10. Les bases neuroscientifiques de l’EMDR
F. Haour and D. Servan-Schreiber
France Haour et David Servan-Schreiber présentent avec clarté la désensibilisation par les mouvements oculaires et le retraitement de l’information (EMDR), ainsi que les études qui ont été effectuées par des méthodes neuroscientifiques pour tester ces processus. Plusieurs points restent néanmoins en suspens. Effectivement, l’EMDR est d’efficacité démontrée dans le stress post-traumatique, et les traumatismes plus légers, mais il n’y a pas de données dures pour le valider dans d’autres indications. De plus, son processus, comme il est souligné dans le chapitre, demeure controversé. Il ne faudrait pas oublier qu’un EMDR sans mouvements oculaires aboutit à de résultats identiques à ceux d’un EMDR avec mouvements oculaires, dans la méta-analyse de Davidson et Parker (2001), qui inclut 13 études comparant ces deux conditions. Cinq méta-analyses ne retrouvent pas de différence d’efficacité entre TCC et EMDR. Ces faits expérimentaux ont amené aussi bien l’Association psychiatrique américaine (2004) que le rapport INSERM (2004)à classer l’EMDR dans les TCC, dont il représente une variante technique, sans véritable discontinuité. Par ailleurs, l’analogie souvent faite entre EMDR et la phase REM (phase paradoxale du sommeil correspondant au rêve et à des mouvements oculaires rapides) n’est qu’une hypothèse et ne repose pas à ce jour sur des données scientifiques. Enfin, toutes les thérapies d’exposition utilisent des distracteurs (relaxation, images mentales de sécurité, pensées positives) pour faciliter l’accès aux émotions liées au traumatisme. L’hypnose, qui a montré son efficacité dans le stress post-traumatique lors d’une seule étude contrôlée (Brom, 1989), elle aussi, se sert de mouvements oculaires, pour capter l’attention. Ainsi faisait son ancêtre, Franz Anton Mesmer, comme le montre le rapport établi en 1784 par la commission royale sur le magnétisme animal (Darnton, 1995). Quoi qu’il en soit, l’EMDR propose un protocole utile, robuste et aisé à enseigner et à appliquer.
La méthode de thérapie EMDR (mouvements oculaires de désensibilisation et de retraitement) est un protocole d’intégration neuro-émotionnelle par le traitement adaptatif de l’information. Elle a été créée par Francine Shapiro (1989, 2006) pour le traitement de souvenirs traumatiques. D’abord utilisée pour les états de stress post-traumatique observés chez des soldats revenant de combats, elle est devenue en moins de 10 ans le mode de traitement psychothérapeutique des états de stress post-traumatique (ESPT, ou PTSD) ayant donné lieu au plus grand nombre d’études. Il y a en effet aujourd’hui plus de publications d’études contrôlées sur le traitement de l’ESPT par la thérapie EMDR que par tout autre type d’interventions cliniques, y compris les traitements médicamenteux (Servan-Schreiber, 2000 ; Van der Kolk, 2007).
Cette méthode EMDR est une thérapie intégrative, qui utilise simultanément image mentale, cognition et sensation corporelle. Son utilisation dépasse maintenant largement le traitement des états de stress post-traumatique. La thérapie est utilisée dans le traitement de traumatismes tels qu’accidents divers, deuil, situations conflictuelles, viol, abus sexuel aussi bien que dans les symptomatologies d’origine traumatique telles que phobie, dépression, troubles de la personnalité, troubles du comportement alimentaire ou gestion de la douleur.
Thérapie EMDR des ESPT : exposition-désensibilisation-reprogramation
L’état de stress post-traumatique (ESPT) est répandu. Il correspond à 1 % de la population générale (sur la vie) dans les études épidémiologiques en population générale. Des chiffres plus élevés ont été retrouvés dans des enquêtes récentes en milieu urbain. À Detroit, 10 % des hommes et 18 % des femmes de la population générale seraient atteints de stress post-traumatique (pour une discussion, voir. Breslau, 1998).
