10. La Démence à Corps de Lewy et les Autres Syndromes Parkinsoniens Associés à une Démence
Kathy Dujardin and Luc Defebvre
DÉMENCE À CORPS DE LEWY
La démence à corps de Lewy s’individualise cliniquement par la survenue d’une démence associée à des épisodes confusionnels fluctuants et à un syndrome psychiatrique sous forme d’hallucinations, d’idées délirantes et de troubles de l’humeur. Ce cortège symptomatique est tantôt isolé, tantôt précédé, accompagné ou suivi d’un syndrome parkinsonien. Sur le plan neuropathologique, la démence à corps de Lewy se caractérise essentiellement par la présence abondante et diffuse de corps de Lewy (inclusions riches en ubiquitine et en alphasynucléine) dans le système nerveux central, tout particulièrement au sein du cortex. Cette pathologie s’intègre dans le cadre des synucléinopathies, avec la maladie de Parkinson et l’atrophie multisystématisée.
ÉPIDÉMIOLOGIE
La démence à corps de Lewy représente la deuxième cause de démence dégénérative après la maladie d’Alzheimer. La maladie débute en moyenne dans la sixième décennie mais l’âge de survenue est extrêmement variable de 50 à 83 ans [2]. La survie moyenne déterminée à partir de séries autopsiques est en général de moins de 10 ans.
TROUBLES COGNITIFS
Le déclin cognitif constitue un mode d’entrée fréquent dans la démence à corps de Lewy. La démence est généralement installée après un à deux ans d’évolution, parfois en quelques mois. L’examen approfondi des fonctions cognitives cherchera à établir que la baisse d’efficience cognitive globale s’accompagne de troubles exécutifs, visuoperceptifs, attentionnels et mnésiques.
Le syndrome dysexécutif est d’emblée sévère et conduit à des déficits importants à l’ensemble des épreuves évaluant les fonctions exécutives. Dans la vie quotidienne, il se traduira par des difficultés d’organisation, d’adaptation au changement ou de coordination de l’action. Ces troubles sont nettement plus sévères que dans la maladie d’Alzheimer débutante. Ils sont souvent difficiles à différencier de ceux observés dans la démence de la maladie de Parkinson [3].
Les troubles visuoperceptifs sont particulièrement importants dès le début de la maladie et conduisent à un échec massif aux activités visuoconstructives. Néanmoins, contrairement à la maladie d’Alzheimer, le traitement des informations visuelles et spatiales est perturbé dès les stades précoces dans la démence à corps de Lewy, avec notamment des déficits perceptifs [4]. Cette symptomatologie est généralement plus marquée chez les patients ayant des hallucinations visuelles que chez ceux sans hallucination.
Les troubles attentionnels sont considérés comme étant plus importants dans la démence à corps de Lewy que dans la maladie d’Alzheimer. Toutes les composantes attentionnelles sont déficitaires contrairement à la maladie d’Alzheimer où les capacités d’attention soutenue sont longtemps préservées [5]. Ces troubles attentionnels massifs seraient liés à l’importante déplétion cholinergique observée dans la démence à corps de Lewy. Ils se caractérisent aussi par leur aspect fluctuant.
Les troubles de la mémoire ne sont pas au premier plan en début de maladie mais apparaîtront systématiquement avec l’évolution. Contrairement à la maladie d’Alzheimer où il existe des troubles de l’acquisition et de la consolidation d’informations nouvelles en mémoire épisodique, il s’agit ici surtout de troubles de la récupération des souvenirs.
TROUBLES DU COMPORTEMENT
Les troubles du comportement sont généralement précoces et d’emblée sévères.
