Le continuum impulsivité-compulsivité

2. Le continuum impulsivité-compulsivité

J. Cottraux





Impulsivité et compulsivité

L’impulsivité peut se définir comme l’incapacité à différer, si néfastes qu’en soient les conséquences, un comportement. On la retrouve dans le trouble de personnalité antisociale, le trouble de personnalité borderline, les troubles des conduites alimentaires, les troubles du contrôle des impulsions, et le déficit de l’attention avec hyperactivité de l’enfant. Les troubles impulsifs et compulsifs (TOC), pourraient se situer à chacune des extrémités d’une même dimension de dyscontrôle comportemental (Oldham et coll., 1996). Le dénominateur commun des troubles impulsifs et compulsifs pourrait être l’échappement au contrôle social qui est assuré par le cortex frontal et le retour à des programmes automatiques innés, mentaux et moteurs, sous la dépendance de circuits sous-corticaux, impliquant le noyau caudé (Baxter et coll., 1987). Un autre point commun est l’altération de la fonction sérotoninergique que l’on retrouve aussi bien dans les impulsions que les compulsions. En effet, les antidépresseurs sérotoninergiques agissent positivement aussi bien sur le TOC que sur les troubles impulsifs. Il est possible qu’impulsions et compulsions présentent un déficit de la fonction sérotoninergique, mais qui ne serait pas situé au niveau des mêmes récepteurs synaptiques (Coccaro et Murphy, 1990).

Le concept de spectre impulsivité-compulsivité a été proposé par Oldham et coll. (1996). Le tableau 2.1 reprend les contrastes étudiés par ces auteurs : il montre que les troubles impulsifs et compulsionnels ont autant de points communs que de points divergents (Hollander et Cohen, 1996).


































Tableau 2.1 Troubles impulsifs et compulsionnels
Impulsivité Compulsivité
Urgence Urgence
Échec du contrôle Échec du contrôle
Inadaptée Inadaptée
Liée à l’agressivité Liée à l’agressivité
Plaisante Déplaisante
Action Inhibition
Recherche du risque Évitement du danger
Menace minimisée Menace exagérée
Non conventionnel Conventionnel

La figure 2.1 schématise la notion de spectre impulsivité-compulsivité. La maladie de Gilles de la Tourette, qui présente à la fois des compulsions (rituels obsessionnels) et des impulsions (tics moteurs), se retrouve au centre du spectre le TOC et les personnalités du cluster B du DSM-IV (APA, 1994) se retrouvant aux extrémités. Ce modèle a suscité de l’intérêt, malgré sa tendance à vouloir inclure de plus en plus de troubles susceptibles de répondre aux antidépresseurs sérotoninergiques et que je n’ai pas tous fait figurer sur ce tableau « conceptuel » qui représente simplement la dimension.








B9782294705632000028/gr1.jpg is missing
Figure 2.1
TOC : spectre et dimension impulsion-compulsion.



Un modèle cognitif intégratif : l’impulsivité perçue

L’hypothèse du continuum a été reprise, par mon équipe, lors de travaux sur les TOC, et complétée dans une perspective qui voulait intégrer les données des neurosciences et celles de la psychométrie des TOC. Il s’agit d’un modèle à deux étages : le modèle de l’impulsivité perçue (Cottraux, 1995 and Cottraux, 1998) qui s’efforce d’intégrer des données issues de la TCC et des neurosciences. Selon ce modèle, le TOC serait caractérisé par une compulsivité, compensatoire d’une impulsivité biologique perçue qui activerait des schémas cognitifs de responsabilité.


L’étage cognitif

L’existence de schémas de responsabilité, culpabilité et infériorité chez le TOC est bien démontrée par des travaux de psychométrie et des recherches de laboratoire (Salkosvkis, 1999 ; Yao et coll., 1999 ; Arntz et coll., 2007 ; Dominic et coll., 2008 ; OCCWG, 1997). Un des aspects cliniques le plus frappants des patients ayant un TOC est la fusion pensée-action : croire que penser c’est agir ou que toute pensée se réalise. Ce qui fait que les TOC recherchent leurs mauvaises pensées, les traquent avec un zèle d’inquisiteur et cherchent à les contrôler par des rituels mentaux ou des comportements, de manière à se dégager d’un sentiment pénible de responsabilité (Cottraux, 1998). La TCC, soit sous forme d’exposition avec prévention de la réponse d’évitement, soit sous forme de thérapie cognitive plus directement centrée sur les schémas, modifie les schémas de responsabilité (Cottraux et coll., 2001).


L’étage neurobiologique

La vulnérabilité sous-jacente au TOC serait représentée par un trait biologique : l’impulsivité. Celle-ci est perçue par le patient comme dangereuse et qui implique une intervention immédiate pour la mettre sous contrôle. L’interaction entre l’environnement social et l’impulsivité perçue entraîne le développement des schémas stables de responsabilité qui fonctionnent comme un système automatique de détection du danger.


