4. Ménopause
M. Lachowsky and D. Winaver
Clinique
Les manifestations de la ménopause n’ont pas changé à travers les siècles, pas plus que l’âge auquel elle apparaît. Événement physiologique dans le programme génétique des femmes, cette carence hormonale progressive puis définitive s’exprime par l’arrêt des règles avec les troubles bien connus du climatère, liés à la chute des estrogènes et des androgènes :
– troubles vasomoteurs : bouffées de chaleur, crises sudorales nocturnes ;
– insomnie, sensations de malaise, palpitations ;
– troubles de l’humeur, irritabilité et asthénie ;
– douleurs ligamento-tendino-articulaires.
Plus tardivement surviennent des troubles de l’appareil génitourinaire avec atrophie et sécheresse vaginale, des troubles de la sexualité, notamment la dyspareunie et la baisse de la libido. L’interrogatoire recherche les facteurs de risque fracturaires. L’hygiène de vie de la patiente (activité physique, alimentation, alcool, tabac) doit être prise en compte. Cette période est à la fois une crise, un temps de changement et un état de fait qui va durer, avec en parallèle les pathologies de l’âge mûr – cardiovasculaires, thrombo-emboliques, carcinologiques, etc.
Nous disposons de thérapeutiques hormonales, seules efficaces sur le syndrome climatérique. Mais il nous faut d’abord tenir compte de l’attitude de la patiente vis-à-vis de ces traitements, de ses craintes, de ses a priori, de ce qu’elle a retenu du bruit médiatique à propos des statistiques récentes. Pour que la patiente choisisse en toute connaissance de cause, pour un « consentement éclairé », il faut du temps. Ce temps assure une relation de confiance, et garantit la compliance au traitement. En effet, le rôle du médecin est d’aider la femme à s’adapter pour qu’elle trouve son nouveau rythme, donc l’espoir d’un nouveau bien-être.
Le vécu
Connue depuis toujours, la ménopause se nommait climatère, âge critique, âge dangereux, retour d’âge ; autant de termes soulignant la dangerosité médicale, sociale et affective de cette période de la vie. Cette notion se retrouve de nos jours dans les demandes des patientes : si elles acceptent mieux de ne plus avoir de règles, elles jugent intolérables les symptômes classiques qui les trahissent (bouffées de chaleur, sueurs nocturnes, irritabilité, etc.), car ils signent la fin de la fertilité et le début de la vieillesse. Serait-ce la fin de la féminité ? C’est ce que redoutent les femmes et elles imaginent que les hommes le pensent aussi. Elles s’étonnent que 50ans soit toujours l’âge moyen de la ménopause, malgré l’allongement de l’espérance de vie.
Selon les statistiques, le temps de « l’après-ménopause » serait d’environ 40ans, temps plus long que celui de la vie reproductive. Bien entendu, cette période qui mène au grand âge demande une gestion différente de celle du temps de la crise proprement dite, souvent appelée crise du milieu de la vie.
Le temps d’avant
Il nous semble qu’on ne saurait réfléchir sur la ménopause sans étudier ce phénomène assez récent dans notre société consumériste avec son exigence de prévention et de précaution : le « temps de l’avant-ménopause ». On n’est pas encore dans le temps médical de la périménopause. Aujourd’hui, déjà, vers la quarantaine, des patientes inquiètes viennent nous interroger devant d’imperceptibles signes de vieillissement. La peau perd de son élasticité. Face aux premières rides, les marchands de jeunesse proposent toutes sortes de crèmes, de sérums, de vitamines promettant une peau de 20ans. Du fait de la diminution de la puissance musculaire, les danseuses de l’Opéra sont mises à la retraite à 40ans. Quelques femmes se plaignent d’un début de dépilation du mont de Vénus, choquant.
