans le fémur distal intact. Une fois ce tuteur en place, les greffons sont introduits avec des chasse-greffons plus ou moins étroits (figure 3b). En cas de fenêtre distale, nous profitons de l’accès qu’elle procure pour introduire des greffons autour du tuteur en place. Progressivement, les pertes de substance sont reconstruites en impactant fermement les greffons autour du tuteur (figure 3b). La technique d’Exeter utilise des impacteurs canulés guidés et de taille adaptée à la perte de substance et au pivot fémoral planifié.
Des treillis métalliques exo-fémoraux sont utilisés dans la technique d’Exeter pour renforcer un fémur trop fragile et/ou pour améliorer la continence fémorale. La préparation du treillis endomédullaire (figure 1) est une étape optionnelle, utilisée dans la variante lilloise (figure 3c). Un treillis métallique est moulé sur la tige d’essai, et maintenu en forme le cas échéant par quelques cerclages de fils résorbables. La longueur du treillis est choisie de façon à ce qu’il s’étende sur toute la longueur de la greffe. Son rôle est de protéger les greffons d’une pénétration trop profonde du ciment et d’armer le ciment. Le tuteur est alors retiré (figure 4a) et l’ensemble composite «tige d’essai-treillis métallique» est introduit en force jusqu’au niveau désiré pour obtenir la reconstruction du bras de levier et la longueur de membre inférieur (figure 4b). La tige d’essai est alors enlevée en laissant en place le treillis métallique (figure 4c). À ce moment, une reconstruction complémentaire du fémur proximal peut être pratiquée en se servant du treillis métallique en place comme d’un tuteur de reconstruction. Comme dans la technique d’Exeter, il faut veiller en cas de fragilité excessive fémorale, à réaliser plusieurs cerclages préventifs ou des baguettes d’allogreffe [9], avant l’introduction de l’ensemble treillis-tige d’essai, voire dès le début de la préparation fémorale pour les pertes de substances de grade 3 ou 4 [23].