Chapitre 12 Les réflexes spinaux
Description des circuits réflexes spinaux
Les troncs nerveux périphériques contiennent à la fois des fibres afférentes et des fibres efférentes. Les axones sensitifs périphériques afférents ont leurs corps cellulaires localisés dans les ganglions spinaux, placés en dérivation des racines postérieures. Ils proviennent soit des régions cutanées et parcourront les nerfs cutanés, soit des muscles, des tendons et des articulations et parcourront les nerfs musculaires. Les deux types de nerfs se mélangent pour former les troncs nerveux mixtes, puis les plexus et les racines. La partie centrale des axones sensitifs émerge du ganglion spinal pour pénétrer dans la moelle par la corne postérieure. Les corps des motoneurones sont situés dans la corne antérieure de la moelle. Leurs axones efférents parcourent la racine ventrale, les troncs nerveux puis les nerfs musculaires pour gagner les différents muscles. Au niveau segmentaire, c’est-à-dire d’un segment médullaire innervé par une racine donnée, on se trouve donc en présence d’un circuit qui contient des fibres afférentes sensitives d’origine musculaire ou cutanée, d’un ensemble de synapses situées à l’intérieur du segment de moelle, et de l’émergence de fibres motrices ou efférentes qui se dirigent vers les muscles. Cette disposition anatomique permet d’étudier les réponses réflexes que l’on obtient dans l’axone des motoneurones au niveau de la racine ventrale après que celle-ci a été sectionnée au point de convergence avec la racine dorsale, pour éviter son envahissement par des influx antidromiques des fibres motrices lorsque l’on stimule les nerfs mixtes, musculaires ou cutanés.
La stimulation de la racine dorsale par des chocs électriques d’intensité progressivement croissante entraîne l’apparition de deux types de réponse réflexe dans la racine ventrale (figure 12.1). D’une part, une réponse monophasique à brève latence, caractérisée par un seuil bas de la stimulation, et qui atteint rapidement son amplitude maximale lorsque l’on augmente l’intensité de stimulation. D’autre part, une réponse de latence tardive, polyphasique et étalée dans le temps, dont le maximum est obtenu pour une stimulation dont l’intensité est double de celle de la réponse de courte latence. La stimulation du nerf musculaire permet d’observer sur la racine ventrale une organisation des réponses comparable à celle obtenue après stimulation de la racine dorsale. En revanche, la stimulation du nerf cutané n’entraîne que l’apparition de la réponse de latence tardive. La réponse de latence précoce n’apparaît jamais.
Cette différence de réponse est due au fait que la vitesse de conduction et l’excitabilité des axones périphériques varient en fonction de leur diamètre. Or, les fibres sensitives sont réparties en quatre groupes et les fibres motrices en deux groupes de diamètre différent (voir tableau 5.1 dans le chapitre 5). On voit que le nerf cutané contient des fibres sensitives de diamètre très inférieur à celui de certaines fibres contenues dans les nerfs mixtes ou à celui des motoneurones de gros diamètre.
Comme le seuil de stimulation des fibres de gros diamètre est toujours plus bas que celui des fibres fines, et que l’apparition du réflexe de brève latence sur la racine ventrale requiert une stimulation de moindre intensité que celle du réflexe de longue latence, on peut déduire que ce réflexe de brève latence est dû à la stimulation de fibres sensitives de gros diamètre contenues dans le nerf musculaire. D’autre part, la latence du réflexe de brève latence de la racine ventrale après stimulation de la racine dorsale est toujours inférieure à 1 ms. Sachant que le temps de franchissement moyen d’une synapse excitatrice est de l’ordre de 0,8 ms, on en conclut que la réponse de brève latence est une réponse monosynaptique. Par déduction, il en résulte que la réponse polyphasique de latence tardive obtenue par stimulation du nerf cutané est une réponse polysynaptique.