En effet, dans la décennie qui précède l’arrêt des menstruations, les performances des ovaires s’altèrent à bas bruit. Selon les cas, ce déficit hormonal sera plus ou moins visible, se traduisant également par des troubles du cycle. Raccourcissement ou allongement du cycle, syndrome prémenstruel plus marqué, variations de l’abondance des règles, autant de prodromes qui perturbent les femmes. C’est ce qui se nomme la périménopause. Espérant « prévenir » la ménopause, littéralement retarder ou même empêcher son apparition, elles viennent alors nous consulter. Ne prenons pas ces demandes à la légère, mais sachons refuser de commencer le traitement hormonal de substitution (THS) trop tôt. Aidons-les à comprendre leur fonctionnement hormonal. La qualité du corps jaune s’altère : la production des stéroïdes sexuels diminue. Les follicules deviennent moins compétents. La fertilité accélère sa courbe descendante.
C’est souvent à ce moment que les femmes veulent un enfant, premier ou dernier bébé de la quarantaine. Dans ce domaine, le médecin a un rôle en amont : il ne doit pas se contenter de renouveler une ordonnance de pilule, mais profiter plutôt de cette consultation de routine pour informer sa patiente des impératifs physiologiques. C’est une démarche moins facile qu’il n’y paraît. Il entend souvent : « Je n’ai pas encore trouvé le bon père pour mon enfant » ; ou : « Il n’est pas encore décidé », ou : « Je passe encore des concours… mais j’ai encore du temps, non ? » Comment va-t-il répondre ? Il lui faut du tact ; il a peur d’être intrusif, indiscret, de réveiller de vieilles blessures.
Commenter les statistiques des taux de grossesses après 40ans, c’est utile, mais ce n’est ni suffisant ni satisfaisant. De plus en plus de femmes influencées par les histoires « people » des médias s’identifient aux célébrités enceintes à des âges tardifs. Même si les progrès de la médecine leur donnent à croire que tout est possible, le rôle du médecin est de leur faire accepter l’évidence, les limites. Pour notre société qui nie le vieillissement en érigeant la jeunesse en valeur suprême, cette limite n’est guère tolérable. Un temps de dialogue est donc indispensable pour que la patiente prenne conscience de la réalité de son désir d’enfant et des limites de son temps de fertilité.
Pourtant, malgré le temps qui passe, certaines femmes pensent encore que, tant qu’elles ont leurs règles, elles peuvent être enceintes. L’arrêt définitif des menstruations est encore plus difficile à vivre pour celles qui n’ont pas eu d’enfant, car elles n’ont pas eu le temps de s’adapter à ce jamais plus d’une maternité.
Fin de la vie reproductive
Dans l’inconscient collectif, le pouvoir de procréer est l’essence même de la féminité. Les femmes étaient faites pour porter les enfants, les élever et transmettre ainsi l’héritage familial de génération en génération. Comment est-il possible qu’au XXIe siècle, après le droit de vote, le droit à la contraception, à l’IVG, à la stérilisation, à la parité et à l’égalité professionnelle, les femmes elles-mêmes ne se sentent pas complètes, pas de « vraies femmes » si elles n’ont pas été « capables » de concevoir ? Nous connaissons tous la douleur des femmes infertiles ; le désir de grossesse qui n’est pas toujours un désir d’enfant. C’est un besoin de complétude, de réassurance sur sa féminité, de reconnaissance par les autres de ses capacités. Ce pouvoir féminin par excellence est envié par les hommes. La perte de ce pouvoir est vécue par beaucoup de femmes comme une blessure narcissique, même si elles ont le nombre d’enfants qu’elles ont désiré. « Il manquera toujours un enfant à l’appel » (Bydlowski, 1997). Avec la ménopause, on retombe dans la fatalité du fait féminin, ventre stérile donc inutile.
La fin de l’âge fertile, réalité physiologique, s’associe dans l’esprit des femmes à la fin des plaisirs d’amour, à la fin de la jeunesse.
La cinquantaine dans la société
À la cinquantaine, les femmes ont en général une place bien reconnue dans leur milieu familial, social et, pour la plupart, dans leur vie professionnelle. Toutefois, c’est l’âge où, de nos jours, elles sont souvent confrontées à des risques de licenciement et de préretraite. Certaines sont obligées de s’adapter à de nouvelles conditions et à de nouveaux modes de travail. Elles découvrent douloureusement leurs difficultés et se comparent à des plus jeunes, plus performantes. Elles se sentent dévalorisées, ce qu’accentue la glorification actuelle de la beauté et de la minceur, car leur corps lui aussi est en train de se modifier.
