L’articulation Coxofémorale de L’adolescent Sportif

12. L’articulation Coxofémorale de L’adolescent Sportif

E. Brunet-Guedj*


B. Brunet*


J.-F. Luciani*



L’adolescence est une période de fragilité pour l’articulation coxofémorale, du fait notamment d’une surcharge mécanique cumulant les changements morphologiques de la puberté et une intensification de l’activité sportive. Celle-ci peut ainsi révéler ou provoquer des pathologies de cette articulation, et tout particulièrement l’épiphysiolyse. Cette lésion est redoutable par les complications qu’elle peut entraîner à court terme, mais aussi de façon beaucoup plus insidieuse, à moyen et long terme: conflit fémoro-acétabulaire et plus tardivement coxarthrose.

Mais c’est aussi la période où se pose le problème de la compatibilité des dysplasies et des séquelles d’arthrite ou d’ostéochondrite avec certaines activités sportives connues pour leur agressivité sur la hanche, comme le football, la danse ou les sports de combat.

Les développements de l’imagerie et de l’arthroscopie ont révélé la possibilité de lésions précoces du labrum, même en l’absence de dysplasie sous-jacente.

Face à une hanche douloureuse chez un adolescent, la démarche diagnostique comporte un interrogatoire détaillé sur les antécédents, le siège, la nature et l’intensité des symptômes (douleurs, ressauts, blocages) ainsi que leurs circonstances de déclenchement, un examen clinique debout, couché, à la marche, et une imagerie plus ou moins complexe et bien orientée [1]. Comme cela est classiquement connu mais aussi oublié, une pathologie de hanche sera évoquée devant une douleur inexpliquée du genou. Enfin, les diagnostics de tumeur bénigne ou maligne doivent toujours rester à l’esprit même si elles sont rares dans cette localisation, ainsi que ceux d’arthrite inflammatoire ou septique.


FACTEURS DE FRAGILISATION DE LA HANCHE


Facteurs mécaniques

À l’état normal, la hanche du sujet en cours de croissance est une articulation stable où la tête fémorale est emboîtée dans une cavité acétabulaire sphérique. Mais il peut exister des incongruences relatives (tête trop grosse, cotyle insuffisamment couvrant) notamment dans les séquelles de maladie luxante ou d’ostéochondrite.

Surtout, au cours de la croissance, se développe un porte-à-faux entre la résultante du poids du corps en dedans et le déport de la ligne de charge sur le membre inférieur. L’orientation des travées osseuses du col en augmente la résistance, mais il existe un point faible au niveau du cartilage cervicocéphalique, d’autant plus « agressé » que la prise de taille et de poids du sujet est rapide, que la croissance du col est importante, et que l’activité sportive augmente brutalement. Cette dernière hypothèse se vérifie d’ailleurs souvent avec les changements de catégorie d’âge dans les sports collectifs, ou les entrées dans les structures d’accession au haut niveau.

Au niveau de l’acétabulum, l’anatomie et la croissance ne sont pas parfaitement comprises, du fait de la présence de trois os à son origine. Les différences de vitesse de maturation des plaques de croissance qui leur sont liées pourraient expliquer certaines dysplasies acétabulaires isolées [2].


Facteurs vasculaires

Le cartilage de croissance épiphysaire constitue une barrière pour le réseau métaphysaire et la vascularisation de la tête fémorale repose essentiellement sur les vaisseaux latéraux épiphysaires, même si l’artère du ligament rond apporte une certaine suppléance.


ÉPIPHYSIOLYSE

On devrait sans doute parler des épiphysiolyses tant sont importantes les différences symptomatiques et pronostiques des formes cliniques, même si le traitement en est toujours chirurgical dès le diagnostic établi.

C’est la pathologie qui domine en gravité les problèmes de la hanche de l’adolescent [3] en raison des complications et des séquelles dont elle est responsable.

Les données épidémiologiques soulignent sa rareté, mais les formes pauci ou asymptomatiques sont vraisemblablement exclues de certaines statistiques.

Elle est caractérisée par une perturbation de la plaque de croissance fémorale proximale, aboutissant à un élargissement de celle-ci et à un déplacement secondaire de la tête fémorale sur le col; la croissance et les facteurs mécaniques jouent un rôle important dans son déclenchement (surcharge pondérale, activité sportive). Elle est deux à trois fois plus fréquente chez le garçon que chez la fille, bilatérale simultanément ou successivement dans près de 30 % des cas.

