4. La Mémoire
Laurence Taconnat and Michel Isingrini
Récemment, on a pu constater une augmentation de l’intérêt des chercheurs pour expliquer les variations des performances mnésiques dans le vieillissement en termes de modifications cérébrales. La plupart des études relevant de cette problématique se sont focalisées sur le rôle du cortex préfrontal, considéré comme la région cérébrale la plus associée aux fonctions exécutives, aux comportements stratégiques et à la mémoire de travail. Les recherches dans ce domaine ont montré de façon répétée que les altérations du cortex préfrontal avaient une incidence négative sur le fonctionnement de la mémoire, notamment dans ses aspects stratégiques. Le fait que le vieillissement se caractérise par une dégradation spécifique du cortex préfrontal a permis de proposer l’hypothèse neuropsychologique dite exécutivo-frontale du vieillissement mnésique, selon laquelle le déclin des performances en mémoire chez les sujets âgés serait étroitement lié à l’altération du fonctionnement exécutif frontal.
Dans ce chapitre, après avoir présenté les principaux effets du vieillissement sur les différents systèmes de mémoire, ainsi que sur les processus d’encodage et de récupération, nous présenterons plus en détail les hypothèses susceptibles d’expliquer ces effets.
EFFETS DU VIEILLISSEMENT SUR LES DIFFÉRENTS SYSTÈMES DE MÉMOIRE
L’approche contemporaine de la mémoire postule l’existence de plusieurs systèmes identifiés par les concepts de mémoire de travail, de mémoire épisodique, de mémoire sémantique, de mémoire implicite et de mémoire procédurale [1]. La mémoire de travail sous-tend les capacités permettant de stocker et de manipuler la quantité limitée d’informations nécessaires à la réalisation d’une tâche en cours. Les autres systèmes de mémoire concernent essentiellement le stockage des informations à long terme. La mémoire épisodique est impliquée dans le souvenir des expériences personnelles, et la mémoire sémantique dans le stockage des connaissances. Ces systèmes sont dits déclaratifs, en ce sens qu’ils impliquent une récupération explicite de l’information mémorisée. Au contraire, la mémoire non déclarative, regroupant la mémoire implicite et la mémoire procédurale, peut influencer le comportement du sujet en dehors de tout souvenir conscient. La première fait référence à un processus par lequel la présentation préalable d’un stimulus facilite, de façon non intentionnelle, la performance dans une tâche portant sur ce même stimulus. La seconde concerne l’acquisition des capacités perceptives, motrices et cognitives. Ces cinq systèmes ne sont pas affectés de façon homogène par le vieillissement.
MÉMOIRE DÉCLARATIVE
La mémoire épisodique rétrospective et prospective
La mémoire épisodique rétrospective
Elle concerne le souvenir des faits passés inclus dans un contexte spatio-temporel précis. Elle est classiquement évaluée en laboratoire à l’aide des tâches de rappel libre, de rappel indicé et de reconnaissance. Une diminution de la performance apparaît au cours du vieillissement normal dans ces trois types de tâches quel que soit le matériel utilisé, familier ou non. Toutefois, si l’influence de l’âge sur la situation de rappel libre constitue un fait particulièrement reproductible, les données sont plus contradictoires concernant la reconnaissance. Un examen précis de cette tâche a cependant révélé que la performance décline significativement avec l’âge lorsqu’elle est évaluée à l’aide de mesures intégrant les fausses reconnaissances [2]. En effet, les fausses reconnaissances semblent constituer une caractéristique essentielle des effets du vieillissement sur la mémoire [3]. Elles apparaissent principalement lorsque l’information apprise et l’information restituée à tort présentent des similarités importantes.