ll peut se mettre en place lorsque le sujet a vécu (ou a été témoin de, ou a été confronté à) un événement où il aurait pu mourir, être gravement blessés ou bien durant lequel son intégrité physique, ou celle d’autrui, a été menacée. Il a vécu une peur intense, avec un sentiment d’impuissance et d’horreur. Ultérieurement, cet événement est constamment revécu et le sujet évite les stimuli associés au traumatisme. Des symptômes tels que troubles du sommeil, irritabilité, hypervigilance, difficulté de concentration, persistent pendant des mois et altèrent le fonctionnement professionnel et personnel. L’ESPT est difficile à traiter (Solomon, 1997). Le résultat du traitement par les médicaments est en moyenne une réduction de 50 % des symptômes (Davidson et coll., 2001). Huit à douze séances de thérapie cognitivo-comportementale (TCC) accompagnées de plusieurs heures d’auto-exposition imaginale aux scènes traumatiques apportent une rémission du diagnostic de l’ESPT de 15 % à 60 % (Foa, 1997 ; Foa et Meadows, 1997 ; Schnurr et coll., 2007). Cependant il est possible d’atteindre 75 % de rémission (critères de PTSD absent), et 53 % de réponse thérapeutique sur un critère composite, avec dix heures de thérapie comportementale d’exposition (Marks et coll., 1998), ce qui confirme les chiffres de Foa et Meadows (1997). En comparaison, dans certaines études contrôlées et randomisées, la thérapie EMDR obtient des taux de rémission de l’ESPT entre 60 % et 90 %, et cela en trois à huit séances de 90 minutes et sans aucune auto-exposition en dehors des séances (Bradley et coll., 2005). Cinq méta-analyses différentes répertorient les effets de la thérapie EMDR en comparaison aux autres méthodes de traitement et font état de tailles d’effet significativement supérieures par rapport aux conditions contrôles, et à d’autres formes de thérapie que la TCC. Dans le cas de thérapies TCC centrées sur le trauma, les résultats, en fin de thérapie, sont équivalents à ceux de l’EMDR dans les cinq méta-analyses (Van Etten et Taylor, 1998 ; Davidson et Parker, 2001 ; Maxfield et Hyer, 2002 ; Bradley et coll., 2005 ; Bisson, 2007).
La méthode EMDR est en effet reconnue comme un traitement efficace de l’ESPT dans le rapport sur les psychothérapies validées empiriquement du National institute for clinical excellence du ministère de la Santé du Royaume-Uni ainsi que par les comités d’experts de l’INSERM en France et de l’American psychiatric association aux États-Unis (voir en bibliographie « Rapports d’expertises »). Après 15 ans de recherche, la controverse sur la thérapie EMDR ne porte désormais plus sur le fait de savoir si oui ou non la méthode est efficace mais sur son mécanisme d’action et en particulier sur le rôle des stimulations alternées (mouvement oculaire ou autre).
Procédure de la thérapie EMDR
La thérapie EMDR s’appuie sur des approches de thérapies comportementales et cognitives (TCC), particulièrement exposition, visualisation, désensibilisation et flooding, mais aussi sur des approches psycho-dynamiques et d’hypnose Ericksonienne. En plus de ces aspects du traitement, il est demandé au patient, à l’initiative du thérapeute, de bouger les yeux de gauche à droite, à un rythme régulier, tout en pensant à des éléments d’un souvenir traumatique ou d’un deuil non résolu. D’autres formes de stimulations bilatérales alternées, auditives ou tactiles sont parfois utilisées à la place de la stimulation visuelle. Le patient doit initialement évoquer dans son esprit l’image d’un des aspects pénibles de l’événement passé. Le thérapeute l’aide à focaliser son attention sur la dimension sensorielle (le plus souvent une image mais parfois un son ou une odeur) de la représentation traumatique qui est la plus intensément associée avec l’affect. Le patient énonce alors une conviction (cognition) négative qu’il a de lui-même et qui résulte de cet événement (par exemple : « je suis impuissant », « je suis faible », « je ne peux pas prendre soin de moi », « je ne suis pas assez bon »). Le patient identifie également l’affect précisément relié à l’image (par exemple la peur, la colère, la tristesse) et évalue son intensité sur une échelle de 0 à 10 appelée le SUD (Subjective unit of disturbance : unité de perturbation ressentie). En même temps le thérapeute l’aide à identifier les sensations physiques se manifestant dans son corps et qui accompagnent ces images, pensées et émotions.
Le thérapeute et le patient définissent ensemble une direction pour la thérapie en identifiant aussi une cognition positive. Cette cognition répond à la question : « Quand vous vous voyez dans cette situation, que préféreriez-vous penser de vous-même à la place de la croyance négative que vous venez d’énoncer ? » Le patient doit alors évaluer le degré de conviction qu’il associe à cette pensée positive : à quel point il la ressent comme vraie (VoC, 1 à 7, Validity of cognition). Cette évaluation, ainsi que le SUD, permettent au thérapeute d’estimer le degré atteint dans la résolution du trauma, et la progression au cours du traitement vers une interprétation plus adaptative de l’événement passé. À ce stade, rien dans cette procédure ne diffère fondamentalement d’une bonne psychothérapie d’un stress traumatique utilisant des approches déjà bien établies telles que la restructuration cognitive et l’utilisation de l’exposition imaginaire (Foa et Meadows, 1997).