Le retard diagnostique reste fréquent et l’importance du glissement est malheureusement corrélée au délai de celui-ci: 30° à 10 semaines, 30-50° à 14 semaines et plus de 50° à 20 semaines [4]. Pour Green [5], il s’explique par des douleurs à distance dans 40 % des cas (cuisse, genou) et par le recours initial à des consultants non spécialisés dans 69 % des cas. La pauvreté initiale des signes douloureux conduit aussi évidemment à la méconnaissance diagnostique [6].

Le déplacement de la tête fémorale a deux composantes :


– glissement qui peut lui-même être postérieur pur (coxa retrorsa) ou inférieur et interne (coxa vara) et qui est évalué en pourcentage par rapport à la largeur du col ;


– basculement, qui s’apprécie sur le profil par l’angle formé entre l’axe du col et la ligne passant par les extrémités antérieure et postérieure de la tête.

Il peut être très progressif, ce qui est le plus fréquent, ou brutal, avec dans ce cas un tableau clinique différent. En cas de déplacement lent, le périoste n’est pas rompu, et il se produit une hyperostose réactionnelle entraînant la formation d’une bosse antérieure à la jonction tête – col, responsable du conflit fémoro-acétabulaire ultérieur, mais aussi d’un spicule postérieur.


Classification

Elle distingue classiquement quatre forms :


– forme chronique, avec des douleurs évoluant pendant plus de 3 semaines, et, à l’examen, une diminution de la rotation interne et de l’abduction ;


– forme aiguë, consécutive à un traumatisme banal ou une augmentation d’activité, avec douleurs intenses, impotence fonctionnelle totale et attitude vicieuse en adduction, rotation externe ;


– « acutisation » d’une forme chronique ;


– forme avant glissement, avec douleurs fugaces, examen négatif ou montrant une diminution isolée de la rotation interne.

Une classification plus récente [7] sépare les formes stables (marche possible) des formes instables, avec impotence majeure et épanchement à l’échographie.


Clinique

L’épiphysiolyse se manifeste par des douleurs de type mécanique, au niveau inguinal, et plus rarement à la face antérieure de la cuisse ou au genou. L’examen met en évidence une limitation de la rotation interne et de l’abduction de la hanche, et plus tardivement une marche vicieuse en rotation externe.

Quelle que soit l’intensité des symptômes, toute douleur de hanche ou du genou chez un adolescent, doit faire évoquer en tout premier lieu le diagnostic d’épiphysiolyse et demander un bilan d’imagerie.


Radiographie

Deux incidences sont indispensables : bassin de face et surtout hanches en profil vrai. Cette dernière incidence est plus sensible, plus spécifique et plus précocement parlante, pour la mise en évidence du glissement et de la bascule de la tête fémorale (figure 1).








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Figure 1
Épiphysiolyse de face et de profil.


La radiographie du bassin montre des signes plus tardifs, avec modification du repère de la ligne de Klein (bord supérieur du col) qui ne passe plus dans la tête fémorale.

Sur les deux incidences, on observe un élargissement du cartilage conjugal associé à un aspect irrégulier de celui-ci, comparable à ce que l’on peut observer dans les décollements épiphysaires, ainsi qu’une diminution de hauteur de l’épiphyse.


Échographie

Elle a un double intérêt, diagnostique et pronostique, montrant le décroché du cartilage de croissance, et un épanchement associé à une hyperémie synoviale qui caractériserait les formes instables [8, 9].


IRM

Elle est avant tout utile dans le diagnostic des formes très précoces, dites aussi de préglissement, à examen clinique et radiographique négatif ou douteux dans un tableau douloureux fruste.

Les anomalies de signal de type œdémateux autour du cartilage de croissance sont associées à un élargissement du cartilage, bien visible en T1 [10].

Elle permet aussi d’éliminer une nécrose.


Conduite à tenir

Le diagnostic d’épiphysiolyse de la tête fémorale, quelle qu’en soit la forme, impose la mise en décharge immédiate et l’orientation chirurgicale, car il s’agit bien d’une urgence.

