Le temps de la grossesse

2. Le temps de la grossesse



Surveillance de la grossesse


A. Proust



La périnatalité, au sens psychologique du terme, recouvre la période du développement qui va de la conception jusqu’à la deuxième année de vie environ. La périnatalité au sens pédiatrique du terme se centre sur les quelques semaines avant et après la naissance.

Sous le terme de périnatalité, on entend tous les mécanismes inter et transgénérationnels concernant le désir d’enfant, la grossesse, la naissance et la petite enfance.

L’enfant (ou le futur enfant), les parents (ou les futurs parents) sont désormais considérés comme un système indivisible où chacun influence l’autre et reçoit les influences de l’autre1.



La représentation de la grossesse aujourd’hui


La grossesse n’est ni une anomalie dans la vie d’une femme ni une maladie. Elle peut être non seulement un projet personnel mais aussi, le plus souvent, un projet de couple.

Si le désir d’enfant paraît, un désir de grossesse devrait, si ce n’est le précéder, tout au moins l’accompagner. L’enfant n’est jamais né avant d’être né et, pour qu’il soit né, il est nécessaire de trouver un partenaire consentant ou, au minimum, de « recevoir » du sperme, de mener à un certain terme sa grossesse et d’accoucher. L’aventure peut être simple mais, dans un certain nombre de cas, longue, périlleuse et semée d’embûches tant physiques que psychologiques.


La possibilité, toujours grande, d’effectuer des contrôles et autres tests prédictifs ou diagnostiques de la normalité de la grossesse rend plus précoces à la fois l’offre et la demande de soins, nécessitant l’adaptation de la prise en charge tant technique que relationnelle.

Diagnostiquer la grossesse, éliminer un risque de fausse couche, rechercher une grossesse extra-utérine, toute démarche cherchant à prouver la normalité de la grossesse, tout désir de « faire le bien » pour la parturiente voire le couple peut en réalité « faire mal ». En effet, cela peut retentir sur le bien-être psychique d’une femme, d’un homme et contrarier leur projet, élaboré, dans la majorité des cas à notre époque. de façon concertée.

On ne peut parler de normalité en matière de grossesse et d’accouchement qu’après, une fois l’accouchement terminé, l’enfant vu et nommé, voire, des années plus tard, quand l’absence de tout retentissement physique, psychique ou psychomoteur est prouvée.

Cela crée à l’évidence un « espace de quiétude incertain » conscient ou inconscient qui va se développer tout au long du processus de procréation, espace dans lequel vont se juxtaposer des éléments médicaux, somatiques, psychiques et des éléments culturels et sociaux.



On sait également l’importance actuelle, au-delà de la simple surveillance « médicale », de la surveillance de l’état psychique et social, véritable prévention des troubles de la « parentalité » et des dysharmonies relationnelles précoces parents-fœtus-enfant, en particulier en cas de précarité avérée.

Organiser un environnement favorable autour de la grossesse afin de permettre l’émergence d’une harmonie dans la relation entre la femme enceinte, le couple et le professionnel de la périnatalité est devenu une nécessité.

Être enceinte, ce qui reste quelque chose de normal dans la vie d’une femme, s’accompagne quasi immédiatement d’une débauche de consultations, d’enquêtes médicales, génétiques, psychologiques, sociales, et d’examens complémentaires, des plus simples, peu ou pas invasifs, aux plus compliqués. Tout cela est nettement plus à risque, si ce n’est pour la santé de la mère ou de l’enfant à venir, tout au moins pour la quiétude pour ne pas dire la béatitude dans laquelle la future mère s’était installée. Dans notre société, l’enfant se devrait d’être né avant d’être né, sans défaut, sans risque d’imperfection pouvant entacher d’un handicap le début de cette vie tant souhaitée, projet personnel puis parental constitué au fil du temps : temps de la femme, temps de la grossesse, temps de joie, temps de pleurs.

De la réussite de la grossesse ou de son échec, de « l’état de l’enfant » comme s’il s’agissait d’un produit et de l’expérience de la vie débutée dans le désir de l’autre, du futur père à l’enfant de lui porté, autant de bouleversements dans la vie de la femme où, si tout est « normal », il ne restera qu’à affronter la réalité de l’enfant né normal au décours d’un accouchement encore redouté de nos jours, malgré les moyens actuels de prise en charge de la douleur bien plus efficaces qu’autrefois. Mettre au monde un enfant relève encore, de façon symbolique, d’un travail, d’une épreuve voire d’un rite initiatique, ou encore « au niveau de la représentation inconsciente… un cauchemar » (Bydlowski, 2005).

