1. Les fondamentaux de la TCC
Les thérapies comportementales et cognitives représentent l’application de la psychologie scientifique à la psychothérapie. Elles mettent l’accent sur l’utilisation d’une méthodologie expérimentale afin de comprendre et de modifier les troubles psychologiques qui perturbent la vie du patient et qui suscitent une demande auprès d’un spécialiste de santé mentale.
Elles font référence aux modèles issus des théories de l’apprentissage : conditionnement classique et opérant, apprentissage social, qui mettent l’accent sur la modification des comportements observables que sont les comportements moteur et verbal, comme pierre de touche de l’efficacité psychothérapique.
Mais elles font aussi référence aux modèles cognitifs fondés sur l’étude du traitement de l’information : processus de pensée conscients et incons-cients qui filtrent et organisent la perception des événements qui se déroulent dans l’environnement du sujet. Le comportement et les processus cognitifs ne sont cependant pas le seul point d’intervention thérapeutique : tous deux sont en interaction avec les émotions, reflet physiologique et affectif des expériences de plaisir et déplaisir.
Les techniques utilisées interviennent à ces trois niveaux : comportemental, cognitif et émotionnel. Une conception environnementaliste les sous-tend : le milieu façonne les réponses qu’émet l’organisme, mais les relations individu-milieu peuvent être remodelées favorablement par et pour le sujet. La figure 1.1 montre les différents niveaux sur lesquels peuvent intervenir les thérapies. Elle souligne aussi l’interaction entre émotion, comportement et pensées, ainsi que leurs relations avec l’environnement et les facteurs biologiques. C’est sur chacun des niveaux de ce système que portent les interventions thérapeutiques.
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Figure 1.1 |
Comportement
Le comportement, au sens de « séquence comportementale », n’est pas conçu comme le signe ou le symptôme d’un état sous-jacent, mais comme le trouble à part entière. La thérapie n’a pas pour but de supprimer une séquence de comportements mais d’apprendre au sujet une nouvelle séquence, non pathologique et incompatible avec le trouble présenté. Ce qui doit entraîner une assimilation de ce nouveau comportement dans l’ensemble de la personnalité de l’individu.
Les thérapies comportementales et cognitives ne traitent pas des symptômes mais cherchent à modifier des séquences de comportement ayant une finalité : autrement dit, des conduites. De ce point de vue, on peut définir le comportement comme étant « un enchaînement ordonné d’actions destinées à adapter l’individu à une situation telle qu’il la perçoit et l’interprète » (tableau 1.1).
Chaîne | → | Séquence comportementale |
Ordonné | → | Organisation et but |
Action | → | Systèmes moteur et verbal |
Situation | → | Stimuli organisés |
Perception | → | Système cognitif : extraction d’une forme |
Interprétation | → | Schémas cognitifs |
La notion de chaîne correspond à une séquence comportementale complexe, qui a une organisation et un but. Les actions motrices ou verbales vont adapter le sujet à un ensemble de stimuli environnementaux, interprétés en fonction de schémas cognitifs acquis et stockés dans la mémoire à long terme.
Cognitions
La cognition est l’acte de connaissance. Elle consiste donc en l’acquisition, l’organisation et l’utilisation du savoir sur soi et le monde extérieur. La psychologie cognitive est l’étude de l’activité mentale dans ses relations avec la perception, les pensées et l’action. Les phénomènes mentaux conscients et inconscients qui permettent à l’individu de s’adapter aux stimuli internes et externes représentent son champ d’étude. Elle se centre sur les processus mentaux les plus élaborés : la pensée, la prise de décision, la perception et la mémoire.