Les hallucinations visuelles récurrentes et détaillées constituent un symptôme évocateur de la maladie, surtout quand leur apparition est précoce et qu’elles ont un caractère persistant. Les thèmes typiques sont la vision de personnes, d’enfants ou d’animaux qui s’introduisent dans l’environnement du patient. Ces hallucinations visuelles surviennent souvent dans un contexte de vigilance altérée et accompagnent les épisodes confusionnels assez fréquents chez ces patients. Elles toucheraient jusqu’à 70 % des patients après quelques années d’évolution de la maladie. Bien que la levodopa soit souvent évoquée comme facteur augmentant la fréquence des hallucinations visuelles, il n’y a généralement pas de lien entre le traitement dopaminergique et la présence des phénomènes hallucinatoires dans la démence à corps de Lewy. La physiopathologie des hallucinations visuelles reste débattue. Des études post mortem ont montré que leur sévérité était proportionnelle à la déplétion cholinergique du cortex temporal [6]. Celle-ci, en dégradant les mécanismes de filtrage sensoriel, favoriserait l’accès à la conscience d’informations intrinsèques et sensorielles non pertinentes, à l’origine de ces perceptions sans objet. La perturbation de l’équilibre dopamine/sérotonine est également évoquée sans exclure une implication rétinienne.
Il semble aussi exister un lien entre les hallucinations visuelles et les troubles visuoperceptifs puisque la sévérité des deux phénomènes est fortement corrélée. Il est possible que la faible discrimination des contrastes et des couleurs altère la qualité des percepts visuels et réduise la qualité des informations disponibles pour leur identification, ce qui entraînerait une privation sensorielle partielle favorisant le développement des phénomènes hallucinatoires.
Moins fréquentes, des hallucinations auditives et cénesthésiques sont également signalées.
Les troubles du comportement en sommeil paradoxal reflètent un dysfonctionnement des mécanismes de contrôle de cette phase de sommeil. Ils se caractérisent par une perte de l’atonie musculaire qui accompagne physiologiquement ce stade, entraînant l’émergence d’une activité motrice qui semble mimer le rêve. Ces rêves sont la plupart du temps vécus comme des cauchemars au cours desquels le patient se sent attaqué ou poursuivi par des animaux ou des personnes menaçantes. La physiopathologie de ces troubles n’est pas clairement établie et plusieurs régions du tronc cérébral semblent impliquées : la région du périlocus cœruleus, le noyau pédonculopontin et le tegmentum latérodorsal. La rupture de l’équilibre entre l’innervation cholinergique du noyau pédonculopontin et du tegmentum latérodorsal d’une part et l’innervation noradrénergique du locus cœruleus d’autre part, semble jouer un rôle dans la genèse des troubles du comportement en sommeil paradoxal ; la voie dopaminergique mésostriatale semble également impliquée [7].
L’aggravation des hallucinations visuelles va favoriser l’apparition d’idées délirantes systématisées et relativement complexes, plus fréquentes que dans la maladie d’Alzheimer. Des épisodes anxieux peuvent s’observer. Des états dépressifs surviennent dans la moitié des cas, certaines démences à corps de Lewy débutant comme une mélancolie du sujet âgé.
Les fluctuations du comportement et de la conscience
Les fluctuations cognitives seraient un symptôme plus fréquent et plus spécifique de la démence à corps de Lewy que les hallucinations visuelles ou les signes extrapyramidaux. Définies par la survenue de brèves interruptions de la conscience, de périodes de réduction de la vigilance pendant lesquelles la confusion est accrue, elles représentent le signe le plus difficile à caractériser et force est de constater qu’il n’est pas simple, en clinique courante, d’identifier ces fluctuations et de les différencier de celles rencontrées dans les autres démences (maladie d’Alzheimer et la démence vasculaire).
Les proches signalent en effet très fréquemment des « lacunes » dans le flux de la conscience ou de l’attention, correspondant à des moments où le patient est déconnecté de la réalité et qui alternent avec des périodes de normalité. La notion d’épisodes d’errance du regard pendant lesquels le patient semble ailleurs n’est rapportée que chez les patients atteints de démence à corps de Lewy alors que dans la maladie d’Alzheimer, les proches décrivent des épisodes de confusion caractérisés par des répétitions dans le discours ou des oublis à mesure. Dans la démence à corps de Lewy, l’entourage parle de modifications d’un moment à l’autre alors que dans la maladie d’Alzheimer, il évoque des bons et des mauvais jours.
Afin d’évaluer ces fluctuations, Ferman et al. [8] ont extrait les quatre items les plus pertinents de l’échelle composite de fluctuation (tableau 10.1). Une réponse positive de l’entourage à trois parmi ces quatre items a une valeur prédictive positive de 83 % en faveur du diagnostic de démence à corps de Lewy alors que la présence de moins de trois de ces caractéristiques a une valeur prédictive négative de 70 %.
