La mise en place d’une consultation interculturelle à Montataire (hôpital de jour, CMP), CHI de Clermont (Oise)
Dominique Walle
La dimension pluriculturelle tend de plus en plus à transparaître dans la société, à travers le tissu associatif et tout autant dans le domaine de la santé où l’on peut voir apparaître des initiatives originales au sein du service public. C’est un juste retour des choses.
Pendant les périodes de forte incitation à l’immigration, le plus souvent, l’on ne se préoccupait pas du devenir de ces populations. Il aura fallu attendre que les enfants et les petits-enfants d’immigrés soient en mesure d’incarner ce changement, illustrant l’adage selon lequel « il ne faut compter que sur soi-même ».
De nombreux projets se mettent en place afin de mieux prendre en compte la dimension interculturelle. L’originalité de ces diverses démarches dépend de la localisation, de la structure préexistante, des moyens disponibles et, surtout, des rencontres. En ce qui nous concerne, les choses se sont concrétisées à partir de l’hôpital de jour, structure s’inscrivant dans un inter-secteur de psychiatrie infanto-juvénile, précédemment délocalisé, du centre hospitalier (CHI) de Clermont de l’Oise.
Ce changement a permis de nous resituer au sein de notre secteur et d’être plus accessibles. Nous nous trouvons dans le bassin creillois, ancien bassin industriel, ce qui en a fait très tôt une terre d’immigration. Immigration intra-européenne au commencement, puis qui s’est étendue à toutes les nationalités en raison de la proximité avec Paris.
À l’hôpital de jour, nous recevons donc des enfants de toutes origines, de toutes cultures, accompagnés de leurs familles. Cela peut aussi concerner l’hospitalisation complète.
Nous nous interrogions déjà sur la nécessaire spécificité de certaines prises en charge lorsqu’une de nos psychologues, formée en ethnologie et ayant été humanitaire, proposa de nous apporter ses connaissances sur l’interculturalité. La proposition était ouverte à l’ensemble du personnel, soignants comme éducateurs, mais dans un premier temps seuls trois infirmiers s’y inscrivirent.
Le travail de sensibilisation a consisté en l’étude de textes relatifs aux croyances d’autres cultures. Par ailleurs, une fois par mois un invité (universitaire, religieux, travailleur social…) venait témoigner de son vécu à l’étranger. Des interventions de médecins du CHI et de travailleurs sociaux déjà impliqués dans la prise en charge des migrants ont également eu lieu. Tous ces contacts s’étaient faits à travers un réseau de connaissances. Il faut souligner que ces personnes sont intervenues bénévolement, en prenant sur leur temps. On ne dira jamais assez combien il est encourageant et de bon augure de rencontrer autant de sollicitude et de gentillesse lorsque l’on décide soi-même de s’investir dans un tel projet.
Nous avons également eu l’appui d’une enseignante de la faculté de médecine d’Amiens avec laquelle nous avons pu préfigurer notre positionnement et réfléchir à la philosophie du soin. Plus qu’une simple mise au point, cette action s’est prolongée lorsque nous avons été à même de fonctionner. Ce type d’analyse nous a apporté un enrichissement et un soutien permanent.
Par ailleurs, un médecin du Bénin, pédopsychiatre, était venu faire une conférence sur l’organisation des sociétés traditionnelles africaines. Ce fut une rencontre « désirée » puisqu’il accepta de s’inscrire dans notre projet, et même d’en assurer la référence médicale.
Il fut alors possible d’envisager le début effectif de la consultation, après un dernier temps de mise au point pour définir au plus près une orientation quasi définitive.
Le mercredi s’imposa comme le jour le plus opportun puisque cela n’empiétait pas sur le temps scolaire.
L’administration prit note et, après un temps de probation, régularisa notre détachement de l’hôpital de jour pour une journée hebdomadaire, soit 20 % du temps de travail.
Toutefois, on fera remarquer que la consultation n’a pu démarrer qu’à moyens constants et que ces temps de détachement de l’hôpital de jour n’ont pas été compensés. Ainsi, il faut bien reconnaître que certains mercredis posaient des soucis d’effectifs mais que cela pouvait se produire également sur d’autres jours, pour toutes sortes de raisons.