En particulier, la psychologie cognitive étudie le traitement de l’information. Celle-ci s’effectue par l’intermédiaire de schémas mentaux inconscients situés dans la mémoire à long terme. Les schémas sont des entités organisées qui contiennent à un moment donné tout le savoir d’un individu sur lui-même et le monde : ils guident l’attention et la perception sélective des stimuli environnementaux. Les schémas peuvent être définis comme des représentations organisées de l’expérience préalable qui facilitent le rappel des souvenirs. Mais, en même temps, ils entraînent des déformations systématiques de la perception, de l’attention, et assimilent les nouvelles constructions mentales en les rendant compatibles à celles qui existent déjà. Ils représentent donc le poids du passé sur l’avenir de l’individu.
Émotions
Les émotions sont caractérisées par des sensations physiques de plaisir ou de déplaisir correspondant à des modifications physiologiques en réponse à des stimuli environnementaux. Cependant, l’organisme ne répond pas passivement et en fonction des caractéristiques des stimulations auxquelles il se trouve exposé. Sa perception des événements dépend de ses expériences antérieures et de l’état physique dans lequel il se trouve à ce moment précis. La transformation de l’émotion – phénomène physique – en affect – phénomène mental (plaisir, tristesse, anxiété, peur, dégoût, colère) – dépend de l’interprétation de la situation mais non de la situation par elle-même. Ainsi l’Affectaffect dépendrait de la cognition (voir chapitre 3). Le plus souvent, le patient nous apporte des affects verbalisés dans une terminologie « psy » : « J’ai un malaise, qui m’interpelle quelque part au niveau du vécu. » Cette formule cliché exprime la confusion des sentiments qui est le véritable motif de la consultation. Au thérapeute et au patient de lui donner sens et forme thérapeutique.
Thérapie et modification de comportement
Tout en tenant compte de facteurs biologiques, les thérapies cherchent à modifier les facteurs de déclenchement et de maintien des perturbations perçues par le patient : anxiété, dépression, problèmes relationnels et sexuels. Leur but final est d’accroître les possibilités d’autogestion du sujet. Le point de départ est donc une souffrance perçue presque toujours par le patient, parfois seulement par son entourage, et souvent par les deux à la fois.
La modification du comportement, si elle est effectuée dans un autre cadre qu’un contrat de soins, ne se trouve pas incluse dans la thérapeutique proprement dite. Le développement non thérapeutique des méthodes issues des théories de l’apprentissage et des théories cognitives est très étendu. Si des applications existent avant tout dans l’éducation ou la prévention des maladies physiques ou psychiatriques, on en trouve aussi dans la publicité, la gestion des ressources humaines, le marketing et la recherche d’emploi.
Déroulement des thérapies
Les thérapies sont structurées et se déroulent sur dix à vingt-cinq séances avec éventuellement des rappels, notamment pour la plupart des troubles anxieux, des problèmes sexuels ou de la dépression. La prise en charge et la réhabilitation des patients schizophrènes nécessitent en général le maintien d’un « environnement prothèse » plus ou moins structuré selon le degré de régression ou d’évolution du patient durant plusieurs années. Les troubles de la personnalité peuvent nécessiter de un à trois ans de traitement. Les thérapies comprennent typiquement quatre phases.
Analyse fonctionnelle
Elle porte sur l’observation du comportement directement ou indirectement quantifiable. Son but est de préciser les conditions de maintien et de déclenchement des comportements. L’analyse fonctionnelle ne s’arrête pas aux aspects superficiels, mais cherche à isoler le ou les problèmes clés, dont la solution modifiera de façon durable et importante le comportement. La dimension historique de l’acquisition des perturbations sera bien entendu étudiée. Le thérapeute étudiera également les pensées, les images mentales, les monologues intérieurs qui bien souvent vont accompagner et/ou précéder les comportements problèmes. Enfin, il définira avec autant de précision que possible les comportements moteurs ou verbaux.
Définition d’un objectif au traitement
Le thérapeute et le patient vont progressivement se mettre d’accord pour formuler des hypothèses communes sur les troubles en cause, leurs facteurs de déclenchement et de maintien. Puis seront établis des « contrats » entre thérapeute et patient. Les contrats portent sur les buts du traitement : problèmes cibles définis en termes concrets et pratiques. Ils portent aussi sur les moyens du traitement. On part de l’hypothèse qu’une intervention de type structurée, et la « collaboration scientifique » avec le thérapeute, lui permettront de se libérer des comportements répétitifs dont il souffre.
