La mindfulness en entreprise : bien-être et performance

7 La mindfulness en entreprise


bien-être et performance



D. Steiler





Introduction


Depuis plusieurs années et de manière de plus en plus prégnante, la question d’une bonne gestion des risques psychosociaux, du stress au travail, mais aussi de leur rapport à la créativité ou à la performance est à la une des écrits sur le management, tant dans la presse quotidienne que dans les travaux de recherche. Si la performance est toujours la préoccupation majeure des entreprises, ces dernières intègrent progressivement la nécessité de repenser la place de l’homme dans l’organisation tant pour sa santé et son bien-être que pour sa capacité à produire. Ce repositionnement semble petit à petit pouvoir se faire, non seulement sans générer trop d’oppositions entre ces deux buts, mais bien plus dans la compréhension de leurs influences réciproques. Les impulsions institutionnelles, mais aussi l’ensemble des travaux de recherche et des actions menées en entreprise sur la gestion du stress et du bien-être au travail ont permis de faire progresser les perceptions, de réduire les peurs irraisonnées et de faciliter l’introduction d’approches nouvelles. Par ailleurs, les évolutions de la psychologie ont permis de passer d’une science principalement centrée sur les soins, et par là, assez éloignée des préoccupations de l’entreprise, à une psychologie positive dont l’objet est bien plus de comprendre et de permettre un développement des plus belles qualités de l’homme : l’élan de vie, la sensibilité aux échanges interpersonnels, la persévérance, le courage, l’amour des autres, les talents, l’éthique ou la sagesse. Par-dessus tout, cette nouvelle approche a montré combien il était important de s’inscrire dans une démarche de prévention tant ces qualités peuvent ensuite servir de soutien dans les situations de tensions de la vie personnelle ou professionnelle. Une des tâches des années à venir sera de réfléchir à quel point il est crucial, pour l’avenir des personnes et des entreprises, de comprendre et de renforcer ces qualités chez les employés ou les cadres. Au-delà, il conviendra encore plus de permettre leur développement chez les plus jeunes afin de faciliter leur insertion dans la vie et dans le monde professionnel en améliorant leur satisfaction et en leur permettant de participer pleinement aux activités qu’ils auront choisies afin de devenir de vrais créateurs de valeur.


C’est dans ce cadre de la psychologie positive que l’on a pu voir émerger le souci de mieux comprendre ces nombreuses qualités humaines telles que la résilience, l’optimisme, l’affectivité positive, le sentiment d’efficacité personnel, l’altruisme et la mindfulness. Les chercheurs de ce domaine pensent aujourd’hui que le succès et la performance dans les entreprises sont plus la conséquence de l’intelligence émotionnelle des collaborateurs et des leaders que de leurs seules capacités cognitives. Cette intelligence se manifeste à travers des comportements journaliers favorisant la considération individuelle ou la gratitude (Turner, Barling et Zucharatos, 2002).


Le concept de mindfulness que nous avons choisi d’introduire ici prend pleinement sa place dans le cadre de la psychologie positive et de ses implications dans le monde de l’entreprise. Traduit en français par le vocable de « pleine conscience », il a fait l’objet de nombreux travaux et d’un développement de plus en plus important de méthodologie d’intervention en médecine, en psychologie et aujourd’hui dans les sciences du management.


Les habitudes et les expériences du passé nous conduisent trop souvent à être en réaction face aux situations rencontrées. Le monde du travail et le contexte actuel nous poussent eux très fort à apprendre à proagir… ce qui n’est après tout qu’une réaction anticipatrice, avec nos peurs et préjugés, aux événements à venir. Dans un cas comme dans l’autre, le stress est présent, la satisfaction absente, la sensation de bien-être inexistante et la performance est au mieux présente, mais avec douleur, ou au pire absente, mais avec souffrance. Combien de temps poursuivre ses efforts et ses sacrifices avec l’espoir d’un avenir meilleur ? Pour combien de personnes cet espoir semblera être toujours repoussé à demain, jusqu’à ce que la rupture survienne ?


La mindfulness, en s’appuyant sur des bases à la fois ancestrales et contemporaines, porte son attention sur le présent. Elle conduit le collaborateur, non plus à une réaction incontrôlée aux événements ; « pourquoi ne l’ai-je pas dit ? » ou encore « je n’ai pu me retenir, c’était plus fort que moi ! » ; mais à une réponse en conscience des enjeux et responsabilités. Ni dans la culpabilité d’un raté ou d’un « trop tard », ni dans l’angoisse d’un « à venir ».


