Médecine comportementale

19. Médecine comportementale



Ce chapitre ne prétend pas traiter exhaustivement le problème des applications des TCC en médecine, mais simplement indiquer les principales tendances, en mettant plus spécifiquement l’accent sur l’alcoolisme, les toxicomanies et l’hypochondrie.



Méthodes spécifiques de médecine comportementale



Schème comportemental de type A


Décrit par Osler au début du siècle, et étudié de manière systématique par Friedman et Rosenman (1974), ce type particulier de personnalité a été investigué ces dernières années. Les résultats des travaux de prévention des rechutes d’accidents coronariens semblent positifs. Ce schème comportemental, caractérisé par la hâte, l’impatience, la compétitivité, l’hostilité et la volonté d’avoir, dans un minimum de temps, un maximum de choses mal définies, peut être modifié. Plusieurs programmes ont été proposés et leur efficacité dans la prévention des rechutes est établie (Friedman et al., 1984). Ils combinent en général la relaxation sur indices corporels après une phase d’auto-observation et la modification du style de vie. La thérapie cognitive est mise en œuvre de façon à modifier les postulats concernant la réussite sociale et ses nécessités, ainsi qu’à promouvoir des choix de buts de vie différents. L’hostilité qui est la variable la mieux corrélée avec les accidents coronariens peut être modifiée par le jeu de rôle et l’apprentissage de la gestion des situations stressantes.


Tabagisme


Les résultats sont souvent faibles et se limitent à 20 % de sujets abstinents au-delà d’un an après les traitements, dans les études de suivi (Cottraux et al., 1983). Néanmoins, certaines études semblent apporter de meilleurs résultats, en particulier un programme proposé par Tongas (1978). Il s’agit d’une combinaison de trois techniques :




• fumerie rapide dans une ambiance enfumée avec une soufflerie d’air chaud. Le sujet tire une bouffée toutes les trois secondes ou inhale la fumée toutes les six secondes. Cinq séances sont faites en cinq jours, puis cinq séances en un mois (dix-neuf séances sur un an) ;


• sensibilisation interne avec six scènes aversives, six scènes d’échappement et trois scènes de renforcement positif pour ne pas fumer. Les scènes sont répétées à domicile ;


• thérapie de groupe. Elle consiste à exprimer ses sentiments vis-à-vis de l’arrêt du tabagisme, à renforcer le succès en groupe, à ignorer les échecs et à avoir un contact téléphonique quotidien avec deux membres du groupe (cinq séances).

Ce programme, qui dure en réalité un an, a un taux de réussite de 62 % deux ans après son début. Il peut être impossible de l’appliquer chez des sujets présentant des conséquences cardiaques ou pulmonaires trop importantes de leur tabagisme.


Alcoolisme


Les cures de dégoût ont représenté une des premières applications des thérapies comportementales. Elles sont fondées sur un conditionnement pavlovien aversif par l’apomorphine ou l’Espéral®. Actuellement, la validité théorique et pratique de l’aversion dans le traitement de l’alcoolisme a été très fortement mise en doute par les comportementalistes eux-mêmes (Wilson, 1987). Le conditionnement opérant peut représenter une explication dans la mesure où il met en évidence que l’alcool réduit l’anxiété sociale dans un premier temps : il y a création d’une expérience satisfaisante, véritable lune de miel avec le toxique. Cet effet anxiolytique en deux temps serait recherché par 90 % des alcooliques. Dans un deuxième temps, le sujet se trouve renforcé à prendre de l’alcool et à augmenter les doses pour éviter la situation aversive que représente le sevrage et ses symptômes physiques d’angoisse. Une vue plus globale de l’alcoolisme et de son traitement, reposant sur les principes de l’apprentissage social, a permis de montrer l’intérêt de programmes multimodaux. En effet, les alcooliques résistent mal aux frustrations, présentent des angoisses interpersonnelles et un déficit des compétences sociales, ce qui les conduit à résoudre leurs difficultés par l’alcool. Les programmes multimodaux associent la relaxation, la sensibilisation interne, la thérapie conjugale et familiale, le développement des compétences sociales et de l’affirmation de soi pour apprendre à réduire l’anxiété sociale autrement que par l’alcool. L’un des buts est aussi le développement des capacités à résister aux pressions d’un milieu social qui pousse à la boisson. Les méthodes cognitives chercheront à modifier les postulats irrationnels concernant la boisson, sa signification virile ou ses bienfaits. Le but du traitement peut être soit l’abstinence totale et définitive, soit la boisson contrôlée. Ce dernier but, quoique très discuté dans son principe, présente un intérêt chez le buveur excessif social, qui ne présente pas de troubles psychiatriques importants. Un buveur qui présente des troubles psychiatriques importants devra viser une abstinence totale. Enfin, il faut ajouter, aux programmes de sevrage et de traitement des problèmes psychologiques et sociologiques, des programmes de prévention de rechutes, sous forme de groupes thérapeutiques ou d’association d’anciens buveurs.