Mise en œuvre d’un programme de traitement
Le programme thérapeutique utilise les principes et les techniques définis au préalable avec le patient. Le thérapeute développe donc chez le patient la capacité d’autorégulation de ses comportements, ce qui lui permettra de généraliser à l’extérieur de la situation thérapeutique les changements qui y ont été appris. Cela évite les rechutes et explique l’absence de « substitutions de symptômes », dans la mesure où un autre comportement plus satisfaisant se développe après l’élimination du comportement problème.
Évaluation des résultats du traitement
L’évaluation s’effectue en comparant les mesures répétées qui sont effectuées avant, durant et après le traitement. Le suivi est d’au moins un an après la fin du traitement, avec en général des points d’évaluation à un mois, six mois et un an.
Le problème de la motivation au changement
Il n’y a pas de changement sans motivation, c’est-à-dire l’espérance d’un résultat ou l’attente d’une quelconque efficacité de la thérapie qui va être entreprise (Bandura, 1977). Il apparaît donc vain de vouloir changer ceux qui viennent en thérapie simplement pour être pris en charge, sans véritablement désir de changement. La thérapie comportementale étant active, elle nécessite un certain niveau de motivation et il vaut mieux en avertir le patient.
Le changement procède essentiellement d’apprentissages et de désapprentissages quel que soit le type de thérapie. La prise de conscience des « traumatismes déclenchants » et des situations initiales de conditionnement s’avère rarement suffisante pour modifier un comportement perturbé. Les sujets en TCC apprennent à s’observer, à s’auto-évaluer et à utiliser des méthodes qui leur serviront pour d’autres problèmes que ceux pour lesquels ils ont consulté le thérapeute.
Même si l’on sait qu’il y a une structure de la personnalité, le changement d’un des éléments de la structure entraîne une modification de celle-ci par l’intermédiaire d’un réarrangement des autres éléments. Aussi, le changement d’une partie peut entraîner la modification de l’ensemble. Le choix du comportement, des émotions et des cognitions cibles, dont la modification entraînera une telle réaction en chaîne, est donc fondamental. On peut comparer ce changement structural à une intervention biochimique plus que chirurgicale. C’est ce qui peut expliquer les résultats des TCC dans les troubles de la personnalité (voir chapitres 14 et 21).
Cependant, certaines personnes utilisent au mieux leurs expériences personnelles, d’autres semblent ne rien apprendre des circonstances qu’ils ont vécues. On peut donc se poser la question : quels sont les processus de maintien des comportements autodéfaitistes et quels sont les processus de changement ? La répétition des mêmes comportements s’oppose au changement et les sujets se trouvent captifs de scénarios de vie (Cottraux, 2001) qui consistent à répéter les mêmes comportements inefficaces en espérant que la vie changera. Et bien souvent, une personne intelligente met en acte un scénario stupide avec une absence de conscience ou conscience partielle, du fait qu’elle se nuit à elle-même. La conscience partielle du problème, souvent relié à un trouble de la personnalité, entraîne une demande de thérapie.
D’une manière générale, la résistance fait partie de processus de changement. Il est naturel et sain pour un individu de résister à un changement trop rapide.
Le changement dépend de la taille de la zone de sécurité de chacun. Celle-ci peut aller du lit et de la chambre à l’espace intersidéral, en passant par la rue, un pays ou un continent. Entrer dans la zone de sécurité active des réactions d’autoprotection car il y a perception du danger, retrait, évitement.
Un cas extrême est celui d’un de mes patients qui présentait une phobie sociale grave avec des traits de personnalité schizoïde : il insista beaucoup pour être pris en charge en TCC, mais lorsque ce fut possible, il présenta toute une série de malaises physiques, pour finalement reconnaître que le seul endroit où il se sentait bien était dans sa chambre près de son chat, à regarder la télévision, et annuler sa demande qui était pourtant au début très pressante. Heureusement tous les cas ne sont pas si difficiles.