La naissance d’un enfant représente, pour la mère, le passage définitif au statut de femme, la « dette de vie » (Bydlowski, 2005) payée pour accéder au monde adulte. Elle est de plus l’accès à la parentalité, à la paternité, dont les modalités d’expression sont différentes d’une époque à une autre, d’une culture à une autre. C’est la naissance d’une famille dont on sait les conséquences sociales et psychologiques.


Le temps de la grossesse


La plupart des grossesses actuelles sont désirées, même si le nombre d’interruptions volontaires de grossesse (IVG) est stable ces dernières années.

La mise en place progressive de la contraception et de la régulation des naissances diminue de façon sensible le nombre d’IVG avant la première grossesse. La plupart des femmes, et ce à un âge de plus en plus avancé alors même que les contraintes sociales ou amoureuses ont retardé le moment d’accepter une grossesse, font de cette première grossesse un événement primordial et fondamental. De 50 % de femmes primipares en 1998, on passe à 57 % en 2004.

La surveillance de la grossesse normale doit avant tout organiser, lors de la mise en place des examens cliniques et complémentaires obligatoires ou jugés nécessaires, un environnement favorable à l’épanouissement de la parturiente et du couple dans un souci d’aider à la mise en place progressive de la parentalité.


SURVEILLANCE D’UNE GROSSESSE PRÉSUMÉE NORMALE : « PRIMUM NON NOCERE »


Il importe d’organiser le discours afin que seuls les éléments positifs de la surveillance soient mis en valeur. Par exemple, il est préférable de dire que le col est fermé s’il l’est à l’orifice interne (seule qualité requise pour affirmer le caractère normal de la grossesse et l’absence de précautions drastiques à prendre), plutôt que de dire : l’orifice externe est ouvert, le col est raccourci, ramolli, etc. Ce qui est vrai pour le col est vrai pour un grand nombre d’éléments comme la hauteur utérine, la contractilité utérine, la prise de poids, etc. Dire et insister sur ce qui est positif sera ressenti comme des affirmations du caractère normal de la grossesse et permettra plus aisément de se placer, en cas de pathologie avérée, dans un cadre différent où la femme enceinte se sentira immédiatement prise en charge, y compris lors de l’émergence d’un risque. Faire de toute grossesse une « maladie potentielle » ne supprime pas le risque, mais empêche de l’identifier clairement pour la patiente qui ressent alors une discordance dans le discours.

La difficulté sera de toujours naviguer dans la « zone de confiance positive » entre un trop grand laxisme et une hypersurveillance voire une hypermédicalisation (encadré 2.1) ; celle-ci n’aboutirait qu’à une surveillance de type paternaliste et non à une relation de confiance qui seule peut permettre, si une complication ou un échec apparaît, de pouvoir prendre en charge en toute transparence. Être à la fois pas trop protecteur et suffisamment vigilant pour dépister ou diagnostiquer toute survenue de complication est l’un des enjeux principaux de la surveillance de la grossesse normale.

Encadré 2.1
Hypermédicalisation et périnatalité



Le développement progressif de la prise en charge de la surveillance de la grossesse par le « médical » a des conséquences non seulement sur les modalités de fonctionnement des différentes équipes et structures mais également par le développement de mouvements prônant la « démédicalisation » de la surveillance de la grossesse et de l’accouchement.

Le fait est que la grossesse est un phénomène naturel et physiologique : il est encore « normal » pour une femme présumée « normale » d’avoir une grossesse « normale » et d’accoucher « normalement » !

Le point de départ d’une hypermédicalisation outrancière et régulièrement condamnée par les mouvements évoqués plus haut vient d’une constatation simple : on ne sait que tout s’est bien passé que quand tout est fini !

Articuler sa pratique entre les deux positions est bien entendu affaire personnelle pour la sage femme ou le médecin travaillant dans le cadre de la prise en charge de la périnatalité.

De nombreuses attitudes sont modulées par la formation reçue, par le cadre dans lequel s’exerce la prise en charge (influence sur la surveillance d’une grossesse normale d’être suivie dans une maternité de type III…), par la susceptibilité personnelle du soignant, sa capacité à « gérer » toute situation de stress en particulier au sein d’une équipe pluridisciplinaire sans oublier la formidable pression médico-légale qui s’est développée ces dernières années.

