25. Item 174 – Prescriptions et surveillance des anti-inflammatoires stéroïdiens et non stéroïdiens
ECN
◗ Prescrire et surveiller un traitement par les anti-inflammatoires stéroïdiens et non stéroïdiens, par voie générale et par voie locale.
Cofer
◗ Connaître les principales classes d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et anti-inflammatoires stéroïdiens (AS) (molécules, voies d’administration et propriétés pharmacologiques).
◗ Connaître le mécanisme d’action des AINS et AS.
◗ Connaître les principales indications, avec leur niveau d’efficacité, des AINS et AS (par voie locale et par voie générale) dans le domaine de l’appareil locomoteur.
◗ Connaître les contre-indications absolues et relatives des AINS et AS (par voie locale et par voie générale) ainsi que leurs principales interactions médicamenteuses.
◗ Connaître les effets indésirables des AINS et AS (par voie locale et par voie générale) et leurs facteurs favorisants. Savoir prévenir les complications des traitements par des AINS et AS (par voie locale et par voie générale).
◗ Connaître les modalités de prescriptions et de surveillance de ces thérapeutiques.
I. Prescription et surveillance des anti-inflammatoires stéroïdiens
Les anti-inflammatoires stéroïdiens ou (gluco) Corticoïdes corticoïdes sont des dérivés synthétiques des hormones naturelles, cortisol et cortisone — dont ils se distinguent par un pouvoir anti-inflammatoire plus marqué et, à l’inverse, un moindre effet minéralocorticoïde (tableau 25.1 et 25.2).
*Hormone naturelle (référence). | ||||
Nature | Spécialités | Effet anti-inflammatoire | Effet minéralocorticoïde | Demi-vie biologique |
---|---|---|---|---|
Cortisol* | Hydrocortisone® | 1 | 1 | 8–12 heures |
Prednisone Prednisolone Méthylprednisolone Triamcinolone Bétaméthasone Dexaméthasone | Cortancyl® Solupred® Médrol® Kénacort Retard® Betnesol® Dectancyl® | 4 4 5 5 25-30 25-30 | 0,8 0,8 0,5 0 0 0 | 18–36 heures 18–36 heures 18–36 heures 36–54 heures 36–54 heures 36–54 heures |
Prednisone | 5 mg |
---|---|
Cortisone | 25 mg |
Hydrocortisone | 20 mg |
Prednisolone | 5 mg |
Méthylprednisolone | 4 mg |
Triamcinolone | 4 mg |
Paraméthasone | 2 mg |
Bétaméthasone | 0,75 mg |
Dexaméthasone | 0,75 mg |
Cortivazol | 0,3 mg |
A. Caractéristiques générales
1. Propriétés thérapeutiques
a. Action anti-inflammatoire
L’activité anti-inflammatoire des corticoïdes s’exerce sur les différentes phases de la réaction inflammatoire et se manifeste dès les faibles doses (de l’ordre de 0,1 mg/kg par jour d’équivalent prednisone). L’importance de cette propriété varie selon le dérivé, parallèlement à la durée de l’effet freinateur de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien ou demi-vie biologique (tableau 25.1). En l’absence d’un processus inflammatoire, les corticoïdes (contrairement aux AINS) n’ont pas d’effet antalgique.
b. Actions antiallergique et immunosuppressive
Ces deux propriétés requièrent habituellement des posologies plus élevées que celles nécessaires à l’activité purement anti-inflammatoire.
2. Formes pharmaceutiques
La corticothérapie générale fait essentiellement appel à la voie orale, qui assure le plus souvent une bonne biodisponibilité du médicament. Les solutions d’esters hydrosolubles et les suspensions microcristallines sont destinées à l’administration parentérale et aux injections locales. Ces dernières s’accompagnent toujours d’un passage systémique du corticoïde.
3. Principaux effets indésirables
La plupart des effets indésirables des corticoïdes sont inhérents à leurs propriétés pharmacologiques (« effets secondaires »). Leur fréquence et leur gravité dépendent de la posologie quotidienne et/ou de la durée du traitement, mais aussi de la susceptibilité individuelleet du terrain physiopathologique du malade, d’où la notion de « facteurs prédisposants » pour l’une ou l’autre complication. La nature du dérivé et la voie d’administration interviennent également dans certains cas.
