Chapitre 2 Le fonctionnement du neurone
Dans ce chapitre, des expériences simulées, appelées « Manipulations » sont proposées pour permettre une compréhension dynamique des phénomènes expliqués. Ces manipulations seront réalisées en utilisant des simulateurs informatiques téléchargeables. On trouvera les explications pour le téléchargement et leur réalisation dans le chapitre « Manipulations » en page 235 de cet ouvrage.
Potentiel de repos
La composition ionique du liquide extracellulaire qui entoure les neurones est tout à fait différente de celle du cytoplasme. Ces différences de composition ionique entre les milieux intérieur et extérieur, très importantes, induisent des flux ioniques du fait des phénomènes de diffusion. Pour maintenir la différence de concentration entre les milieux intérieur et extérieur, beaucoup de cellules se servent des systèmes de transport actif qui peuvent utiliser jusqu’à 50 % de leur dépense énergétique.
Les flux ioniques passifs tendent à établir l’équilibre de chaque ion. En d’autres termes, chaque flux ionique tend à charger le condensateur – formé par la bicouche lipidique de la membrane – à une différence de potentiel égale au potentiel d’équilibre de l’ion correspondant (Eion). Évidemment, tous les ions ne peuvent pas être simultanément à l’équilibre puisque leurs potentiels d’équilibre diffèrent. L’ensemble de ces gradients ioniques fait que les cellules maintiennent une différence de potentiel électrique entre les deux côtés de leur membrane (Vm) si elles ne sont pas soumises à des influences externes. Ce potentiel est appelé le potentiel de repos de la membrane (VR). Il est déterminé par les diverses concentrations en ions et leurs conductances respectives, ce qui fait que pour un neurone typique, il est négatif par rapport à l’extérieur et d’environ 60–80 mV (figure 2.1). Les changements de ces conductances ont comme conséquence la déviation de Vm de sa valeur de repos. Cette déviation constitue le signal électrique généré par les neurones. Dans ce contexte, les conductances des membranes à Na+, K+, Cl−, et Ca++, sont critiques.
La membrane cellulaire, qui est constituée de deux couches de phospholipides est de ce fait un excellent isolant. Les ions ne peuvent pénétrer ou sortir de la cellule que par des « canaux ioniques » situés dans la membrane des cellules. Certains de ces canaux participent au « transport passif », de sorte que les ions puissent librement se déplacer par diffusion. Certains participent au « transport actif » (avec consommation énergétique sous forme d’ATP), comme les pompes de sodium qui extraient le sodium (Na+) (et du calcium, Ca++) hors de la cellule, tout en faisant entrer du potassium (K+) dans le rapport de 2 K+ pour chaque 3 Na+ rejetés. Ceci compense non seulement la fuite par les canaux passifs, mais établit également un gradient de concentrations éloignées de leur potentiel d’équilibre (figure 2.2). D’autres canaux sont dits voltage-dépendants, car ils sont fermés pour certains potentiels et s’ouvrent pour d’autres. Les concentrations typiques en ions (millimoles/litre) dans des motoneurones humains au potentiel de repos sont :
(« gros » anions : anions trop gros pour traverser les canaux, par exemple : peptides et protéines ; la membrane ne leur est pas perméable.)
La figure 2.3 montre le circuit électrique équivalent pour une membrane perméable aux ions de potassium, de sodium et de chlore. Les trois piles (EK, ENa et EI) représentent les potentiels d’équilibre des ions, et les résistances correspondent à l’inverse de leurs conductances respectives. Ce circuit montre que Ic peut devenir nul si les divers courant ioniques qui passent dans les branches du circuit se compensent (ils passent dans des directions opposées avec des valeurs qui se compensent pour donner un courant nul), sans pour autant que les courants disparaissent.
Contribution du potentiel de diffusion du potassium
où
En conséquence, E = – 94 mV puisque [K+]i = 140 mEq/L et [K+]e = 4 mEq/L.
Néanmoins, pour de faibles valeurs de [K+]e, la valeur observée du potentiel E est moins négative que la valeur calculée par l’équation de Nernst (figure 2.4). Cela suggère que d’autres ions entrent en jeu.
Contribution du potentiel de diffusion d’autres ions
où Pi = coefficients de perméabilité de l’ion i.