Un des aspects de la mémoire épisodique particulièrement sensible au vieillissement concerne la mémoire de source, correspondant au souvenir des informations liées au contexte d’encodage. En effet, le déclin de la mémoire de source observé dans le vieillissement est considéré comme un facteur important dans l’explication du déficit de la mémoire épisodique. La mémoire de source concerne la capacité à se souvenir où, comment et quand une information a été apprise. La récupération de cette information intégrée au contexte d’apprentissage caractérise les souvenirs épisodiques. En vertu du principe de la spécificité de l’encodage, on admet que le déclin de la mémoire épisodique s’explique en grande partie par le fait que les sujets âgés présentent des difficultés, au moment du test, à actualiser les informations contextuelles encodées susceptibles de leur servir d’indice pour la récupération de l’information cible. Les données rapportées ont dans leur ensemble confirmé l’apparition, au cours du vieillissement, de difficultés spécifiques dans le souvenir des caractéristiques du contexte [4].
La mémoire prospective
Celle-ci est définie comme le souvenir d’une action à réaliser dans le futur. Cette activité est sollicitée quotidiennement, comme par exemple lorsqu’il s’agit de se souvenir de prendre un médicament à certaines périodes de la journée ou encore de transmettre un message. Les plaintes relatives aux situations concrètes de la vie quotidienne mentionnées par les sujets âgés concernent le plus souvent cette activité mnésique. L’importance de l’effet du vieillissement sur la mémoire prospective dépend de facteurs tels que le fait d’évaluer la performance en milieu naturel ou en laboratoire, la présence ou non d’un indice environnemental pour déclencher la réponse, la complexité du contexte dans lequel la tâche est réalisée. Lorsque la mémoire prospective est évaluée en milieu naturel, les sujets âgés compensent leurs difficultés par l’utilisation d’aide-mémoire externes. Dans la plupart des cas, ils ont donc appris à mettre en œuvre des stratégies appropriées afin de palier un déficit de mémoire prospective dans leur vie quotidienne. Cependant, des différences jeunes-âgés sont susceptibles d’apparaître dans les situations où tout recours à une aide externe est impossible. Globalement, les différences liées à l’âge sont plus faibles dans les situations où l’information à mémoriser est associée à un événement (« lorsque tu rencontreras Pierre, transmets-lui ce message ») que dans celles qui dépendent du temps (« n’oublie pas de téléphoner dans une demi-heure ») [5]. Ces observations sont relatives au fait que dans le premier cas, les sujets bénéficient d’un indice (l’événement) dont l’apparition leur indique qu’ils doivent mettre en place une action, alors que dans le second, l’action doit être initiée sans l’aide d’indice. Celle-ci est donc davantage dépendante du contrôle interne des sujets. Or, les sujets âgés présentent des difficultés spécifiques dans les tâches contrôlées et dans l’initiation des processus sans aide externe.
La mémoire sémantique
Alors que la mémoire épisodique est clairement affectée par l’âge, la mémoire sémantique apparaît relativement stable au cours du vieillissement. Par exemple, on observe que les performances des sujets âgés sont équivalentes, voire supérieures à celles des sujets jeunes dans les tâches évaluant les connaissances et le vocabulaire. Il est admis que les connaissances sont stockées dans la mémoire sémantique sous la forme de réseaux organisés formés de concepts interconnectés. Quand un concept est activé (par une exposition au mot correspondant par exemple), une activation des liaisons existant entre ce concept et les concepts qui lui sont sémantiquement associés s’établit, rendant ces derniers plus accessibles à un futur traitement. L’efficience de l’organisation et de l’activation de l’information au sein du réseau sémantique peut être évaluée à l’aide du paradigme d’amorçage sémantique. Dans cette situation expérimentale, deux mots sont présentés séquentiellement et leur niveau d’association est manipulé. Le premier mot (amorce) est présenté pour une durée variable (par exemple de 150ms à 450ms) avant que n’apparaisse le second mot (cible) pour lequel le sujet doit émettre une décision lexicale. Cette tâche consiste à indiquer le plus rapidement possible si la suite de lettres présentée correspond bien à un mot. On observe que la décision lexicale est plus rapide lorsque le second mot (infirmière) est sémantiquement lié au premier (docteur), comparé à un mot non lié (livre). La différence entre les temps de réponse dans ces deux conditions fournit une mesure de l’effet d’amorçage sémantique. Globalement, cet effet est similaire chez les sujets jeunes et âgés. Cette observation plaide en faveur d’un maintien au cours du vieillissement de l’organisation et du fonctionnement de la mémoire sémantique [6].
