La consultation à l’adolescence

1. La consultation à l’adolescence

D. Winaver and M. Lachowsky




De l’enfance à l’adolescence




Les estrogènes qui font pousser les seins éveillent aussi des émois sexuels qui étonnent et perturbent la fillette. Beaucoup connaissent déjà le plaisir de la masturbation, découverte dans la toute petite enfance, souvent oubliée. Avec leurs seins, elles découvrent une sensualité nouvelle. La peau en est douce, le mamelon a une vie à part, son excitation procure des sensations physiques nouvelles. Les seins leur apportent une image sexuée d’elles-mêmes réfléchie dans les yeux des autres. Elles commencent à découvrir leur pouvoir de séduction.

Leur corps devient un sujet de préoccupation majeure. Les ados s’enferment dans la salle de bains, passent des heures à se regarder, tantôt désespérées, tantôt satisfaites, examinant chaque détail, se comparant aux copines et aux photos des magazines, traquant les plus petits défauts. Ce temps est nécessaire pour qu’elles s’adaptent à tant de changements. Elles veulent à la fois se différencier des normes familiales et ressembler aux autres filles de leur âge, dans un désir contradictoire d’originalité et d’identique. Les marques sur le corps, les tatouages, les piercings signalent l’appartenance à un groupe, une rupture avec l’enfance, une affirmation de la liberté à l’égard des parents, une provocation.


La première consultation


La première consultation de gynécologie n’est pas une démarche facile pour l’adolescente. Elle est le plus souvent angoissée à ce premier rendez-vous, angoisse visible ou masquée sous une fausse désinvolture. Elle vient seule ou accompagnée par une amie, par son copain ; elle vient parfois avec sa mère. Il faut être attentif à la relation mère-fille, savoir proposer de parler à l’une sans l’autre, ne pas poser de questions dont les réponses pourraient être gênantes.

La première prise de contact en face à face permet déjà d’appréhender cette jeune patiente, son vocabulaire, sa gestuelle, ses mimiques. Il faut s’y adapter. On se regarde, elle aussi observe et jauge ce médecin en face d’elle. Pour essayer de la mettre à l’aise, il convient de ne pas avoir d’attitude trop séductrice, trop chaleureuse ou trop maternelle. À l’inverse, trop de distance, trop de technicité sont néfastes. Les questions banales de la grille médicale en gynécologie ne sont pas forcément anodines pour toutes. La simple demande : « À quel âge avez-vous eu vos premières règles ? » permet parfois de savoir comment l’adolescente a intégré le début de sa féminité. Utilise-t-elle des protections internes ? Sa réaction, sa réponse renseignent sur sa liberté à l’égard de son corps ou sur les tabous maternels. Ce temps de parole est précieux pour tester ses connaissances, pour apprécier sa maturité psychosexuelle et comprendre sa vraie demande. Il ne faut pas poser d’emblée des questions qu’elle jugerait intrusives, notamment sur sa sexualité : les cases de l’interrogatoire se rempliront plus tard quand elle sera en confiance. Même si le secret médical va de soi, il est bon de lui dire, surtout si l’on soigne sa mère ou sa sœur, qu’elle a droit à une confidentialité absolue. L’examen gynécologique n’est pas obligatoire cette première fois si elle ne s’y sent pas prête et quand elle ne se plaint de rien. Il ne faut pas hésiter à l’encourager à poser à son tour toutes les questions qui la préoccupent sur son corps, son fonctionnement et parfois sa féminité. Ces interrogations poussent parfois la jeune fille à réclamer l’examen gynécologique pour se rassurer. Le vrai motif de la consultation apparaît parfois à la fin de l’entretien ou lors de cet examen.



