Les Démences Frontotemporales

8. Les Démences Frontotemporales

Xavier Delbeuck, Florence Lebert and Florence Pasquier






DÉFINITIONS ET GÉNÉRALITÉS






– la DFT telle qu’on vient de la décrire encore appelée variante frontale ou comportementale, présentation la plus fréquente et la mieux connue ;


– la démence sémantique ;


– l’aphasie progressive primaire non fluente (APPNF).

Ces deux derniers syndromes, en lien avec une dégénérescence temporale, sont parfois appelés variants temporaux. C’est pourquoi il est plus prudent de préciser le syndrome dont on veut parler.

Il existe des points communs entre ces syndromes : ils touchent des patients jeunes, généralement de moins de 65 ans, parfois très jeunes (les formes les plus précoces de DFT comportementales ont été décrites chez des patients d’une vingtaine d’années), mais des cas plus tardifs sont possibles, et les formes familiales, de transmission autosomique dominante sont fréquentes (30-40 % des cas). Une atrophie des régions frontales et temporales antérieures, parfois pariétales antérieures, est visible en imagerie structurale (IRM, scanner) et un hypométabolisme des mêmes régions est observé en imagerie fonctionnelle (TEMP ou TEP). Des chevauchements sont possibles entre les différents syndromes : un patient aphasique peut présenter au cours de l’évolution des troubles du comportement, les patients ayant des troubles du comportement inauguraux deviennent mutiques, etc. La durée d’évolution des DFT est comparable à celle de la maladie d’Alzheimer.

Du point de vue neuropathologique, plusieurs types d’inclusions pathologiques intracellulaires sont décrits (tau positives, ubiquitine positives, neurofilamentaires…) qui correspondent pour certaines à des mutations génétiques différentes (gène de la protéine tau, gène de la progranuline, tous deux sur le chromosome 17, ou mutations sur le chromosome 3, 9…). Au sein d’une même famille, plusieurs phénotypes (présentations cliniques) sont décrits. Des chevauchements avec d’autres pathologies comme la sclérose latérale amyotrophique, le syndrome de dégénérescence corticobasale (apraxie gestuelle avec syndrome parkinsonien asymétrique) ou encore la paralysie supranucléaire sont possibles.


TROIS PRINCIPAUX SYNDROMES DE DÉMENCE FRONTOTEMPORALE



VARIANTE COMPORTEMENTALE DE DFT


Le premier consensus diagnostique [2] a décrit les principaux symptômes des DFT (tableau 8.1). En 1998 [1] et 2001 [3], des critères révisés ont été proposés avec une présentation plus catégorielle des mêmes symptômes.



















Tableau 8.1 Critères comportementaux et affectifs de Lund & Manchester [2].
Troubles du comportement Début insidieux et progression lente
Négligence physique précoce (manque de soins, d’hygiene)
Négligence des convenances sociales (manque de tact, écarts de conduite)
Conduite désinhibée précoce (sexualité non refrénée, actes de violence, jovialité inapproprieé, déambulations incessantes)
Rigidité mentale et inflexibilité
Hyperoralité (augmentation des prises de nourriture, lubies, consommation excessive de tabac ou de boissons alcoolisées, exploration orale des objets)
Conduites stéréotypées et persévérations (vagabondage, tics, activités rituelles, collectionnisme)
Conduites d’utilisation
Distractibilité, impulsivité, impersistance
Perte précoce de la conscience que les troubles puissent provenir d’une pathologie de son fonctionnement mental
Troubles affectifs Dépression, anxiété, sentimentalité excessive, idées fixes et idées suicidaires, idées fausses précoces et éphemeres
Indifférence émotive, insouciance affective, manque d’empathie et de sympathie
Apathie
Amimie
Troubles du langage Réduction progressive du langage
Stéréotypies verbales
Écholalie, persévérations, mutisme
Fonctions préservées Orientation spatiale et praxies
Signes physiques Reflexes archaïques précoces, troubles des conduites sphinctériennes, akinésie, hypertonie, tremblement
Hypotension artérielle, variations tensionnelles


L’évaluation comportementale


Les troubles du comportement étant inauguraux, l’évaluation comportementale a un rôle fondamental dans le diagnostic précoce. Trois principaux outils ont été développés en vue d’une aide au diagnostic :




– le Frontal Behavioural Inventory ou FBI [4] est une liste de 24 items regroupant les signes comportementaux habituels de la DFT avec quelques signes neurologiques en plus. Chaque item est coté de 0 à 3, de « aucun » à « sévère ». Un score supérieur à 30 est considéré comme spécifique de la DFT comparativement à la maladie d’Alzheimer et à la « démence » dépressive ;