Les méfaits de l’hypermédicalisation sont connus tant la gestion de l’angoisse et du stress sur la survenue d’effets secondaires, principalement à type de contractions que dans l’état de dépendance voire d’hospitalisme dont les conséquences peuvent être importantes.

C’est de la responsabilité de chaque personne acceptant de prendre en charge une femme enceinte que de trouver le cadre dans lequel sa pratique va être évaluée et d’accepter le principe de modifier toute attitude aboutissant de façon évidente à une hypermédicalisation nocive pour tous.


Surveiller toute grossesse présumée normale comme une grossesse à risque crée de toutes pièces une pathologie psychosomatique dépendante des effets physiologiques (biologiques) du stress, dont l’un des éléments fondamentaux est la survenue de contractions du simple fait d’un surcroît de sécrétion interne d’adrénaline.

Il faut donc s’attacher à affirmer le caractère normal de la grossesse de la manière suivante.




– Dès le début de la grossesse, il importe de ne pas chercher à prouver des choses non prouvables : démultiplication des dosages de b-hCG inutiles, échographie trop précoce, répétition et banalisation des échographies au cours de la surveillance de la grossesse. Ainsi, il faut savoir distinguer l’échographie de consultation de l’échographie de 12, 22 et 32 semaines d’aménorrhée (SA) : la première ne peut et ne doit que vérifier la vitalité fœtale et contrôler éventuellement des mesures simples servant au dépistage d’une anomalie, à la position fœtale ou à la localisation placentaire ; la deuxième doit faire l’objet d’une consultation uniquement destinée à sa réalisation, et les échographies d’expertises ne seront réalisées que dans le cadre d’une demande particulière lors de la surveillance d’une grossesse sortant du cadre de la normalité (voir ci-après le paragraphe « Annonces anténatales »).



– Il convient d’expliquer tout au long de la grossesse les différents temps d’explorations, les raisons de ces examens et ce que l’on peut en attendre : prises de sang, échographies, examen clinique.


– Il faut aussi informer sur les examens nécessaires et ceux inutiles, ou ce qu’il sera nécessaire de faire au cas où une pathologie surviendrait.


– Informer sur les examens non obligatoires mais obligatoirement proposés est également important. Les deux exemples sont la prise de sang de dépistage du risque de trisomie (dite HT21, même si elle peut être le marqueur d’éventuels autres risques, ce dont nous ne discuterons pas ici) et la sérologie VIH.


– Les consentements à la pratique de ces examens doivent être recueillis, en se rappelant que consentir n’est pas prendre la décision à la place du soignant, mais seulement accepter que ce dernier le fasse.


Ainsi, tout au long de la grossesse et lors des consultations successives, l’objectif principal est d’affirmer le caractère normal de l’enfant, de sa croissance et de la grossesse ; il s’agit de ne pas laisser planer le doute en évoquant les risques potentiels, en particulier de peur des conséquences médicolégales par défaut d’information.


SURVENUE D’UNE ANOMALIE MATERNELLE PENDANT LA GROSSESSE



Distinction entre les pathologies


À tout moment de la grossesse peut survenir une « maladie » maternelle. Elle est le plus souvent banale, non spécifique, véritable pathologie de tous les jours (gastro-entérite, rhinopharyngite, accident de la voie publique, etc.) ; on peut attendre qu’elle n’ait aucun retentissement sur le fœtus ou sur la grossesse. Dans ce cas, il faut traiter avec les moyens habituels, rassurer sur l’absence de risque particulier, vérifier l’état fœtal et accompagner la guérison.

La survenue d’une pathologie maternelle (hypertension artérielle, diabète, infection urinaire, etc.) pouvant avoir un retentissement maternel, fœtal ou maternofœtal doit être clairement identifiée et annoncée comme telle. On sort là de la surveillance de la grossesse normale. Il est nécessaire de dire qu’il existe une pathologie, que la prise en charge amènera telle ou telle amélioration ou absence d’aggravation, de nommer les risques pour la suite de la grossesse, d’expliquer les risques pour le fœtus en donnant, dans chaque cas, ce que l’on peut attendre de l’évolution à partir du moment où une surveillance et un traitement sont institués.