Du physiologique au pathologique


Lorsqu’on prend le temps d’expliquer à cette jeune patiente ce qui est normal (aspect de ses sécrétions vaginales, de sa glaire cervicale, du rythme des règles, etc.), on lui donne la capacité de reconnaître ce qui doit l’alerter. Il ne faut pas craindre de redire la nécessité d’utiliser le préservatif contre les IST, même sous pilule, de proposer un test VIH en cas de changement de partenaire, de consulter rapidement si de petites excroissances (condylomes) apparaissent sur les zones génitales, masculines ou féminines. Même si les frottis cervicovaginaux ne sont plus systématiques chez l’adolescente, il faut parler des HPV (human papilloma viruses), et de leur prévention par vaccination, même et surtout si elle n’a pas encore eu de rapports sexuels, avec ou sans pénétration. Ce nouveau vaccin est un événement : il est efficace dans la prévention du cancer du col, deuxième cancer de la femme, qui tue encore 1 000 femmes par an en France (voir chapitre 15). Il reste encore cher et non remboursé ; la décision exige donc l’implication des parents. À la réaction de la jeune patiente, le médecin peut se faire une idée de la relation mère-fille. D’ailleurs, actuellement, beaucoup de mères s’en inquiètent et s’informent. On parle moins aujourd’hui des autres IST (chlamydia, gonocoque, etc.) qui sont encore responsables de stérilités tubaires. Toute anomalie (pertes, douleurs, fièvre inexpliquée, imprudences sexuelles, etc.) doit amener les adolescentes à consulter sans attendre.

Si l’examen gynécologique est accepté, pensons à tout ce que la jeune fille en a entendu dire. Elle a peur d’avoir mal, elle a honte de montrer cette partie intime d’elle-même qu’on lui a toujours appris à cacher. Il n’est pas évident d’être complètement nue, de retirer sa culotte alors qu’on la garde à la médecine scolaire, chez le pédiatre ou le généraliste. Il faut lui en expliquer le pourquoi : son poids, son développement pubertaire, sa peau, sa pilosité reflètent son état hormonal. La table gynécologique n’est pas engageante. Trop courte pour s’y allonger complètement, elle oblige à une position vécue comme impudique, humiliante. Les instruments font peur, la lumière est crue. Ménageons sa pudeur, annonçons nos gestes au fur et à mesure, nommons chaque partie de son corps que l’on examine, décrivons ce que l’on cherche et ce que l’on perçoit tout au long de l’examen. Faisons-la participer. Il est bon de lui faire toucher le spéculum si elle le désire : il est lisse, il ne peut pas blesser. Le réchauffer à l’eau tiède le rend un peu moins déplaisant. On peut lui proposer d’apprendre à connaître sa vulve, son vagin et son col dans un miroir si cela l’intéresse, sans insister. Mais restons attentifs à son comportement. C’est parfois au cours de l’examen qu’elle osera évoquer des attouchements, ou pire. Gestes de protection, défense des releveurs, pleurs, malaise vagal nous alertent et forcent notre parole. Elle a peur que son corps livre au regard du médecin un secret dont elle a honte. C’est souvent à ce moment qu’elle se plaindra de telle ou telle disgrâce qui l’inquiète ou l’obsède, de vergetures, d’une asymétrie d’une petite lèvre ou des seins, d’une pilosité qui la choquent. Elle ne veut se déshabiller devant personne, elle se voit anormale et se vit comme telle. Nous ne devons pas ignorer cette plainte. Il convient cependant de faire attention à une dysmorphophobie, névrose qui mérite une prise en charge psychothérapique et pas seulement quelques paroles rassurantes.

À l’issue de l’examen, le soulagement de l’adolescente est généralement palpable. Pas seulement parce que c’est fini et que ça n’a pas été trop douloureux, mais parce qu’elle a bien réussi l’épreuve de l’examen gynécologique, ce nouveau rite de passage. Oui, elle est normale. Elle gagne une sorte de confiance en elle et en ce médecin. Elle sera souvent plus accessible aux informations sur les préventions que lors de l’interrogatoire, premier face à face de part et d’autre du bureau.

Être ni moralisateur, ni normatif, ni protecteur, ni intrusif, prendre du temps permet parfois à l’adolescente de savoir où elle en est, même si l’on sait que tout peut changer demain.


Les pathologies


La gynécologie de l’adolescence est en général une médecine de bien-portantes, où la pédagogie, information et communication, a autant d’importance que la clinique.


Comme exposé plus haut, la vaccination prophylactique contre les HPV oncogènes (voir chapitre 15) sera demain le moyen le plus sûr de prévenir le cancer du col. Elle devra être pratiquée dans la préadolescence. Comme pour toute vaccination, les parents sont concernés, mais il n’est pas toujours facile pour eux de se projeter si tôt dans la sexualité de leur enfant.

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Apr 27, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on La consultation à l’adolescence

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