– l’Échelle de dysfonctionnement frontal (EDF) ou Frontotemporal Behavioral Scale[5] se distingue des 2 autres échelles par le fait que les symptômes sont regroupés en 4 classes de manifestations de dysfonctionnement frontal : la perte du contrôle de soi, les manifestations de négligence physique ou de l’environnement, les signes d’une réduction d’intérêt associés aux manifestations de persévération et les modifications affectives. Les auteurs expliquent ce choix par la variabilité des tableaux cliniques rencontrés au sein des DFT. Il est attribué un point lorsqu’il y a au moins un symptôme présent dans une classe (score maximum : 4 points). Un score supérieur ou égal à 3 points donne une sensibilité de 100 % et une spécificité de 93 % à cette échelle dans les formes légères de démence (MMS ≽ 18), la validation ayant été faite auprès de patients DFT, atteints de maladie d’Alzheimer et atteints de démence vasculaire ;


– le Middelheim Frontality Score ou MFS [6] consiste en un questionnaire portant sur 10 domaines comportementaux. Un point est attribué à chaque domaine. L’outil a été validé comparativement à des patients Alzheimer. Un seuil de 5 permet d’avoir une sensibilité de 88,7 % et une spécificité de 89 % pour le dépistage des troubles du comportement associés à la DFT.


L’évaluation neuropsychologique


Pour argumenter le diagnostic, une perturbation des tests dits « frontaux » ou exécutifs doit être recherchée chez ces patients qui peuvent manifester des troubles lorsqu’ils sont confrontés à des situations nouvelles (troubles de planification, flexibilité mentale, inhibition, capacités d’abstraction, etc.). Certaines études ont montré un dysfonctionnement exécutif plus prononcé dans la DFT que dans la maladie d’Alzheimer [7], mais pas pour toutes les épreuves [8]. Les divergences entre études s’expliquent par le choix des tests mais également par le caractère multidéterminé des épreuves exécutives (qui peuvent potentiellement être échouées pour des raisons non exécutives), les facteurs pris en compte pour l’appariement des deux populations de patients (par exemple, des épreuves comme le MMS ne sont pas adaptées pour évaluer le niveau de détérioration cognitive des patients DFT et donc pour les apparier sur la sévérité de démence avec des patients Alzheimer), etc. Par ailleurs, ces études se sont généralement limitées à regarder le fonctionnement exécutif des patients de manière isolée, sans référence au niveau de performance dans d’autres sphères cognitives. Pourtant, comme le soulignent les critères de Neary et al. [1], des difficultés exécutives devraient être observées dans la DFT en l’absence de troubles sévères de mémoire, d’aphasie ou de troubles perceptivospatiaux, contrairement à ce qui est attendu dans la maladie d’Alzheimer. En conséquence, le bilan neuropsychologique doit s’assurer de la préservation des capacités dans d’autres sphères cognitives telles que le langage, la perception visuelle élémentaire, les habiletés spatiales et la mémoire, à un stade débutant de la maladie [9]. Toutefois, certains patients DFT peuvent présenter des troubles mnésiques sévères dès le début de leur maladie, comme il a été rapporté dans quelques cas confirmés par une autopsie [10], certains patients ayant d’ailleurs initialement reçu le diagnostic de maladie d’Alzheimer. Des difficultés de mémoire sont en fait fréquemment retrouvées dans les études de groupe de patients DFT. Ainsi, à l’épreuve de rappel libre/rappel indicé 16 items [11], des difficultés équivalentes dans la condition de rappel libre peuvent être constatées chez les patients atteints de DFT et de la maladie d’Alzheimer appariés sur le score à l’échelle de démence de Mattis par rapport à des participants de contrôle. Cependant, les patients DFT bénéficient davantage de l’indiçage que les patients Alzheimer [12]. Ces résultats suggèrent que les difficultés de mémoire des patients DFT affectent plus spécifiquement les processus de récupération en mémoire en laissant les capacités d’encodage et de stockage globalement préservées.

Outre des différences quantitatives, des divergences qualitatives entre DFT et maladie d’Alzheimer sont également notées [13]. Ainsi, à score équivalent dans une épreuve, le type d’erreurs peut être fort différent dans ces populations : lors d’épreuves visuoconstructives, les patients Alzheimer peuvent réaliser des erreurs de type spatial (c’est-à-dire dessiner des éléments individuels d’une figure de manière isolée ou dans un alignement spatial non correct) alors que les patients DFT sont susceptibles d’ajouter des détails supplémentaires par rapport au modèle original.

