7. La Maladie D’alzheimer
Fabienne Collette, Dorothée Feyers and Christine Bastin1
Du fait du vieillissement de la population et de l’augmentation de la prévalence des troubles démentiels avec l’âge, le nombre de patients atteints de la maladie d’Alzheimer ne cesse de croître, avec une prévalence de la maladie doublant tous les 5,1 ans entre 60 et 90 ans. Ces données indiquent l’importance du problème social et économique que constitue cette maladie et montrent combien il est essentiel de mieux la comprendre afin de la détecter de façon précoce.
TROUBLES COGNITIFS
La maladie d’Alzheimer se caractérise essentiellement par des déficits cognitifs, en l’absence de tout marqueur biologique ou neurologique clair. Par conséquent, l’identification et la compréhension de ces déficits sont primordiales pour la détection précoce et la prise en charge des patients. Les travaux menés dans ce domaine depuis une vingtaine d’années ont mis en évidence que, si la maladie touche effectivement l’ensemble des domaines du fonctionnement cognitif (mémoire, attention, langage…), tous les processus au sein de ces domaines ne sont pas systématiquement altérés. De plus, ces travaux ont également montré qu’il existe une importante hétérogénéité dans les patterns de déficits présentés par les patients. Dans ce contexte, la suite de ce chapitre concernera tout d’abord la description des troubles associés aux différents domaines de la cognition, et se terminera par une brève illustration de l’hétérogénéité des dysfonctionnements cognitifs dans la maladie d’Alzheimer.
FONCTIONNEMENT MNÉSIQUE
La mémoire à court terme
La mémoire à court terme a pour fonction de maintenir temporairement active une petite quantité d’information durant la réalisation de tâches cognitives diverses (tâches de langage, de raisonnement, etc.). De nombreux travaux se sont intéressés aux capacités de rétention temporaire de l’information des patients Alzheimer, tant pour du matériel verbal que visuel et spatial [revue complète in 1].
Un déficit de stockage à court terme de l’information verbale a été mis en évidence de façon assez systématique. Ainsi, l’effet de récence2 est réduit dans la maladie et l’empan verbal3 des patients est inférieur à celui de sujets âgés normaux. Cependant, ces capacités de stockage réduites ne semblent pas pouvoir s’expliquer (au moins dans les premiers stades de la maladie) par des déficits spécifiques du maintien de cette information. En effet, les effets de similarité phonologique (meilleur rappel pour des mots dissimilaires que similaires phonologiquement) et de longueur du mot (meilleur rappel de mots courts que de mots longs) sont semblables à ceux de sujets âgés normaux 4.
– un support moindre des représentations sémantiques et phonologiques résidantes en mémoire à long terme ;
– une contribution moindre des processus de contrôle.
La contribution des représentations en mémoire à long terme a été évaluée en comparant l’amplitude des effets de lexicalité5 et de fréquence phonotactique6 chez des sujets âgés normaux et des patients Alzheimer. Ces effets sont de même amplitude dans les deux groupes de sujets, ce qui suggère que la réduction d’empan verbal observée chez les patients ne s’explique pas par une moindre contribution des représentations phonologiques ou lexicosémantiques. Par conséquent, leurs plus faibles capacités de stockage à court terme ont été attribuées à une intervention moindre des processus de contrôle (ou fonctions exécutives) lors de la réalisation des tâches d’empan et de répétition de mots. En effet, de nombreuses études ont mis en évidence une altération manifeste du fonctionnement exécutif dans la maladie d’Alzheimer (voir « Fonctionnement exécutif », p. 113).
Par ailleurs, si moins d’études se sont intéressées au maintien à court terme d’informations visuelles et spatiales chez ces patients, les données obtenues indiquent également une diminution des capacités de stockage, sans que l’origine des difficultés soit de nouveau clairement identifiée (trouble spécifique du codage versus dysfonctionnement exécutif).
La mémoire épisodique
Il existe un grand nombre de données convergentes indiquant que les patients Alzheimer connaissent d’importantes difficultés dans les tâches de mémoire épisodique, c’est-à-dire dans des tâches de rappel ou de reconnaissance qui exigent la récupération consciente d’informations apprises dans un contexte spatio-temporel particulier [2]. L’origine de ces difficultés apparaît toutefois multidéterminée, et semble provenir tant de déficits d’encodage, de stockage et de récupération de l’information que de l’altération de processus relevant d’autres domaines du fonctionnement cognitif.
Outre des difficultés d’encodage de l’information, les patients Alzheimer présenteraient également des difficultés de stockage de cette information. En effet, il existe un taux d’oubli particulièrement rapide dans la maladie, et cela même lorsque le niveau initial d’apprentissage des patients et des sujets de contrôle est égalisé.