L’expérience quotidienne indique également qu’au cours de l’avancée en âge, des difficultés apparaissent lorsqu’il s’agit de récupérer des mots, suggérant que certains aspects de la mémoire sémantique sont touchés malgré le fait que son organisation demeure stable. Ainsi, les sujets âgés répondent plus lentement lorsqu’il s’agit de nommer des images, de produire des mots peu fréquents en réponse à une définition ou expérimentent plus souvent le phénomène « du mot sur le bout de la langue »[7]. Ces difficultés suggèrent que le vieillissement s’accompagne d’un déficit spécifique à l’accès au code phonologique nécessaire à la récupération d’un mot ou d’un concept.
La mémoire de travail
Dans le modèle proposé par Baddeley [8], la mémoire de travail est décrite comme une structure intégrant d’une part trois systèmes de stockage, la boucle phonologique, le calepin visuo-spatial et le buffer épisodique, dévolus respectivement au stockage de l’information verbale, visuo-spatiale et multimodale, et d’autre part, un centre exécutif dont la fonction est d’assurer la sélection et la mise en œuvre de processus de contrôle utiles au maintien de l’information dans les systèmes de stockage et à son transfert éventuel vers la mémoire à long terme. Le centre exécutif est donc responsable de la répartition des ressources cognitives entre le traitement et le stockage de l’information. En général, les différences jeunes-âgés sont relativement faibles dans les mesures d’empan direct dans lesquelles on demande au sujet de restituer immédiatement et dans l’ordre une série de chiffres ou de lettres. Elles sont plus importantes lorsque ces mêmes tâches d’empan sont associées à des consignes impliquant, en plus de l’opération de mémorisation, une manipulation mentale spécifique du matériel. Par exemple, on observe un effet de l’âge dans une tâche d’empan calculatoire, associant des opérations de mémoire et de calcul mental et consistant pour le sujet à réaliser des séries de simples opérations tout en retenant simultanément le deuxième chiffre des opérations. Cette procédure permet de calculer un empan de mémoire de travail, qui se trouve être déficitaire chez les sujets âgés.
Ces données témoignent de l’existence d’un effet du vieillissement sur la mémoire de travail. Cependant, cet effet s’exprime plus particulièrement lorsque la charge mentale est importante suggérant que le vieillissement normal s’accompagne d’un déficit du centre exécutif de la mémoire de travail. On peut donc s’attendre à observer un effet significatif de l’âge sur les mesures qui portent directement sur les capacités de ce système. Cette question a été jusqu’ici étudiée à l’aide de trois approches reposant sur l’utilisation de la procédure de la charge attentionnelle, de la tâche de génération aléatoire et sur l’exploration de l’hypothèse d’un déficit spécifique des capacités d’inhibition au cours du vieillissement. Quelques études ont été menées pour tester directement l’hypothèse d’une altération liée à l’âge dans la capacité à coordonner deux tâches à l’aide du paradigme de la charge mentale. Cette capacité est définie comme étant une fonction essentielle du centre exécutif de la mémoire de travail. Ces études ont cherché à mettre en évidence une interaction entre l’âge et la charge mentale susceptible d’indiquer que les sujets âgés sont particulièrement pénalisés dans la réalisation d’une tâche de vérification de phrases lorsque l’encombrement de la mémoire de travail augmente. D’une façon générale, ces études n’ont pas permis d’observer les résultats attendus. Elles ont cependant révélé l’existence d’une interaction significative entre l’âge et la complexité du matériel qui peut être compatible avec l’hypothèse d’une altération de la fonction coordinatrice du centre exécutif. Cette hypothèse a été confirmée par des travaux basés sur l’utilisation de procédures comme celle de production de séquences aléatoires de lettres ou de chiffres. Enfin, l’hypothèse d’une altération spécifique, au cours du vieillissement, de la capacité d’inhibition associée à la mémoire de travail a fait l’objet d’un intérêt soutenu depuis la publication de l’article de référence de Hasher et Zacks [9], dans lequel les auteurs postulent que ce déficit est central dans l’explication du vieillissement cognitif. La difficulté d’inhibition entraînerait chez les sujets âgés la présence en mémoire de travail d’une quantité importante d’informations non pertinentes interférant avec la réalisation de la tâche en cours [revue complète in 10].
