5. L’art de coacher
L’art aime le hasard, comme le hasard aime l’art.
Aristote, selon Agathôn dans Éthique à Nicomaque
Enseigner, soigner, éduquer ne sont possibles que dans l’acceptation d’un lâcher prise de ce qui nous lie à l’autre. Ce lâcher prise ne s’improvise pas. Il requiert une connaissance suffisante de soi pour y tendre et une très grande plasticité intellectuelle. En effet, est inscrite dans enseigner, soigner, éduquer, toute la rigueur du contrôle social. Enseigner par le contrôle des connaissances. Soigner par des examens de contrôle. Éduquer par un balisage de contrôles, véritable check-list des autorisations et des interdictions.
Ni enseignement, ni soin, ni éducation, le coaching présente pour le néophyte des reliquats de contrôle social. Le coaching ne propose pas de transformations clés en main, il est transformation par le remaniement psychique qu’il induit.
Pour aider le coaché dans sa transformation, le coach aura pris la précaution de borner sa pratique, de concevoir sa posture, et enfin de rattraper son passé avant que ce ne soit lui qui ne le rattrape.
Être coaché : tout à la fois voyage, errance et odyssée
Chacun s’accorde à penser que « la carte n’est pas le territoire ». Est-ce à dire qu’il existe des territoires méconnus pas encore cartographiés, des territoires encore inconnus bien que cartographiés ? Ou plus simplement que la carte est simultanément une représentation topographique à la fois fidèle et déformante de la réalité du terrain ? La carte est sans doute un peu tout cela. Lorsque le coaché parle de son contexte d’évolution, il le fait avec sa vérité du moment. Il n’appartient pas au coach de douter de la véracité de ses propos, simple témoin de sa problématique. Il s’agit en outre pour le coach de réfuter le propos en ouvrant au coaché des nouvelles pistes vers d’autres possibles.
Le coaching est voyage, en ce sens que le coaché dans son désir de changement d’une situation donnée en une situation rêvée, emprunte ou non les itinéraires fléchés indiqués par le coach. Cela signifie que l’indication du coach ne vaut pas prescription. Le vieil adage selon lequel « Tous les chemins mènent à Rome », convoque la prudence du coach. Il lui incombe de ne pas transformer ce voyage en pèlerinage, au trajet prédéfini au nom de ses propres croyances ou convictions. Ne dit-on pas que « le chemin de l’enfert est pavé de bonnes intentions ! » surtout quand il s’agit du sien.
Il arrive que le coaché ressente l’inconfort d’une situation de façon viscérale. C’est en acceptant de partager, notamment dans les premières séquences, une forme de « co-errance », que le coach parviendra à instituer une relation de confiance, prémisses à la cohérence.
Voyage et errance souvent, odyssée toujours. Le coaching est une aventure humaine et, comme dans toute aventure humaine, il ne faut s’attendre à rien sauf à l’inattendu (propos d’Edgar Morin, cité par Krasenky et Zimmer [45]). Le coaching est une odyssée riche de péripéties, qu’aucun voyage, fût-t-il intersidéral, ne pourra égaler.
Le coach ne prétend pas anticiper l’imprévisible, il entend accueillir l’inconcevable avec ce qu’il est.
À propos de quelques principes fondamentaux du métier de coach
Trois auteurs guident notre réflexion. Le premier, Michel Crozier, est reconnu pour ses ouvrages en sociologie des organisations. Nous lui empruntons trois principes : autonomie, simplicité et réalité, décrits dans son livre L’entreprise à l’écoute [26]. Le second auteur, Chantal Million-Delsol, injustement méconnue, a publié des ouvrages particulièrement intéressants, interrogeant la citoyenneté dans des secteurs tels que les instances étatiques (école, armée…) ou encore l’entreprise et l’église. J’exploiterai sa définition du principe de subsidiarité [52]. Le troisième, Vincent Cespedes, est philosophe.
