9. Les Démences et les Troubles Cognitifs non Démentiels D’origine Vasculaire
Martine Roussel and Olivier Godefroy
Véritable priorité de santé publique, la pathologie neurovasculaire est fréquente avec 120 à 160 000 nouveaux accidents vasculaires cérébraux (AVC) par an en France. Elle constitue la première cause de handicap de l’adulte, la deuxième cause de démence et l’une des trois causes majeures de mortalité dans les pays occidentaux. Ainsi, 15 à 20 % des patients décèdent au terme du premier mois post-AVC et des séquelles fonctionnelles sont observées chez 60 à 75 % des survivants. Les séquelles sont liées aux troubles moteurs et locomoteurs, puis aux troubles cognitifs et comportementaux et aux syndromes anxiodépressifs [1].
La classique approche analysant les troubles cognitifs en fonction de la localisation de la lésion vasculaire a été renouvelée par des travaux évaluant les performances de patients consécutifs (c’est-à-dire inclus consécutivement) quelle que soit la localisation de la lésion vasculaire. Ces travaux ont révélé, d’une part la fréquence des troubles cognitifs après un AVC (qu’ils soient suffisamment sévères pour correspondre aux critères de démence ou non), et d’autre part, ont isolé un profil plus spécifique à la pathologie neurovasculaire dominé par des troubles dysexécutifs, mnésiques et une bradypsychie.
Avant d’exposer les résultats des principaux travaux dévolus aux perturbations cognitives de la pathologie neurovasculaire, nous en rappelons les principaux mécanismes pour le lecteur non spécialisé.
MALADIES CÉRÉBROVASCULAIRES
Le terme d’AVC regroupe principalement les accidents ischémiques (représentant 80 % environ des AVC), les hémorragies cérébrales (10 % environ) et méningées (5 % environ) et d’autres pathologies plus rares dont les thromboses veineuses cérébrales. L’AVC réalise typiquement un déficit neurologique soudain qui concerne une région cérébrale ce qui explique le classique caractère focal de la symptomatologie. Ils peuvent concerner tous les sujets mais atteignent plus souvent un patient de plus de 60 ans avec un ou plusieurs facteurs de risque vasculaire, comme l’hypertension artérielle, le diabète, l’hypercholestérolémie, le tabagisme, l’alcoolisme et la fibrillation auriculaire. Avant de développer les troubles cognitifs vasculaires, nous proposons de rappeler les principales caractéristiques des pathologies cérébrovasculaires.
ACCIDENTS ISCHÉMIQUES
Le cerveau est irrigué par quatre pédicules artériels naissant de la crosse aortique : deux artères carotides internes et deux artères vertébrales. À l’étage intracrânien, les deux artères vertébrales s’unissent pour donner le tronc basilaire qui se divise en deux artères cérébrales postérieures (figure 9.1). Chaque artère carotide interne donne quatre branches terminales : l’artère cérébrale antérieure, l’artère cérébrale moyenne (ou sylvienne), l’artère choroïdienne antérieure et l’artère communicante postérieure. Le fonctionnement et la survie des neurones nécessitent une irrigation sanguine importante. Une diminution importante du débit sanguin régional entraîne initialement une perte de fonction des neurones (qui se traduit par un déficit neurologique) et si la diminution de débit n’est pas rapidement corrigée, le processus de mort neuronale (responsable de l’infarctus cérébral) est enclenché. La diminution du débit sanguin régional est le plus souvent liée à une occlusion artérielle par un caillot originaire d’une artère ou du cœur.
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Fig. 9.1 — Angiographie par résonance magnétique des troncs supra-aortiques et du polygone de Willis.Artères gauches et droites : carotides primitives (0) et internes (1), vertébrales (2), basilaire (3), cérébrales moyennes (4). |
Les différents types d’accidents ischémiques
Les accidents ischémiques cérébraux sont soit transitoires c’est-à-dire responsables d’un déficit durant moins de 24 heures (le plus souvent moins de dix minutes), soit constitués et alors liés à un infarctus cérébral visualisé sur l’imagerie. L’accident ischémique transitoire témoigne d’un risque élevé d’événement vasculaire majeur à brève échéance.