Dans ce chapitre, nous allons dans un premier temps effectuer un survol historique de l’émergence de ce concept afin de mieux en appréhender les tenants et aboutissants. Nous définirons ensuite ce qu’il représente, d’abord par la négative en regardant les effets de son absence, puis en le définissant. Nous aborderons ensuite sa mesure, avec l’intérêt très pragmatique de savoir comment évoquer sa présence, contrôler son apprentissage ou vérifier l’effet des stratégies mises en œuvre. Enfin, nous examinerons comment il possible d’intégrer cette approche dans le monde du travail, les effets envisageables et ce que pourrait être une entreprise ou une personne mindful.



Survol historique


L’étude historique du développement du concept de mindfulness conduit le chercheur à parcourir les principaux courants spirituels, philosophiques, psychologiques et psychothérapiques de notre monde pour aboutir à ses applications individuelles ou organisationnelles. En effet, si le concept a émergé depuis plus de trente ans dans les courants scientifiques occidentaux, cela fait bien plus longtemps que sa compréhension est présente dans de nombreuses approches humaines. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le concept de mindfulness n’est pas uniquement d’origine orientale et bouddhiste. On le retrouve aussi dans l’hindouisme, l’Islam, la chrétienté, ainsi que dans les philosophies grecques anciennes ou européennes modernes, comme nous renseigne l’encyclopédie Gale and Thomson sur les religions (Lindsay, 2005), avant de le voir apparaître dans les travaux des scientifiques. Ainsi, l’importance de développer l’attention ou la contemplation apparaît très tôt dans les yogas décrits par les Upanishads1 (1 500 av. J.-C.) avec l’intention de réduire et d’apaiser le flot des pensées ou des activités automatiques en fixant son attention sur la respiration par exemple. La tradition bouddhiste fait remonter ces pratiques au VIe siècle av. J.-C. avec comme point central le développement de la capacité d’accepter le présent tel qu’il est. Les méditations de Samatha (attention vigilante) et Vipassana (vision pénétrante) ont elles aussi pour objet de réduire les perturbations mentales et de permettre une connaissance plus juste des phénomènes. Si la première consiste en une attention focalisée sur un point, la seconde conduit plus à développer une « attention-témoin » sans focalisation, mais conduisant à une plus grande disponibilité aux choses.


Le taoïsme (environ VIe siècle av. J.-C.), dont l’origine est attribuée à Lao Zi2 et Zhuang Zi, a reproduit ce chemin en se focalisant sur l’importance de l’harmonie entre l’homme et son environnement. C’est aussi à travers des techniques de focalisation de l’attention sur la respiration, dans des pratiques immobiles (zuowan3) ou en action (tai qi quan) qu’il proposait de développer la conscience des phénomènes. On retrouve ces pratiques assises et en mouvement dans le bouddhisme zen, pratiqué au Japon et ayant subi l’influence du taoïsme dans sa traversée de la Chine.


La présence du développement de l’attention ou de la pleine conscience est peu mentionnée dans les grands courants monothéistes. S’il est plus difficile à cerner, car absent des pratiques quotidiennes d’aujourd’hui, il a néanmoins existé et perdure dans certains rituels. Ainsi, dans la tradition juive, certains aspects de la Kabale semblent, par une prière attentive, conduire à des états altérés de conscience. Nous retrouvons ces aspects dans les pratiques chrétiennes de la prière (prière du cœur chez les Orthodoxes) ou des chants (chants grégoriens par exemple). Ces approches ont plus nettement valorisé les pratiques méditatives par la lecture de la doctrine que par la mise en œuvre d’un exercice corporel, ce qui en a réduit les possibilités de transmission « vivante ». Dans l’Islam enfin, à partir du IXe siècle, le soufisme a développé tout un panel de pratiques, dont la plus connue aujourd’hui est celle des Derviches tourneurs, avec l’intention de réduire l’éparpillement de l’attention pour permettre une compréhension plus large du monde.


Si d’autres philosophes occidentaux ont approché le phénomène de pleine conscience, c’est avec Montaigne que nous choisissons de faire notre entrée. « Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors ; et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude et à moi » disait-il (1967, III, 13, 1107) au début du XVIe siècle paraphrasant ainsi les moines bouddhistes (sans le savoir ?). Dans ces écrits, l’auteur montre combien la recherche du bonheur passe avant tout par un contact direct avec le réel, en ramenant au présent toute divagation mentale pour tenter par-dessus tout de « vivre à propos ». Plus tard, Spinoza (XVIIe siècle) affirmera que, pour se séparer des émotions destructrices, le meilleur moyen dont dispose l’homme est de les reconnaître, de les accepter pour enfin les écarter (Misrahi, 2005). Au XXe siècle, la phénoménologie d’Husserl (1992) et ensuite d’Heidegger (Courtine, 1990) viendra également compléter le tableau. Pour Husserl, la phénoménologie ou science du vécu prend le même point de départ que les spiritualités précédemment citées : l’expérience de l’instant comme point d’entrée vers une certaine libération. Pour Heidegger et le concept de Dasein4, c’est l’être dans son existence ici et maintenant qui prend toute son importance.


