1. Le Vieillissement et ses Pathologies en Quelques Chiffres
Philippe Amouyel
En France, naître en 2006, c’est espérer, si tout se passe bien, pouvoir vivre au moins 77 ans pour un petit garçon et 84 ans pour une petite fille [1]. Cette nouvelle, réjouissante au plan individuel, entraîne une évolution majeure : la population de la France vieillit. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ce vieillissement ne s’accompagnera pas d’un déclin démographique ; notre population estimée aujourd’hui à 63,4 millions d’habitants en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer passera, en 2050, à 70 millions d’habitants [2]. Cette augmentation portera uniquement sur les âges avancés : en 2050 une personne sur trois aura 60 ans ou plus. Ce vieillissement global de notre population sera inexorablement associé à un cortège de maladies chroniques de toutes natures. Parmi ces affections, souvent lourdes, les maladies neurodégénératives occuperont une place majeure tant du fait de leur impact social que de la complexité des réponses préventives ou curatives à y apporter.
DIFFÉRENTS SCÉNARIOS D’ÉVOLUTION DÉMOGRAPHIQUE
Ce vieillissement de la population française, ainsi que celui de la plupart des populations européennes, a été anticipé depuis plus de 25 ans par les démographes. Ces derniers ont proposé plusieurs modèles d’évolution avec des conséquences socio-économiques très contrastées [3].
Leur premier modèle fait l’hypothèse que le vieillissement massif de la population sera accompagné d’une augmentation parallèle du nombre absolu des patients atteints de maladies chroniques (cancer, maladies cardiovasculaires et maladies neurodégénératives). Quantitativement, cela signifie que l’augmentation de la durée d’espérance de vie totale sera plus rapide que l’augmentation de la durée de l’espérance de vie sans incapacité : c’est ce que les démographes appellent le modèle de la pandémie. Cette épidémie de maladies chroniques touchera tous les pays de la planète et constituera un fardeau économique majeur qui débordera rapidement les capacités économiques mondiales. Les questions auxquelles ont à faire face en ce moment les pays industrialisés comme la France, en matière de dépenses de santé, ne sont que les prémices de ces évolutions.
À l’opposé de cette vision catastrophiste, les démographes ont imaginé un modèle plus optimiste, celui de la compression de la morbidité. Cet autre modèle espère une progression des recherches biomédicales qui amélioreront significativement les prises en charge, repoussant chaque jour les limites de l’espérance de vie sans incapacité. En effet, dans ce modèle, l’espérance de vie sans incapacité progressera plus vite que l’espérance de vie totale. Idéalement, chacun de nous pourra espérer, grâce aux progrès de la connaissance, une vie sans incapacité jusqu’à quelques mois avant son décès, les maladies et les handicaps s’accumulant dans les derniers mois de l’existence.
Entre ces deux extrêmes, pandémie et compression de la morbidité, les démographes considèrent que nous sommes aujourd’hui à l’équilibre ; l’espérance de vie sans incapacité progresse aussi vite que l’espérance de vie totale.
ÉVOLUTION DES CAUSES DE DÉCÈS EN FRANCE
Pour interpréter l’impact du vieillissement sur la santé humaine, il est utile d’examiner l’évolution des causes de décès. Les statistiques de décès les plus récentes [4] dénombrent, en 2004 dans la France métropolitaine, 509 408 décès de toutes causes. Pour la première fois, ce sont les cancers qui sont la cause de décès la plus fréquente, devant les maladies cardiovasculaires et les accidents. Ces données indiquent globalement une tendance à la diminution des taux de décès qui s’est renforcée depuis le début du siècle. En effet, dans la population générale, quel que soit le sexe, la mortalité a diminué globalement d’environ 10 % en 4 ans. Cependant, ces évolutions sont contrastées selon les causes. Ainsi, deux pathologies voient leur participation progresser : le cancer du poumon et la maladie d’Alzheimer.
ÉVOLUTION DE LA MORBIDITÉ DES MALADIES NEURODÉGÉNÉRATIVES
La progression du nombre des décès liés à la maladie d’Alzheimer est-elle en rapport avec une augmentation des taux d’incidence (nombre de nouveaux cas) et de prévalence (nombre de cas existants) ? En pratique, ces taux, comme pour la plupart des maladies neurodégénératives, augmentent avec l’âge. Cependant, les démences présentent des taux de progression beaucoup plus rapides (figure 1.1) [5].
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Fig. 1.1 — Prévalence des principales maladies neurodégénératives en fonction de l’âge. (d’après [5]) |
Il existe peu d’études en France permettant de donner des chiffres de prévalence et d’incidence spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Les principales données portent sur l’ensemble des démences dont la maladie d’Alzheimer représente environ 70 % des cas. Nous ne disposons pas encore d’indicateur sanitaire fiable, ni de registre susceptible de donner une estimation précise et continue du nombre des cas de démences et de maladies d’Alzheimer en France. Le diagnostic de démence n’est souvent pas porté, y compris à des stades sévères de la maladie. Aucun marqueur, même indirect, n’est actuellement disponible. En France, les principales données proviennent de l’étude Paquid (Quid des personnes âgées), étude de cohorte en population générale en Gironde et en Dordogne chez des sujets de plus de 75 ans [6]. Cette étude, comme d’autres études internationales [7], constate que seule une démence sur deux est diagnostiquée. Toutes ces limites rendent presque impossible une estimation fiable à partir d’indicateurs sanitaires courants (systèmes d’information des hôpitaux, données des caisses de sécurité sociale…).
La plupart des études épidémiologiques sur la maladie d’Alzheimer montrent que l’âge est un facteur déterminant des taux d’incidence et de prévalence. Aussi, à partir des données recueillies dans l’étude Paquid, est-il possible d’estimer l’incidence des démences à environ 225 000 nouveaux cas par an [8]. De même, en combinant les données de l’étude Paquid avec celles du recensement français de l’année 2004, on peut estimer à 766 000 le nombre de déments de plus de 75 ans, les deux tiers étant des femmes (618 000) et près de la moitié étant âgés de plus de 85 ans (394 000). Si l’on extrapole les données obtenues dans d’autres études pour les sujets de 65 à 74 ans (tableau 1.1), le nombre total de déments en France atteindrait aujourd’hui plus de 850 000 [9].
Classe d’âge | D’après Eurodem (Europe) [10] | D’après Paquid (France) [6] | |
---|---|---|---|
Hommes | 65-69 | 1,6 | – |
70–74 | 2,9 | – | |
75–79 | 5,6 | 7,7 | |
80–84 | 11,0 | 12,5 | |
> 85 | 18,0 | 23,9 | |
Femmes | 65-69 | 1,0 | – |
70–74 | 3,1 | – | |
75–79 | 6,0 | 5,7 | |
80–84 | 12,6 | 16,6 | |
> 85 | 25,0 | 38,4 |

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