Il est habituel de distinguer trois grands types d’infarctus cérébraux qui correspondent à des mécanismes, tableaux cliniques et devenirs différents : les infarctus lacunaires, territoriaux et jonctionnels. Les infarctus lacunaires (ou lacunes) constituent des infarctus de petite taille (diamètre inférieur ou égal à 15mm) et siègent dans les régions hémisphériques profondes (noyaux lenticulaire et caudé, capsule interne, centre ovale) ou la protubérance. Ils sont liés à une maladie des artérioles perforantes, le plus souvent la lipohyalinose (modification des vaisseaux sanguins causée par une hypertension artérielle chronique). Leur petite taille et leur siège profond expliquent qu’ils soient responsables de troubles limités à une fonction (motrice ou sensitive le plus souvent). Les infarctus territoriaux concernent plus ou moins complètement la région irriguée par une artère (le plus souvent l’artère cérébrale moyenne ou postérieure) et sont habituellement liés à l’occlusion de l’artère porteuse. Enfin, l’infarctus jonctionnel réalise un infarctus situé à la jonction de deux territoires artériels (artère cérébrale postérieure et moyenne notamment) et suggère un mécanisme de bas débit comme cela est observé en cas de sténoses et occlusions multiples des artères cervicales.
Les principales causes des accidents ischémiques
– l’athérosclérose (trouvée dans environ un tiers des cas) ;
– les maladies des petits vaisseaux (environ 25 % des cas) dominées par la lipohyalinose ;
– les embolies d’origine cardiaque (environ 25 % des cas) dominées par la fibrillation auriculaire.
D’autres causes sont observées moins fréquemment ou dans des populations particulières, comme la dissection (fissure dans la paroi de l’artère) des artères carotides ou vertébrales et les anomalies de la coagulation. Une cause rare de maladie des petits vaisseaux est le CADASIL (Cerebral Autosomal Dominant Arteriopathy with Subcortical Infarct and Leukoencephalopathy) qui est lié à une mutation du gène Notch3. Il entraîne parfois des migraines et surtout des accidents ischémiques répétés vers l’âge de 40 ans avec une évolution vers la démence en général vers l’âge de 60 ans.
Les principaux tableaux cliniques
Le tableau clinique dépend de la localisation de l’infarctus et de sa taille (tableau 9.1). Schématiquement les infarctus en territoire carotidien se manifestent par un déficit sensitivomoteur controlésionnel éventuellement associé à une hémianopsie controlésionnelle et à un syndrome hémisphérique dont la nature varie selon la latéralité de la lésion. Les infarctus en territoire vertébrobasilaire peuvent concerner l’artère cérébrale postérieure, le thalamus, le cervelet et le tronc cérébral. Les infarctus unilatéraux du tronc cérébral se manifestent par un syndrome alterne (associant des signes d’atteinte des nerfs crâniens du côté de la lésion et un déficit sensitivomoteur de l’hémicorps contralatéral à la lésion). Les infarctus bilatéraux entraînent le plus souvent un coma et peuvent évoluer vers un locked-in syndrome.
