18. Le circuit du médicament à l’hôpital et sa sécurisation
Circuit du médicament : organisation générale et erreur médicamenteuse
À l’hôpital, le circuit du médicament est régi par l’arrêté du 31 mars 1999 [1] et comprend plusieurs étapes :
– la dispensation qui comprend l’analyse de l’ordonnance par le pharmacien et la délivrance des médicaments en collaboration avec le préparateur en pharmacie ;
– l’administration des médicaments au patient par l’infirmière.
Il comprend également la gestion des médicaments : commandes aux laboratoires pharmaceutiques, gestion des stocks, des périmés, des retraits de lots, choix des médicaments disponibles à l’hôpital et constitution du livret des médicaments.
L’origine des « erreurs médicamenteuses » (« accidents médicamenteux » que l’on aurait pu éviter) est le plus souvent multifactorielle et concerne les différents acteurs et les différentes étapes de ce circuit.
L’erreur médicamenteuse se produit généralement à l’un des quatre niveaux suivants : prescription, transcription, délivrance ou administration. La répartition des erreurs médicamenteuses selon l’étape du circuit du médicament est la suivante [2]:
– prescription : 56 % ;
– transcription de l’ordonnance (recopiage par l’infirmière) : 6 % ;
– délivrance par la pharmacie : 4 % ;
– administration par l’infirmière : 34 %.
Ces chiffres montrent que tous les acteurs du circuit du médicament sont concernés par l’erreur médicamenteuse et mettent en évidence l’importance pour ces acteurs (médecin, pharmacien, infirmière et patient) d’agir en étroite collaboration et collectivement afin de détecter et corriger les erreurs médicamenteuses. L’infirmière occupe une place centrale dans cette démarche puisqu’elle est la dernière intervenante du circuit à l’hôpital… avant le patient.
Comment sécuriser le circuit du médicament ?
Au niveau de l’organisation générale du circuit du médicament
Dans le cadre des Contrats de bon usage des médicaments et dispositifs médicaux (CBUM) [3], les établissements de santé doivent s’inscrire dans une dynamique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins. Ainsi, les hôpitaux s’engagent à développer plusieurs points :
– l’informatisation du circuit du médicament et des dispositifs médicaux ;
– le développement de la prescription et de la dispensation à délivrance nominative ;
– la traçabilité, de la prescription à l’administration, pour les médicaments ou à l’utilisation pour les dispositifs médicaux ;
– le développement d’un système d’assurance de la qualité ;
– la centralisation de la préparation, sous la responsabilité d’un pharmacien des traitements anticancéreux.
Les Commissions du médicament et des dispositifs médicaux stériles (COMEDIMS), définies comme « un lieu de concertation entre les médecins prescripteurs et les pharmaciens hospitaliers » sont des lieux de décision multidisciplinaires autour du médicament et contribuent à la sécurisation du circuit du médicament [4].
Au niveau de chaque étape du circuit du médicament
On verra les différentes possibilités de sécurisation lors de la description de chaque étape du circuit.
En étant le professionnel de santé le plus proche du malade, l’infirmière peut intervenir à deux niveaux :
– lorsqu’elle identifie un effet indésirable ou une erreur médicamenteuse en unité de soins. Dans ce cas, elle a un rôle d’information du médecin prescripteur et participe à la notification éventuelle de l’événement à la pharmacovigilance ou à la cellule de gestion des risques ;
– en participant activement aux comités s’intéressant au bon usage du médicament comme la COMEDIMS, la cellule de gestion des risques de l’établissement ou tout comité interne à l’unité de soins (revue de morbimortalité, cellule de retour d’expérience, etc.).
Pourquoi tous les médicaments commercialisés ne sont pas disponibles à l’hôpital ?
Conditionnement individuel
La problématique du conditionnement individuel est régulièrement discutée : de trop nombreux médicaments ne disposent pas de conditionnement sécurisé adapté à l’usage hospitalier. Les médicaments au sein des unités de soins sont sortis de leur boîte et les infirmières manipulent directement les blisters. Elles sont parfois amenées à découper celui-ci pour préparer des doses unitaires, perdant ainsi une partie de l’information mentionnée sur le blister (nom du médicament, dosage, date de péremption, etc.). Afin de permettre l’identification du médicament jusqu’au lit du malade par l’infirmière et limiter la iatrogenèse médicamenteuse à l’étape d’administration, il est indispensable de disposer d’un conditionnement unitaire adapté (figure 18.1).
Fig. 18.1 |
L’infirmière est la professionnelle qui manipule le plus le médicament sous sa forme unitaire, elle est donc la mieux placée pour :
– identifier les risques iatrogènes liés au conditionnement ;
– transmettre au pharmacien de son établissement tout problème de conditionnement d’un médicament ;
– participer activement à la procédure de sélection des médicaments de son hôpital.