Étapes du changement


La thérapie de développement de la motivation se fonde sur les processus naturels de guérison. Le modèle de Prochaska et Di Clemente identifie six étapes.




1 Les personnes qui n’envisagent pas de changement à leur problème sont décrites comme des précontemplateurs.


2 L’étape de contemplation commence quand l’individu considère, à la fois qu’il a un problème et qu’il y a à prendre en compte la faisabilité et les coûts du changement pour ce comportement.


3 Au fur et à mesure que les individus progressent, ils vont entrer dans le stade de la décision où ils envisagent les actions à promouvoir pour le changement.


4 Une fois que les individus ont commencé à modifier le comportement problème, ils sont dans le stade de l’action qui normalement continue durant trois à six mois.


5 Après avoir passé avec succès la phase d’action, les individus vont ensuite prendre l’étape du maintien, autrement dit du changement soutenu.


6 Si l’ensemble de ces efforts échoue, on entre, à ce moment, dans un stade de rechute et l’individu peut rentrer dans un nouveau cycle.


La relation thérapeutique


La tâche du thérapeute est simplement de créer des conditions qui vont augmenter la motivation et l’adhésion constante au changement du patient. Le thérapeute va chercher à mobiliser les ressources intérieures ainsi que celles qui peuvent se trouver dans les relations naturelles du patient.

Pour ce faire, cinq principes d’accroissement de la motivation vont se retrouver mis en jeu (Miller et al., 1999). Ils ont été étudiés pour les personnes souffrant d’addictions, en particulier d’alcoolisme, mais peuvent s’appliquer à toute tentative d’aide au changement.


Exprimer de l’empathie


Le thérapeute cherche à communiquer avec le patient avec respect, il n’y a pas de relation de supérieur à inférieur. Le thérapeute est à la fois un compagnon qui soutient et un consultant. La liberté de choix et de direction personnelle est respectée. De ce point de vue, seul le patient peut décider de changer. Le thérapeute utilise plutôt les compliments et le renforcement positif que le dénigrement. Une grande partie de cette thérapie consiste à écouter plutôt qu’à dire, la persuasion est souple avec toujours l’hypothèse de base que le changement est la décision du patient.


Développer les dissonances (ou contradictions)


La motivation pour le changement a lieu quand les personnes perçoivent une contradiction entre le point où ils sont et le point où ils voudraient être. La thérapie va, à ce moment-là, focaliser l’attention du patient sur de telles contradictions en ce qui concerne la boisson. Dans beaucoup de cas, il faudra développer la conscience du patient vis-à-vis des conséquences de la boisson. De telles informations présentées de manière adéquate peuvent précipiter une crise, déclenchant par sa masse critique la motivation au changement. Le résultat est que l’individu sera plus capable d’entrer dans une discussion pour réduire cette contradiction et retrouver un équilibre émotionnel.


Éviter la controverse


Une attaque irréaliste, si l’on se place du point de vue du patient, sur un comportement que l’on veut trop vite modifier, tend à accroître les défenses et l’opposition et suggère au patient que le thérapeute ne le comprend pas. Il ne s’agit pas de convaincre par la force ou de prouver. Quand la thérapie est conduite adéquatement, c’est le client et non pas le thérapeute qui va énoncer les arguments du changement.