Circulation antérieure (système carotidien) | |
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Artère cérébrale moyenne | – Territoire cortical antérieur : déficit sensitivomoteur hémicorporel (prédominance brachiofaciale) avec aphasie (Broca) en cas de lésion gauche et possible héminégligence en cas de lésion droite. – Territoire cortical postérieur : hémianopsie latérale homonyme associée selon la latéralité lésionnelle à un syndrome hémisphérique gauche (aphasie de Wernicke, apraxie gestuelle, syndrome de Gertsmann) ou droit (apraxie constructive, anosognosie, hémiasomatognosie, héminégligence spatiale) plus ou moins complet. Territoire profond (lenticulostrié) : déficit sensitivomoteur hémicorporel (proportionnel) avec aphasie en cas de lésion gauche. |
Artère cérébrale antérieure | Déficit sensitivomoteur hémicorporel (prédominance crurale) avec aphasie (transcorticale motrice) en cas de lésion gauche. Signes dysexécutifs cliniques plus fréquents en cas d’infarctus bilatéraux : grasping, apathie, aboulie, indifférence affective, mutisme akinétique. |
Artère choroïdienne antérieure | Déficit sensitivomoteur hémicorporel (proportionnel) avec hémianopsie latérale homonyme, aphasie en cas de lésion gauche et rarement héminégligence en cas de lésion droite. |
Circulation postérieure (système vertébrobasilaire) | |
Artère cérébrale postérieure | Hémianopsie latérale homonyme avec selon l’extension et la latéralité lésionnelle : troubles mnésiques (temporal interne et thalamus), comportementaux (thalamus), sensitivomoteurs (capsulothalamique), aphasiques (thalamus), visuognosiques (temporal inférieur), de l’orientation topographique et stratégie du regard (pariétal médial). |
Infarctus thalamique | Déficit sensitif, hypersomnie, troubles comportementaux et dysexécutifs, aphasie ou héminégligence. |
HÉMORRAGIES CÉRÉBRALES
Elles sont liées à un saignement spontané au sein du cerveau et représentent environ 10 % des AVC. La pratique distingue deux types selon la localisation : les hémorragies lobaires qui concernent tout ou partie d’un lobe cérébral et les hémorragies profondes qui siègent dans les structures sous-corticales (noyaux lenticulaire et caudé, capsule interne, centre ovale) dont on rapproche les hémorragies de la fosse postérieure (cervelet et tronc cérébral). Les causes sont multiples et diffèrent selon le type d’hémorragie : maladie des petits vaisseaux souvent liée à l’hypertension artérielle (hémorragies profondes surtout), malformations artérioveineuses (hémorragies lobaires surtout), cavernome, angiopathie amyloïde (hémorragies lobaires surtout) et troubles de la coagulation.
Les tableaux cliniques dépendent de la localisation et de la taille de l’hémorragie et sont très proches de ceux rencontrés dans l’infarctus cérébral.
AUTRES PATHOLOGIES VASCULAIRES CÉRÉBRALES
L’hémorragie méningée
Consécutive à l’irruption spontanée de sang dans les espaces sous arachnoïdiens, elle représente 5 % environ des AVC et concerne plus fréquemment des sujets jeunes. Elle est liée dans 80 % des cas à une rupture d’anévrisme, les autres causes étant plus rares (malformations artérioveineuses, troubles de la coagulation, cavernome). Le tableau clinique est dominé par la survenue brutale d’une céphalée ou plus rarement d’un coma. Ce tableau peut s’enrichir secondairement de signes associés proches de ceux rencontrés dans l’ischémie cérébrale. Le traitement de l’anévrisme est réalisé à chaque fois que possible et utilise la voie endovasculaire ou une intervention neurochirurgicale.
Les thromboses veineuses cérébrales
Elles représentent environ 1 % des AVC et sont liées à l’occlusion d’un sinus veineux dural ou plus rarement d’une veine corticale. Elles surviennent souvent sur un terrain à risque de thrombose veineuse (déficit en inhibiteur de la coagulation, pathologie inflammatoire ou néoplasique, post-partum, contraception et traitement œstroprogestatif) et entraînent habituellement des céphalées auxquelles peut s’associer un accident ischémique (plus rarement hémorragique) ou une épilepsie. Leur diagnostic repose sur une procédure spécifique qui est indispensable pour conduire au traitement anticoagulant en urgence.
PRISE EN CHARGE DES AVC : RÔLE DES UNITÉS DÉDIÉES
Les traitements des AVC, au-delà de l’objectif de cette revue, ont considérablement évolué et se conçoivent dans des unités dévolues à la prise en charge de cette pathologie. À la phase aiguë, les patients sont orientés vers une unité de soins intensifs neurovasculaires. Ces unités sont multidisciplinaires et outre les neurologues, impliquent la participation active de médecins de rééducation fonctionnelle, kinésithérapeutes, orthophonistes, psychologues et ergothérapeutes. À distance, une proportion importante de patients relève d’une structure de rééducation ou de réadaptation fonctionnelle impliquant, à des degrés divers selon la structure et la phase évolutive, la participation de ces équipes multidisciplinaires.
Les patients survivants sont exposés au risque de séquelles responsables d’une perte d’autonomie. Ces séquelles sont dominées par :
– les troubles moteurs et de la marche ;
– les troubles cognitivo-comportementaux, au premier rang desquels les troubles de mémoire, le ralentissement de l’action et l’atteinte des fonctions exécutives.