Item 1 | Présence constante ou fréquente d’une somnolence et léthargie dans la journée en dépit d’une durée de sommeil suffisante |
Item 2 | Durée cumulée de sommeil diurne d’au moins deux heures |
Item 3 | Présence de périodes prolongées de regard dans le vide |
Item 4 | Épisodes de désorganisation du langage et de la pensée |
Le syndrome parkinsonien et les signes associés
Un syndrome parkinsonien est mentionné dans trois quarts des cas. Il est parfois discret malgré l’importance des lésions anatomopathologiques. Le tableau peut être comparable à celui observé dans une maladie de Parkinson mais la fréquence du tremblement est plus faible [9]. La présentation du syndrome parkinsonien est souvent akinéto-rigide, parfois symétrique avec une expression plus franche chez les sujets jeunes. L’atteinte axiale rend compte d’une posture le plus souvent en flexion cervicale. Les troubles de la marche prédominent souvent par leur précocité et leur sévérité s’associant rapidement à une instabilité posturale avec rétropulsion. Le syndrome parkinsonien est volontiers dopasensible (70 % des cas), des mouvements involontaires (dystonie ou chorée) sont rarement rapportés.
Une sensibilité aux neuroleptiques constitue un symptôme suggestif du diagnostic observé dans 30 % des cas. Elle peut survenir même avec des doses faibles et l’utilisation de neuroleptiques atypiques, une augmentation de doses constituant également un facteur précipitant [10]. Elle se traduit dans les formes sévères par une aggravation du syndrome parkinsonien, des chutes, une confusion et une majoration des troubles cognitifs, voire par un tableau évoquant un syndrome malin des neuroleptiques. Ces traitements doivent donc être à tout prix évités chez ces patients.
D’autres signes neurologiques peuvent être observés [pour plus de détails, voir 11].
Les profils évolutifs
La démence étant une des caractéristiques principales de la maladie, elle représente logiquement le mode de révélation le plus fréquent dans près de deux tiers des cas (61 %). Les autres symptômes, notamment moteurs, apparaissent alors après quelques mois ou années d’évolution. Cependant, dans 20 % des cas, les troubles cognitifs et comportementaux restent isolés, l’atteinte sous-corticale étant sans doute en deçà du seuil d’expression clinique. Un mode de début subaigu par des hallucinations et/ou des troubles du comportement ou par un syndrome parkinsonien se rencontrerait avec la même fréquence. Dans ce dernier cas de figure, dans un délai classiquement inférieur à 1 an, mais parfois limité à quelques semaines, les troubles cognitifs s’installent progressivement. Démence et syndrome parkinsonien peuvent s’observer également conjointement dès le début de la maladie.
Les critères diagnostiques et le diagnostic différentiel
Ces critères cliniques ont été établis au cours d’une réunion de consensus international [12] et sont détaillés dans le tableau 10.2.
