Chapitre 6 La douleur, la nociception et l’analgésie
Définitions
La douleur est définie par l’IASP (International Association for the Study of Pain) comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en termes d’une telle lésion ». La douleur est un phénomène perceptif, neuropsychologique, qui comporte des composantes sensorielle, affective et cognitive. La composante sensorielle correspond aux opérations de détection, de localisation, de décodage de la qualité et de l’intensité d’une douleur. La composante émotionnelle désigne la tonalité affective désagréable, plus ou moins supportable, et l’état d’anxiété qui accompagne la douleur.
Le terme nociception a été introduit par Sherrington pour désigner le système physiologique qui permet de détecter les stimulations susceptibles de menacer l’intégrité de l’organisme. On qualifie de « nociceptives » ces stimulations ainsi que les réponses induites (nocere, en latin, signifie « nuire »). La finalité biologique de la nociception est celle d’un signal d’alarme utile qui détermine un ensemble de réflexes et de comportements protecteurs (réflexe de retrait, immobilisation de la région lésée, comportement d’évitement). L’importance de cette fonction de protection est bien mise en évidence par les observations, rares, de malades présentant une insensibilité congénitale à la douleur. Ces patients ont une espérance de vie réduite car une symptomatologie infectieuse, appendicite par exemple, n’est pas détectée à temps et évolue vers un tableau généralisé (péritonite, septicémie).
Systèmes de transmission
Stimulation tronculaire de nerf
Ces expériences ont permis d’établir une corrélation entre le seuil de perception de la douleur et le seuil de réponse des fibres Aδ et C. Pour des stimulations électriques d’intensité croissante, on observe qu’une stimulation de faible intensité qui active uniquement les afférences de gros diamètre (Aα et β) évoque une sensation tactile ; qu’une stimulation plus forte qui recrute les fibres myélinisées de plus fin diamètre, Aδ, évoque une sensation de douleur à type de piqûre ; qu’une stimulation plus intense qui recrute les fibres amyéliniques C évoque une sensation à type de brûlure. Les différences de vitesse de conduction expliquent le phénomène de « double douleur » : les fibres Aδ (5 à 30 m/s) sont responsables d’une douleur précoce à type de piqûre, suivie d’une douleur plus tardive à type de brûlure due aux fibres C (< 2 m/s).
Enregistrement électrophysiologique de fibres uniques
Les caractéristiques des nocicepteurs sont surtout connues grâce à la décharge de leur fibre afférente. Deux caractéristiques permettent de définir le nocicepteur : son seuil d’excitation (plus élevé que celui des récepteurs non nociceptifs, mécaniques et thermiques) et sa fréquence de décharge (qui peut s’accroître pour des stimulations intenses). Ces deux caractéristiques permettent au nocicepteur de détecter une stimulation nociceptive et d’en coder l’intensité. Chez l’homme, il a été montré que la fréquence de décharge d’une fibre est bien corrélée à l’intensité de la sensation douloureuse perçue mesurée par une échelle numérique ou visuelle analogique (figure 6.1).
On distingue plusieurs groupes de nocicepteurs :
Le seuil des nocicepteurs et la fréquence de décharge des nocicepteurs sont modifiés par une inflammation locale ou par des stimulations thermiques répétées. La sensibilisation des nocicepteurs se traduit par un seuil de décharge diminué, une augmentation de réponse à des stimulations supraliminaires et une activité spontanée. Ces caractéristiques sont à mettre en parallèle avec le phénomène d’hyperalgésie qui se traduit par une diminution du seuil de la douleur, une augmentation de douleur pour les stimulations supraliminaires et enfin une douleur spontanée. L’existence d’une sensibilisation périphérique lors d’une hyperalgésie n’exclut pas l’intervention de phénomènes centraux associés. Le phénomène de sensibilisation s’observe dans des modèles animaux de douleur chronique comme celui du rat arthritique. Signalons que l’aspirine et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) augmentent le seuil des récepteurs sensibilisés.
Médiation chimique périphérique
Dans les douleurs pathologiques, la durée des douleurs ainsi que l’hyperalgésie associée laissent supposer l’intervention de substances susceptibles d’activer de façon prolongée les nocicepteurs (tableau 6.1). Diverses substances semblent capables d’exciter les nocicepteurs (substances algogènes) ou de sensibiliser leur terminaison (substances hyperalgésiantes). Parmi les substances algogènes, mentionnons la bradykinine (peptide de 9 acides aminés) ; parmi les substances hyperalgésiantes, les prostaglandines PGE2 sont les plus puissantes. Rappelons que les AINS réduisent les réponses des nocicepteurs en inhibant la synthèse des prostaglandines par une action sur les deux iso-enzymes de la cyclo-oxygénase, COX-1 et COX-2.
Médiateur | Origine | Action |
---|---|---|
K+ | Cellules lésées | Excitation |
5HT | Plaquettes | Excitation |
Bradykinine | Kininogène plasmatique (kallikréine) | Excitation |
Histamine | Mastocytes | Sensibilisation |
Prostaglandines | Acide arachidonique cellules lésées (cyclo-oxygénase) | Sensibilisation |
Leucotriènes | Acide arachidonique cellules lésées (lipo-oxygénase) | Sensibilisation |
Substance P | Afférences primaires | Sensibilisation |
Réflexe d’axone et inflammation neurogène
Une stimulation nociceptive produit diverses réactions locales : un érythème et une augmentation de la chaleur locale correspondant à une vasodilatation, un œdème dû à une extravasation plasmatique et à une augmentation de la perméabilité vasculaire, une hyperalgésie (les stimulations douloureuses sont perçues plus intenses) autour de la zone lésée.
Figure 6.2 Étapes de l’inflammation neurogène. A : une excitation locale nociceptive, par une pression intense et les lésions cellulaires résultantes, entraîne la libération de potassium (K+), la synthèse de prostaglandines (PG) et de bradykinine (BK). Les prostaglandines accroissent la sensibilité des terminaisons nociceptives à la bradykinine et à d’autres substances algogènes. B : les potentiels d’action engendrés dans les terminaisons stimulées se propagent non seulement vers la moelle épinière (influx centripètes orthodromiques), mais également dans d’autres branches terminales (influx centrifuges, antidromiques) où ils induisent la libération de peptides, entre autres de substance P (SP). La substance P produit la libération d’histamine (H) à partir des mastocytes et de sérotonine (5HT) à partir des plaquettes. C : les taux d’histamine et de sérotonine s’élèvent dans l’espace extracellulaire. Ces substances sensibilisent secondairement les nocicepteurs voisins. Ces phénomènes entraînent une diffusion progressive de l’hyperalgésie.
On explique l’inflammation neurogène par un mécanisme de réflexe d’axone :