Le modèle du changement de Prochaska et Di Clemente : les bases de la thérapie motivationnelle
Toute thérapie peut appliquer le modèle du changement de Prochaska et Di Clemente (1986). Ce modèle a été créé pour l’alcoolisme (Miller, 1999 ; Miller et Rollnick, 2006) et le tabagisme. Il s’inspire très directement des travaux de Bandura, 1977 and Bandura, 2007 sur l’efficacité personnelle perçue (voir chapitre 3), et peut être étendu à tous les processus de changement, qu’ils soient psychothérapiques ou non (figure 1.2).
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Figure 1.2 (d’après Prochaska et Di Clemente) |
1 Les personnes qui n’envisagent pas de changer leurs comportements sont décrites comme des précontemplateurs. À ce stade, les processus de changement résultent de motivations externes ; la maladie, les phases de la vie et leur changement physique ou de statut social peuvent établir une pression sur l’individu telle qu’il soit pratiquement obligé de considérer la possibilité d’un changement.
2 L’étape de contemplation commence quand l’individu admet qu’il a un problème et qu’il va étudier les possibilités et le coût (psychologique et financier) du changement. Il envisage changer dans les six mois à venir et se prépare au changement. Les processus de changement à ce stade sont l’observation des autres, la recherche d’information, la prise de conscience, la confrontation par les autres au problème, parfois l’entrée dans une thérapie.
3 Puis les personnes vont progresser et vont atteindre le stade de la décision où elles vont envisager les actions nécessaires au changement. Dans cette phase de décision, les personnes vont développer une résolution ferme de passer aux actes. Une solution est influencée par les expériences passées, et les tentatives antérieures de changement. Les individus qui ont fait plusieurs tentatives infructueuses de changement ont besoin d’encouragements pour se décider à reprendre le cycle de changement.
4 Une fois que les personnes ont commencé à modifier le comportement problème, ils sont dans le stade de l’action qui normalement continue durant trois à six mois. À ce stade, les processus de changement sont essentiellement l’autocontrôle. L’autocontrôle peut se définir comme le degré personnel d’autodétermination, c’est-à-dire la capacité à agir sans se laisser influencer par les contingences de l’environnement.
5 Après avoir passé avec succès la phase d’action, les personnes vont ensuite prendre l’étape du maintien, autrement dit du changement soutenu.
6 Si l’ensemble de ces efforts échoue, on entre, à ce moment, dans un stade de rechute et l’individu peut rentrer dans un nouveau cycle, en repartant au niveau de la pré-contemplation.
Le thérapeute comme facilitation du changement : la tâche du thérapeute est d’aider l’individu à passer d’un stade à l’autre du cycle aussi rapidement que possible. Mais il doit dire au patient que lui seul est l’agent du changement : « Même si je voulais vous changer, je ne le pourrais pas, car le changement est votre décision personnelle. » Si l’on pense qu’il y a peu d’espoir que les choses peuvent changer, il y a également peu de raison de faire face au problème.
Freeman et Nolan (2001) ont essayé de relier les modèles du développement individuel à celui de Prochaska et Di Clemente et de revoir ce modèle dans la perspective plus générale de la psychothérapie. Selon ces deux thérapeutes cognitivistes, on peut considérer que dix phases définissent les processus de changement :
1 Non-contemplation : n’y pense pas.
3 Précontemplation : considère les raisons, la possibilité et les conséquences.
4 Contemplation : considère activement le changement.
5 Planification de l’action : décisions avec un thérapeute.
6 Action : modification progressive des comportements.
7 Prédéfaillance : cognitions négatives et nostalgie des vieux comportements.
8 Défaillance : diminution des acquis.
9 Rechute : retour à l’état initial.
10 Maintenance : maintien et optimisation du changement.

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