1. La caractéristique centrale pour le diagnostic de démence à corps de Lewy (DCL) est un déclin cognitif d’amplitude suffisante pour interférer avec une vie sociale ou professionnelle normale. Une altération mnésique importante ou persistante peut ne pas survenir au stade précoce mais devient habituellement patente avec l’évolution. Les déficits aux tests d’attention, de fonctions fronto-sous-corticales ou de capacités visuospatiales peuvent être particulièrement marqués. |
2. La présence d’au moins deux des trois caractéristiques majeures suivantes est requise pour le diagnostic de DCL probable ; la présence d’un seul de ces critères majeurs est indispensable pour le diagnostic de DCL possible : a. fluctuations de l’état cognitif avec variations franches de l’attention et de la vigilance, b. hallucinations visuelles récidivantes, précises et détaillées, c. syndrome parkinsonien. |
3. Symptômes suggestifs du diagnostic. Si un ou plus de ces critères est présent en association avec un critère majeur, le diagnostic de DCL probable peut être posé. En l’absence de critère majeur, un ou plusieurs critères suggestifs sont suffisants pour poser le diagnostic de DCL possible. a. troubles comportementaux en sommeil paradoxal, b. sensibilité sévère aux neuroleptiques, c. diminution de la fixation du transporteur de la dopamine au niveau des noyaux gris centraux mise en évidence en SPECT ou PET. |
4. Autres symptômes en faveur du diagnostic : a. chutes répétées et syncopes, b. pertes de connaissance brèves et inexpliquées, c. dysautonomie sévère (hypotension orthostatique, incontinence urinaire…), d. hallucinations autres que visuelles, e. idées délirantes systématisées, f. diminution de fixation globale en SPECT/PET avec réduction de l’activité occipitale, g. dépression, h préservation relative des structures temporales internes en TDM/IRM cérébrale, i. anomalies (hypofixation) à la scintigraphie myocardique au MIBI, j. ondes lentes prédominant en EEG avec ondes aiguës temporales. |
5. Le diagnostic de DCL est moins probable : a. en présence d’un accident vasculaire, révélé par des signes neurologiques focaux ou par l’imagerie cérébrale, b. en présence de la démonstration par l’examen physique et les examens complémentaires de toute autre affection somatique ou cérébrale suffisante pour expliquer le tableau clinique, c. si le syndrome parkinsonien seul apparaît au stade de démence sévère. |
6. Séquence temporelle des symptômes : la DCL est diagnostiquée si la démence débute avant ou en même temps que le syndrome parkinsonien (s’il est présent). Le terme « démence parkinsonienne » s’utilise pour une démence qui apparaît dans un contexte de maladie de Parkinson établie. Si nécessaire, la règle de « l’intervalle d’un an » est toujours valable pour distinguer démence parkinsonienne et DCL. Sinon, les deux phénotypes cliniques peuvent être rassemblés sous l’appellation : « maladie à corps de Lewy » ou « alpha-synucléinopathie ». |
Lorsque les troubles cognitifs sont très précoces et précèdent l’apparition du syndrome parkinsonien, il s’avère souvent difficile de distinguer cliniquement la démence à corps de Lewy et la maladie d’Alzheimer. En effet, la sémiologie clinique et la sévérité du déclin sont souvent comparables et les échelles de démence contribuent peu au diagnostic différentiel. Seule une exploration approfondie des fonctions cognitives apportera des éléments contributifs (tableau 10.3). Souvent, c’est la précocité des troubles du comportement d’emblée sévères, notamment les hallucinations visuelles, qui va faire évoquer la démence à corps de Lewy, ce que confirmera ensuite l’apparition des signes extrapyramidaux et des fluctuations de la conscience.
Délai d’apparition du déclin cognitif | |||||
---|---|---|---|---|---|
Avant ou moins de 1 an après les SEPy | Plus de 1 an après les SEPy | ||||
Maladie d’Alzheimer | Démence à corps de Lewy | Maladie d’Alzheimer | Démence de la maladie de Parkinson | ||
Type corps de Lewy | Type sous-cortico-frontal | ||||
Orientation dans le temps et l’espace | Altérée | Plutôt préservée | Altérée | Plutôt préservée | Préservée |
Encodage mnésique | Altéré | Préservé | Altéré | Préservé | Préservé |
Troubles attentionnels | Présents | Marqués | Présents | Marqués | Présents |
Fluctuations de la conscience | Faibles | Marquées | Faibles | Marquées | Faibles |
Syndrome dysexécutif | Possible | Sévère | Possible | Sévère | Sévère |
Fonctions instrumentales | Altérées | Altération possible | Altérées | Altération possible | Préservées |
Perception visuelle | Préservée | Sévèrement altérée | Préservée | Sévèrement altérée | Altération possible |
Hallucinations visuelles | Possibles | Fréquentes | Possibles | Fréquentes | Possibles |
Idées délirantes | Possibles | Possibles | Possibles | Possibles | Rares |
Signes dépressifs | Fréquents | Fréquents | Fréquents | Fréquents | Fréquents |
Anosognosie | Marquée | Discrète | Marquée | Discrète | Rare |
Les lésions neuropathologiques
La caractéristique essentielle repose sur la mise en évidence abondante et diffuse de corps de Lewy dans le système nerveux central tout particulièrement au sein du cortex (identification par méthode immunohistochimique, mise en évidence de l’ubiquitine et de l’alphasynucléine).

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