C’est dans ces cas, entre autres, que la mise en jeu de tous les professionnels de la périnatalité est absolument nécessaire. Elle est déclenchée par concertation au cours de réunions pluridisciplinaires afin d’optimiser la prise en charge médicale et l’accompagnement psychologique. Chaque intervenant offrira alors à la future accouchée et au couple la possibilité d’exprimer la totalité de ses questions et de ses angoisses. Chaque entretien avec un professionnel différent favorisera l’émergence d’un questionnement permis par un environnement nouveau améliorant ainsi une prise en charge globale. Cela est d’autant plus valable si une décision importante est nécessaire ou lorsqu’il est fondamental d’affirmer que la grossesse peut se poursuivre « normalement » ; on ouvre ainsi un temps d’attente où l’angoisse de l’équipe peut être tout aussi difficile à contrôler, au risque d’avoir un retentissement négatif et même de créer un environnement global négatif pour soignants et soignés.


Contractions utérines et accouchement prématuré


Le cas particulier de la survenue de contractions utérines réalisant, selon le terme de la grossesse, soit une menace de fausse couche, soit une menace d’accouchement prématuré démontre la difficulté de la prise en charge d’une pathologie de la grossesse. Là, encore et toujours, l’existence d’une « menace », d’un « risque » peut avoir des conséquences fondamentales sur le déroulement ultérieur de la grossesse.


La juste mesure est complexe, car certains professionnels de la périnatalité, de bonne foi, préféreront jouer la prudence maximale alors qu’en fait ils géreront plus leur propre angoisse que celle de la patiente. Il est normal qu’il existe des contractions pendant la grossesse, tout simplement parce que l’utérus est un muscle et qu’il existe un réflexe musculaire à type de contractions en fonction des stimuli. La menace de fausse couche et la menace d’accouchement prématuré sont définies par la survenue de contractions, mais de contractions qui entraînent des modifications du col pouvant aboutir à la fausse couche ou à l’accouchement. Bien entendu, il existe de nombreuses causes médicales de menace d’accouchement prématuré qui doivent être identifiées et traitées. Cependant, il est indispensable de ne jamais oublier que, dans ce genre de prise en charge, faire trop et ne pas faire assez a des effets négatifs tant en termes de retentissement médical que d’effets psychologiques pervers.

Même si la prématurité (tous termes confondus) représente entre 5 et 7,5 % des naissances et est en augmentation régulière (de 5,9 % en 1995 à 7,2 % en 2003), la très grande prématurité ne représente que 9 000 cas par an, soit 1,15 % des naissances dont 1 000 avec handicap sévère (environ 0,13 %) (Rapports d’enquête nationale périnatale, 1998 et 2003).

Ces chiffres doivent rester présents à l’esprit de tout professionnel de la périnatalité au moment de l’analyse de la survenue de contractions chez la femme enceinte, afin de faire ce qu’il faut quand il le faut et sans médicaliser à outrance.

L’analyse des facteurs influençant la morbidité périnatale montre l’existence de déterminants tels que :




Le temps de la naissance


La naissance doit être préparée au niveau de la consultation, sans préjuger de la préparation indispensable à la naissance elle-même, organisée de façon plus collective, lors du 9e mois de la grossesse1.


À ce stade, le caractère normal ou non de la grossesse ainsi que l’idée de l’enfant à naître sont acquis. Soit tout est normal tant pour l’enfant que pour la mère, soit il existe une anomalie qui n’a pas entraîné d’interruption de la grossesse ; mais dans tous les cas, l’enfant va naître.

Il est nécessaire de s’assurer de la normalité des éléments pronostiques maternels et fœtaux en vue de l’accouchement : présentation fœtale, estimation du poids fœtal, appréciation clinique du bassin, et antécédents obstétricaux, parmi lesquels il est fondamental de rechercher l’existence d’une dépression du postpartum au décours d’un précédent accouchement, ou de tout autre difficulté psychologique qui n’aurait pas été évoquée lors de la surveillance de la grossesse.

Seules des anomalies pouvant avoir une influence sur le choix du mode d’accouchement doivent faire l’objet d’examens complémentaires. Il est capital d’expliquer que l’on ne peut pas tout prévoir, qu’il n’est pas anormal qu’un certain nombre de décisions ne soient prises que pendant le travail en fonction de la dilatation, de l’engagement du mobile fœtal, de la survenue d’anomalies (saignements, modifications du rythme cardiaque fœtal, etc.).

