15. La Pubalgie ou les Pubalgies ?
J.-B. Courroy*
HISTORIQUE
Très peu d’affections sont aussi universellement connues et médiatisées dans le monde sportif que la pubalgie, et très peu suscitent autant de controverses depuis la 1re description de « La pubalgie des escrimeurs » faite par l’Italien Spinelli [1] en 1932 ! Curieusement aussi, il n’a semblé longtemps s’agir que d’une pathologie « européenne » puisque le premier article de Cochrane [2] en langue anglaise parlant d’osteitis pubis n’est paru qu’en 1971. Le fait que la littérature médicale nordaméricaine ne s’intéresse au sujet qu’à partir des années 1980 s’explique peut-être par la pratique jusque-là peu répandue du football occidental qui est le principal pourvoyeur de cette pathologie.
Malgré une présentation assez homogène du tableau clinique établi, on peut constater que les nombreuses dénominations utilisées évoquent :
– soit une pathologie tendineuse : syndrome des adducteurs, enthésite ou mala die des adducteurs par La Cava en 1956 [3], etc. ;
– soit une pathologie osseuse pubienne : osteopatica dinamica del pubis par Cabot en 1966, apophysose, apophysite ou encore ostéonécrose pubiennes ;
– ou encore une pathologie régionale assez vague : syndromes pelvi-arthrosique, inguino-cruralgique, périsymphysaire, etc.
ÉTAPES MARQUANTES
Après un départ si confus, on ne peut dire que les choses soient aujourd’hui beaucoup plus claires même si un certain nombre d’éléments cliniques ou d’imageries ont pu nourrir les réflexions des uns et des autres, sans pour autant amener un véritable consensus nosographique.
L’arthropathie pubienne
Luschnitz [4] en 1967, puis Cochrane [2] montrent que les radiographies de ces patients présentent les aspects osseux caractéristiques d’une véritable arthropathie pubienne, dont Durey et Rodineau [5] caractérisent en 1976 les étapes évolutives. On s’aperçoit très vite cependant que ces images ne sont ni constantes ni spécifiques de la « pubalgie du sportif ». Pourtant, le terme d’osteitis pubis est encore très largement utilisé par de nombreux auteurs anglais, canadiens, australiens, scandinaves ou israéliens !
La paroi inguinale
Divers éléments sémiologiques : topographie douloureuse, impulsivité à la toux, etc. ont très tôt attiré l’attention sur la responsabilité éventuelle du canal inguinal, et les succès thérapeutiques (dont l’auteur de ces lignes opéré en 1974) obtenus par la classique (publiée en 1888) intervention de Bassini utilisée pour les hernies inguinales ont permis de valider cette approche. Quelques années plus tard, Nésovic a étendu le concept de faiblesse pariétale à toute la région inguinale pour justifier sa technique de retension élargie jusqu’à l’épine iliaque, technique diffusée ensuite en France par Jaeger [6]. Parallèlement, les techniques radiologiques de péritonéographie avec opacification [7] ont permis de révéler d’authentiques hernies insoupçonnées lors de l’examen clinique chez des patients symptomatiques. Depuis les années 1990 apparaissent donc dans la littérature de langue anglaise les termes de sport’s hernia et reviennent en force les chirurgies centrées sur le canal inguinal et ses constituants pariétaux, comme la technique de Shouldice initialement destinée par ses concepteurs canadiens au traitement des véritables hernies inguinales. Utilisée de façon plus récente à ce niveau, l’échographie se montre de plus en plus performante dans l’évaluation des orifices herniaires semblant normaux à l’examen clinique. Enfin, il a été aussi proposé d’utiliser un bloc anesthésique local [8] des rameaux distaux cutanés des nerfs ilio-inguinal et ilio-hypogastrique pour mettre en évidence la souffrance pariétale basse.
L’imagerie par résonance magnétique
Son principal mérite est de pouvoir individualiser de façon indiscutable les lésions ostéotendineuses d’insertion, parfois des grands droits, mais surtout des adducteurs. On constate alors que bon nombre de patients se plaignant d’irradiations douloureuses des adducteurs ne présentent aucune lésion objective à ce niveau. Si les anomalies de signal de la symphyse sont une réalité, leur classification n’est encore qu’ébauchée et toutes les images n’ont pas la même valeur : il faut sûrement distinguer à ce niveau les hypersignaux linéaires [9, 10] des fréquents œdèmes médullaires pubiens que l’on trouve chez des patients sportifs asymptomatiques…
L’endoscopie abdominale
Une fois admise, au moins en partie, la parenté herniaire de la pubalgie, il était logique d’en rechercher des éléments significatifs visibles par endoscopie abdominale [11].
TENTATIVES DE CLASSIFICATION
Constatant déjà l’encombrement d’une terminologie unique s’appliquant à des patients peut-être différents, Brunet [13] a dénoncé en 1983 « la pubalgie fourretout », et a proposé de distinguer trois formes :
– une forme haute correspondant à l’insuffisance pariéto-abdominale ;
– l’arthropathie pubienne ;
– une forme basse par tendinopathie d’insertion des adducteurs.
Cette classification est encore abondamment utilisée surtout dans la littérature française mais n’a pas résolu le problème d’une définition simple et consensuelle de la pubalgie. Elle est discutable car elle fait cohabiter une étiopathogénie (l’insuffisance pariétale), un aspect radiographique inconstant et non spécifique (l’arthropathie) et une forme anatomoclinique individualisable (la tendinopathie des adducteurs). La lecture des articles traitant de ces pubalgies est édifiante, où l’on ne sait plus à quels patients, à quelles images, à quelles lésions on se réfère.
Le « fourre-tout » est donc toujours d’actualité puisque l’on trouve dans la littérature récente :
– une multiplication des formes cliniques. Bouvard et al. [14] reprennent la classification de Brunet en y ajoutant une 4e forme anatomoclinique : la tendi nopathie d’insertion des grands droits ;
– des classifications d’arthropathie symphysaire en IRM [15], alors que d’autres études épidémiologiques trouvent ces images chez des sportifs asymptomatiques ;
– des appellations toujours aussi variées comme : la hernie du sportif, l’osteitis pubis, l’ostéo-enthésopathie symphysaire, etc. et des traitements qui le sont tout autant.