Chapitre 9 Reconstruction mammaire par lambeau abdominal pédiculé
TECHNIQUE CHIRURGICALE
Pour la réalisation de ce lambeau, nous utilisons un lambeau à pédicule supérieur unique, en général controlatéral au sein reconstruit (figure 9.1). Certains utilisent un lambeau homolatéral, ce qui nous semble réalisable mais moins indiqué en raison de la plus forte plicature du pédicule musculaire et donc d’un risque de souffrance majoré du lambeau. L’autre raison pour l’utilisation du muscle controlatéral est la meilleure préservation du sillon sous-mammaire (SSM) du sein car le muscle peut passer au niveau du quadrant inféro-interne du sein opposé et traverser la ligne médiane plus haut en dedans, en évitant ainsi de déformer le sillon sous-mammaire au niveau du quadrant inféro-interne.
Dessins préopératoires
Au niveau abdominal
On trace d’abord la limite inférieure du prélèvement dans le pli naturel sus-pubien – éventuellement sur la cicatrice horizontale, si elle existe –, puis le tracé supérieur passant 1 cm à 2 cm au-dessus de l’ombilic qui emmènera donc les perforantes para-ombilicales. Latéralement, les deux cicatrices se rejoignent suffisamment loin pour éviter une oreille externe sur les épines iliaques (figure 9.3).
On vérifiera en position allongée que la fermeture est possible sans trop de tension; sinon, il faudra modifier le tracé en remontant la cicatrice inférieure (figure 9.4).
Au niveau du lambeau, on trace les différentes zones de perfusions du lambeau, de I à IV en allant de la meilleure à la moins bonne. Initialement décrite avec une zone I sur le muscle, deux zones II de chaque côté puis deux zones III et enfin une zone IV la plus externe et opposée au muscle prélevé (figure 9.5a), cette répartition évolue progressivement vers une plus grande perfusion du côté du muscle prélevé, avec une zone I en regard du muscle et la meilleure perfusion côté homolatéral; le côté opposé est mal perfusé, surtout la partie la plus externe et la zone para-ombilicale (zone IVbis); c’est pourquoi ces zones seront systématiquement réséquées.
Seule la zone la plus proche de la ligne médiane bénéficie d’une relativement bonne perfusion (figure 9.5b).
Temps opératoires
Au niveau thoracique
Dans le cas d’une reconstruction mammaire différée, on commence par exciser la cicatrice de mastectomie (figure 9.6). Cette cicatrice est envoyée en anatomopathologie afin de détecter une récidive pariétale (figure 9.7). La peau est ensuite décollée vers le haut dans le plan prémusculaire jusqu’au tracé. Puis, le décollement sous-cutané est poursuivi vers le bas jusqu’au futur sillon sous-mammaire. La hauteur est déterminée par rapport au niveau du sillon controlatéral en restant 1 cm à 3 cm plus haut jusqu’au réglage final. La peau inférieure est excisée en fonction des besoins et de ses qualités trophiques. Elle sera remplacée par celle du lambeau (figure 9.8).
L’intervention peut être réalisée à deux équipes. Dans le cas d’une reconstruction mammaire immédiate, on réalise une mastectomie de type Patey ou, si possible, une mastectomie avec conservation de l’étui cutané. Dans ce cas, l’incision est dessinée autour de l’aréole puis est radiaire externe avec un prolongement externe suivant le sillon sous-mammaire et se dirigeant vers le creux axillaire, permettant un prélèvement axillaire s’il est nécessaire (figure 9.9a).
En cas de ptose ou de sein trop volumineux, de multiples solutions sont envisageables afin de réduire la taille de l’étui cutané : soit comme dans les oncoplasties par technique externe en réséquant une partie de l’excédent cutané à l’union des quadrants externes (figure 9.9b), en repositionnant la future aréole plus haute et en dedans, soit par technique en « T » inversé, afin de réduire la base du sein reconstruit si cela est nécessaire (figure 9.9c). Sinon, on pourra utiliser une incision biconcave de mammectomie traditionnelle (figure 9.9d), surtout en cas de séquelles radiques ou de tabagisme important en raison du risque de souffrance de l’étui cutané.
