11. L’évaluation des thérapies cognitives et comportementales par la neuro-imagerie cérébrale
J. Cottraux
Les psychothérapies ont été longtemps dominées par le modèle cartésien du dualisme. Il oppose l’esprit (res cogitans), entité spirituelle immatérielle, et le corps (res extensa) qui, lui, serait régi par les lois de la physique. Selon ce point de vue, il n’y aurait pas d’ancrage de la psychothérapie dans le cerveau. Bien qu’implicite et rarement énoncée comme telle, cette croyance demeure vivace chez beaucoup de personnes et de psychothérapeutes (Pinker, 2005). Pourtant, l’ensemble des données dures actuelles place l’esprit dans le cerveau et ses circuits complexes, dont petit à petit le fonctionnement se dévoile.
Les méthodes d’imagerie fonctionnelle, principalement la tomographie à émission de positons (TEP) et l’IRM fonctionnelle (IRMf) ont été utilisées dès leur apparition pour tester des hypothèses psychologiques ou psychopathologiques mais aussi pour évaluer les effets des TCC et tenter d’en expliquer les processus. Plusieurs études ont montré des changements identiques, ou très voisins, lorsqu’on compare les effets des traitements pharmacologiques par antidépresseurs à ceux des psychothérapies. D’autres méthodes plus classiques de neuropsychologie ou de psychométrie ont également été mises en œuvre pour tester les modèles et l’effet thérapeutique des TCC. Ce chapitre va faire un bilan des recherches et des perspectives aussi bien théoriques que pratiques.
Troubles obsessionnels compulsifs
La première étude vraiment démonstrative sur l’anatomie fonctionnelle des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) provient de UCLA et du groupe de Baxter. Elle devait avoir une longue postérité.
Neuro-imagerie des TOC
La première étape fut d’établir l’existence d’anomalies métaboliques chez les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), comparés aux témoins durant l’état de repos. L’étude initiale est due àBaxter et coll. (1987), qui ont utilisé la tomographie à émission de positons (TEP) avec la méthode au 18 Fluoro-déoxy-glucose (18-FDG). Ils ont comparé 14 patients ayant un TOC, selon le DSM-III, à 14 patients déprimés et à 14 sujets contrôles normaux. Ils ont ainsi montré que les TOC avaient une activité augmentée des deux noyaux caudés et également une hyperactivité dans le gyrus orbitaire gauche. Il existait aussi une tendance à l’augmentation sur le gyrus orbitaire droit. Cependant, il faut souligner que l’hyperactivité métabolique, retrouvée avec la caméra à positons, représente un simple marqueur de l’état obsessionnel car il disparaît sous traitement pharmacologique ou psychologique. Il ne s’agit donc pas d’un trait, c’est-à-dire d’une perturbation stable qui résulte d’une modification de structure cérébrale consécutive à une malformation qui résulterait d’une altération génétique ou d’une lésion acquise. La figure 11.1 permet au lecteur de localiser le noyau caudé.
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Figure 11.1 Hémisphères cérébraux et noyau caudé.1. Corps calleux 2. Ventricule lateral 3. Septum pellucidum 4. Noyau caudé 5. Fornix 6. Commissure antérieure 7. Chiasma optique 8. Capsule interne 9. Globus pallidus 10. Lame médullaire latérale 11. Putamen 12. Capsule externe 13. Claustrum |
De nombreux travaux sont venus ensuite confirmer, pour la plus grande part, ces premiers résultats, mais avec des nuances. Une revue des données, effectuée par Cottraux et Gérard (1998), a constaté que le résultat le plus constant des diverses méthodes d’imagerie cérébrale est la mise en évidence de l’hyperfonctionnement des régions orbito frontales, chez les TOC, aussi bien à l’état de repos que lors de la provocation de symptômes par des stimulations. Ce fait expérimental est retrouvé dans 70 % de 27 études. L’implication des ganglions de la base, et en particulier du noyau caudé, n’est retrouvée que dans 55 % de ces 27 études. De plus, même si le noyau caudé est impliqué, les résultats divergent encore en ce qui concerne les modalités de cette implication. Dans certaines études, le côté droit est impliqué, dans d’autres c’est le côté gauche. Dans certaines études, le noyau caudé présente une activité augmentée, dans d’autres elle est diminuée. Ces variations peuvent être dues à des fluctuations d’échantillonnage ou à des TOC de formes cliniques différentes : en effet les laveurs, les vérificateurs, les accumulateurs, les obsessions impulsions (ou phobies d’impulsion) ont été inclus dans les études ce qui pourrait expliquer les patterns d’activité cérébrale divergents retrouvés.
C’est ce qu’a suggéré une étude réalisée par mon équipe (Cottraux et coll., 1996), qui a utilisé la TEP avec l’oxygène 15, qui permet d’analyser plus rapidement la réponse cérébrale que le deoxy glucose. Cette étude contrôlée a montré chez les patients vérificateurs un pattern d’activation en réponse à des stimulations neutres, obsédantes, ou au repos. Aussi bien les patients que les témoins étaient étudiés avec la caméra à positons dans quatre conditions.
