11. Le Trouble Cognitif Léger ou Mild Cognitive Impairment
Sylvie Belleville, Chloé de Boysson, Marc-Antoine Labelle, Stéphanie Sylvain-Roy and Fanny-Maude Urfer
La maladie d’Alzheimer est associée à des changements neuropathologiques caractéristiques dont les plus marqués sont une atrophie corticale au niveau macroscopique, ainsi que la présence de dégénérescences neurofibrillaires et de plaques séniles au niveau microscopique. L’histopathologie post mortem du cerveau demeure à ce jour le seul moyen de confirmer un diagnostic de maladie d’Alzheimer. Aucun marqueur biologique ne permet encore d’établir avec certitude le développement de la maladie d’Alzheimer chez le patient. Le diagnostic repose donc sur un ensemble de critères cliniques établis par le NINCDS-ADRDA (National Institute of Neurological and Communicative Diseases and Stroke/Alzheimer’s Disease and Related Disorders Association) ou l’American Psychiatric Association[1]. Ces critères comprennent l’apparition progressive d’un déficit touchant la mémoire et au moins un autre domaine cognitif et dont la sévérité est telle que la réalisation des activités de la vie quotidienne s’en trouve perturbée. En outre, les difficultés observées ne doivent pas pouvoir mieux s’expliquer par une autre cause ou maladie, physiologique ou psychologique.
MALADIE D’ALZHEIMER ET TROUBLE COGNITIF LÉGER
On s’entend pour dire que la fiabilité du diagnostic de la maladie d’Alzheimer a augmenté considérablement dans les dernières décennies. Ce raffinement du diagnostic a été rendu possible grâce à l’étude des marqueurs cliniques de la maladie d’Alzheimer mais aussi par les efforts déployés dans la formation des cliniciens appelés à poser le diagnostic. Malgré ces progrès importants, les critères utilisés actuellement ne permettent généralement de poser le diagnostic de maladie d’Alzheimer que trop tardivement, ce qui limite considérablement les possibilités de prise en charge pharmacologique et non pharmacologique des patients. Le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer, s’il est souhaitable, pose pourtant de nombreux défis. Une des plus grandes difficultés, celle de différencier la maladie d’Alzheimer en cours de développement du déclin attendu dans le vieillissement normal, est complexifiée par l’installation graduelle des symptômes. De plus, bien que consensuels, les critères utilisés pour poser le diagnostic de maladie d’Alzheimer et le point de rupture où le clinicien juge que le patient rencontre ces critères sont largement arbitraires. En effet, il est maintenant reconnu que les premiers signes de la maladie d’Alzheimer peuvent précéder de plusieurs années la date du diagnostic. La figure 11.1 illustre le développement de la maladie d’Alzheimer et sa différenciation par rapport au vieillissement normal. Elle représente le déclin graduel des fonctions cognitives qui caractérise la maladie d’Alzheimer mais qui caractérise aussi, bien que dans une moindre mesure, le vieillissement normal. Le diagnostic de maladie d’Alzheimer y est illustré comme un niveau de déclin qui se distingue nettement de ce qui serait attendu dans un contexte de vieillissement normal. La Figure 11.1 illustre aussi la période durant laquelle le patient présente des symptômes (et possiblement la maladie) sans pourtant que les critères de la maladie d’Alzheimer ne soient rencontrés. Cette période a fait l’objet d’un très grand nombre d’études dans les dernières années. Bien que plusieurs dénominations aient été proposées pour y faire référence, le terme trouble cognitif léger ou mild cognitive impairment (MCI) semble s’imposer dans la communauté scientifique [2, 3]. L’objectif de ce chapitre est de discuter la notion de MCI et d’en présenter les principales manifestations cognitives.
