Le Vieillissement

2. Le Vieillissement

Des Molécules, des Cellules et des Structures Cérébrales en Involution

Luc Buée and Claude-Alain Maurage1





MODIFICATIONS MORPHOLOGIQUES OBSERVÉES AU COURS DU VIEILLISSEMENT CÉRÉBRAL


Il n’est pas possible de déterminer l’âge d’une personne en pesant son cerveau. Si des études d’imagerie montrent des différences de masse cérébrale significatives entre des groupes de personnes d’âges différents, l’examen à l’œil nu du cerveau recueilli lors de l’autopsie d’une personne âgée est peu informatif (figure 2.1). Des études ont, par le passé, tenté de démontrer une perte de masse cérébrale avec l’âge, mais des biais méthodologiques (déshydratation des personnes âgées mortes « de vieillesse », effet « séculaire » correspondant à des variations importantes de taille et de poids des personnes de générations différentes au XXe siècle, entre autres facteurs) n’ont pas permis de le vérifier. En revanche, des modifications ont été indéniablement démontrées à l’échelon microscopique.








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Fig. 2.1
— Aspect macroscopique du cerveau d’un homme de 36 ans (gauche), d’une femme de 95 ans (au milieu) et d’un patient de 81 ans atteint de maladie d’Alzheimer (droite), à la même échelle.Le cerveau de cette femme de 95 ans, indemne de troubles cognitifs, est discrètement atrophié par rapport à celui d’un homme jeune, mais il est remarquablement préservé par rapport à celui d’un patient atteint de maladie d’Alzheimer.


La plupart des lésions microscopiques observées dans le cerveau de patients atteints des maladies neurodégénératives les plus fréquentes (maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson et démence à corps de Lewy, en particulier) sont aussi détectées dans le cerveau de personnes âgées ne souffrant d’aucun trouble neurologique. Mais, chez les personnes âgées, ces lésions sont peu nombreuses, nécessitent un examen scrupuleux et exhaustif de nombreux échantillons de tissu cérébral et épargnent des « sanctuaires » qui, lorsqu’ils sont touchés, signent bien souvent le passage à la maladie cliniquement diagnostiquée avant la mort.

Les modifications microscopiques, ou « lésions élémentaires » communes au cerveau âgé et au cerveau de patients malades sont :




– une diminution du nombre des neurones dans certaines régions du cerveau (perte neuronale) et un appauvrissement des connexions synaptiques (perte synaptique) ;


– l’agrégation de dérivés de protéines du neurone (lésions neurofibrillaires) ;


– la présence de dépôts intercellulaires particuliers, en partie sous forme amyloïde (plaques).

D’autres anomalies sont presque constamment observées mais sont connues pour ne pas interférer dans le fonctionnement cérébral. Il s’agit en particulier d’une part de l’accumulation, dans le neurone même, de produits ultimes du métabolisme neuronal présentant une coloration particulière (pigments neuronaux), et d’autre part de la déformation des très petits vaisseaux du cortex cérébral.


PERTE NEURONALE


La perte neuronale chez une personne âgée n’entraîne pas de signe clinique tant que la fonction est encore assurée par d’autres neurones. En particulier, de nouvelles synapses peuvent être mises en place et restaurer la fonction de neurones perdus. Ce phénomène est « physiologique » : la plupart de nos neurones ont perdu toute capacité de se diviser à partir de la naissance et la persistance de tous nos neurones de notre naissance à notre mort serait probablement plus nuisible que favorable au fonctionnement du cerveau. Cependant, tous les neurones ne disparaissent pas en proportion égale durant l’existence. Les zones dont les neurones disparaissent le plus rapidement sont le cortex cérébral associatif, les noyaux amygdaliens, le putamen, le noyau basal de Meynert, la substance noire et le locus cœruleus au niveau du tronc cérébral ainsi que la corne antérieure de la moelle épinière. Plus que des zones particulières du système nerveux central, ce sont des populations de neurones partageant des fonctions, essentiellement la synthèse d’un même neurotransmetteur impliqué dans des fonctions cérébrales proches, qui sont touchées. Ces types cellulaires cibles sont les grands neurones glutamatergiques (situés dans l’hippocampe et le cortex associatif), les neurones cholinergiques (situés au sein du noyau basal, du noyau septal médian, de la bande diagonale de Broca), les neurones sérotoninergiques (au niveau du raphe dorsal) et les neurones noradrénergiques (au niveau du locus cœruleus).


Dans l’hippocampe, les différents secteurs de la couche des cellules pyramidales sont atteints, de même que le gyrus denté, le subiculum et le cortex transentorhinal et entorhinal. Le cortex transentorhinal et entorhinal est une zone de transition du cortex temporal interne, intercalée entre l’hippocampe, zone très archaïque dans son architecture (trois couches microscopiques seulement) et le néocortex, correspondant à l’organisation la plus élaborée de notre cortex cérébral (six couches continues). Dans ce cortex se mettent progressivement en place les trois couches supplémentaires, discontinues puis continues.


LÉSIONS NEUROFIBRILLAIRES DU VIEILLISSEMENT


Au cours du vieillissement apparaissent dans le cytoplasme de neurones des filaments non branchés, de 20nm de diamètre, d’aspect hélicoïdal (paired helicoidal filaments ou PHF). Ce sont des fibrilles colorées par des sels d’argent, décrites à la toute fin du XIXe siècle par des histologistes ayant eu la curiosité d’appliquer des techniques de révélation photographique à des coupes de tissus cérébraux. On décrit trois stades à ces fibrilles intraneuronales : un stade précoce où les fibrilles sont peu colorables mais détectées par la microscopie électronique et l’immunohistochimie2 (prédégénérescence neurofibrillaire), un stade mature correspondant à la présence de fibrilles abondantes dans le corps cellulaire du neurone (dégénérescence neurofibrillaire) et un stade très tardif auquel le neurone est mort et laisse place à un dépôt extracellulaire (fantôme neuronal).