Bénéfices–risques du principe d’autonomie en coaching
L’autonomie est devenue un concept fourre-tout, dernier joker des argumentations évanescentes. Tout le monde et ce, en toutes circonstances, se doit d’être autonome. Dictat du principe d’autonomie, qui sous prétexte de liberté individuelle, nous aliène un peu plus. « Car vouloir être “maître et souverain de soi-même” est devenu aujourd’hui un objectif en soi, une forme d’obligation sociale. Cependant, cette obligation d’être autonome présente une face plus sombre car, si l’individu contemporain est libre et placé dans les conditions de manifester cette autonomie, il devient aussi responsable de ce qui lui arrive. L’épanouissement personnel serait alors à ce prix. Comptable de ses réussites comme de ses déboires, qu’il le veuille ou non, l’individu est responsable de son sort. L’échec est alors vécu douloureusement sous le mode de la culpabilité. La liberté (ici comme ailleurs) porte donc en elle un principe d’émancipation. » [10]
Le coach, même animé par un inconditionnel souci humaniste, qui cherche obstinément à rendre son client autonome, doit donc avant tout œuvrer pour son émancipation, gage de son accession à la liberté d’entreprise et d’innovation. Le principe d’autonomie est en vogue, moins par inquiétude humaniste que par intention de rentabilité. Le coach, notamment dans le cas de contrat tri-partite, doit faire preuve de tout le discernement nécessaire dans la demande émanant du commanditaire. À son tour, il mobilise énergiquement, sous couvert déontologique, le principe d’émancipation. C’est à cette condition unique, en dégageant la toxicité d’enjeux maquillés dans la demande, qu’il garantit l’autonomie du coaché et échappe à toute tentative de contrôle social.
De la facilité du simplisme à l’effort de simplicité
« Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliquer ? » Cette phrase proverbiale peut prêter à sourire. L’effort vers la simplicité est difficile. Il implique une très grande capacité d’analyse, une constante humilité. L’unique réponse à la complexité, c’est la simplification. Simplifier en coaching ne veut pas dire pour autant décomplexifier l’ensemble, en le réduisant à des structures laminaires. Bien au contraire, il s’agit pour le coach de scinder l’ensemble de la problématique en micro-problèmes sans les rendre antagonistes. La tâche est ardue et ne s’improvise pas. Elle s’acquiert dans la professionnalisation du métier de coach, c’est-à-dire du bon usage des outils et techniques spécifiques au coaching au risque « de cristalliser (la complexité) en complication » [26]. L’art de la complication est du domaine des hommes. La lecture de problèmes complexes relève autant de l’exercice difficile de dé-complexifiaction que de notre capacité à ne pas vouloir tout expliquer.
Réel, réalité, réalisme
Nous ne développons pas le principe de réalité selon la théorie psychanalytique, mais par une approche purement empirique faite d’impressions, de ressentis, voire d’opinions. Rien de scientifique, juste une appréciation complètement subjective.
Tout d’abord, on ne sait jamais de quoi la réalité de l’autre est faite. Même quand ce dernier multiplie ses efforts pour nous la décrire, sa réalité reste assujettie à l’idée que nous nous en faisons. Par ailleurs, aucune réalité n’est identique à une autre réalité. Les réalités « Canada-dry » répondent toutes à la même logique de la contrefaçon, celle du simplisme.
Le réalisme du coach est à chercher ailleurs, dans son analyse distinctive des situations. L’usage de la réalité « Canada-dry », en faisant l’économie de la réflexion leurre le coaché et le coach. L’un et l’autre croient gagner du temps. Le transfert de solutions toutes faites, à des situations rendues similaires par un travail de rapprochement des faits, ne satisfait que très rarement le coaché.
Principe de subsidiarité
« Le principe de subsidiarité s’applique à définir (…) [ce] que l’on peut appeler les libertés d’action, en précisant leurs limites et leurs conditions d’exercice. » [52] Il va de pair avec le principe de suppléance, qui veut que quand les problèmes excèdent les capacités d’une personne (ou de plusieurs personnes), l’échelon supérieur a alors le devoir de la (les) soutenir, dans les limites de son propre principe de subsidiarité.
Enfin, le principe de subsidiarité se conjugue autant versus coaché que versus coach. En tant que philosophie de l’action, l’homme est considéré comme responsable de son propre destin et capable de l’assumer. En tant qu’élément sociétal, la personne, mue par un égoïsme naturel, se double d’un naturel besoin d’amitié sociale, de solidarité et d’entraide.
Le positivisme posé par le principe de subsidiarité, nous rappelle que chacun de nous détient les clés de sa réussite. Des coups de pouce sont parfois nécessaires. Le coaching peut être celui-ci.
Principe de concrescence de Cespedes appliqué au coaching [24]
Le coaching est un métissage de plusieurs disciplines. Il croît en s’enrichissant des concepts de multiples courants théoriques (nous pouvons penser qu’en grandissant, il participe à l’enrichissement de ces courants). Concrescere en latin signifie croître ensemble, mais aussi se solidifier. La concrescence est un processus dynamique d’échanges fait de transports et de transformations, d’apports extérieurs et de remaniements internes. Je vois là les ingrédients de base de la co-construction coaché–coach.