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Fig. 11.1 — Illustration de la progression des difficultés cognitives dans le vieillissement normal et de la place du MCI dans la progression des symptômes vers une maladie d’Alzheimer. Extrait de Belleville S et al. Characterizing memory deficits in mild cognitive impairment. In Sossin W et al., The Essence of memory 2008. Avec la permission des éditions Elsevier. |
MILD COGNITIVE IMPAIRMENT
En 1999, Petersen proposait une série de critères visant à identifier les personnes à haut risque de développer la maladie d’Alzheimer. Pour être considérées comme présentant un trouble cognitif léger ou MCI, les personnes âgées devaient présenter une plainte mnésique confirmée par des déficits aux tests objectifs de mémoire. Leur fonctionnement cognitif global devait toutefois demeurer normal. Ce critère reposait sur l’observation que, malgré des atteintes marquées de la mémoire épisodique, les personnes avec MCI obtenaient des scores tout à fait normaux à l’échelle globale d’intelligence de Wechsler ainsi qu’au MMSE. Enfin, l’atteinte de mémoire ne devait pas non plus s’accompagner d’une altération significative de l’autonomie fonctionnelle. Malgré leur difficulté de mémoire, les personnes avec MCI ne devaient pas rencontrer les critères de la démence.
VALEUR PRONOSTIQUE DU MCI
Plusieurs études ayant suivi longitudinalement des personnes répondant aux critères du MCI ont montré qu’elles ont un risque élevé de développer une démence dans les années subséquentes [2, 4]. En effet, alors que le risque annuel de développer la maladie d’Alzheimer dans la population générale est estimé annuellement à 1,5 % (notez que ce risque augmente de façon importante avec l’âge), il est de l’ordre de 15 % chez les personnes avec MCI recrutées dans les milieux cliniques [2, 4]. Après trois ans, ce sont 50 % des personnes avec MCI qui auront développé une démence, et 80 % d’entre eux après 5 ans. Ce taux de progression tend toutefois à plafonner et peu d’études rapportent un taux de progression de 100 % lors du suivi longitudinal des personnes avec MCI, même lorsqu’il s’étend sur une longue période [5]. Il est intéressant de noter que les personnes avec MCI ont un risque nettement plus élevé de développer une démence que les personnes présentant une plainte subjective mais sans atteinte objective [6]. Bowen et al. ont noté un taux annuel de progression de 6 % chez des personnes présentant une plainte de mémoire. Bien que légèrement plus élevé que le taux de progression rencontré dans la population normale, ce taux demeure inférieur à celui observé chez les personnes avec MCI. Ce résultat confirme l’importance d’appuyer la plainte avec une évaluation objective de la mémoire des personnes avec MCI. La plainte subjective, si elle constitue un point d’appel pour une évaluation formelle, ne peut être considérée comme pathognomonique de la phase préclinique de la maladie d’Alzheimer. Nous discuterons plus longuement de ce point plus loin dans ce chapitre (voir « Histoire naturelle du MCI dans le continuum de la démence », p. 180-181).
Il est important de noter que certaines études montrent des taux de progression vers la démence nettement plus faibles que les taux rapportés plus haut. Ainsi, dans les résultats d’une étude de population publiés par Ritchie, Artero et Touchon [7], seuls 11 % des personnes répondant aux critères de MCI ont développé la maladie d’Alzheimer après 3 années. Les résultats ont aussi montré qu’une forte proportion des participants qui n’ont pas développé la maladie d’Alzheimer avait un profil cognitif instable dans le temps et tendait à se normaliser lors des suivis. L’étude de Ritchie rappelle l’importance de clarifier et de formaliser les critères du MCI. Il est en effet possible que différents éléments méthodologiques comme le type de test utilisé ou le seuil statistique retenu pour déterminer la présence d’un déficit modifient substantiellement les résultats obtenus. Des différences dans le type d’échantillon pourraient aussi expliquer les divergences dans les taux de progression. On note en effet de plus forts taux de progression et de stabilité diagnostique dans les études faisant appel à un échantillon constitué de participants recrutés dans des milieux cliniques (échantillon clinique) que dans les études faisant appel à un échantillon constitué de participants recrutés dans la communauté (échantillon épidémiologique). On peut penser que les participants formant les échantillons cliniques ont une atteinte plus stable en raison de l’évaluation clinique dont ils ont bénéficié avant le recrutement, ce qui n’est pas le cas dans une étude de population. L’échantillon épidémiologique pourrait amener les chercheurs à identifier comme MCI des personnes qui ont toujours eu une mémoire faible ou encore, des personnes qui présentent une performance déficitaire aux tests de façon transitoire et/ou pour des raisons circonstancielles.