« Rouler » avec la résistance


L’ambivalence est considérée comme normale, elle est explorée de façon ouverte. Il ne s’agit pas de s’opposer à la résistance ou de l’attaquer, mais d’utiliser son énergie de façon à modifier la perception du patient dans ce processus.


Soutenir le sens personnel de l’efficacité


Le principe dérive de Bandura (1977) qui a décrit l’efficacité personnelle comme une détermination critique des comportements (voir chapitres 3 et 5). L’efficacité personnelle est la croyance que l’on peut réaliser un comportement particulier ou accomplir une tâche particulière. De ce point de vue, le patient doit être persuadé qu’il est possible de changer son comportement et de ce fait, réduire les problèmes qui y sont associés. Dans la langue de tous les jours, c’est l’espoir ou l’optimisme. Il ne s’agit pas d’un optimisme global mais plutôt d’un optimisme tout à fait spécifique qui est la croyance des patients de pouvoir changer le problème pour lequel ils consultent. Si cet élément n’est pas présent, il peut se développer une attitude défensive destinée à faire face à l’inconfort sans changer le comportement.

D’un point de vue pratique, on peut organiser la prise en charge motivationnelle de la manière suivante :





















Fiche de plan de changement

Les changements que je vais faire sont :

La raison la plus importante pour laquelle je veux effectuer ces changements est :

Les étapes que je considère pour changer sont :

Les moyens que les autres ont de m’aider sont :

Quelles sont les personnes ?

Quels sont les possibles moyens de m’aider ?

Je saurai que mon plan a marché si :

Les choses qui peuvent interférer avec mon plan sont :



Organisation des séances de développement de la motivation



Préparation de la première séance






1 Les patients reçoivent une batterie d’évaluations psychométriques.


2 La présence d’une personne importante de l’entourage est demandée.


3 Le patient doit arriver sobre à la séance, un test alcoolométrique sera administré et, en cas de prise importante d’alcool, on envisagera un autre rendez-vous.


4 Présenter les limites et les bases du traitement. L’énoncé qui semble le plus adapté est le suivant : « Je vais vous expliquer d’emblée que je ne suis pas là pour vous changer. Je pense que je peux vous aider à penser votre situation présente et considérer que s’il y a un changement, c’est vous qui allez le faire. Personne ne peut vous dire ce qu’il faut faire. Personne ne peut vous obliger à changer. Je vais vous donner un ensemble d’informations à votre sujet et peut-être certains conseils, mais ce que vous allez faire après nos quatre séances ensemble dépend essentiellement de vous. Je ne pourrais vous changer si je désirais le faire, la seule personne qui peut décider si et comment vous allez changer est vous. Qu’en pensez-vous ? »


5 Après cette introduction, on va mettre en place les énoncés motivationnels, écouter avec empathie, soutenir le patient, faire face à la résistance et recadrer.

Lorsque le thérapeute se rend compte qu’ont été mis à jour les thèmes majeurs et les préoccupations du patient, il va effectuer un résumé et donner une copie du feedback personnel qu’on utilisera pour la séance suivante. Le thérapeute demandera à la fin ce qu’il pense de tout ce qui a été élaboré dans cette séance, des idées et des plans pour ce qui pourrait être une première tentative de résolution du problème sont abordés. De même, on peut, à ce stade, aller vers une décision et une adhésion au changement. À ce moment-là, on peut écrire le plan de changement qui est sur la fiche. Il faut toujours terminer la première séance en résumant ce qui a été mis à jour et si possible, reprendre les énoncés motivationnels et recentrer sur les processus de changement. À la fin de cette séance, il faut préparer une note écrite qui sera postée au client.

Plusieurs éléments peuvent être inclus dans cette lettre : un message positif de la part du thérapeute – « J’ai été content de vous voir, je suis content que nous ayons pu parler ensemble » –, affirmer ou soutenir le patient et la personne de l’entourage, reformuler le caractère sérieux du problème, faire un résumé des points principaux de la première séance, en particulier les énoncés motivationnels qui ont pu émerger, effectuer un énoncé d’optimisme et d’espoir et effectuer un rappel de la prochaine séance.