Réflexe général de flexion
Des stimulations d’intensité croissante d’un nerf cutané entraînent à partir d’un seuil d’intensité relativement élevé un mouvement de flexion du membre ayant pour but de soustraire celui-ci de la stimulation. Il apparaît que le seuil déclenchant ce mouvement est le seuil de sensation douloureuse. Mettant en jeu des fibres de fin diamètre (Aδ et C), ce réflexe est polysynaptique. Quel que soit le site de la stimulation douloureuse cutanée sur le membre, l’organisation des relais synaptiques, au niveau médullaire, entraîne une contraction des muscles fléchisseurs à l’exception des articulations distales du membre supérieur chez l’homme qui se placeront en extension. Il est prioritaire sur les autres réflexes liés à la posture qui, eux, sont inhibés. L’enregistrement simultané des volées efférentes dans les nerfs musculaires innervant des muscles fléchisseurs et extenseurs actionnant une même articulation montre que la mise en jeu des fléchisseurs s’accompagne d’une inhibition des extenseurs (figure 12.2). On appelle ce phénomène « innervation réciproque », et il entraîne également la mise en extension du membre controlatéral et non sa flexion. La fonction du réflexe général de flexion est donc de soustraire l’organisme à une stimulation nociceptive qui pourrait nuire à son intégrité, tout en renforçant l’activité des muscles permettant de garder la posture.
Réflexe myotatique
Le réflexe myotatique est un réflexe d’origine musculaire, qui concerne pratiquement tous les muscles de l’organisme. Il s’agit d’une force de résistance à l’allongement lorsqu’on étire un muscle. En d’autres termes, une contraction réflexe s’oppose à l’étirement d’un muscle. Ce phénomène est bien un réflexe puisqu’il disparaît lorsqu’on sectionne la racine postérieure. On peut le faciliter en étirant des muscles agonistes du même membre ou l’inhiber en étirant des muscles antagonistes. C’est lui qui est à l’origine du tonus musculaire destiné à lutter contre les effets de la pesanteur qui s’opposent aux postures.
Récepteurs musculaires à l’étirement et fibres afférentes de la boucle myotatique
L’enregistrement au niveau de la racine dorsale de la volée afférente obtenue lors de l’étirement d’un muscle permet de dire que les fibres afférentes sont des fibres de gros diamètre, myélinisées, mises en jeu dans ce réflexe qui est donc monosynaptique. Ces fibres, qu’on appelle fibres Ia, auront comme caractéristique de décharger à une fréquence continue lorsque le muscle est mis sous une tension modérée. Pendant la contraction de celui-ci, ces fibres ne déchargent plus, alors qu’au retour à la longueur initiale du muscle, la décharge réapparaîtra de nouveau (figure 12.3). Une augmentation de l’allongement du muscle augmentera la fréquence de décharge au repos. Par dissection anatomique des fibres myélinisées de gros diamètre du nerf musculaire, on peut montrer que les fibres Ia viennent innerver un récepteur particulier contenu à l’intérieur du muscle, appelé le fuseau neuromusculaire. Le fuseau neuromusculaire se trouve en parallèle avec les fibres squelettiques contractiles. Il est constitué de deux extrémités tendineuses qui sont reliées aux deux tendons musculaires, une partie contractile placée symétriquement entre le centre équatorial du fuseau et les tendons. Le centre équatorial constitue le récepteur proprement dit puisqu’il subit passivement les allongements ou les contractions du muscle, alors que les parties musculaires et tendineuses gardent une longueur fixe. La fibre sensitive Ia va venir s’enrouler en hélice autour de la partie équatoriale. L’écartement des spires de l’hélice lors de l’étirement augmente la fréquence de décharge des fibres Ia. Leur rapprochement lors de la contraction a l’effet contraire. Le système sensitif, constitué par les fuseaux musculaires et les fibres Ia qui les innervent, déclenche le réflexe myotatique de façon monosynaptique. Ainsi décrit, c’est un système figé, dans lequel tout allongement du muscle augmentera la fréquence de décharge des fibres Ia, dont la connexion monosynaptique avec les motoneurones de la corne antérieure induira en retour une contraction musculaire pour revenir à la situation initiale. Un tel système fixe la position d’un segment de membre en maintenant constant le tonus de tous les muscles. C’est donc l’élément déterminant du maintien des postures. Bien entendu, un système de contrôle est nécessaire pour permettre des mouvements ou des changements de posture (voir plus bas le motoneurone γ et ses effets).