CARACTÉRISATION COGNITIVE DU MCI
L’évaluation des fonctions cognitives joue un rôle clé dans l’identification des personnes avec MCI. D’abord, l’atteinte cognitive fait partie des critères de définition du MCI et elle doit reposer sur une quantification objective au moyen de tests neuropsychologiques. Bien qu’il soit possible de faire appel à l’entretien clinique ou à des échelles de démences générales (type MMSE) pour objectiver l’atteinte, ces mesures sont généralement peu sensibles et peu spécifiques aux atteintes légères observées chez les personnes avec MCI. La distinction entre le vieillissement normal et le MCI est particulièrement difficile à établir et exige une évaluation sophistiquée à l’aide d’outils cliniquement et théoriquement valides. Il faut aussi distinguer la plainte associée à des facteurs psychologiques de la plainte associée à une atteinte cognitive objective. Enfin, des études récentes indiquent que les personnes avec MCI peuvent bénéficier de programmes d’intervention visant à optimiser leur fonctionnement par l’utilisation de stratégies cognitives et mnésiques [8, 9]. Or la mise sur pied de ce type de programme doit reposer sur une évaluation fine et élaborée de la cognition des patients susceptibles d’en bénéficier. Les prochaines sections visent à faire le point sur les composantes cognitives les plus susceptibles d’être altérées lors de la phase MCI, soit la mémoire épisodique, la mémoire sémantique et les fonctions exécutives (pour une synthèse, tableau 11.1).
Fonctions | Effets principaux | Références |
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Memoire episodique | Atteintes importantes en rappel libre et en rappel indice. Les difficultes sont notees pour differents types et formats de materiel (liste de mots, textes, images). Les resultats en reconnaissance sont moins consistants, certaines etudes rapportant des atteintes et d’autres n’en rapportant pas. | Ivanoiu et al, 2005 [11] Adam et al, 2007 [14] Hudon et al 2006 [15] Dudas et al, 2005 [17] Bennet et al, 2006 [18] |
Memoire de travail et fonctions executives | Atteinte selective de la memoire de travail. Notamment, atteinte dans les conditions demandant un partage attentionnel et l’inhibition d’une reponse motrice sur-apprise. Les desordres des fonctions executives pourraient etre amplifies par la presence d’anomalies vasculaires. | Alescio-Lautier et al, 2007 [33] Wylie et al, 2007 [35] Nordahl et al, 2005 [20] Labelle et al, 2007 [36] |
Memoire semantique | Presence d’une atteinte dans les taches de fluence categorielle et dans les tests faisant appel aux connaissances des noms de personnes celebres. Atteinte legere en denomination et dans un test mesurant les connaissances sur les objets. | Economou et al, 2007 [37] Kramer et al, 2006 [38] Adlam et al, 2006 [39] Dudas et al, 2005 [17] Estevez-Gonzales et al, 2004 [41] |
MÉMOIRE ÉPISODIQUE
La mémoire épisodique permet l’encodage et la récupération d’informations liées à un contexte spatio-temporel donné. Elle est touchée très tôt dans la maladie d’Alzheimer, ce qui explique qu’autant d’études se soient penchées sur cet aspect de la cognition. Les études s’intéressant à la mémoire épisodique chez les personnes avec MCI ont permis de mettre en évidence des déficits dans différentes tâches faisant appel à du matériel verbal (listes de mots, histoires) ou non verbal [2, [10], [11], [12] and [13]]. De façon générale, les performances des personnes avec MCI sont inférieures de 1.5 à deux écarts type par rapport aux personnes âgées normales, mais se situent au-dessus des performances des personnes avec la maladie d’Alzheimer [2].
Des études récentes ont tenté d’identifier certains des mécanismes à l’origine des déficits de mémoire épisodique observés dans le MCI. Pour y arriver, les conditions d’encodage et de récupération ont été manipulées afin d’isoler les composantes jouant un rôle dans le déclin mnésique. Dans une de ces études, les auteurs ont présenté un grand nombre d’items afin d’augmenter la sensibilité de leur tâche [14]. Les participants devaient retenir 48 mots dans une condition qui orientait l’encodage vers les propriétés sémantiques des items (par exemple, pour encoder le mot « palmier », présenté visuellement parmi trois autres items, l’examinateur demandait « montrez-moi l’arbre »). Après un compte à rebours de 20 secondes suivait un rappel indicé catégoriel (par exemple, l’examinateur demandait de rappeler le mot qui était un arbre). Cette tâche a montré une bonne capacité à discriminer les adultes âgés en bonne santé de ceux avec un MCI [14]. Dans une autre étude, la même tâche de rappel indicé a été comparée au rappel libre et à la reconnaissance visuelle [11]. C’est le rappel indicé qui parvenait le mieux à prédire le diagnostic des participants.