1. Le repos, yeux clos avec un bandeau sur les yeux.
2. Une stimulation auditive d’une durée d’une minute. Elle consistait en la lecture de la pensée obsédante la plus refusée et donc la plus perturbatrice. Il s’agissait donc d’obsessions « normales » pour les témoins, et d’obsessions « anormales » pour les patients présentant un TOC. Ce qui différencie les obsessions normales des obsessions anormales et le fait que le sujet normal ne lutte pas contre elles, mais le contenu est fondamentalement le même. Le contenu de ces obsessions était déterminé par une psychologue, après un entretien d’une heure et la passation d’une batterie de tests psychologiques. Une courte phrase était enregistrée sur une cassette audio qui présentait les stimulations auditives destinée à provoquer des symptômes ; elle était répétée deux fois.
3. Une stimulation auditive neutre, présentée sur une cassette audio, qui consistait en la lecture d’un texte du journal officiel d’une durée d’une minute.
4. Une phase de repos terminait l’étude des stimulations.
Les principaux résultats sont les suivants : la stimulation obsédante produisait un débit plus élevé que la stimulation neutre dans les régions orbito-frontales aussi bien chez les normaux que les TOC. Durant la stimulation obsédante, les activités temporales supérieures et orbito-frontales étaient corrélées chez les obsessionnels, mais pas chez les contrôles. Cette étude souligne l’importance des zones orbito-frontales dans les obsessions aussi bien chez les TOC mais aussi chez les normaux. La figure 11.2 représente une image de soustraction issue de cette étude et réalisée au CERMEP du CHU de Lyon par le Dr Daniel Gérard et le Pr Luc Cinotti, chez des patients présentant un TOC avec rituels de vérification (analyse par le système satistical parametric mapping, ou SPM).
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Figure 11.2 TOC : stimulation obsédante (image de soustraction).Activation dans les régions frontale, antérieure, médiane et cingulaire postérieure gauche. |
Mais, contrairement au groupe de Baxter, cette étude a montré une diminution de l’activité des structures des ganglions de la base (putamen et noyau caudé) chez les TOC. Or Baxter (1987) avait inclus dans son étude essentiellement des « laveurs » et l’étude de Cottraux et coll. (1996) seulement des « vérificateurs ».
Cette variation typologique a inspiré un travail ultérieur, dû àMataix-Cols et coll. (2004) qui a clairement montré qu’il existait des patterns différents d’activation, selon le sous-types de TOC, en présence de stimuli neutres, obsessionnels ou simplement dégoûtants chez le patient présentant des rituels de lavage, de vérification ou d’accumulation (hoarding ou collectionnisme). Quatre patterns d’activation ont été retrouvés dans cette élégante étude. Les participants étaient 16 TOC et 17 contrôles. L’intervention consistait en quatre expériences en IRMf pour tous les sujets. La mesure utilisée était le BOLD (Blood Oxygenation-Level Dependent response). Les stimulations étaient 250 photographies : reliées au lavage, à la vérification, à l’accumulation, ou aversives sans relation avec les symptômes (insectes, cendriers pleins etc.), et enfin neutres (parapluie etc.). Les patients devaient imaginer des scénarios en relation avec chaque type d’image. Des patterns différents d’activation, mettant en rapport les stimulations avec le type clinique ont émergé :
• lavage : activation zones ventrales préfrontales et noyau caudé droit ;
• vérification : activation putamen/globus pallidus, thalamus et zônes corticales dorsales ;
• accumulation : activation cortex orbito-frontal droit et lobule paracentral (frontal postérieur interne) ;
Effets des TCC sur l’imagerie cérébrale des TOC
Une étude de Baxter (1992) a été réalisée avec la caméra à positons utilisant le 18-FDG : deux groupes de 10 patients ont été inclus dans l’étude après avoir choisi leur traitement. Ils ont eu un examen à la TEP avant et après dix semaines de traitement. La TCC comportait les méthodes d’exposition et de prévention de la réponse, des méthodes cognitives et pour certains patients une thérapie de groupe.
Les résultats ont montré le parallélisme d’action de la TCC et de la fluoxétine sur des structures cérébrales impliquées dans le contrôle de l’activité motrice, et qui pourraient être la base biologique des obsessions-compulsions. Chez les répondeurs aux deux formes de traitement il y avait une décroissance de l’hyperactivité métabolique dans le noyau caudé droit. Cependant il existait une différence entre la thérapie comportementale et la fluoxétine, en ce qui concerne leur action sur les structures cérébrales. La fluoxétine avait une action plus large car elle entraînait une diminution de l’hyperactivité métabolique non seulement dans le noyau caudé droit, mais aussi dans le cortex cingulaire droit et le thalamus gauche. Alors que la thérapie comportementale, bien qu’égale au niveau de la réduction des symptômes, ne réduisait l’hyperactivité métabolique que dans le noyau caudé droit. Deux confirmations de cette première approche ont été publiées.