Au niveau abdominal
Incision de la berge supérieure et décollement du tablier sus-ombilical
Ce décollement se fera au plus près de l’aponévrose, sauf au niveau sus-ombilical sur 3 cm à 4 cm de hauteur, car les éventuelles perforantes sus-ombilicales peuvent être emmenées (figure 9.10a). Le décollement est large pour permettre d’abaisser facilement la cicatrice au pubis. En hauteur, on remonte jusqu’à dépasser la xiphoïde au milieu, et au-dessus des deux ou trois dernières côtes latéralement (figure 9.10b).
Incision de la berge inférieure
L’incision de la berge inférieure ne sera réalisée qu’après avoir vérifié que la laxité de la paroi cutanée permet une fermeture aisée en position demi-assise (figure 9.13). On décollera très peu en dessous de cette incision, uniquement afin de préparer et de faciliter la fermeture cutanée. Les deux extrémités seront bien dégraissées afin d’éviter la création d’« oreilles » externes disgracieuses.
Création du tunnel présternal dans lequel passera le lambeau
Ce tunnel est effectué en bas au niveau du quadrant inférointerne du sein opposé; il remonte le long du sein puis traverse la ligne médiane afin de rejoindre le décollement de la mastectomie, en évitant de trop détruire le sillon sous-mammaire du sein traité. Seule la partie la plus interne du sillon sousmammaire sera soulevée (figure 9.14). Ce passage doit être suffisamment large afin de laisser passer le lambeau sans traction majeure ou distorsion, qui pourrait léser les perforantes et donc la vascularisation du lambeau (figure 9.15).
Décollement latéral du lambeau
Les deux hémipalettes du lambeau réunies sur la ligne médiane vont être décollées latéralement jusqu’aux premières perforantes, côté du muscle prélevé, et jusqu’à la médiane de l’autre côté (figure 9.16). On retrouve souvent plusieurs perforantes sur la même ligne verticale qui seront préservées au maximum. Il sera préférable, afin de préserver ces perforantes, de s’arrêter quelques millimètres avant afin de ne pas les léser (figure 9.17).
Libération de l’ombilic
L’ombilic sera libéré au ciseau ou au bistouri en ne le conservant pas trop petit pour éviter sa rétraction lors de la suture (figure 9.18a). Sa libération se fera jusqu’à l’aponévrose, en évitant de le dévasculariser en passant trop prés (figure 9.18b). L’ombilic est mis sur un fil long en traction afin de faciliter sa mobilisation (figure 9.19), les perforantes internes doivent être respectées.
Définition des limites de la résection aponévrotique
On trace les limites du muscle droit de l’abdomen, qui seront facilement identifiables en faisant contracter le muscle par une stimulation électrique (figure 9.20). Puis on positionnera la ligne médiane, la xiphoïde, le bord inférieur de la dernière côte (figure 9.21 et 9.22).
Incision de l’aponévrose le long du bord externe du muscle
Cette incision reste très superficielle et à distance de la ligne des perforantes (figure 9.23). Cette incision démarre quelques centimètres au-dessus de la cicatrice cutanée inférieure; elle se prolonge tout le long des perforantes en sous-ombilical et le long du bord externe du muscle droit de l’abdomen. Elle se termine au niveau de la dernière côte et remonte au-dessus vers l’extérieur (figure 9.24). Elle pourra être pratiquée soit au bistouri électrique faible, soit au bistouri froid, soit aux ciseaux fins.
Incision de l’aponévrose le long du bord interne du muscle
On commence par poursuivre le décollement cutané en dedans en dépassant l’ombilic; on poursuit sur 2 cm ou 3 cm jusqu’aux premières perforantes internes (figure 9.25). L’incision aponévrotique interne partira du bord externe de la xiphoïde, le long du bord externe du muscle, 1 cm en dedans du muscle afin de limiter la largeur de la bande aponévrotique qui sera réséquée avec le muscle et de faciliter la fermeture (figure 9.26).
Décollement de l’aponévrose en externe et en interne pour libérer le muscle
Il faut éviter de léser les perforantes (figure 9.27). Ce geste est rendu difficile au niveau des bandelettes aponévrotiques (« inscriptions »), qui sont très adhérentes. Cette aponévrose doit être respectée pour faciliter la fermeture (figure 9.28) et 9.29.