Un déficit en rappel indicé pourrait révéler une difficulté à utiliser les indices d’encodage et de récupération chez les personnes avec MCI. Ainsi, les tâches favorisant un encodage profond et utilisant des indices lors des rappels pourraient être particulièrement utiles pour le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer. Des résultats appuyant cette hypothèse ont été trouvés dans notre laboratoire Hudon [15] avec une tâche de rappel indicé de la batterie Memoria [16]. La tâche visait à comparer la performance en rappel libre dans une condition favorisant l’encodage sémantique et dans une condition où aucune aide n’était apportée lors de l’encodage. Pour faciliter l’encodage catégoriel dans la condition avec orientation, l’expérimentateur nommait les catégories sémantiques des mots à mémoriser. Dans la condition sans orientation, les participants encodaient tout simplement les mots en les lisant à voix haute, sans qu’aucune référence ne soit faite à leur catégorie. Les personnes avec MCI ont obtenu des résultats comparables à ceux des adultes âgés normaux dans la condition sans orientation mais des résultats déficitaires dans la condition avec orientation à l’encodage. Ainsi, l’utilisation d’une orientation sémantique a favorisé l’encodage chez les personnes âgées normales mais n’a pas aidé les personnes avec MCI. Cela suggère chez ces dernières un déficit marqué de l’encodage des propriétés des items même en situation de support externe.
Un autre appui en faveur d’un déficit de l’encodage est fourni par des études rapportant une atteinte en reconnaissance. Dudas et al. [17], dans une tâche de reconnaissance de visages, ont rapporté que les personnes avec MCI montraient une meilleure reconnaissance des visages que les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer mais que leur performance était inférieure à celle des participants contrôles. En reconnaissance de matériel verbal, certaines études ont montré un niveau de performance normal [15], alors que d’autres rapportent un déficit [exemple in 18]. Ainsi, Bennett et al. [18] ont comparé des personnes avec MCI et des âgés normaux lors d’une tâche de rappel libre verbal, une tâche de reconnaissance classique (Oui/Non) et une tâche de reconnaissance à choix forcé parmi trois alternatives. Les personnes avec MCI étaient touchées dans toutes les tâches mais c’est la reconnaissance classique (Oui/Non) qui permettait de prédire avec le plus de précision le groupe d’appartenance des participants.
Les déficits observés en rappel indicé et en reconnaissance suggèrent que les personnes avec MCI ont des difficultés à encoder efficacement les informations lors de la phase d’apprentissage, un phénomène qualitativement similaire à ce qui est rencontré dans la maladie d’Alzheimer.
Afin d’évaluer l’encodage des propriétés générales d’une information (le gist) chez les patients avec MCI, Hudon et al. [15] ont utilisé une tâche de mémoire de texte qui permettait de distinguer le rappel des informations principales du rappel des idées secondaires [19]. Il est important de noter que la tâche utilisée a été construite en s’appuyant sur un modèle théorique du processus de discours et que le texte n’était pas surchargé en informations détaillées, en ce sens qu’il comprenait un nombre équivalent d’items ayant trait aux idées générales que d’items portant sur les détails. Dans cette étude, tous les participants rapportaient plus d’informations générales que de détails. De plus, les personnes avec MCI étaient touchées de façon similaire pour les deux types d’informations, tout comme les personnes atteintes de maladie d’Alzheimer, même si ces dernières rapportaient généralement moins d’items. Les personnes avec maladie d’Alzheimer et MCI, tout comme les participants normaux, rapportaient plus d’idées générales que de détails, ce qui indique qu’elles sont sensibles à la structure hiérarchique d’un texte. De plus, l’étude montre que les personnes avec MCI diffèrent quantitativement des personnes avec la maladie d’Alzheimer, puisqu’elles rapportent plus d’items mais qu’elles ne diffèrent pas qualitativement des personnes avec la maladie d’Alzheimer, puisque les deux types d’informations sont touchés de façon équivalente.