Deuxième séance


Elle est programmée une à deux semaines après la première et, à ce moment-là, le plan et le feedback sont rediscutés et récapitulés. Si une décision de changement a été effectuée, il faut la discuter. Il faut remercier la personne ou l’épouse qui est venue avec le (ou la) patient(e). L’engagement de la personne de l’entourage ne doit pas dépasser deux séances.


Séances 3 et 4


Elles sont programmées pour les semaines 6 et 12 respectivement. Ce sont des séances de rappel destinées à renforcer la motivation qui s’est initiée dans les premières séances. Le thérapeute n’offre pas de développement des compétences, ne fait pas de prescription et n’indique pas un cours spécifique à prendre. Les mêmes principes motivationnels sont appliqués tout au long de la thérapie et les stratégies de suivi sont : revoir les progrès, renouveler la motivation et réenvisager une décision d’engagement dans le changement.


Le plan de changement peut être revu, révisé et réécrit. Durant ces séances, il faut faire attention aux faits que l’ambivalence a bien été résolue et que la décision et l’engagement sont fermes. Néanmoins, il est plus raisonnable de considérer que le patient est toujours ambivalent et de continuer à utiliser des stratégies qui construisent la motivation. Il faut avoir un sens tout à fait clair de la continuité.

Les quatre séances doivent être présentées comme des consultations progressives destinées à construire la motivation et à renforcer l’adhésion ; les séances suivantes sont des vérifications des progrès.

Dans les séances 3 et 4, deux types de situation doivent être explorés : les situations dans lesquelles le patient boit et celles dans lesquelles il ne boit pas.


Fin


Elle doit être discutée vers la fin de la quatrième séance et le résumé final doit inclure les éléments suivants :




• revoir les facteurs les plus importants de motivation du patient pour le changement et confirmer à nouveau ses thèmes automotivationnels ;


• résumer l’engagement et les changements qui ont été effectués jusqu’à présent, confirmer et renforcer le patient pour ses décisions et les changements qui ont été faits ;


• explorer un certain nombre de zones additionnelles de changement que le patient veut accomplir dans le futur ;


• mettre au jour des énoncés automotivationnels pour le maintien du changement et pour des changements ultérieurs ;


• soutenir le sens de l’efficacité personnelle du patient en soulignant ses capacités au changement ;


• aider à résoudre tous les problèmes qui sont évidents et apportés dans la séance ;


• rappeler au patient les séances de suivi en disant qu’elles sont un point important du programme et peuvent être utiles à maintenir le changement.



Les rendez-vous manqués


Quand un patient a manqué un rendez-vous, il faut immédiatement répondre. Il faut d’abord essayer d’atteindre le patient par téléphone et envisager les points suivants :




• clarifier les raisons du rendez-vous manqué ;


• soutenir le patient et le renforcer à venir ;


• exprimer votre intérêt à voir le patient à nouveau ;


• mentionner brièvement les préoccupations qui ont émergé et le fait que vous approuvez que le patient les explore ;


• exprimer votre optimisme au sujet des perspectives de changements et redonner un rendez-vous.

Si aucune explication vraisemblable n’est donnée pour le rendez-vous manqué, il faut explorer les points suivants :




• est-il certain qu’un traitement est nécessaire ?


• l’ambivalence vis-à-vis du changement ;


• la frustration et la colère au sujet de participer à un traitement.

Il faut manier de telles préoccupations en phase avec la thérapie, c’est-à-dire écouter, recadrer et aider le patient à exprimer ses propres préoccupations.

Une lettre avec les points essentiels qui ont été envisagés au téléphone doit être envoyée.


La consultation téléphonique : de grande importance


Un certain nombre de patients va contacter par téléphone une personne de leur entourage. Il faut que ces contacts soient brefs plutôt que de donner des séances additionnelles par téléphone ; les consultations téléphoniques doivent être en phase avec les procédures centrales de la thérapie de développement de la motivation, et des techniques spécifiques de changement ne seront pas prescrites. Il faut plutôt souligner l’importance de l’expression et de la réflexion.


Interventions de crise


Si à n’importe quel moment, selon l’opinion du thérapeute, le bien-être et la sécurité du patient ou d’une autre personne sont menacés, il faut intervenir et de manière appropriée pour le protéger, lui ou les autres.


Toxicomanie




Développement des modèles psychobiologiques


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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Médecine comportementale

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