Après cette phase initiale, le patient maintient dans son esprit l’image, la cognition, l’affect et les sensations physiques et suit des yeux le déplacement bilatéral de la main du thérapeute entre la gauche et la droite (ou porte son attention sur un autre type de stimulation, auditif ou tactile, alternant de gauche à droite). Ces séries de mouvements latéraux durent de 20 secondes à quelques minutes, en fonction de la réaction émotionnelle du patient. Cette phase de stimulation bilatérale s’accompagne généralement d’une réponse de relaxation physiologique avec baisse de la tension artérielle, de la fréquence cardiaque et de la conductance cutanée (Elofsson et coll., 2008).
À chaque pause, entre chaque série de mouvements bilatéraux, le patient rapporte « ce qui lui est venu » pendant la période d’attention flottante qui accompagne la stimulation. Il peut s’agir d’images, de pensées, d’émotions ou de modification des sensations corporelles. Le patient porte alors son attention sur cette information nouvelle et le thérapeute commence alors une autre séquence de stimulation. Le thérapeute se retient de demander des clarifications ou des précisions sur ce que le patient rapporte. De même, il n’en donne aucune interprétation. Il continue simplement de ramener l’attention du patient sur le matériel révélé par la stimulation et amorce une nouvelle série de mouvements jusqu’à ce que les associations ne suscitent plus de changements ou jusqu’à ce que seulement des associations et sensations positives soient rapportées. En fonction de l’évolution du niveau de SUD donné par le patient et selon la force des nouvelles cognitions positives, le thérapeute peut ensuite décider de pousser plus loin le traitement de l’événement initial ou de commencer à traiter d’autres aspects du traumatisme. La succession des séries de stimulations tend à désamorcer les ruminations obsédantes couramment constatées chez les patients souffrant d’ESPT.
Il est fréquent que le patient revive de manière intense certains aspects du traumatisme. Un calme et un sentiment de compréhension nouvelle de l’événement accompagnent rapidement ces sensations et ce dernier n’est alors plus associé à des émotions douloureuses et à des croyances négatives et dépréciatives sur soi. Les patients expriment souvent de nouvelles convictions au sujet de l’événement traumatique telles que « ce n’était pas ma faute », en souriant, et avec une expression de soulagement et d’étonnement. Ou bien, ils se retrouvent, presque sans y croire, en train d’accepter une erreur passée qui les avait tourmentés pendant des décennies, avec des pensées nouvelles telles que « je n’avais vraiment pas d’autre choix à l’époque, j’ai fait du mieux que j’ai pu ».
Entre les séries de mouvements oculaires, le patient parle normalement au thérapeute, décrivant généralement ce qui s’est passé pour lui pendant la stimulation. Il ne semble pas être dans un état de transe. Il est typique que le patient décrive le courant de conscience traversé pendant la stimulation un peu comme s’il s’agissait d’une rêverie concentrée. Le travail est amorcé par un événement précis ou un affect particulier, mais au fur et à mesure des mouvements oculaires, d’autres associations à d’autres événements surgissent, des pensées sur soi ou même des scénarios imaginaires. L’état émotionnel se modifie rapidement, au rythme des changements d’associations cognitives, émotionnelles et/ou corporelles. Contrairement aux thérapies d’exposition, le patient est encouragé à suivre ces chaînes associatives plutôt qu’à revenir systématiquement à la situation traumatique initiale.
Cette procédure thérapeutique est donc complexe et intégrative. Les mouvements alternés des yeux ou, quand cela est plus approprié, les stimulations alternées auditives ou tactiles en font intégralement partie. Des résultats récents (Servan-Schreiber et coll., 2006) obtenus dans des conditions contrôlées en double aveugle suggèrent que l’alternance gauche droite de la stimulation aurait un effet supplémentaire par rapport au même protocole sans alternance, du moins dans les états de stress post-traumatiques caractérisés.
Mécanismes de mémorisation mis en jeu dans l’ESPT
Mémoires traumatiques
Au cours des dernières années, les différents types de mémoire qui constituent le système complexe de mémorisation ont été bien décrits et ils sont associés à des zones particulières du système nerveux central (Squire, 1994).