La composition de l’équipe et son fonctionnement
L’équipe interculturelle était composée d’infirmiers, de stagiaires psychologues, de la psychomotricienne du service, du psychologue référent et du pédopsychiatre. Nous travaillions sous la responsabilité du chef de service, partie prenante dans le projet mais qui n’était pas en mesure de nous accorder un temps supplémentaire.
On a été sollicité dès que le besoin s’en est fait sentir.
Concernant l’interaction avec l’hôpital de jour, il était évident que les enfants qui y étaient inscrits pouvaient être présentés dans le cadre de la consultation interculturelle (CI). Non à titre systématique, mais en fonction des problématiques qui pouvaient se rencontrer et nécessiter un travail sur le long terme avec la famille.
À l’inverse, lorsque les situations devenaient trop conflictuelles, un retrait temporaire pouvait paraître souhaitable pour le bien de l’enfant, avec une proposition d’entrer à l’hôpital de jour afin d’extraire l’enfant d’un contexte devenu hostile et d’observer les différences de comportements.
Dans les cas plus compliqués, on pouvait aussi envisager avec la famille une hospitalisation : on se doute bien que cette solution fait rarement l’unanimité et que c’est une décision qui nécessite du temps.
La demande
Pour ce qui est de la demande, c’est très souvent l’école qui invite les familles à venir consulter, cela de manière plus ou moins pressante. Parfois, un appel de la psychologue scolaire informe par avance que la famille ne viendra pas. Elle s’est rétractée. Nous répondons plus rarement à une demande spontanée de la famille. Nous sommes, en priorité, sollicités pour des problèmes de comportement au sein de l’école, chez des enfants issus de familles récemment installées. Et, de la priorité à l’urgence il n’y a qu’un pas, selon que les relations sont plus ou moins conflictuelles et sachant que l’école a déjà passé en revue toutes les possibilités.
Pour autant, les parents ne sont pas toujours enclins à reconnaître les troubles que génère l’enfant qui peut se montrer tout à fait autre à la maison.
Conscients de cet état de fait, il nous a fallu interroger notre positionnement. En effet, au regard des familles, nous pouvions nous définir comme uniquement complémentaire de l’institution scolaire. Nous pouvions aussi montrer des réticences quant à nous inscrire dans un dispositif nous désignant en tant que recours incontournable. Même l’orientation relative vers l’espace de médiation interculturelle peut poser question dès lors qu’il ne s’agit pas d’un choix spontané des parents.
Compte tenu de ces considérations, il ressort que le très subtil concept de médiation est le seul à faire sens, vu de notre position.
La consultation interculturelle, espace de médiation
Notre but est d’être identifié par l’enfant comme un espace possible entre la maison et l’école, un lieu intermédiaire qui n’en reste pas moins indépendant, et où ne s’exercent pas de pressions (même s’il cristallise beaucoup d’attentes de la part des adultes). La neutralité voudrait aussi que la parole soit recueillie, consignée, pour mieux être préservée et gardée secrète.
Le fait de ne rien laisser apparaître suggère également l’idée de s’ériger en maître du temps, quitte à le suspendre.
L’intervalle entre deux consultations peut sembler interminable pour qui est pressé, mais il peut tout autant représenter une trêve dans laquelle il n’y a plus lieu d’agir. C’est un moment de répit.
La vitesse n’est pas appréciée au même titre dans toutes les cultures. Parfois, la lenteur et même l’immobilité peuvent être considérées comme propices. La seule urgence consiste à consolider ce qui mérite de l’être en partant du positif.
Pour ce qui est des attentes plus ou moins manifestes qui président à la demande de prise en charge, elles doivent être revues à la mesure du raisonnable. Pour cela, il faut écouter l’inquiétude légitime.
Sur fond d’appréhension, la question du diagnostic et le besoin d’être réassuré sont toujours aussi pressants. Mais la liberté première des enfants n’est-elle pas de pouvoir vivre leur enfance, sans être rangés dans des catégories, afin de rester en mesure de se dépasser, de nous étonner ?
Il y a aussi, certainement, bien des idées reçues sur l’interculturel envisagé alors comme un domaine opaque et source de pathologies exotiques. Mais le quotidien est déjà bien assez surchargé pour ne pas en rajouter.
Le manque de temps pourrait donc, d’un certain point de vue, entrer en ligne de compte dans le processus de l’exclusion.
Il n’y a pas tant d’inconnues dans les autres cultures qui ne soient à la portée de tous. La différence réside surtout dans la spécificité de la consultation. Il n’y a rien de mystérieux en cela, ni même peut-être de nouveauté, car sur certains points on pourrait se référer à certaines pratiques institutionnelles du passé en psychiatrie.