Dans le même article, Hudon et al. [15] présentent les résultats d’une étude utilisant le paradigme de fausses reconnaissances qui servait à mesurer la sensibilité des personnes avec MCI au contexte sémantique général d’une liste de mots. Dans ce paradigme, les participants devaient mémoriser une liste de mots reliés à un mot thème qui lui, n’était pas présenté dans la liste. Ainsi pour le mot thème froid, la liste pouvait contenir les items chaud, neige, hiver, glace etc. Après avoir appris plusieurs listes de ce type, il était demandé aux participants de reconnaître les items appris (dans l’exemple précédent, l’item chaud) parmi une liste de distracteurs (dans l’exemple précédent, l’item table). Parmi ces distracteurs étaient glissés les mots thèmes non présentés (dans l’exemple précédent, l’item froid). Les adultes normaux croient à tort que les mots thèmes faisaient partie de la liste apprise. Cet effet serait causé par la création d’un contexte sémantique général qui influence le jugement lors de la reconnaissance. Après avoir corrigé pour le biais de réponse, l’étude rapporte un taux moins élevé de fausses reconnaissances du mot thème chez les personnes avec la maladie d’Alzheimer comparativement aux participants âgés normaux [15]. Les personnes avec MCI ont quant à elles obtenu un taux de fausses reconnaissances comparable à celui des contrôles. Ainsi, il semblerait que la maladie d’Alzheimer altère la capacité à traiter et à mémoriser le contexte sémantique général d’une liste mais que cette capacité soit intacte chez les personnes avec MCI. Cette étude indique que dans certaines conditions, les personnes avec MCI sont sensibles aux dimensions sémantiques ou schématiques générales du matériel, bien qu’elles n’arrivent pas à les utiliser comme support pour leur encodage en mémoire épisodique.
Une explication du déficit à utiliser les informations sémantiques lors de l’encodage pourrait être qu’il résulte d’une difficulté à établir des liens entre les différentes informations et indices associés à l’épisode. En effet, plusieurs études ont rapporté chez les personnes avec MCI des déficits de mémoire associative, définie comme la capacité de former une association entre deux mots ou entre un mot et son contexte (visuel ou spatial) pendant la phase d’encodage [17, 20]. De la même façon, Loewenstein et al. [12] ont montré un déficit de la mémoire de source, mesurée en demandant au participant de rappeler la liste d’origine d’un mot. Ces données supportent l’idée d’un déficit d’encodage des items avec leur contexte, un déficit associé au dysfonctionnement de l’hippocampe. On peut en effet considérer que l’indice offert lors de l’encodage sémantique forme une partie du contexte d’apprentissage que le participant MCI ne peut associer à l’item.
Par ailleurs, des études ont montré que les personnes avec MCI étaient particulièrement sensibles à l’interférence proactive [12] et rétroactive [10, 12]. Dans l’étude de Loewenstein et al., les participants devaient mémoriser une liste de 10 mots communs, puis une seconde liste de 10 mots sémantiquement reliés aux premiers. Cette procédure permettait, lors du rappel de la seconde liste, de mesurer si la première liste de mots interférait avec l’apprentissage du matériel subséquent (interférence proactive). Il était par la suite demandé aux participants de rappeler la première liste afin de mesurer si la seconde liste interférait avec le rappel du matériel précédemment encodé (interférence rétroactive). Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et celles avec un MCI se sont montrées plus sensibles à l’interférence proactive et rétroactive que les participants contrôles. L’impact de l’interférence proactive était plus important chez les personnes avec la maladie d’Alzheimer que chez les personnes avec MCI, alors que l’impact de l’interférence rétroactive était similaire entre les deux groupes. Encore une fois, cette sensibilité à l’interférence, particulièrement l’interférence rétroactive, pourrait provenir d’un problème d’encodage du contexte. Ainsi, on pourrait penser que l’encodage du contexte temporel de présentation du matériel ferait défaut, ce qui amènerait les participants à confondre les deux listes.