Finalement, tout un ensemble de données soutiennent également l’hypothèse que la performance épisodique moindre des patients Alzheimer proviendrait d’un déficit se situant au niveau de l’étape de récupération de l’information. Les études ayant abordé cette question ont essentiellement comparé la performance des patients à des tâches de rappel libre avec celle à des tâches de rappel indicé7 ou de reconnaissance. Les épreuves de rappel indicé et de reconnaissance font intervenir, lors de l’étape de récupération, des processus associatifs, activant de façon automatique la trace des items en mémoire, alors que les épreuves de rappel libre mettent en jeu des processus stratégiques, plus contrôlés, visant à réinstaller un contexte de récupération sur lequel les processus associatifs vont pouvoir s’appuyer. Par conséquent, une performance normale en rappel indicé ou en reconnaissance couplée à un déficit aux épreuves de rappel libre de l’information suggère la présence de difficultés de récupération de l’information en mémoire épisodique. Ce pattern de résultats est observé de façon assez systématique chez les patients Alzheimer. De plus, ces patients bénéficient peu de l’aide fournie par l’indiçage aux épreuves de rappel indicé. Dans leur ensemble, ces résultats suggèrent :
– que les patients Alzheimer auraient plus de difficultés que des sujets âgés sains à utiliser des stratégies efficaces de récupération (ainsi qu’en témoigne leur performance déficitaire aux épreuves de rappel libre) ;
– que les patients ne parviennent pas non plus (contrairement aux sujets âgés sains) à compenser leurs déficits stratégiques de récupération par la mise en œuvre de processus associatifs plus automatiques (ces processus associatifs pouvant être mis en place par le soutien coordonné des indices fournis à la fois lors de la phase d’encodage et de récupération aux épreuves de rappel indicé).
Finalement, l’altération d’une série d’autres processus semble également pouvoir rendre compte de la performance déficitaire des patients. Ainsi, ces patients ont des difficultés marquées à encoder le contexte spatial et/ou temporel dans lequel l’information-cible est présentée. De façon plus générale, leurs capacités de traitement sémantiques et visuoperceptives se répercutent également sur la qualité de l’encodage des informations-cibles.
La mémoire implicite et procédurale
La mémoire implicite
Contrairement à la mémoire explicite qui concerne des tâches de mémoire dans lesquelles un sujet est amené à récupérer volontairement un épisode spécifique d’apprentissage, la mémoire implicite concerne quant à elle des tâches mnésiques dans lesquelles on évalue l’influence d’une expérience préalable sur la performance d’un sujet sans exiger de lui une récupération intentionnelle de l’épisode d’apprentissage8 De façon générale, s’il est assez unanimement reconnu dans la littérature que la maladie d’Alzheimer s’accompagne d’une détérioration massive de la performance dans les tâches de mémoire explicite, les résultats apparaissent nettement plus ambigus en ce qui concerne la performance aux tâches de mémoire implicite [revues complètes in 3, 4].
– la distinction entre tâches d’identification et de production ;
– les effets de contamination des processus implicites par les processus explicites.
Dans les tâches d’amorçage par identification, les sujets doivent identifier (suite à une exposition préalable) des stimuli présentés sous une forme intacte ou dégradée. L’identification correcte se basera sur l’analyse de la forme ou du sens des stimuli. À l’opposé, dans les tâches d’amorçage par production, les sujets doivent utiliser un indice (par exemple, un début de mot ou une catégorie sémantique) pour guider la récupération d’une (ou de plusieurs) réponse(s) parmi un grand nombre de possibilités. On observe une diminution de l’effet d’amorçage chez les patients pour les tâches de production, mais pas pour les tâches d’identification. Ces résultats ont été interprétés en suggérant que la diminution des ressources attentionnelles associée à la maladie d’Alzheimer (voir « Fonctionnement attentionnel », p. 111) a des répercussions plus marquées sur les tâches de production, nécessitant un effort cognitif plus important lors de la production de la réponse.
Par ailleurs, un effet de contamination des processus explicites de mémoire sur les tâches implicites a également été invoqué pour rendre compte des résultats divergents rapportés dans la littérature [4]. En effet, aucune tâche de mémoire ne fait intervenir exclusivement des processus explicites ou implicites, et donc si les épreuves de mémoire implicites se basent principalement sur des processus automatiques (implicites), elles impliquent également, dans des proportions variables, des processus explicites (contrôlés) de récupération de l’information. Étant donné la détérioration marquée de la mémoire explicite chez les patients Alzheimer (voir « Mémoire épisodique », p. 107), la réduction de l’effet d’amorçage à certaines épreuves implicites s’expliquerait non pas par une altération des processus implicites en tant que tels, mais bien par un recours moindre, par rapport à des sujets âgés sains, aux processus contrôlés.