Il faut dire et redire que le temps de l’accouchement est un temps fondamental où peuvent se prendre un certain nombre de décisions, qu’il s’agit, au sens « noble » du terme, d’une véritable expérience de la vie, où la femme, le couple, l’équipe soignante vont être amenés à adapter leur comportement, tant au niveau obstétrical qu’au niveau émotionnel, en fonction de ce qui va se passer.

Au-delà de la consultation du 9e mois qui marque la fin de la surveillance « officielle » de la grossesse, il est nécessaire d’utiliser le temps restant avant la naissance pour :




– organiser une consultation avec les anesthésistes. Au-delà des éléments médicaux purs, peuvent y être évoqués les possibilités de prise en charge de la douleur, l’organisation de l’analgésie obstétricale, ou tout autre élément de surveillance nécessaire par rapport à une pathologie particulière (risque thrombo-embolique, risque thrombophilique, etc.) ;


– mettre en place la surveillance de la fin de la grossesse, en particulier les procédures de prise en charge du dépassement théorique du terme si tel est le cas ;


– optimiser la surveillance de toute pathologie connue et contrôlée ;


– dépister toute survenue de complication pouvant avoir une incidence sur la poursuite de la grossesse ou l’organisation de l’accouchement.

En matière de prise en charge médicale de ce qui, dans la très grande majorité des cas, n’est pas lié à une maladie, l’enjeu fondamental est la capacité (au mieux grâce à une équipe pluridisciplinaire) de mettre en place l’environnement favorable au bien-être de la future accouchée, tout en restant suffisamment vigilant, dans les domaines médicaux ou psychologiques, pour être capable de faire face à la survenue de toute complication, depuis la plus banale jusqu’à la plus grave.


Annonces anténatales


V. Mirlesse


Les annonces anténatales sont inévitables dans le cadre de la surveillance organisée des grossesses. Leur bénéfice est indéniable en termes de sécurité et de qualité des soins pour les femmes et les enfants à naître. Pourtant, sur le plan individuel, elles peuvent être difficiles voire dramatiques à vivre, et laisser les individus, les couples et les familles arrêtés dans leur existence à l’instant de ces annonces. Pour les praticiens qui, dans leur majorité, n’ont appris ce type de prise en charge que par la pratique d’erreurs répétées, il est aussi des annonces faites par eux-mêmes qui restent à jamais gravées dans leur mémoire. Apprendre à délivrer des nouvelles en anténatal ne se résume pas à la connaissance d’une réponse précise à une question médicale donnée, ni à un code de comportement. Il s’agit avant tout d’apprendre à communiquer ; c’est-à-dire à considérer l’interlocuteur prioritaire sur l’information à délivrer, pour permettre qu’il y ait, dans la vie de la femme, du couple ou de la famille un avant et un après l’annonce.



Enjeux d’une grossesse


Avant d’aborder quelques aspects des enjeux psychiques d’une grossesse, il nous semble utile de faire un court rappel sur la réalité des chiffres. Chaque année, en France, plus d’un million de femmes débutent une grossesse. Près de 200 000 seront volontairement interrompues, à peu près autant donneront lieu à des fausses couches, grossesses extra-utérines ou morts in utero. Le nombre de naissances annuelles d’enfants vivants est relativement stable, aux alentours de 800 000 par an, dont 10 % de retards de croissance intra-utérine (80 000) et environ 3 % de naissances très prématurées (moins de 32 SA, soit 24 000).

Ainsi, la première annonce, souvent faite par la femme ellemême au praticien, mais parfois faite à la femme par le praticien, est l’annonce de la grossesse ; elle illustre remarquablement la complexité du problème. Un retard de règle n’est pas encore une grossesse, ni une grossesse l’attente d’un enfant. Pour une même annonce de grossesse débutante, selon la période de la vie d’une femme, son environnement, son histoire, l’histoire de son couple, l’annonce pourra être vécue comme un drame, une grande joie, un désastre, un bouleversement, etc. Selon le dire du praticien, son écoute, ses commentaires, il se verra le reflet du cheminement psychique de la femme, de ses inquiétudes, de ses interrogations, de ses attentes, de ses hésitations, avec en filigrane dans son esprit à lui, sa connaissance médicale et son expérience humaine.