Ouvrir une autre voie : la médiation comme relation d’aide en coaching
Dans cette co-construction, le coach tient un rôle particulier, celui de médiateur.
« Globalement la médiation se définit avant tout comme un mode de construction et de gestion de la vie sociale grâce à l’entremise d’un tiers, neutre, indépendant sans autre pouvoir que l’autorité que lui reconnaissent les médiateurs qui l’auront choisi ou reconnu librement. » [40]
Il ne suffit pas qu’il y ait introduction d’un tiers entre le coaché et la problématique pour que la fonction tierce soit effective. La tiercéité s’appuie sur le triptyque indépendance, neutralité et absence de pouvoir institutionnel du tiers. Un seul pied manque et tout l’édifice de la tiercéité est compromis.
Les références de la médiation sont, à l’instar de celles du coaching, multiples. La plus importante est celle de la philosophie. En premier lieu, les situations ne se décryptent qu’en les replaçant dans leur contexte. En second lieu, la pensée binaire enferme la réflexion dans une alternative entre le vrai et le faux, le bien et le mal, le juste et l’injuste. Elle stérilise la créativité. Elle dogmatise le principe de raison. À toute cause son effet, et réciproquement. Elle « invite à dédoubler le monde. (…) C’est ainsi que le monde lui-même devient Raison et Causalité » [58].
Le recours aux outils comme (re)médiation
Les débutants coaches s’accrochent aux outils comme d’autres s’agrippent au pinceau, alors que l’échelle sur laquelle ils s’appuient se dérobe. Cette démarche leur permet de se rassurer. L’expérience aidant, ils apprennent à s’en détacher.
L’outil est un prolongement de la main, un intermédiaire d’action. Rien de surprenant par conséquent à ce qu’on le trouve dans tous les bons manuels. Le lien main–manuel est évident. Ce qui l’est moins est le rapport triangulé que son utilisation instaure.
Reprenons l’exemple du peintre. Entre sa main et le mur se trouve le pinceau, sans lequel l’action ne peut être correctement réalisée. En ce sens, le pinceau est un médiateur de l’intention du peintre. En outre, le peintre dispose d’un panel de modèles de pinceaux lui permettant d’opérer quelle que soit la contrainte de la situation. Il lui faut donc nécessairement plusieurs pinceaux, mais tous les modèles du marché pour surmonter les difficultés de son art ne lui sont pas nécessairement utiles.
L’homme de l’art n’est pas celui qui dispose de tous les outils. Il est celui qui sait utiliser le bon outil, au bon moment, au bon endroit. La boîte à outils la plus complète est donc celle qui met à disposition les outils que l’artisan considère les plus à même de satisfaire son exigence de professionnel.
Pour ma part, j’utilise deux outils : le MBTI et l’entretien d’explicitation de Vermesch. Complémentaires, ils présentent l’énorme avantage de s’adresser directement au sujet dans ce qu’il a de plus profond : son Moi désirant.
L’entretien d’explicitation
L’entretien d’explicitationEntretien d’explicitation [8] est une méthode particulière dont l’objectif premier est de mettre en mots la pratique consciente du coaché. L’émergence subséquente des émotions n’est pas travaillée en première intention. Le grand intérêt de cette technique est qu’elle rend visible ce qui est habituellement, chez la personne coachée, refoulé pour des raisons conscientes ou non. L’action est souvent chargée d’émotion, il apparaît donc pertinent, dans une vision holiste de la personne coachée, d’examiner les deux.
Issu des travaux de Vermesch et du GREX (Groupe de recherche sur l’explicitation), l’entretien d’explicitation ramène d’abord la personne coachée à ses modes opératoires, puis à un questionnement sur elle-même. Les deux phases étant distinctes, elles peuvent par conséquent s’envisager indépendamment, et la première n’induit pas systématiquement la seconde.
Il appartient au coach de tisser avec le coaché un contrat d’objectifs de manière à déterminer au préalable si la personne coachée veut bien investiguer sa sphère émotionnelle. Ce contrat d’objectifs peut éventuellement se renégocier en cours de coaching.
Les buts de l’entretien d’explicitation en coaching sont de trois ordres, amener le coaché à :
• s’informer ;
• s’auto-informer ;
• se (re) mobiliser.
Il est nécessaire d’établir une entente relationnelle avec la personne coachée :

Full access? Get Clinical Tree