MÉMOIRE NON DÉCLARATIVE
La mémoire procédurale
La mémoire procédurale concerne des habiletés aussi variées par exemple que la danse, le jeu d’échec, la programmation d’un ordinateur ou la dactylographie. On admet que ces habiletés présentent une large composante automatique et n’impliquent pas la conscience du sujet. Deux approches ont été développées dans ce domaine. La première porte sur la question de savoir si l’expertise déjà acquise dans un domaine particulier est sensible au vieillissement. La comparaison d’individus âgés experts et d’individus âgés néophytes met en évidence de meilleures performances chez les premiers, indiquant que l’expertise acquise dans un domaine est préservée des effets du vieillissement [11] La deuxième, que nous présenterons ici, teste l’hypothèse d’un effet du vieillissement sur l’acquisition de nouvelles habiletés. Des tâches comme le dessin en miroir, la poursuite d’une cible ou bien le test de la Tour de Hanoï sont utilisées en laboratoire pour étudier la mise en place de nouveaux apprentissages procéduraux. D’une façon générale, les résultats des recherches se sont révélés contradictoires, certains travaux ayant montré que les sujets âgés sont moins performants que les sujets jeunes au cours d’apprentissages moteurs ou perceptifs alors que d’autres études n’ont pas trouvé d’effet de l’âge [12]. Les résultats sont également variables concernant l’apprentissage de nouvelles habiletés cognitives.
L’examen précis de ces travaux suggère que cet effet de l’âge n’apparaîtrait que dans des conditions d’apprentissage particulières, comme lorsque la tâche est complexe ou que l’attention du sujet est divisée. Dans une approche récente, certains travaux ont montré que les apprentissages d’habiletés cognitives pouvaient être décomposés en une première phase impliquant des processus contrôlés et une seconde phase reposant sur une automatisation des réponses [13]. La première phase mobiliserait les ressources de la mémoire de travail, de la mémoire épisodique, des fonctions exécutives et de l’intelligence fluide. Or, dans la mesure où il est admis que le vieillissement a un effet délétère sur ces fonctions, on peut supposer que les effets significatifs de l’âge observés dans les apprentissages procéduraux sont la conséquence du déficit des ressources cognitives impliquées dans la première phase de l’acquisition de procédure. Dans ce sens, une étude récente sur l’apprentissage de procédure cognitive a montré que le passage de la phase contrôlée à la phase d’automatisation des réponses était significativement plus lent chez les sujets âgés que chez les sujets jeunes [14, 15].
La mémoire implicite
La mémoire implicite est généralement évaluée à l’aide du paradigme d’amorçage de répétition, qui désigne le processus par lequel la présentation préalable d’un stimulus facilite, de façon non consciente, la réalisation de diverses tâches dans lesquelles ce même stimulus est impliqué. Les tâches les plus couramment utilisées correspondent aux situations de décision lexicale, d’identification perceptive, de dénomination d’images, de complètement de mots et de production de connaissances ou d’exemplaires de catégories. Elles se différencient des tests explicites qui impliquent l’évocation intentionnelle d’un événement spécifique.