Si les troubles des fonctions exécutives sont attendus, leur absence n’exclut pas le diagnostic de DFT. Ces perturbations sont en effet principalement observées en cas d’atrophie frontale diffuse s’étendant au cortex frontal dorsolatéral mais peuvent être absentes lorsque l’atrophie est limitée à la région orbitale interne [14]. Pour cette raison, l’examen neuropsychologique doit être complété par d’autres outils pour corroborer l’hypothèse diagnostique. Les aspects de cognition sociale sont particulièrement intéressants à cet égard. Des études récentes ont en effet mis en évidence une perturbation de celle-ci notamment par le biais d’épreuves évaluant la théorie de l’esprit (capacité à se représenter l’état mental d’autrui, ses pensées et ses sentiments), comme le test des faux pas (le sujet doit détecter au sein de différentes histoires si un personnage dit quelque chose qu’il n’aurait pas dû dire ou quelque chose de maladroit). Cette dernière épreuve est fréquemment perturbée chez les patients DFT par rapport aux participants de contrôle et aux patients Alzheimer [15]. Les patients DFT ont plus particulièrement des difficultés à donner une explication empathique (affective) pour les faux pas commis [16]. Ces perturbations de la cognition sociale sont liées à un dysfonctionnement orbitofrontal ou préfrontal interne [17] et aux modifications comportementales des patients DFT. Elles doivent donc être recherchées en cas de suspicion de DFT au stade précoce. De même, il est possible d’objectiver des troubles du traitement de l’émotion dans cette population. Cette question a notamment été abordée par le biais d’épreuves visant à évaluer les capacités des patients DFT à reconnaître des émotions sur les visages [18], notamment les émotions négatives, comparativement aux patients Alzheimer [19].

Cliniquement, l’étude de la cognition sociale peut contribuer au diagnostic différentiel avec la maladie d’Alzheimer mais également avec d’autres affections démentielles. Ainsi, les patients DFT ont des difficultés à réaliser des inférences pour comprendre des bandes dessinées et des histoires humoristiques (qui sont interprétées de manière concrète et littérale), alors que les patients présentant une démence sous-corticale (maladie de Huntington) n’en ont pas (même si leurs inférences sont déviantes par rapport à l’interprétation conventionnelle). Cette différence entre les deux populations est d’ailleurs constatée lors de l’analyse de contenu des descriptions des situations : les patients DFT utilisent significativement moins de verbes se référant à un état mental que les patients Huntington qui les utilisent dans une même proportion que les participants de contrôle [20].

En dehors de la cognition sociale et de la reconnaissance des émotions, d’autres aspects cognitifs peuvent être intéressants comme les confabulations [21] ou encore les capacités de prise de décision [16] qui sont généralement perturbées chez les patients DFT.


La prise en charge pharmacologique


L’altération du système sérotoninergique est celle la plus souvent rapportée parmi les modifications des neuromédiateurs dans la DFT (variante comportementale), contrairement à l’atteinte cholinergique au premier plan dans la maladie d’Alzheimer. Les études neuropathologiques ont décrit dans la DFT une réduction des métabolites de la sérotonine, une réduction des récepteurs 5HT2a du cortex frontal et une perte cellulaire dans le noyau raphé dorsalis. L’imagerie fonctionnelle en tomographie par émission de positons a confirmé la réduction des récepteurs 5HT2a. Le lien entre modifications du comportement et altérations du système sérotoninergique est renforcé par l’efficacité des agents sérotoninergiques dans des études cliniques en ouvert, comme en double aveugle contre placebo. Les stéréotypies sont la cible de la fluvoxamine [22], tandis que la trazodone, inhibiteur de la recapture de la sérotonine mais aussi antagoniste 5HT2a, disponible en pharmacie hospitalière, a entraîné une amélioration significative des troubles du comportement dans un essai en double aveugle. La cible de cette substance était surtout les troubles des conduites alimentaires, l’agitation, les symptômes dépressifs et l’irritabilité[23]. La réduction des troubles du comportement paraît dans notre expérience allonger le maintien au domicile. À l’inverse, certains traitements sont délétères comme les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, indiqués dans la maladie d’Alzheimer et les neuroleptiques classiques indiqués dans les pathologies psychotiques, ce qui appuie la nécessité d’un diagnostic précis pour la prise en charge du patient.



La prise en charge institutionnelle


Certains symptômes sont particulièrement sensibles à l’environnement, comme l’apathie et l’agressivité. Ainsi, ils peuvent disparaître rapidement durant une hospitalisation même sans modification pharmacologique. Campbell et al. [25] avaient déjà noté l’influence des caractéristiques environnementales sur les symptômes comportementaux frontaux et le bénéfice des hospitalisations. Dans ce cas de figure, une analyse qualitative de l’environnement habituel et actuel doit être faite, portant sur les caractéristiques des relations humaines, des conditions matérielles et des événements de vie récents. L’hospitalisation diffère du domicile entre autres par la multiplicité des intervenants, leur peu de familiarité, leur faible lien émotionnel, le professionnalisme de la relation, la limitation de l’espace, l’absence de survenue d’événements inattendus exigeant un niveau élevé de ressources attentionnelles et de fonctions exécutives, l’absence de libre accès aux toxiques comme l’alcool, différents éléments pouvant influencer un comportement « frontal ».


La prise en charge sociale


Une rencontre avec une assistante sociale est à recommander afin d’envisager les aides médicosociales pouvant dépendre de l’âge du patient. Parmi ces offres, certains accueils de jour ont spécialisé une plage horaire pour les malades jeunes, ils sont à recommander particulièrement aux patients DFT.

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May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on Les Démences Frontotemporales

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