Le rappel différé et le taux d’oubli, c’est-à-dire le degré de perte de l’information avec le passage du temps, ont été examinés pour évaluer les capacités de stockage des personnes avec MCI. En effet, alors que certaines études n’observent pas de déficit en rappel immédiat [10], le rappel différé est systématiquement touché [2,10–12,15]. De plus, quelques études montrent un déficit plus important en rappel différé qu’en rappel immédiat [exemple in 21]. Moulin et al. [13] ont, quant à eux, observé un effet d’oubli plus rapide avec le temps chez les personnes avec MCI que chez les participants âgés normaux. Ces deux informations (déficit en rappel différé et oubli accéléré) sont compatibles avec un déficit d’encodage de l’information. Contrairement à l’étude de Moulin et al., Grober et Kawas [22] n’ont trouvé aucun effet d’oubli accéléré dans le MCI. La divergence des résultats pourrait s’expliquer par des différences méthodologiques entre les études. Grober et Kawas ont utilisé des données épidémiologiques et ils ont classé rétrospectivement les participants comme ayant un MCI s’ils développaient la maladie d’Alzheimer dans les trois années suivantes. Il est donc impossible de déterminer avec certitude si les participants rencontraient les critères du MCI lors de leur première évaluation. En revanche, Moulin et al. ont recruté leurs participants dans une clinique de mémoire et ils ont utilisé les critères classiques du MCI pour classifier leurs participants. Or, tel qu’il a été discuté plus haut, les échantillons constitués en milieu clinique sont généralement plus homogènes et les patients présentent des déficits plus marqués [23].
Un dernier aspect qui mérite d’être abordé est celui de l’effet du type de matériel à mémoriser sur la performance dans le MCI. De manière générale, les patients atteints de la maladie d’Alzheimer présentent des déficits pour une variété de matériel, verbal comme non verbal. L’effet envahissant de ce déficit de mémoire chez les personnes avec MCI pourrait être remis en cause. En effet, certains auteurs ont proposé que la mémoire non verbale paraît la plus fragile dans le MCI, particulièrement sur la base de la capacité de reconnaissance. La reconnaissance semble systématiquement déficitaire lorsqu’elle est évaluée avec du matériel non verbal comme des visages ou des formes visuelles abstraites, alors que le pattern est plus incohérent avec du matériel verbal. Dans une étude longitudinale, Ivanoiu et al. [11] ont observé que le sous-groupe de personnes avec MCI qui progressaient ensuite vers la maladie d’Alzheimer présentait des déficits en mémoire épisodique verbale et visuelle. Ces déficits s’observaient jusqu’à cinq ans avant qu’ils ne rencontrent les critères de la maladie d’Alzheimer. En revanche, ceux qui ne progressaient pas vers la maladie d’Alzheimer ne présentaient des déficits qu’avec le matériel verbal. Ces données suggèrent que les personnes avec MCI qui développeront la maladie d’Alzheimer se distinguent de ceux qui resteront stables sur la base de l’atteinte pour le matériel visuel. Une autre interprétation possible est celle de la dépendance du matériel non verbal à l’initiation du contrôle ou à la demande en stratégie attentionnelle. L’atteinte pour ce type de matériel pourrait s’expliquer par le fait qu’il peut s’observer tant en présence de difficultés de mémoire qu’en présence de difficultés en contrôle stratégique. Cette dernière hypothèse est compatible avec un déficit des fonctions exécutives et du contrôle attentionnel de la mémoire de travail dans le MCI. Ce point est développé dans la prochaine section.
MÉMOIRE DE TRAVAIL ET FONCTIONS EXÉCUTIVES
La mémoire de travail est un système de contrôle attentionnel impliqué dans le maintien et la manipulation mentale de l’information. Le modèle prédominant de la mémoire de travail postule l’existence de trois sous-systèmes : la boucle phonologique, impliquée dans le maintien à court terme d’informations verbales, le calepin visuospatial, permettant le maintien d’informations visuelles et spatiales et l’administrateur central, considéré comme un système de contrôle attentionnel. La mémoire de travail constitue l’une des fonctions cognitives les plus sévèrement atteintes dans la maladie d’Alzheimer et ce, dès le début de la maladie [24, 25 ; revue complète in 26]. La taille de l’empan de mots et de séquences visuospatiales est réduite chez les individus avec la maladie d’Alzheimer. La capacité d’empan est également touchée dans des tâches complexes de mémoire de travail qui nécessitent de maintenir de l’information tout en la manipulant [24, 25]. Peu d’études ont évalué directement la mémoire de travail chez les individus avec MCI, ce qui est surprenant compte tenu de la sensibilité de cette composante cognitive à la phase précoce de la maladie d’Alzheimer.

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