5. Le grand âge ou la consultation de la femme âgée
M. Lachowsky and D. Winaver
Chez la gynécologue aussi, les choses ont changé par rapport aux temps pas si lointains où peu de femmes concevaient le bien-fondé de consultations au-delà de cette période des maternités que la médecine continue à appeler la période de vie génitale active. Le pouvoir de fécondité disparu et, avec lui, les désirs et les angoisses de fertilité et d’infertilité souvent remplacés par le désir d’avoir des petits-enfants, pourquoi faudrait-il une médecine spéciale telle que la gynécologie ? Tout simplement parce que, même si l’on n’adhère pas totalement à la formule de Simone de Beauvoir, « on ne naît pas femme, on le devient » ; femmes elles sont et femmes elles resteront : l’âge pas plus que la disparition des menstruations ne font changer de genre ni de sexe.
Quant aux pathologies carcinologiques de la femme âgée sont peu différentes des pathologies de la décennie postménopausique. L’incidence du cancer du sein croît avec l’âge. Le cancer du col, s’il n’a pas été dépisté auparavant, ne sera pas moins sévère avec l’âge. Le cancer utérin et le cancer ovarien peuvent se déclarer très tard. Quant aux autres pathologies gynécologiques, elles sont dominées par le prolapsus avec ou sans incontinence urinaire. Les pathologies vulvaires offrent des symptômes peu spécifiques, notamment le prurit, imposant la recherche d’un cancer vulvaire. Les infections génitales sont moins fréquentes à cette période, les affections liées à l’atrophie par carence prolongée en hormones sexuelles (estrogènes, androgènes) dominant le tableau.
Alors, qui vient nous consulter ? Nous avons deux groupes de patientes très différents.
Les patientes qui ne consultent pas spontanément
Ces patientes sont poussées par une urgence gynécologique : des hémorragies, une boule dans un sein, des écoulements, un inconfort vulvaire devenu intolérable. Elles sont non seulement inquiètes, mais aussi gênées de devoir se déshabiller devant nous. Il nous faut reconnaître leur gêne, leur pudeur à montrer un corps qu’elles ont désinvesti, un corps vieilli dont elles ont honte. Elles n’ont pas consulté depuis leur dernière grossesse. Elles s’étonnent naïvement qu’il puisse leur arriver des ennuis gynécologiques, elles qui n’ont plus ni règles ni rapports sexuels depuis longtemps.
L’examen est une épreuve. On les aide souvent à s’installer et à descendre de la table gynécologique ; il faut prendre du temps. Un coussin sous la nuque est souvent nécessaire. On sera attentif à la mobilité souvent réduite de leurs articulations, notamment des hanches. Elles ont peur d’avoir mal lors de l’exploration vaginale. Un aspect trop atrophique de la région vulvovaginale nous incite à surseoir à l’examen, sauf urgence. On les reverra après un traitement local (ovules et/ou crème).
Certaines patientes sont amenées par leurs filles. Chez celles-ci, en effet, « la gynéco » fait partie du paysage depuis leur puberté ou leur première pilule. Elles ont deviné chez leur mère, devant certains comportements, certaines confidences, des troubles liés à l’âge : fuites urinaires et prolapsus, ces « descentes d’organes » qui autrefois aboutissaient à la « totale » bien avant le grand âge. De nos jours, nos patientes en parlent un peu plus aisément, mais il nous faut aussi savoir poser des questions indiscrètes pour obtenir des réponses discrètes, car l’incontinence anale est encore plus difficile à « avouer », même pour y chercher remède. La peur d’une intervention chirurgicale, mais aussi la crainte d’être déjà trop âgées pour la subir les ont rendues réticentes. Il est vrai que, si les troubles urogénitaux bénéficient de choix thérapeutiques bien codifiés et de plus en plus efficaces – rééducation périnéale, traitements médicaux et chirurgicaux -, le médecin est plus démuni devant les troubles du sphincter anal. Certes une rééducation existe aussi à ce niveau, mais elle est plus pénible psychologiquement et physiquement, et de moindre efficacité. Même si la prescription est utile, le prescripteur doit prendre en considération cette autre forme de balance bénéfices/ risques : la faisabilité liée à l’âge. Cette femme âgée est-elle autonome, se déplace-t-elle seule, n’hésitera-t-elle pas à peser sur son entourage ? Ce souci de prise en charge globale va au-delà de la rédaction d’une ordonnance ; il est même parfois au premier plan dans ces consultations de gynécologie gériatrique.
Les patientes qui consultent spontanément
Pour le second groupe de patientes, le suivi gynécologique va de soi. Ces femmes nous connaissent depuis longtemps. Elles trouvent normal de médicaliser toutes les étapes de leur vie de femme. Elles ont bénéficié de la contraception, de traitements d’infertilité, de la prise en charge des douleurs de l’accouchement, du traitement hormonal de la ménopause, elles se soumettent aux dépistages. Elles voudraient bien même nous montrer leur petite-fille dès ses premières règles. La fidélité n’est-elle pas, d’ailleurs, une des spécificités de la relation patiente-gynécologue ?