Dans leur majorité, les travaux réalisés dans le domaine du vieillissement ont corroboré l’hypothèse d’une préservation de ce type d’amorçage chez les sujets âgés. Des données allant dans ce sens ont été rapportées pour des situations d’amorçage perceptif regroupant des tâches telles que le complètement de trigrammes ou de fragments de mots, de décision lexicale et d’identification perceptive et pour des situations d’amorçage conceptuel telles que la production d’exemplaires de catégories et de connaissances [16, 17]. Par exemple, Isingrini et al. [18] ont montré que l’âge affecte significativement la performance dans une tâche explicite de rappel indicé quand les sujets doivent se souvenir intentionnellement (mesure explicite) d’un mot cible à l’aide d’un indice représenté par la catégorie sémantique de ce mot (par exemple instrument de musique pour le mot violon) alors que ce n’est pas le cas lorsque, pour les mêmes items, les sujets ont pour consigne de produire le premier mot qui leur vient à l’esprit en présence de la catégorie sémantique (mesure implicite).
Cependant, quelques travaux ont rapporté un effet de l’âge significatif sur les mesures implicites de mémoire. Dans une méta-analyse, Light et al. [19] ont montré que bien que l’effet du vieillissement sur l’amorçage de répétition soit particulièrement faible par rapport aux tâches explicites de rappel et de reconnaissance, il est cependant d’ampleur significative.
MÉMOIRE ÉPISODIQUE ET VIEILLISSEMENT
MÉCANISMES EXPLICATIFS
Les effets du vieillissement les plus importants apparaissent en mémoire épisodique. C’est donc principalement dans ce domaine que s’est développée la recherche portant sur l’identification des facteurs susceptibles d’expliquer l’effet de l’âge. Ces facteurs ont été étudiés selon deux types d’approche. Les travaux issus de la première (approche analytique) permettent de dresser un profil relativement précis des effets du vieillissement sur les opérations d’encodage et de récupération impliqués dans la mémoire. La seconde (approche globale) s’appuie sur l’idée selon laquelle des facteurs généraux, de nature cognitive ou neurocognitive, non spécifiquement liés aux mécanismes mêmes de la mémoire, expliquent en grande partie les effets de l’âge sur cette fonction. Après avoir présenté les principaux effets du vieillissement sur l’encodage et la récupération en mémoire, nous présenterons, dans le cadre de l’approche globale, trois hypothèses explicatives des effets du vieillissement sur la mémoire, l’hypothèse du ralentissement de traitement, l’hypothèse de réduction des ressources attentionnelles et enfin l’hypothèse neuropsychologique exécutivo-frontale.
Le processus d’encodage
Pour expliquer les effets de l’âge sur la mémoire épisodique, un grand nombre de travaux se sont largement appuyés sur l’hypothèse selon laquelle le déficit observé chez les sujets âgés serait consécutif aux difficultés qu’ils présentent dans la réalisation de traitements suffisamment élaborés au moment de la mémorisation. Cette hypothèse est associée au modèle de la profondeur de traitement qui postule qu’une information peut être encodée selon différents niveaux, superficiel (de type structural) ou profond (de nature sémantique), ce dernier niveau permettant l’élaboration d’une trace mnésique plus durable. L’utilisation de la technique dite de la tâche orientée à l’encodage permet de contraster expérimentalement ces deux types de traitement et d’en apprécier les effets sur la performance mnésique. Son application à l’étude du vieillissement a donné des résultats contradictoires qui paraissent s’expliquer par les modes d’opérationnalisation utilisés pour induire chez le sujet la réalisation d’un traitement élaboré[20]. Par exemple, les résultats obtenus avec l’épreuve de rappel libre ont permis de mettre en évidence une interaction entre l’âge et la nature du traitement, indiquant que les sujets âgés ne bénéficient pas autant que les sujets jeunes de l’aide apportée par un encodage profond, lorsque la tâche orientée proposée consiste