La mémoire à court terme, 20 secondes, est aussi appelée « mémoire de travail » et n’implique pas d’encodage permanent par le cerveau. Par contre, on a pu caractériser plusieurs types de mémoire à long terme. La mémoire « épisodique » réfère à des expériences autobiographiques, lieux, couleurs, odeurs, émotions et contexte d’expériences personnelles. Elles impliquent des réseaux neuronaux dans le cortex sensoriel, le néocortex et dans l’amygdale pour la relation avec les émotions. La mémoire sémantique est de nature culturelle (histoire, géographie), symbolique et décontextualisée. Elle est liée au langage, collective et ses réseaux neuronaux sont dans le néocortex. Enfin, la mémoire procédurale concerne les apprentissages, les réponses conditionnées et les réponses émotionnelles automatiques. Cette mémoire de scripts et de schémas ne nécessite pas de langage. Elle impliquerait largement des régions sous-corticales comme le noyau caudé et les ganglions de la base, ainsi que le cervelet.
Pour que les souvenirs à long terme se forment, il faut l’intervention des structures de l’hippocampe. Celui-ci ne stocke pas à long terme les éléments mémorisés mais il servirait de liens entre les informations (sensations, émotions, compréhension, expérience) enregistrées dans les autres parties du cerveau au cours de leur encodage dans d’autres aires cérébrales.
Le rappel d’un souvenir autobiographique fait également intervenir de façon primordiale les structures hippocampiques. Sans cette intégration, le rappel des souvenirs est impossible, comme chez les amnésiques (Stickgold, 2002), ou fragmenté comme dans l’EPST (Van der Kolk, 1997).
L’état de stress post-traumatique pourrait être en partie la conséquence d’un défaut d’élaboration du souvenir épisodique. La rupture des processus normaux de mise en mémoire et d’intégration conduirait à la conservation inappropriée de l’épisode traumatique sous une forme qui induit les manifestations mnésiques qui caractérisent le syndrome (Stickgold, 2002).
De nombreuses études ont montré que l’état de sommeil (REM et non-REM) joue un rôle important dans les processus de consolidation des souvenirs. L’état de sommeil avec des mouvements d’oculaires rapides est associé à une diminution de la sérotonine et de la noradrénaline dans le cerveau, et à une augmentation de l’acétylcholine (Stickgold, 2002).
Dans l’état de stress post-traumatique, on observe une réduction du sommeil paradoxal (REM), un sommeil fragmenté et une hypervigilance, et on a émis l’hypothèse que l’apparition d’un EPST pouvait avoir pour origine un déficit d’inhibition de la libération de sérotonine et de noradrénaline pendant le sommeil (Stickgold, 2002).
Enfin, chez l’humain, l’imagerie cérébrale indique que les mouvements oculaires, volontaires ou pendant le sommeil, activent les mêmes régions du cerveau (Hong et coll., 1995). Ceci est important si l’on considère le cas du protocole EMDR utilisant la stimulation visuelle. Le lien avec les stimulations alternées auditives ou tactiles sera considéré plus bas.
Rappel des souvenirs traumatiques
Les souvenirs traumatiques anciens ou récents apparaissent très liés, lors de leur rappel volontaire ou non, à des sensations autant qu’à des émotions (Van der Kolk et coll., 2007). La mémoire du trauma apparaît d’abord comme sensorielle et dissociée en fragment d’expérience sensorielle. Elle peut seulement secondairement être exprimée en mots.
L’origine du trauma pourrait être un déficit d’intégration des sensations traumatiques dans la mémoire sémantique. La fragmentation et la désorganisation des éléments de la mémoire interfèreraient avec l’évaluation, la classification et la conceptualisation de l’expérience traumatique. (Van der Kolk et al., 1997 and Van der Kolk et al., 2007). Les différentes psychothérapies, EMDR ou exposition auraient pour résultat de réintégrer ces expériences somatiques et émotionnelles dans le traitement normal des souvenirs sémantiques »normaux ». Ces hypothèses sont en cohérence avec les phénomènes d’hypermnésie, d’amnésie et de dissociation observés après un stress traumatique.
Mécanismes neurobiologiques des stimulations alternées et de la thérapie EMDR
Une partie importante du protocole EMDR peut être rapprochée des procédures telles que restructuration cognitive ou exposition en imagination, utilisées pour une thérapie efficace du stress post-traumatique. La spécificité de la thérapie repose sur les phases répétées de stimulation bilatérale qui s’accompagnent d’une réponse physiologique : baisse de la fréquence cardiaque, de la tension artérielle et de la conductance cutanée (Barrowcliff et coll., 2003). Les études randomisées faites sur une population d’étudiants montrent que, pour des protocoles comparables, on obtient une amélioration du stress plus importante quand ils effectuent les mouvements oculaires, par rapport au même protocole réalisé avec les yeux fixes (Lee et Drumond, 2008). Le mécanisme de changement produit par l’EMDR serait donc différent des mécanismes mis en jeu dans l’exposition.

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