a. Hypercorticisme iatrogène
Hypercorticisme iatrogèneIl associe à des degrés divers :
• une obésité faciotronculaire ;
• une hypokaliémie et une rétention hydrosodée (œdèmes, augmentation de la pression artérielle) pour les dérivés pourvus d’une action minéralocorticoïde. Le risque est en fait mineur quand la posologie de prednisone reste en deçà de 10 mg par jour. La prise de poids parfois constatée relève aussi d’une stimulation de l’appétit par les corticoïdes ;
• une intolérance au glucose, d’où l’éventuelle révélation ou décompensation d’un diabète ;
• une hyperlipidémie, qui à long terme contribuerait au développement de l’athérosclérose ;
• des manifestations cutanées, fréquentes lors d’un traitement prolongé même à faible dose, consistant en une atrophie cutanée, une fragilité de la peau et des capillaires (lésions purpuriques, ecchymoses), surtout marquée chez les personnes âgées, une acné, une hypertrichose, des vergetures, des folliculites, un retard à la cicatrisation des plaies ;
• une myopathie des ceintures, caractérisée par une atrophie et une faiblesse musculaires prédominant à la racine des membres inférieurs, mais n’apparaissant généralement qu’après quelques semaines ou mois d’une corticothérapie supérieure à 10 mg par jour d’équivalent prednisone ;
• une déperdition osseuse, essentiellement trabéculaire, à la fois dose et durée-dépendante, mais plus nette au cours des 6 à 12 premiers mois de traitement et partiellement réversible à l’arrêt des corticoïdes. Le risque d’ Ostéoporose cortisoniqueostéoporose cortisonique varie en outre selon le capital osseux initial, expliquant la prédisposition des femmes âgées, ménopausées, aux fractures (vertèbres, côtes et, plus rarement, col fémoral) ;
• des Ostéonécroseostéonécroses épiphysaires, parfois bilatérales, voire multifocales, touchant avec prédilection les têtes fémorales chez l’adulte et les condyles fémoraux chez l’enfant. On les observe principalement après l’emploi de fortes posologies de corticoïdes ;
• un retard de croissance chez l’enfant ;
• une aménorrhée, une impuissance.
Finalement, la freination prolongée de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien peut aboutir à une Insuffisance surrénalienneinsuffisance ou une atrophie surrénale – dont il convient de prévenir l’expression clinique (cf. infra).
b. Complications digestives
Les corticoïdes sont volontiers responsables de dyspepsie et ils favorisent les perforations intestinales, notamment en cas de diverticulose colique, fréquente chez le sujet âgé. Concernant la muqueuse gastroduodénale, les corticoïdes sont peu ulcérogènes en eux-mêmes, notamment à faible dose, mais ils potentialisent l’ulcérogénicité des AINS. Ainsi, un ulcère gastroduodénal ne contre-indique pas la corticothérapie systémique à condition d’associer le traitement antiulcéreux approprié.
c. Risque infectieux
Les infections sont la conséquence d’une moindre résistance aux agents bactériens, viraux parasitaires ou fongiques, induite par les corticoïdes — manifeste à partir de 20 mg par jour d’équivalent prednisone — et, éventuellement, l’immunodépression liée à la maladie sous-jacente ou aux thérapeutiques et états morbides associés. Il peut s’agir de la reviviscence d’une infection latente, « enclose » (tuberculose, anguillulose, toxoplasmose, herpès, zona, etc.) ou d’une surinfection, quelquefois due à un germe opportuniste. La sémiologie d’appel des surinfections est souvent pauvre : il faut en évoquer l’hypothèse devant toute fièvre isolée persistante. Comme les corticoïdes entraînent une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, cette perturbation biologique ne saurait constituer à elle seule un argument en faveur d’un processus septique.
d. Manifestations neuropsychiques
En plus de leur effet orexigène, les corticoïdes exercent une action insomniante et excitatrice chez certains patients. Aux posologies élevées, généralement supérieures à 40 mg par jour d’équivalent prednisone, ils peuvent provoquer des troubles psychiatriques (dépression, délire, hallucinations, agitation maniaque), de survenue précoce.
e. Complications oculaires
La cataracte postérieure sous-capsulaire est une complication tardive, mais commune (> 10 %) des corticoïdes, même à faible dose. Longtemps asymptomatique, elle est dépistée par la surveillance ophtalmologique annuelle recommandée lors d’une corticothérapie prolongée, notamment chez le sujet âgé. Les glaucomes sont bien plus exceptionnels et se rencontreraient surtout sur un terrain prédisposé (diabète, myopie, antécédent familial de glaucome).
f. Complications particulières aux infiltrations
Les Infiltration de corticoïdeinfiltrations de corticoïdes exposent à des effets généraux liés à la diffusion systémique du médicament. Certains sont particuliers à cette voie : flush (bouffée vasomotrice, céphalées) et réactions d’hypersensibilité immédiate (éruption, œdème de Quincke, voire choc) — parfois dues à des conservateurs (sulfites) présents dans des préparations injectables.