Les différentes étapes du circuit du médicament :description et sécurisation
Plusieurs solutions techniques ou organisationnelles permettent de diminuer les erreurs médicamenteuses (figure 18.2).
Fig. 18.2 (d’après Bedouch et al. [5]) |
Stockage et traçabilité des médicaments
Quelles sont les conditions dans lesquelles les médicaments doivent être conservés dans une unité d’hospitalisation en termes de sécurité ?
Les médicaments doivent être conservés dans des armoires fermés à clé, la clé étant disponible pour l’ensemble du personnel infirmier. Les stupéfiants doivent être conservés dans une armoire spéciale, qui leurs est dédiée, fermée à clé et non étiquetée « stupéfiants ».
Qui est habilité à ranger les solutés ? Et les médicaments quelle qu’en soit la forme ? Que faut-il contrôler lors du rangement des médicaments et des solutés ?
Lors de la réception de médicaments venant de la pharmacie, l’infirmière, le cadre infirmier, ou l’externe en pharmacie sont habilités à ranger les solutés de la même façon que les autres médicaments. Le rangement de l’armoire à pharmacie est optimisé afin d’éviter au maximum les erreurs. Les médicaments et solutés sont rangés dans des boîtes étiquetées du nom, du dosage du médicament qu’il contient, et l’étiquette est entourée d’un liseré vert, ou rouge selon l’appartenance du médicament à la liste II ou I des substances vénéneuses. Lors du rangement, l’infirmière doit bien vérifier la correspondance entre l’étiquetage de la boîte et l’identité du médicament qu’il range (nom, forme, dosage), ainsi que la date de péremption.
Pour prévenir les confusions possibles entre les différents solutés, des techniques variées sont adoptées dans les services.
Pour exemples :
– Les flacons d’héparine et d’Hypnovel, rangés par ordre alphabétique et donc à coté les uns des autres, sont très ressemblants. Pour éviter la confusion,Hypnovel sera rangé à M comme midazolam, le nom du principe actif.
– Les ampoules de solutés de sodium et de potassium peuvent être rangées dans des compartiments bien distincts et si possible éloignés l’un de l’autre, muni d’une étiquette permettant l’identification précise des ampoules qu’ils contiennent.
C9
Organiser et coordonner les interventions soignantes
Quel est l’intérêt de tracer l’administration des traitements donnés dans le dossier de soin du patient ? Quels sont les critères de conformité à respecter dans le cadre de la traçabilité des médicaments ?
Certains médicaments (stupéfiants, médicaments dérivés du sang, préparations magistrales ou hospitalières [exemple préparations pédiatriques de gélules de spironolactone 1 mg], ou encore poches de chimiothérapie font l’objet d’une traçabilité, tant au niveau de la délivrance par la pharmacie (nom, dosage, forme, n° de lot, quantité délivrée), que de l’administration par l’infirmière au patient (date, heure, identité du patient, nom et dosage du médicament, nom de l’IDE qui a administré). La conservation des informations peut a posteriori permettre de retrouver précisément les acteurs impliqués dans les différentes étapes ayant permis l’administration finale d’un médicament à un malade. L’objectif est d’aider le médecin dans ses futures prescriptions [en sachant quels traitements le patient a déjà reçus], et à déterminer l’imputabilité d’un médicament, ou d’un lot de médicaments en cas d’effet secondaire, d’une toxicité ou d’une pathologie développée à plus ou moins long terme.
Prescription médicamenteuse
Parmi les méthodes de sécurisation de cette étape, on distingue la prescription informatisée et l’analyse pharmaceutique des prescriptions.
PRESCRIPTION INFORMATISÉE
Les CBUM ont rendu obligatoire le développement de la prescription informatisée dans les hôpitaux français. Les logiciels de prescription informatisée intègrent en général l’ensemble du circuit du médicament en permettant un interfaçage informatique des modules de prescription, analyse pharmaceutique, préparation des médicaments et administration au patient.
L’intérêt de ce système réside dans le fait que le médecin saisit lui-même la prescription médicamenteuse (figure 18.3), évitant ainsi toute retranscription en aval par l’infirmière ou le pharmacien, par exemple. Ces logiciels proposent des fonctions d’aide à la prescription, pour le prescripteur, et qui concernent le choix des médicaments, de la dose, de la voie d’administration, le calcul de la vitesse de perfusion, le suivi thérapeutique, la détection des interactions et des incompatibilités médicamenteuses. Bien que de nombreuses études aient mis en évidence une réduction des erreurs médicamenteuses dans le cas d’une prescription informatisée, il convient de rester prudent lors de son utilisation car il apparaît qu’elle ne supprime pas toutes les erreurs de prescription et induirait même de nouvelles erreurs comme des doublons de prescription et des retards d’administration par l’infirmière.