Si les premiers travaux de recherche datent du milieu des années 1970, c’est à partir de 1982 que l’élan semble s’être amorcé. En effet, une rapide revue de littérature5 nous montre que, jusque dans les années 2000, seules cinq à quinze publications annuelles contiennent le mot mindfulness dans leur titre. De 2000 à 2005, deux cent cinquante-sept publications parlent de mindfulness et mille cent douze de 2005 à 2010. Cette augmentation de la diffusion dans des domaines de plus en plus variés montre que la pertinence scientifique du sujet ne fait plus débat.


Ce sont deux chercheurs qui vont plus particulièrement initier le mouvement en s’intéressant au concept et à ses applications pratiques. Jon Kabat-Zin, qui a publié son premier article en 1982 (1982), est professeur de médecine de l’université du Massachusetts. Il a fondé dans cette institution la Clinique de réduction du stress (Stress Reduction Clinic) et le Centre pour la pleine conscience en Médecine (Center for Mindfulness in Medicine, Health Care, and Society). Il est certainement le chercheur le plus prolixe dans ce domaine. Ellen Langer, professeur en psychologie à Harvard a quant à elle mené ses travaux sur la prise de décision, l’illusion du contrôle et la mindfulness (1989). Elle prépare actuellement un ouvrage directement consacré à la mindfulness dans le monde du travail.


Les domaines d’applications se sont prioritairement focalisés sur la psychothérapie. Kabbat-Zin a ainsi proposé un protocole en huit semaines, le Mindfulness Bases Stress Reduction Program (MBSR), dont les impacts ont été les plus grands dans le traitement des rechutes de dépression. En 1993, Marsha Linehan (1993) a combiné certaines techniques cognitives et comportementales pour développer une approche, la Dialectical Behavior Therapy (DBT), plus spécifiquement centrée sur le traitement des troubles suicidaires et des comportements borderline. Enfin en 2000, Teasdale et al. (Teasdale et al., 2000) ont souhaité créer une nouvelle approche psychothérapeutique plus large à partir des travaux basés sur le MBSR : la Mindfulness Based Congitive Therapy (MCBT). Leurs hypothèses étaient que la pratique de la mindfulness permettait un regard conscient des processus de pensée donc une facilitation de leur gestion, entre autres dans les symptômes de ruminations.


Les premiers travaux intégrant les aspects de la mindfulness dans le monde de l’entreprise sont bien plus récents et encore très peu nombreux. Ainsi, on voit apparaître à partir de 2006 des publications de recherche sur des populations professionnelles de managers, de travailleurs sociaux, de sportifs de haut niveau, de chauffeurs de bus, de coachs et d’enseignants. Ces travaux portent principalement sur des sujets liés à la gestion du stress et au bien-être au travail, à l’éthique dans les affaires, aux capacités de leadership, à la communication ou à la performance (Narayanan et Moynihan, 2006).



De la mindlessness à la mindfulness


Pour mieux comprendre le concept de mindfulness, nous allons nous immerger dans un premier temps dans son opposé : la mindlessnessou l’absence de conscience. Ce court voyage nous permettra de comprendre, par exemples interposés, combien il nous est facile de laisser nos pensées ou nos croyances prendre possession de la réalité. Elles nous interdisent tout accès à celle-ci et nous empêchent de porter attention au contexte réel des événements, que ce contexte soit extérieur ou intérieur (émotions, croyances, pensées automatiques, état physique). Considérons ainsi un manager très en colère. Le collègue à qui il s’adresse lui dit : « tu n’as pas besoin d’être en colère pour nous dire cela » et ce dernier de répondre en criant encore plus fort, sans réellement entendre ni les propos de son collègue, ni ses propres émotions : « mais je ne suis pas en colère ! »



Y a-t-il un pilote dans l’avion ?


Dans de nombreuses situations de la vie quotidienne comme de la vie professionnelle, nous nous retrouvons dans cet état d’absence, dans ce fonctionnement « en pilote automatique ». Le parallèle n’est pas anodin pour l’auteur dont l’une des expériences professionnelles a été d’être pilote d’aéronautique. Nous nous servirons de cette expérience à plusieurs reprises pour exposer ou expliquer nos propos.