Le traitement dépend de la forme et de l’importance du glissement; le plus souvent un vissage percutané in situ est réalisé, sauf pour les glissements importants qui nécessitent des gestes plus lourds et complexes.

L’attitude thérapeutique vis-à-vis de la hanche non symptomatique, qui était une affaire d’école, repose maintenant sur l’IRM, qui peut objectiver des anomalies au stade de préglissement et faire poser une indication sur des bases objectives.

L’activité sportive en charge doit être suspendue après vissage de façon prolongée, en principe pendant 18 mois.


Complications

Les complications peuvent être liées à l’évolution naturelle: coxite laminaire précoce, coxarthrose tardive, ou au caractère iatrogène de la chirurgie: ostéonécrose de la tête fémorale.

La coxite laminaire ou chondrolyse est heureusement rare, mais gravissime, conduisant à un enraidissement de la hanche et nécessitant une arthroplastie à moyen terme.

La coxarthrose est une complication tardive qui succède à un conflit acétabulaire induit par le butoir antérosupérieur de la jonction tête – col qui crée un effet came. Elle est favorisée même par les glissements minimes infracliniques [11], et l’activité sportive intensive est sans doute un facteur important d’accélération de l’évolution.

L’ostéonécrose est le plus souvent due à des erreurs de prise en charge ou de technique chirurgicale. Elle a les mêmes conséquences dramatiques que la chondrolyse.


CONFLIT FÉMORO-ACÉTABULAIRE [1215]

Il s’agit d’une anomalie dynamique individualisée par Ganz et qui explique nombre de douleurs de hanche chez de jeunes sportifs indemnes le plus souvent d’antécédents pathologiques connus sur cette articulation.

Ce conflit survient en flexion profonde de hanche par butée de la jonction tête – col du fémur contre le rebord antérieur de l’acétabulum. Sa gravité réside dans son évolution potentielle vers une coxarthrose précoce [16].

Il existe deux types de conflit, par effet came et par effet tenaille. Les deux peuvent être associés dans les formes mixtes (figure 2). L’effet came est attribué à la nonsphéricité de la tête fémorale et à la présence d’une excroissance osseuse à la jonction tête – col, ou à la diminution de l’offset (décalage de hauteur) entre la tête et le col. L’effet tenaille est secondaire à un excès de couverture acétabulaire (coxa profunda) ou à une rétroversion de l’acetabulum. Les formes pures sont moins fréquentes que les formes mixtes, à composante acétabulaire et fémorale, qui peuvent atteindre jusqu’à 86 % des cas [12].








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Figure 2
Schéma des types de conflit: 1 = aspect normal, 2 = effet tenaille, 3 = effet came, 4 = conflit mixte.



Aspects cliniques

Les premières manifestations du conflit fémoro-acétabulaire débutent généralement en fin d’adolescence. Il s’agit de douleurs mécaniques de siège inguinal, provoquées par des efforts de moins en moins violents, irradiant volontiers vers les adducteurs. Le risque d’erreur diagnostique est important avec une pubalgie ou une tendinopathie des adducteurs [13, 14], ce d’autant plus que les sports en cause sont les mêmes. L’un d’entre nous avait déjà constaté, dès 1983, que les échecs du traitement chirurgical des pubalgies étaient fréquemment liés à ce que l’on qualifiait alors de « dysplasie mineure » de hanche, et qui s’est révélée depuis correspondre à d’authentiques conflits méconnus [17].

Les sports impliqués sont les sports de combat comportant des attaques des membres inférieurs (boxe française, karaté, taekwondo, etc.), le football, le rugby, la danse, la gymnastique artistique ou rythmique, nécessitant tous des mouvements de grande amplitude des hanches.

L’examen clinique de la hanche montre une diminution de la rotation interne. Le test de conflit provoque une douleur en flexion – adduction – rotation interne au niveau du pli inguinal, caractéristique de l’effet came. Le déclenchement d’une douleur en rotation externe forcée – extension signifierait plutôt l’existence de lésions postérieures dans le cadre d’un effet tenaille [13, 14]. Du fait de la fréquence des formes mixtes, c’est généralement la douleur en flexion – adduction – rotation interne qui est le signe le plus évocateur.

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May 18, 2017 | Posted by in Uncategorized | Comments Off on L’articulation Coxofémorale de L’adolescent Sportif

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