Conséquences comportementales

Ces schémas une fois en place aboutissent à une vision particulière du monde : le patient pense qu’il est potentiellement dangereux pour les autres et émet différentes formes de comportements de neutralisation pour réduire sa « responsabilité ». Ainsi, la procrastination : le patient ne prend jamais de décision, de peur d’être responsable de conséquences fatales à autrui. Les rituels de lavage et de nettoyage visent à prévenir la contamination des autres. Les rituels de vérification sont mis en jeu pour arrêter à temps les catastrophes qui menacent autrui. La figure 2.2 représente le modèle dont je n’envisage ici que les aspects les plus importants.








B9782294705632000028/gr2.jpg is missing
Figure 2.2
Modèle de l’impulsivité perçue (Cottraux, 1995).



Arguments en faveur du modèle « impulsivité perçue »

Ils sont d’ordre psychométrique, neurobiologique et issus d’expérimentations de laboratoire sur le contrôle de l’impulsivité.


Arguments psychométriques initiaux

Plusieurs auteurs avaient remarqué que le processus central dans les TOC pourrait être un déficit de l’inhibition (Flor-Henry, 1979 ; Hoehn-Saric et Barksdale, 1983 ; Enright et Beech, 1993 ; Swerdlow et coll., 1993 ; Hartston et Swerdlow, 1997 ; Cottraux et Gérard, 1998 ; Bannon et coll. 2002 ; Summerfeldt et coll., 2004). Cependant, un sous-groupe de TOC, les collectionneurs, présente, dans une seule étude, une impulsivité faible (Fullana et coll., 2004). Certains ont montré que les scores de patients obsessionnels étaient identiques, sur des échelles d’obsession et d’hostilité, à ceux obtenus par des patients ayant une personnalité délinquante et antisociale, en particulier Hoehn-Saric et Barksdale (1993) qui ont trouvé que l’échelle Pd de l’inventaire multiphasique de la personnalité du Minnesota (MMPI) qui mesure l’impulsivité et la déviation psychopathique est élevée chez les TOC : ce qui signifie qu’il se perçoive eux-mêmes comme impulsifs. Nous avons confirmé ces travaux en partant d’une étude contrôlée comparant la TCC, la fluvoxamine et leur combinaison dans les TOC (Cottraux et al., 1990 and Cottraux et al., 1993). Les patients, 44 personnes qui souffraient toutes d’un TOC, étaient répartis au hasard dans trois groupes.


• Fluvoxamine et Anti-exposition (F) : il s’agissait d’un pseudo-traitement psychologique selon lequel ils devaient éviter de s’exposer aux situations provocatrices de rituels qui était associé à la fluvoxamine dont l’action indépendamment de tout traitement psychologique pouvait être évaluée.


• Fluvoxamine et Exposition (F+e).


• Placebo et Exposition (P+e).

Les trois groupes ont été évalués avant et après traitement, et un an après la fin des traitements. Il y avait un effet positif dans les trois groupes de traitement sur les rituels, avec un effet supérieur sur la dépression dans les deux groupes qui avait eu la fluvoxamine après six mois de traitement. Douze mois après l’arrêt des traitements, le taux de reprise d’antidépresseurs était significativement plus faible dans les deux groupes qui avaient reçu le véritable traitement comportemental (Cottraux et coll., 1993) On peut donc dire que le taux de rechute après l’arrêt de la fluvoxamine seule était plus élevé.

Avant la prise en charge, il n’existe aucune différence significative dans les profils psychologiques au MMPI entre les trois groupes. Le profil moyen retrouve de manière typique le profil de l’obsessionnel au MMPI avec des scores pathologiques aux échelles de dépression, de déviation psychopathique, de psychasthénie, et de schizophrénie. L’échelle de psychopathie (Pd) est élevée. Cette échelle reflète en général les conduites socialement déviantes, la délinquance et l’impulsivité. Les TOC se perçoivent donc, en moyenne, comme impulsifs et délinquants. Pourtant, aucun des patients qui ont été inclus dans cette étude ne présentait de comportements socialement déviants, bien au contraire. C’est donc le sentiment d’être dangereux ou impulsifs, plus que la réalité, qui a été mesuré ici. Les résultats au post-test sont représentés dans le schéma suivant (figure 2.3) qui montre que la seule différence au MMPI après la fin des traitements (post-test) est sur l’échelle de déviation psychopathique entre la TCC associée au placebo et la combinaison de fluvoxamine et de TCC. La fluvoxamine seule se situe entre les deux mais sans différence significative avec la TCC (Cottraux et Mollard, 1992). La figure suivante montre les courbes du MMPI avant et après traitement.

Only gold members can continue reading. Log In or Register to continue

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Jun 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Le continuum impulsivité-compulsivité

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access