L’annonce d’une grossesse est une réalité, une information intangible. La façon dont elle est donnée, par l’un ou l’autre des protagonistes, et la manière dont elle est reçue illustrent à nos yeux le premier point essentiel de l’annonce prénatale : le ressenti d’une annonce dépend toujours du contexte. L’information elle-même n’est pas toujours une annonce. Seule sa répercussion en fait une annonce. Une annonce peut être une bonne ou une mauvaise nouvelle, mais elle change « l’idée que le patient se fait de son avenir » (Buckman, 1994). Il est important pour les professionnels de percevoir avant l’annonce le terreau dans lequel il sème son message. Lorsqu’un lien existe déjà entre la femme et le médecin (comme avec un médecin généraliste ou un gynécologue traitant), l’information est plus aisément resituée dans un contexte où les antécédents sont connus et le cheminement personnel de la femme familier : telle jeune femme au passé d’infertilité sera probablement ravie d’une annonce de grossesse ; telle autre déroutée devant une grossesse inopinée. Pourtant, s’il est toujours utile de préciser les antécédents, l’environnement de vie des patientes, il ne peut y avoir d’automatisme dans le présupposé de l’effet de l’annonce, la réaction de chacune reste unique. Au praticien de savoir se placer suffisamment en retrait et à l’écoute pour saisir les doutes, les inquiétudes, les attentes et y répondre sans parti pris.

Ainsi, cette jeune femme, reçue pour une amniocentèse au cours d’un bilan de toxoplasmose, me demande au cours de l’examen échographique qui précède le geste de confirmer qu’elle attend bien une fille. Mon examen révèle qu’il s’agit en fait d’un garçon. Lorsqu’elle se met à pleurer doucement, dans le noir de la salle d’échographie, et me dit : « Alors docteur, vous avez tout vu ? », d’abord agacée par cette phrase type (car on ne voit jamais tout à l’échographie…), je retiens ensuite mon agacement, imaginant que son inquiétude porte sur le risque de malformation ou de toxoplasmose congénitale. Je comprends alors que son émotion résulte de l’annonce du sexe fœtal et que le « vous avez tout vu ? » porte sur la question des organes génitaux…

La tendance actuelle de la dissémination du suivi de grossesse entre différentes structures ne facilite pas cet échange en confiance. Il est alors nécessaire, à chaque nouvel interlocuteur, de refaire connaissance, de trouver un terrain de dialogue, un terrain de confiance.


On peut au passage, et de façon amère, souligner la majestueuse ignorance de cette forme de pratique par ces grands hommes et femmes, administrateurs, qui construisent un système de santé centré autour de l’acte (T2A [tarification à l’activité]) et de sa cotation (nouvelle Classification commune des actes médicaux [CCAM]).

La grossesse et l’accès à la maternité constituent une véritable étape de la maturation de la femme. Les psychanalystes se plaisent à analyser les enjeux et les multiples mouvements psychiques (Soubieux et Soulé, 2005) de la femme enceinte, ses forces et sa grande vulnérabilité. Le déroulement de la grossesse renforce dans les premiers temps le narcissisme de la femme elle-même ; puis progressivement la femme investit l’enfant qu’elle attend et s’autorise à s’y attacher, tout en gardant cette « ambivalence fondamentale » (Sirol, 2002) qui s’accompagne d’angoisses et de fantasmes, et peut selon le contexte transformer le fœtus de l’enfant désiré, attendu, en « fœtus tumoral », insupportable et ne pouvant être accueilli (Boltanski, 2004). Préserver la dynamique psychique de la femme sera l’un des enjeux des annonces anténatales.


Les annonces de la période anténatale concernent les possibles pathologies maternelles ou les anomalies fœtales. Nous dissocierons volontairement les deux situations qui comportent à nos yeux des enjeux et des dynamiques très différents. Certaines annonces concernent la santé maternelle (hypertension artérielle, diabète, ou encore, plus rarement, pathologie infectieuse [VIH, CMV (cytomégalovirus) ou néoplasique] ou un événement intercurrent pour la grossesse (menace d’accouchement prématuré). D’autres concernent directement le fœtus et résultent soit d’un environnement familial particulier (pathologie génétique familiale à risque de transmission), soit d’examens complémentaires prescrits ou à discuter (bilan sérologique, triple test, etc.), soit d’un examen échographique dont le résultat n’est pas normal.