Contribution de la pompe Na+/K+ ATPase
La pompe Na+/K+ ATPase provoque la sortie de 3 Na+ et l’entrée de 2 K+, donc la perte d’une charge + intracellulaire pour chaque cycle. Ainsi, cette pompe est dite électrogène car elle hyperpolarise un peu plus (de quelques millivolts) la membrane.
Variations du potentiel de repos
Enfin, le potentiel de repos d’un neurone en conditions physiologiques n’est jamais parfaitement stable, car il existe une multitude de synapses qui couvrent le corps cellulaire, qui soit déchargent de manière asynchrone, soit sont le siège d’une libération au hasard de quelques quanta de neurotransmetteurs. Ceci contribue à créer des fluctuations aléatoires qui constituent ce qu’il est convenu d’appeler le bruit synaptique.
Contrôle de la perméabilité des canaux ioniques
La perméabilité des canaux ioniques n’est pas figée. Elle varie en permanence en fonction de divers facteurs, comme le potentiel de la membrane, la présence de substances chimiques dans le milieu extracellulaire, l’arrivée d’influx électriques sur le neurone, etc. Les canaux sont généralement appelés en leur associant le nom de l’ion qu’ils peuvent laisser passer. Les principaux canaux ioniques concernés sont les canaux Na+, K+, Cl− et Ca++ (figure 2.5). Ceux-ci sont sélectifs, mais il en existe des moins sélectifs, pouvant laisser passer plusieurs types d’ions. Certains sont ouverts en permanence (canaux de fuite), d’autres peuvent avoir une ou plusieurs « portes » qui peuvent s’ouvrir ou se fermer en réponse à des stimuli spécifiques. On distingue trois types de canaux ioniques en fonction de leur mode de fonctionnement :
Figure 2.5 Les principaux canaux ioniques et les mouvements d’ions à travers la membrane du neurone.
Manipulation 4 : influence d’une seule synapse excitatrice ou inhibitrice qui arrive sur le neurone.
Étant donnés les gradients ioniques, en conditions physiologiques, l’ouverture de canaux conduit généralement à une sortie de K+ et à une entrée de Na+, Ca++ et Cl−. L’action conjuguée de ces différents types de canaux détermine la valeur du potentiel de membrane et va contribuer à créer des signaux électriques. Ceux-ci vont être de deux types, soit les potentiels post-synaptiques, soit les potentiels d’action. Très schématiquement, les potentiels post-synaptiques restent locaux, et l’amplitude des signaux électriques qu’ils engendrent (≈︀ 1–10 mV) diminue avec la distance. Les potentiels d’action, sont des signaux auto-régénérés de grande amplitude (≈︀ 100 mV) qui se propagent sans décrément sur de grandes distances.
Potentiels post-synaptiques
Si le potentiel post-synaptique est peu ample, il ne va pas perturber le potentiel de membrane très loin du lieu initial. En effet, il existe au niveau du soma des courants de fuite qui permettent aux ions de re-sortir (ou re-rentrer selon l’ion impliqué), ce qui va atténuer rapidement l’amplitude du phénomène. Plus le potentiel post-synaptique est ample, plus il risque d’affecter le comportement du neurone. Si l’ion impliqué est par exemple du K+ ou du Cl−, cela entraîne une hyperpolarisation, qui rendra la cellule moins excitable. Par contre si l’ion est par exemple du Na+, cela entraîne une dépolarisation dont les conséquences peuvent être majeures, si elle atteint le segment initial de l’axone (collet de l’axone ou cône d’émergence).
Cette zone (appelée zone de déclenchement ou trigger zone) est très riche en canaux Na+ voltage-dépendants. Elle est très sensible aux variations de potentiel de membrane, qui vont ouvrir les nombreux canaux sodiques. Ceci va entraîner un afflux d’ions Na+ qui vont dépolariser davantage la cellule et amener le potentiel de membrane à une valeur appelée potentiel seuil, seuil de décharge ou seuil liminaire. Ce seuil varie en fonction du type de neurone, il est d’environ – 55 mV dans le neurone de mammifère. Tant que le potentiel est inférieur à ce seuil, il ne se passe rien de plus qu’une fluctuation de potentiel (on parle de potentiel infraliminaire), mais si elle atteint ce seuil (on parle de potentiel supraliminaire), un potentiel d’action naît, qui lui, va se propager le long de l’axone, jusqu’à son extrémité, sans diminuer de taille.