PLAQUES


Les plaques ont été décrites tout d’abord dans le cerveau de patients atteints de maladie d’Alzheimer (par Marinesco en 1892) et dans celui de personnes atteintes du syndrome de Down (trisomie 21). Les plaques ont ensuite été mises en évidence dans le cerveau de personnes âgées indemnes de troubles cognitifs. Il s’agit de dépôts extracellulaires spécifiquement colorés par des composés tels que le rouge Congo ou la thioflavine. Ces colorants sont spécifiques des substances amyloïdes. Le terme amyloïde fait référence à leur affinité envers des colorants de l’amidon. Là s’arrête la parenté entre les substances amyloïdes et les amidons. En effet, les substances amyloïdes ne sont pas des sucres mais des peptides ou des protéines, accumulés dans les tissus sous une forme chimiquement inhabituelle. Ils ont une structure dite β-plissée qui les rend particulièrement résistants aux processus de métabolisme normaux des protéines. Les plaques du cerveau humain sont majoritairement constitués d’un peptide de masse moléculaire proche de 4kDa, nommé le peptide βA4.

Au stade le plus précoce de leur formation, les plaques immatures ne sont pas amyloïdes : elles ne sont pas colorées par le rouge Congo et la thioflavine. Elles n’ont pas encore acquis leur conformation β-plissée, mais elles sont mises en évidence par technique d’immunohistochimie dirigée spécifiquement contre le peptide βA4. Leurs contours sont flous, leur densité faible, elles sont nommées plaques diffuses ou dépôts diffus.

Les plaques matures, ou plaques séniles, sont centrées sur un cœur très dense presque exclusivement constitué de peptide βA4. Il s’agit donc de dépôts focaux à cœur dense amyloïde. Le stade ultime se complète de prolongements neuronaux qui convergent vers la plaque à cœur dense pour former une plaque neuritique. La couronne périphérique est surtout constituée de prolongements axonaux dilatés contenant des lésions neurofibrillaires associés à des prolongements astrocytaires et microgliaux.









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Fig. 2.2
— Modifications microscopiques du vieillissement cérébral communes à la maladie d’Alzheimer.A, B et C : les modifications intracellulaires observées dans les neurones sont ici mises en évidence par un anticorps spécifique de la protéine Tau (colorée en brun sur fond bleu). Tau est le principal constituant d’agrégats fibrillaires, absents dans les neurones de sujets jeunes, mais se concentrant au fur et à mesure de l’avancée en âge, soit dans le corps cellulaire (dégénérescence neurofibrillaire proprement dite en A, au centre), soit dans des prolongements (en A, fins prolongements dispersés aussi nommés neuropil threads). Il s’agit de prolongements dendritiques recueillant la plupart des connexions synaptiques du neurone (partie haute du neurone illustré en B), mais aussi de l’axone (partie basse de la photographie B). Une forme particulière de dégénérescence neurofibrillaire est la couronne de la plaque neuritique (C).D, E et F : la plaque sénile (D) a un cœur très dense d’aspect dépoli. Un anticorps dirigé contre son constituant principal, le peptide amyloïde β, met également en évidence des dépôts dans la paroi de vaisseaux (E, une petite artère au centre) et des dépôts diffus (aspect plus flou de la coloration brune). La plaque sénile vraie a un cœur très intensément marqué par cette technique (F) et un aspect radié à sa périphérie.



AUTRES LÉSIONS ÉLÉMENTAIRES




Les modifications des vaisseaux cérébraux










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Fig. 2.3
— Modifications microscopiques des vaisseaux cérébraux associées au vieillissement.A: l’hypertension artérielle est une condition très fréquente chez les personnes âgées, elle modifie la paroi des petites artères : celle-ci apparaît anormalement épaisse et vitreuse. B: la paroi des petites artères des noyaux gris situés au centre du cerveau se charge très souvent de sels de calcium (ici colorés en violet). C: aspect en « boucle » de petits vaisseaux de la substance blanche d’une personne âgée. D: les vaisseaux accumulent chez certains patients le peptide amyloïde β, à l’origine d’une fragilisation des vaisseaux (angiopathie amyloïde). La structure du vaisseau est altérée et celui-ci peut saigner spontanément ou lors d’une élévation inopinée de la pression artérielle.



ASPECTS MÉTABOLIQUES ET BIOCHIMIQUES


Le vieillissement s’accompagne de nombreuses modifications qui vont faciliter la survenue de maladies neurodégénératives. Le stress oxydant est sans doute le plus connu. L’augmentation d’espèces radicalaires3 et la difficulté à les éliminer est une constante du vieillissement. Ce stress oxydant s’accompagne souvent de phénomènes inflammatoires. Ils vont agir sur les protéines du cytosquelette, les lipides et l’ADN. Les modifications des protéines du cytosquelette vont avoir des répercussions sur le transport des neurotransmetteurs et des neurotrophines. Il va se produire des réactions en cascade sur des phénomènes de vasomotricité et de débit sanguin cérébral affectant l’apport de glucose au cerveau. Le déficit de certaines neurotrophines comme le Nerve Growth Factor peut affecter le fonctionnement des neurones cholinergiques. Enfin, la réparation de l’ADN et l’intégrité de la barrière hémato-encéphalique sont perturbées par ces processus inflammatoires et oxydants. La diminution de la réponse immunitaire et cette perméabilité accrue à diverses substances vers le cerveau ne sont pas favorables à un fonctionnement optimal et faciliteront l’apparition de lésions cérébrales plus sévères.

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May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on Le Vieillissement

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