L’identification des déficits fonctionnels persistants et d’une éventuelle démence impose un bilan fonctionnel, incluant une évaluation cognitive et des troubles de la sphère psychiatrique, notamment anxiété et dépression, qui sont fréquents.
TROUBLES COGNITIFS VASCULAIRES
GÉNÉRALITÉS
La diversité des troubles cognitifs liée à la pathologie cérébrovasculaire est bien connue (tableau 9.2). De nombreux travaux concernant souvent des patients examinés à la phase aiguë, ont insisté sur l’aphasie et sa typologie dans les lésions hémisphériques gauches, l’héminégligence et l’anosognosie dans les lésions de l’hémisphère droit, la cécité corticale et les agnosies visuelles des lésions occipitotemporales et les troubles dysexécutifs des lésions frontales [revue complète in 1].
Troubles cognitifs | Localisations lésionnelles |
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Aphasie | Lésion gauche : – lobe frontal (gyrus frontal moyen et inférieur), – lobe temporal (partie postérieure des gyri temporaux supérieur et moyen), – lobe pariétal (lobule pariétal inférieur) – thalamus, substance blanche (centre semiovale) |
Surdité corticale et agnosies auditives | Lésion temporale (souvent bilatérale) Rarement : radiations acoustiques |
Apraxie gestuelle | Lésion souvent gauche : – lobe pariétal (lobule pariétal inférieur) – lobe frontal – lobe temporal |
Apraxie constructive | Lésion gauche ou droite des régions temporopariétales |
Héminégligence | Lésion (nette prédominance droite) des régions temporopariétales, plus rarement frontales ou thalamiques |
Hémiasomatognosie | Lésion (nette prédominance droite) des régions temporopariétales |
Anosognosie | Lésion temporopariétale droite ou frontale |
Cécité corticale | Lésions bi-occipitales |
Agnosies visuelles | Lésions occipitotemporales (souvent bilatérales) |
Syndrome de Balint | Lésions occipitopariétales bilatérales |
Désorientation topographique | Lésions occipitopariétales médiales ou occipitotemporales médiales (habituellement droite) |
Syndrome dysexécutif cognitif | Lésions frontolatérales, Thalamus ou striatum (trouble moins intense) |
Syndrome dysexécutif comportemental | Lésions frontomédiales (surtout bilatérales) Thalamus ou striatum (trouble moins intense) |
Déficit de mémoire de travail : – stockage verbal – tâche double | Lésion temporopariétale gauche Lésions frontomédiales |
Déficit de mémoire épisodique | Lésion médiotemporale, thalamique, frontale |
Ces données classiques ont été complétées par des travaux étudiant des sujets consécutifs issus d’un secteur géographique ou pris en charge dans un centre pour une pathologie donnée. Ces travaux épidémiologiques ont révélé et redéfini le rôle des facteurs de risque vasculaire et celui de la pathologie vasculaire cérébrale sur la cognition.
QUELQUES DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
Les troubles cognitifs vasculaires sont définis par des déficits liés à une ou plusieurs lésions vasculaires cérébrales et sont typiquement d’installation brutale. Leur prévalence a été étudiée dans la population générale et après AVC.
Chez les patients de plus de 60 ans, la prévalence des troubles cognitifs trois à six mois post-AVC varie entre 50 et 60 % avec 20 à 30 % de troubles cognitifs non démentiels et 15 à 30 % de démence. Ces déficits cognitifs sont encore plus fréquents chez les patients plus âgés. Ils sont partiellement expliqués par la présence de déficits cognitifs préalables à l’AVC, observés chez 8 à 15 % des patients, avec une fréquence croissant avec l’âge. Ces déficits cognitifs préalables sont souvent méconnus et nécessitent pour être dépistés un hétéroquestionnaire systématique. Enfin, les démences post-AVC répondent aux critères de démence vasculaire dans environ la moitié des cas, de démence mixte (associée à une maladie d’Alzheimer) dans environ un quart des cas ou sont liées à d’autres étiologies (alcool, etc.). Cela permet de souligner que, contrairement à une pratique répandue, une démence post-AVC ne correspond pas nécessairement à une démence vasculaire.

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