Affectivement, à cette période charnière, les femmes se situent entre deux générations, celles des parents et celle des enfants. Parents et enfants restent ou s’en vont, troublant l’intimité du couple, et lui donnant à voir d’une part les scénarios possibles de fin de vie, et d’autre part les triomphes amoureux de la jeunesse. En effet, les parents vieillissent, pèsent parfois ; on ne peut s’empêcher de s’identifier à cette image d’un futur qui fait peur. Les enfants désertent la maison, laissant le nid vide ou, au contraire, installent leurs amours sous le toit des parents. Les femmes et souvent les hommes sont gênés, se sentant inconsciemment plongés dans un rôle qu’ils n’ont pas choisi : de voyeur, de complice ou de rival.
Ménopause et perte de maîtrise
La ménopause, comme l’a été la puberté, est une période d’adaptation corporelle, psychologique, sexuelle et sociale. C’est une expérience personnelle toujours accompagnée par le regard des autres. Elle impose une prise de conscience de soi et la recherche d’aménagements. Les orages hormonaux, les bouleversements des fonctions, les changements de l’aspect font mesurer la perte de l’illusion de maîtrise.
Les rougeurs du visage, les bouffées de chaleur, les crises sudorales désignent la « femme en ménopause ». Elles la trahissent. L’odeur corporelle se modifie, la pilosité pubienne se raréfie parfois, causant un sentiment d’humiliation. Souvent, des kilos pris rapidement alourdissent la silhouette. Beaucoup changent de style vestimentaire. Les femmes ne se reconnaissent plus. Elles sont dans une angoisse de perte d’identité. Dans les années qui suivent la ménopause, cette atteinte de leur image dans le regard des autres s’accompagne d’une autre réalité intime. En l’absence de traitement, beaucoup souffrent dans leur corps : palpitations, malaises, fatigabilité, insomnies, troubles urinaires, mais aussi diminution de la tonicité musculaire, de la souplesse des articulations, douleurs diffuses. Comment ne pas s’inquiéter pour sa santé ? Avec le temps, la fonction sexuelle est également altérée : perte de la sensibilité mamelonnaire, aplatissement des reliefs du vagin, diminution de sa souplesse, de sa vascularisation, de sa trophicité. Comment ne pas se sentir diminuée, comment ne pas s’inquiéter pour sa vie sexuelle ?
Il faut parfois beaucoup de tact et de douceur pour faire comprendre à une patiente que seule une part de ses troubles est liée à la carence hormonale et que reste la part inéluctable du vieillissement.
La consultation de ménopause
La consultation peut être une consultation de routine chez les patientes que nous suivons depuis longtemps. En tant que femmes et gynécologues, nous sentons très bien chez certaines un besoin d’identification, une curiosité toujours en alerte à notre égard. Nous y répondons selon notre nature, avec prudence, en évitant de sortir de notre rôle de soignant. Chez les hommes gynécologues, la patiente guette inconsciemment dans le regard masculin une reconnaissance de sa féminité. Certaines patientes dépitées quittent l’obstétricien auquel elles se disent attachées, parce qu’elles ont l’impression de ne plus l’intéresser quand elles ne sont pas enceintes. De plus, la confrontation avec les ventres ronds de la salle d’attente leur est pénible.
D’ailleurs, lorsqu’une patiente consulte pour un retard de règles et se demande si elle est enceinte, il est important de la laisser exposer ses doutes, de ne pas lui asséner d’emblée un diagnostic qu’elle redoute sans le nommer : « c’est la ménopause ». Le soignant ne doit pas ironiser sur la demande d’un test de grossesse. Même si elle ne veut plus d’enfant, elle exprime un désir, un regret. Il faut qu’elle apprivoise et l’idée et le fait. L’annonce brutale de sa ménopause peut, comme dans une maladie grave, provoquer un état de sidération puis de confusion, où les vieilles peurs de grossir, d’enlaidir, de ne plus être aimée, de vieillir et de mourir se bousculent et ont du mal à s’exprimer. Il y a en plus la honte de se sentir si bouleversée par un phénomène naturel, prévisible et commun à toutes les femmes.