Rappelez-vous ces nombreuses fois où, pris dans vos pensées, vous avez traversé tout un boulevard sans même vous souvenir si les feux étaient rouges ou verts. Souvenez-vous de ce dimanche matin où, allant faire votre marché, vous vous êtes retrouvé devant le parking de votre lieu de travail. Hier matin encore, à la table du petit-déjeuner, l’esprit envahi par la liste des tâches à accomplir lors de votre journée de travail, vous avez avalé sans même y penser l’excellent pain frais à votre disposition. Peut-être même a-t-il pesé sur votre estomac lorsque vous vous êtes retrouvé dans votre voiture au moment du départ. Revoyez enfin, cet ami qui venait de vous dire qu’il ne prenait pas de lait dans son café, mais pris dans votre discussion, vous lui remplissez sa tasse de lait, comme la vôtre, pris dans votre routine habituelle.


« Tout ceci n’est pas bien grave », me direz-vous ! Considérez alors les deux exemples à venir. Vous êtes en réunion et ce jour-là, c’est pour vous « le jour où jamais » de vous exprimer clairement et de faire valoir votre point de vue. Vous avez assez souffert du manque de clarté de vos rôles, des conflits et du manque de reconnaissance devant le travail fourni et les efforts consentis. Vous voulez que cela cesse et c’est pour aujourd’hui ! Le président de la société est présent et cela vous inquiète un peu, d’autant plus que votre manager a bien demandé à tout le monde de ne surtout pas faire de vagues. La tension monte, vous sentez bien que vous êtes tendu, mais vous êtes prêt. Juste avant vous, l’un de vos collègues se fait remettre en place pour une raison justifiée, mais c’en est trop pour vous. Au moment où le président vous demande si vous avez un point à soulever, vous vous entendez répondre « non », comme un automate, sans comprendre pourquoi. Une fois dans le couloir, la colère monte, contre les autres, contre la société, puis finalement contre vous. Vous vous en voulez de n’avoir pas su… pas su entendre en vous les tensions, pas su prendre en compte la difficulté du contexte et avoir finalement laissé vos émotions gérer la situation à votre place.


Un dernier exemple qui aurait pu être grave, pour mieux comprendre l’importance du sujet y compris dans des situations à risques, mais à partir d’un événement positif cette fois-ci. Jeune pilote, vous êtes sur le point de devenir papa. Après une nuit à la clinique à attendre la naissance de votre enfant, vous apprenez qu’il vous faut aller faire un vol d’entraînement obligatoire avant d’embarquer sur un porte-avions. Vous y allez très vite, vous vous retrouvez dans le cockpit de votre avion et les routines de check-lists s’enchaînent, en arrière-plan, et vous faites tout comme d’habitude. Mais ce n’est pas un jour habituel, votre fils va naître, et, ce jour-là, vous êtes sur une piste courte, il faut penser à relever l’interrupteur supplémentaire qui permettra, en fermant les paupières de votre réacteur, d’obtenir une poussée complémentaire pour pouvoir décoller. En faisant vos check-lists, vous semblez concentré, mais vous ne l’êtes pas. Vous êtes « ailleurs ». Vous lâchez les freins, l’avion roule et soudain vous entendez votre équipier dans l’avion à côté de vous crier « qu’est-ce que tu fais, je te rattrape ». Enfin, la conscience revient, vous enclenchez l’interrupteur et vous décollez de justesse, en évitant le pire.