en l’évaluation du degré d’agrément des items ou en l’élaboration d’une image mentale du mot présenté (ces deux opérations nécessitant le traitement sémantique du stimulus). En revanche aucune interaction entre ces deux facteurs n’apparaît lorsqu’il est demandé au sujet de réaliser une tâche objectivement observable comme produire des mots sémantiquement liés aux mots cibles ou bien encore produire l’item cible à partir d’un mot associé. Dans une recherche récente, Taconnat et Isingrini [21], en utilisant le paradigme de l’effet production (c’est-à-dire le fait que des mots produits à l’aide d’indices au moment de la mémorisation sont ensuite mieux rappelés que des mots simplement lus), ont montré que les sujets âgés bénéficient de cet effet de façon équivalente aux sujets jeunes lorsque la règle de production guide le traitement sémantique, c’est-à-dire lorsque le mot à produire est un associé sémantique de l’indice (port-bat___). Par contre, ils observent également que ce bénéfice n’apparaît plus chez les sujets âgés lorsqu’ils doivent initier eux-mêmes ce traitement dans une condition de soutien cognitif faible à partir d’une règle de production non sémantique (râteau-bat___). Ce résultat suggère que l’utilisation de stratégies mnésiques pertinentes à l’encodage est déficitaire chez les sujets âgés [22], particulièrement lorsque celles-ci doivent être auto-initiées [23].
Le processus de récupération
Les mesures de la mémoire épisodique ont ces dernières années évolué vers la prise en compte de deux composantes essentielles que sont les réponses dépendant de la récupération contrôlée et celles qui s’appuient sur un accès direct à la trace par un simple jugement de familiarité. Ces deux formes de réponses se distinguent également par la forme de la conscience associée au souvenir. On parle de conscience autonoétique pour la première et de conscience noétique pour la seconde [24]. À l’aide du paradigme R/K[25], il est maintenant devenu classique d’évaluer séparément ces deux formes d’accès à l’information stockée par une approche de nature introspective qui vise à évaluer les états de conscience accompagnant la reconnaissance. Dans ces études, le sujet doit donner une indication qualitative sur la nature des opérations mentales qu’il a effectuées au moment de la récupération de l’item. Les réponses sont ainsi classées en réponses Remember (R) lorsque la reconnaissance est accompagnée du souvenir de la représentation élaborée au moment de l’apprentissage et en réponses Know (K) lorsque l’item est reconnu en dehors de tout accès à l’information relative au contexte d’apprentissage, et donc par simple jugement de familiarité. Plusieurs travaux réalisés dans le domaine du vieillissement ont montré que le nombre de réponses R diminuait avec l’âge alors que le nombre de réponses K restait stable, ou même augmentait légèrement [26]. Cette observation suggère que le vieillissement affecte principalement la possibilité de reconstruction des souvenirs épisodiques intégrant les détails contextuels à l’information cible. Or, la récupération, et donc les performances en mémoire épisodique, dépendent de façon prépondérante de cette possibilité.
RÔLE DES RESSOURCES DE TRAITEMENT
La réduction de la vitesse de traitement
Cette approche théorique repose sur des observations déjà anciennes selon lesquelles le vieillissement s’accompagne d’un ralentissement général de traitement qui inclut l’ensemble des processus perceptifs, moteurs et cognitifs. Ainsi, plusieurs travaux ont montré, dans diverses tâches cognitives, que le temps de réponse des sujets âgés était environ 1,5 fois plus long que celui des sujets jeunes. On suppose l’existence d’une base neuronale à ce ralentissement dont la nature exacte reste à préciser. En accord avec cette hypothèse, certains travaux ont montré à l’aide de l’électroencéphalographie que la latence des potentiels évoqués associés aux activités cognitives est plus longue chez les sujets âgés comparée aux sujets jeunes [27].

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