Schwartz et coll. (1996) a repris l’étude de Baxter (1992), avec la même méthodologie, et lui a ajouté neuf sujets. Avec la TEP au 18-FDG, il montre que les répondeurs à la TCC avaient une décroissance bilatérale d’activité dans le noyau caudé, supérieure à celle des non répondeurs. Avant le traitement, il y avait des corrélations significatives de l’activité cérébrale entre le gyrus orbitaire et la tête du noyau caudé, et entre le noyau caudé et le thalamus du côté droit. Il semble donc bien exister un circuit préfrontal cortico-striato-thalamique impliqué dans la médiation des symptômes des TOC. Il faut noter que le fait d’augmenter l’échantillon aboutissait à la conclusion que les deux noyaux caudés étaient impliqués alors que seul le droit l’était dans l’étude princeps de Baxter (1992).
Nakatani et coll. (2003) ont étudié les effets de la thérapie comportementale sur le flux sanguin cérébral des TOC. Ils ont utilisé l’inhalation de xénon pour mesurer le flux sanguin cérébral. La méthode de thérapie comportementale était l’exposition et la prévention de la réponse aidée par un thérapeute, associée au soutien et à la prévention des rechutes qui a été appliquée chez 31 patients réfractaires au traitement dont certains prenaient des médicaments. L’étude de 22 répondeurs à la thérapie comportementale a montré une décroissance du flux sanguin cérébral dans le noyau caudé droit. Il n’y avait pas de différence, que les patients soient sous clomipramine ou non.
Phobies sociales (anxiété sociale)
L’anxiété sociale est dominée par la peur du regard des autres, forcément perçu comme critique ou réprobateur. L’anxiété d’agir ou de parler en public et une peur de l’évaluation négative en sont les manifestations cliniques les plus prégnantes. On comprend donc que le problème de la relation avec le visage d’autrui soit devenu un centre d’intérêt pour la recherche.
De nombreux travaux utilisant la neuro-imagerie ont montré le rôle du noyau amygdalien dans la réponse de peur vis-à-vis des visages nouveaux et du regard d’autrui, ou ont cherché à mesurer l’aversion du regard (Birbaumer et coll., 1998 ; Garrett et coll., 2004 ; Thomas et coll., 2001 ; Tillfors et coll., 2001). Il est possible qu’une perturbation du noyau amygdalien représente un marqueur de trait qui manifesterait ainsi un facteur de tempérament. Il serait repérable très précocement par l’IRMf lors de stimulation par la présentation de visages nouveaux et représenterait un endophénopytpe, comme le suggèrent Schwartz et Rauch (2004)
Sur le plan thérapeutique, un travail de Furmark et coll. (2002) a été effectué avec la TEP utilisant l’oxygène 15 comme marqueur. Dix-huit patients ont été rentrés dans l’étude. Il s’agissait de patients qui présentaient une phobie sociale selon le DSM-IV, et ont été randomisés en trois groupes : citalopram, TCC ou liste d’attente. Une tâche de prise de parole de deux minutes et demie, devant un public silencieux de 6-8 personnes, servait de test provocateur d’anxiété, durant l’examen à la TEP.
La comparaison de l’activité du citalopram et de la TCC dans les phobies sociales a montré, après neuf semaines de traitement, une diminution de l’activité du complexe amygdalien chez les répondeurs dans les deux groupes. Il y avait aussi une diminution dans des structures limbiques : l’hippocampe et le cortex péri-amygdalien, rhinal et para-hippocampique. Le degré de l’atténuation d’activité amygdalienne était associé à l’amélioration clinique, à un an de suivi. En somme, cette étude montre la diminution chez les répondeurs de l’activité des régions dont l’activité sous-tend les réactions de défense et les émotions qui les accompagnent.
Étude des effets de la TCC sur le trouble panique par neuro-imagerie
Une seule étude existe à ce jour (Prasko et coll., 2004) : il s’agit d’une étude avec la TEP au 18-DFG qui a comparé 6 patients en TCC et 6 patients qui prenaient un antidépresseur. Les groupes étaient attribués au hasard. Les examens TEP ont eu lieu avant et après un traitement de trois mois. Dans le groupe traité par pharmacothérapie, la diminution de la consommation de glucose avait lieu dans l’hémisphère droit, et dans les circonvolutions frontales supérieure, moyenne, médiale et dans le gyrus frontal supérieur et le gyrus temporal moyen. Une augmentation fut détectée dans l’hémisphère gauche, dans les régions frontales et temporales. Dans le groupe qui reçut la TCC il y avait une décroissance dans l’hémisphère droit, le gyrus temporal inférieur, et les gyrus frontaux supérieurs et inférieurs. Une augmentation fut retrouvée dans l’hémisphère gauche : dans le gyrus frontal inférieur, dans les régions temporales moyennes et l’insula. Il n’y avait pas de modification dans les régions limbiques : hippocampe, région para-hippocampique et l’amygdale. Cette étude isolée demande confirmation ou infirmation.

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