Mindlessness : formes et origines


Comme nous avons pu le voir dans les exemples cités précédemment, la mindlessnesspeut prendre des formes très différentes. De manière conceptuelle, la mindlessness peut être vue comme le fait d’adhérer non consciemment à une façon de gérer les choses à partir de règles répétitives (Hoy, 2003). Ce risque est présent dans la vie de tous les jours comme dans les activités professionnelles. Il est possible d’isoler différentes formes de mindlessness à partir des trois niveaux d’expertise que nous traversons : l’expertise basée sur la connaissance, sur les règles et enfin sur les automatismes. La raison du développement de l’expertise est avant tout, par manque de ressources attentionnelles, de promouvoir l’efficacité par une automatisation des tâches. Le premier niveau, le moins expert, basé sur les connaissances, va nécessiter de la personne une recherche systématique des informations nécessaires à la réalisation de l’action prévue. Si une condition défavorable survient, l’erreur habituelle sera de ne pas sélectionner la bonne connaissance ou de ne pas savoir où la chercher si nous ne la possédons pas. Par exemple, paniqué par le feu qui prend dans une friteuse, le jeune cuisinier jette un plein verre d’eau sur les flammes et… enflamme ainsi toute la cuisine. Après un certain temps d’apprentissage, nous passons à un niveau d’expertise basé sur les règles. Ces règles ont pour but d’organiser et de standardiser nos façons de travailler. Si une condition défavorable survient, le risque de mindlessness peut se manifester par une erreur de choix de règle ou dans l’application de la règle. Prenons l’exemple d’un chauffeur de bus expérimenté qui après des années va conduire un bus avec système ABS. Ce jour-là, une situation requiert un freinage d’urgence. Jusqu’alors, il fallait freiner avec une certaine parcimonie pour ne pas bloquer les roues, ce qu’il fait. Malheureusement pour lui, avec le système ABS, le plus efficace était de freiner le plus fort possible en laissant le système s’occuper de la régulation. Le dernier niveau d’expertise est l’automatisme. En situation d’apprentissage, notre cerveau tend immédiatement vers une automatisation de nos gestes en routines qui, l’expérience grandissant, sont généralement efficaces. Nous en avons cité plusieurs précédemment, en montrant qu’elles peuvent devenir contre-productives, voire dangereuses. Pour une utilisation ultérieure, nous allons noter cependant ici un point important. Lorsqu’une personne a développé correctement une routine et que celle-ci est efficace, penser consciemment à l’action en court risque d’en réduire l’efficacité. Ainsi, c’est au moment où vous vous demandez consciemment quelle vitesse est enclenchée, que vous faites craquer la boîte à vitesse.


Si l’intérêt de la standardisation des fonctionnements est donc avant tout l’amélioration de la performance, elle peut aussi conduire à la mindlessness, car les personnes, en remplaçant leur jugement conscient par une réponse routinière, peuvent ne pas avoir accès aux signaux indicateurs de changement dans la situation. Si tous les métiers peuvent être à risques, les personnes se retrouvant dans un rôle de surveillance de systèmes complexes sont très exposées à ce dernier niveau de mindlessness. Il en est ainsi des contrôleurs aériens, des contrôleurs de centrales nucléaires, des personnes chargées du trafic ferroviaire, des pilotes d’avion, de tous ces métiers où la routine est nécessaire pour standardiser et améliorer la réalisation des actions, mais peut aussi conduire à des catastrophes si l’opérateur ne peut garder un certain niveau de conscience.


À partir de ces niveaux d’expertise et des exemples donnés précédemment, nous pouvons retrouver les trois causes principales de mindlessness citées par Langer (1989) : l’enfermement dans une perspective unique, l’enfermement dans une catégorie, le comportement automatique. Au-delà, Langer cite ensuite les différentes racines de ces causes. Les décisions ou engagements cognitifs prématurés (Premature Cognitive Commitments), dus à l’élaboration d’une règle valable dans une situation d’apprentissage ancienne et que nous avons pensée transposable à toute nouvelle situation. À partir d’une catégorisation initiale erronée, nous concluons que nos ressources sont limitées, ce qui vient réduire nos capacités. Combien d’enfants concluent, par exemple, qu’ils ne sont pas bons en mathématiques à cause d’un cours ou d’un professeur qu’ils n’apprécient pas ? Enfin, une troisième racine importante de la mindlessness est une éducation centrée sur le but dont les élèves sont les premières victimes. Professeur dans l’enseignement supérieur, je ne compte plus les fois où mes collègues se plaignent de l’attitude des étudiants beaucoup plus préoccupés par leurs notes et la validation de leur examen que par le contenu et l’intérêt du cours. Ici le parallèle est simple avec le monde du travail. Nous souhaitons tous un travail qui nous intéresse, que nous avons choisi justement pour faire certaines actions. Nous nous retrouvons cependant souvent dans une situation où nous ne sommes plus en train de faire, avec plaisir, ce que nous devons finir, mais où nous tentons juste de finir, rapidement et avec inquiétude, ce que nous avons à faire. L’enfer de la to do list, pavé de la bonne intention de faire bien et dans les délais, nous fait découvrir que l’on ne peut pas trouver de l’intérêt et donner du sens à ce que l’on accomplit, car on est immédiatement happé par l’angoisse de l’action suivante.


Pour conclure sur la mindlessness, il nous semble important de relever un point qui a pu, dans la démonstration, être perçu par le lecteur comme pouvant générer un paradoxe :


Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on La mindfulness en entreprise : bien-être et performance

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access