La mémoire procédurale
– l’exploration des capacités qu’ont les patients à acquérir de nouvelles habiletés (perceptivomotrices, perceptives, ou cognitives) ;
– l’étude du maintien d’habiletés acquises antérieurement à la pathologie, et pour lesquelles les patients présentent un niveau élevé d’expertise.
Dans cette section, seul le premier domaine sera abordé, l’exploration du maintien d’habiletés pour lesquelles les patients peuvent être considérés comme experts se rapportant à la notion de réserve cognitive, un point qui sera détaillé plus loin (voir p. 117).
L’acquisition de nouvelles habiletés perceptivomotrices reste possible dans la maladie d’Alzheimer (pour une revue, voir Adam [3]). En effet, plusieurs travaux ont mis en évidence une amélioration progressive et équivalente de la performance chez ces patients et des sujets âgés sains dans des tâches de type moteur (temps de réaction sériel, poursuite rotative…) et perceptif (lecture en miroir, jugement de poids…). Par contre, les études ayant abordé l’apprentissage de nouvelles habiletés cognitives (apprentissage de puzzles) dans la maladie d’Alzheimer sont plutôt rares et ont conduit à des résultats assez contradictoires, certaines études ayant mis en évidence des capacités d’apprentissage similaires à celles de sujets âgés sains, mais d’autres pas. Il semblerait toutefois que les difficultés d’acquisition de nouvelles habiletés cognitives puissent s’expliquer par des déficits présents à d’autres niveaux du fonctionnement cognitif des patients. En effet, les phases initiales de l’apprentissage d’une procédure feraient intervenir diverses fonctions, telles que la mémoire de travail, les fonctions exécutives ou la mémoire épisodique [5].
La mémoire autobiographique
À l’heure actuelle, très peu d’études se sont intéressées aux capacités de mémoire autobiographique des patients Alzheimer [6]. Ces études ont montré que les patients présentent une perte de leurs connaissances autobiographiques portant sur toutes les périodes de leur vie. Cette perte est gradée de façon temporelle, dans le sens où les souvenirs anciens sont mieux préservés que les souvenirs récents. Par ailleurs, Piolino et al. [6] ont administré un questionnaire semi-structuré portant sur toutes les périodes de vie et permettant d’évaluer spécifiquement la récupération de souvenirs autobiographiques de nature soit épisodique (souvenirs qui peuvent être situés dans un contexte spatio-temporel précis) soit sémantique (rappel d’événements génériques, sans récupération du contexte précis). L’analyse qualitative des éléments rapportés a permis de déterminer que les souvenirs autobiographiques préservés chez ces patients sont plus de nature sémantique qu’épisodique.
La métamémoire
La métamémoire désigne un ensemble de processus cognitifs de haut niveau opérant sur la mémoire, comportant nos croyances quant à notre propre efficacité cognitive, des connaissances générales sur la mémoire, ainsi que des processus de contrôle et d’autorégulation de notre fonctionnement mnésique. Étant donné la prédominance des déficits mnésiques dans la maladie d’Alzheimer, on peut se demander si ces patients sont conscients de leurs difficultés. Les travaux réalisés dans ce domaine indiquent que les patients ne présentent pas un déficit général de métamémoire, mais plutôt des déficits spécifiques [revue complète in 7].
D’autres études utilisant des tâches de feeling of knowing9 (FOK) ont mis en évidence une dissociation des capacités de métamémoire dans la maladie d’Alzheimer selon le caractère sémantique ou épisodique de la tâche. En effet, alors que les patients Alzheimer restent capables de prédire avec précision s’ils pourront identifier le mot correspondant à une définition parmi plusieurs propositions (FOK sémantique), ils ont par contre des difficultés à prédire adéquatement leurs performances de reconnaissance ultérieures dans les tâches de FOK épisodique. Il semble donc que les patients Alzheimer puissent juger de la probabilité qu’une information soit disponible en mémoire sur base d’indices sémantiques (le degré de familiarité de la définition dans le FOK sémantique). Par contre, un déficit de métamémoire est visible lorsque ce jugement nécessite d’avoir accès à des détails associés à l’épisode d’apprentissage de l’item (par exemple, des pensées associées au mot), comme dans le FOK épisodique. Ce déficit pourrait être lié à une difficulté à initier une recherche stratégique en mémoire, et rejoindrait le déficit de mémoire épisodique des patients Alzheimer.
FONCTIONNEMENT ATTENTIONNEL ET EXÉCUTIF
Le fonctionnement attentionnel
La présence de déficits affectant différents processus attentionnels (alerte, attention sélective, vigilance, attention divisée…) a été fréquemment rapportée dans la maladie d’Alzheimer. Cependant, tous les processus n’apparaissent pas affectés de la même façon, et n’apparaissent pas simultanément dans le décours de la maladie [8].

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