La révélation d’une pathologie maternelle entraîne immédiatement une inquiétude de la femme et de son entourage sur sa propre santé, un éventuel risque de menace vitale. Il peut aussi s’agir d’une annonce en lien avec un risque fœtal générant simultanément un sentiment aigu de culpabilité vis-à-vis de la grossesse et du fœtus. Il est utile que les praticiens aient conscience de ces doubles facettes.


Les précautions à prendre pour l’annonce d’une pathologie maternelle sont similaires à celles pour d’autres maladies. Certains principes de base sont reconnus par les patients et les équipes médicales pour atténuer la pénibilité de ces moments, mais ne sont que des indications tant les codes de conduite trop rigides nuisent à la qualité de la communication qui repose essentiellement sur la relation.


Annonce d’une mauvaise nouvelle : quelques repères généraux


L’annonce d’une mauvaise nouvelle doit dans la mesure du possible être anticipée, préparée pour atténuer le choc et la brutalité. Cela peut se faire de différentes façons. Lors de la prescription des examens complémentaires, l’information sur l’objectif de l’examen permet d’évoquer la possibilité d’un résultat anormal. Cette éventualité est alors présente à l’esprit de la femme qui viendra chercher le résultat. C’est notamment le cas des sérologies VIH, proposées en début de grossesse ; ce sera aussi le cas de la prescription des marqueurs sériques visant à évaluer notamment le risque de trisomie 21, avec cette fois un véritable consentement signé par les femmes.

Lorsque les résultats reviennent pathologiques, il est toujours utile de reprendre le discours tenu lors de la prescription, pour permettre aux femmes de se remémorer la consultation initiale. Par exemple, si l’on suspecte un résultat anormal, on peut prévoir un rendez-vous « pour les résultats », ou encore, lorsque la patiente est convoquée en consultation, elle doit être prévenue sans plus de détail qu’elle est convoquée « pour parler des résultats ». Certains objecteront qu’il n’est pas humain de laisser une femme, un couple dans l’incertitude en attendant l’annonce ; pourtant, cette phase de préparation est essentielle en ce qu’elle permet à la femme d’anticiper la suite des événements. Ce sont ces mêmes femmes qui pourront dire, après l’entretien d’annonce, « j’en étais sûre » ou « je le savais bien » ou « depuis le début, je me disais que… », intégrant la nouvelle, et accédant par la même à la possibilité d’y réfléchir.


Les résultats ne sont jamais transmis par téléphone. Un coup de fil prend les individus au dépourvu, dans un contexte que le praticien ignore. Une nouvelle donnée ainsi saisit de plein fouet l’interlocutrice. Il n’existe aucun accompagnement possible de l’effet de choc entraîné. Lors de la convocation pour l’entretien d’annonce, la patiente est prévenue que le médecin souhaite la recevoir à propos des résultats de ses examens. Nous demandons habituellement aux secrétaires de joindre les femmes, car en aucun cas elles ne donneront d’autre information par téléphone.

La patiente doit pouvoir bénéficier d’un contact direct avec le praticien annonceur et du soutien d’une personne de son choix (conjoint, ami[e], famille, etc.). L’accompagnement par une personne amie est d’une grande aide, à la fois pour la patiente et pour le praticien. Nous avons tendance à solliciter cet accompagnement de façon insistante. L’annonce d’une mauvaise nouvelle entraîne toujours une phase de sidération, puis de révolte, de questionnements, de sentiments confus. Les informations médicales données ne sont plus entendues par la personne concernée. La présence d’une personne amie forme un vrai soutien émotif, un repère affectif. Cette personne aura elle aussi entendu le diagnostic posé et pourra reprendre avec la patiente le déroulement de la consultation. Elle évitera aussi que la femme ne quitte le lieu de consultation seule.

La consultation doit être organisée dans un lieu calme, en sachant se préserver des intrusions intempestives dans la pièce et des sonneries inopinées du téléphone.

Le praticien lui aussi doit avoir organisé son temps pour ne se sentir ni oppressé, ni pressé. Il est utile qu’il maîtrise les informations qu’il va devoir transmettre, et qu’il se soit préparé à cette consultation d’un type particulier. Il n’est pas inutile non plus qu’il ait pris quelques instants pour évaluer le retentissement supposé de la pathologie à annoncer, pour se la représenter, tout en sachant que cette représentation peut être très différente dans l’esprit de la patiente.

Apr 27, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Le temps de la grossesse

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