Le déroulement de la consultation interculturelle
Dans la forme, la consultation s’engage sur un premier contact où sont présents l’enfant, les parents, la fratrie, ainsi que l’équipe dans sa globalité. Est également présent un intervenant extérieur, déjà impliqué dans le suivi de l’enfant et dans son quotidien, afin de pouvoir apporter des éléments sur son histoire et celle de sa famille.
Au début, un tour de table est proposé. La consultation est conduite par le pédopsychiatre qui peut être amené à reformuler les choses ou demander des précisions. Une personne est chargée de prendre des notes, le but étant que tout soit consigné dans son intégralité.
Le plus souvent et d’un commun accord, la consultation sera reprogrammée à un mois d’intervalle, ponctuée par un entretien psychologique. Ces délais se justifient par une question de moyens mais ont aussi pour effet d’induire un rythme qui soit propre à l’équipe de la CI.
En parallèle et avec l’accord de la famille, on peut envisager, dans le but d’une supervision, de convoquer les professionnels gravitant auprès de l’enfant ou qui assurent déjà un suivi. Le fonctionnement en réunion pluridisciplinaire permet d’élaborer des propositions et de se projeter, en évitant de faire fausse route par la méconnaissance des facteurs administratifs.
La prise en compte d’une autre culture nous confronte au fait que nos critères habituels ne fonctionnent plus. Tout est différent, depuis l’élément le plus concret, le langage, jusqu’aux croyances, l’organisation sociale…
Malgré la difficulté, il faut bien savoir que l’abandon de nos repères habituels nous permet d’acquérir une liberté insoupçonnée. Abandonner certaines attitudes « de circonstance » peut nous amener tout droit à un lâcher prise. Cela vaut pour le cheminement intérieur. Plus concrètement, il est possible de garder un même fil conducteur à travers le « parler » et sa traduction.
Il faut reconnaître qu’on ne sait pas, et accepter de s’en remettre à des disciplines qui sortent de notre champ habituel comme l’anthropologie ou l’ethnologie.
Comme cela a déjà été évoqué, la consultation interculturelle nécessite la présence d’un thérapeute de la même culture que le patient, ce qui s’avère dans les faits difficilement réalisable. Faute de remplir cette condition, il est possible de se contenter d’une bonne traduction. Toutefois, cela reste encore une difficulté en province où il ne se trouve pas toujours d’interprètes à disposition. Dans les villes de moyenne importance, il existe aujourd’hui des associations en mesure de répondre à cette demande.
Dans ce cas, la préoccupation sera de trouver un interprète qui n’évolue pas de près ou de loin dans la même communauté que le patient, pour des raisons de confidentialité. Car, même s’il n’y a pas de raison de douter quant à la qualité de cette collaboration, il est exclu de provoquer une gêne qui serait contre-productive. Il reste le moyen de s’entretenir avec lui par téléphone, mais cela sous-entend que tout le monde soit à l’aise avec ce dispositif.
Le fait de traduire a pour effet d’objectiver le parler, et l’on peut s’interroger sur l’influence que cela peut avoir sur la spontanéité du discours. Puisque ce qui est dit est évoqué avec d’autres mots, le doute persiste quant à une possible modification ou perte de sens. Ensuite, la voix garde encore ses intonations qui accentuent ou atténuent la portée des mots. Le traducteur est tout à fait sincère dans son souci de ne pas interpréter ce qu’il doit restituer, mais sa compréhension ne peut être exempte d’intuition. Ainsi, faut-il faire confiance à la traduction ou, du moins « reposer » sur celle-ci, car à trop chercher de rationalité, on perdrait sans doute du sens et de l’humanité.
D’ailleurs, les mots ont-ils tous leur équivalent dans une autre langue ? Ne sont-ils pas, en premier lieu, à l’usage d’un groupe spécifique ? Tout doit-il être révélé ? C’est seulement notre ressenti qui peut, à l’usage, donner tout son sens au mot.
On le voit, la consultation interculturelle nécessite la présence d’un thérapeute de même origine que le patient ou à défaut un traducteur. Malgré tous les efforts, cela ne s’avère pas toujours possible. Pour pallier à cette difficulté, il est possible de recourir à l’expertise anthropologique.