Les infiltrations intra-articulaires de corticoïdes en suspension se compliquent rarement d’une arthrite aiguë microcristalline, qui se déclare dans les 24 heures suivant le geste et s’estompe en 1 à 2 jours. Les arthrites septiques sont exceptionnelles (moins de 1 pour 10 000 infiltrations) quand on respecte les contre-indications et précautions d’asepsie. Leur délai d’apparition est plus long (supérieur à 24 heures) ; l’analyse bactériologique du liquide synovial est impérative.
Des ruptures tendineuses et des atrophies cutanées localisées sont possibles après une infiltration. La corticothérapie générale peut aussi conduire à une fragilisation tendineuse (tendons d’Achille surtout).
g. Complications cardiovasculaires
La corticothérapie au long cours augmente le risque de mortalité cardiovasculaire. Par exemple, dans la polyarthrite rhumatoïde, le risque est réel et augmente en fonction de la dose journalière (risque au-dessus de 0,15 mg/kg/j).
h. Autre complication
Il s’agit de la lipomatose épidurale.
B. Modalités de prescription et de surveillance
1. Corticothérapie par voie générale
En dehors des administrations à dose massive (bolus), les corticoïdes comportent peu de risques quand ils sont employés durant une période brève (7 à 10 jours au plus), sans toutefois mettre à l’abri de complications précoces liées à leurs effets diabétogène, immunodépresseur, digestif, ou minéralocorticoïde. Des manifestations psychiatriques et une hypertonie intraoculaire sont également possibles. Une corticothérapie courte n’impose pas de sevrage progressif.
Les modalités de prescription sont plus contraignantes lors d’une corticothérapie prolongée.
« Il faut utiliser les corticoïdes à la plus petite dose possible pendant le moins longtemps possible. »
a. Bilan préalable
Il vise à évaluer le terrain physiopathologique du patient, à la recherche notamment d’affections susceptibles de se décompenser sous corticoïdes ou de facteurs prédisposant à leurs complications. Un bilan préthérapeutique minimal a été proposé (tableau 25.3), qu’il y a lieu de compléter selon les données de l’interrogatoire et de l’examen clinique.
Examens | Biologie |
---|---|
Poids Pression artérielle Recherche de foyers infectieux (ORL, stomatologie, etc.) Électrocardiogramme IDR à la tuberculine Radiographie pulmonaire Ostéodensitométrie | Numération-formule sanguine Ionogramme sanguin dont la kaliémie Glycémie à jeun Uroculture (si dépistage positif par bandelette urinaire) Bilan lipidique Examen parasitologique des selles (si séjour récent ou patient originaire d’une région tropicale) |
On admet qu’ il n’existe pas d’interdit absolu à l’emploi des corticoïdes s’ils sont indispensables— ce qui suppose une certitude diagnostique. Mais dans certains cas, le recours aux corticoïdes ne se conçoit qu’ après une évaluation soigneuse du rapport bénéfice/risque. Une infection patente (en particulier l’herpès, le zona oculaire, la varicelle, l’anguillulose, la tuberculose, les mycoses, la trypanosomiase, la toxoplasmose et les hépatites virales aiguës) est en principe une contre-indication au moins transitoire à la corticothérapie, le temps que l’infection soit maîtrisée par un traitement approprié. Si l’indication des corticoïdes prime, on peut aussi être amené à traiter concomitamment une poussée hypertensive, un ulcère gastroduodénal, un diabète déséquilibré, etc.
De même, la corticothérapie est compatible avec la grossesse puisqu’elle n’est pas tératogène. Par prudence, il convient de prévoir l’accueil du nouveau-né dans une unité spécialisée malgré la rareté de l’insuffisance surrénale néonatale. L’allaitement est en revanche déconseillé si la mère prend une corticothérapie à dose importante.
b. Choix du médicament
On opte généralement pour la prednisone parce qu’elle offre un bon compromis entre activité anti-inflammatoire d’une part, et importance de la dépression hypothalamo-hypophysaire et de la rétention hydrosodée d’autre part. Ce dérivé est en outre très maniable puisqu’il est disponible sous la forme de comprimés dosés à 1 mg, 5 mg et 20 mg. Enfin, il a l’avantage d’une absorption digestive plus constante et régulière que le sel de prednisolone commercialisé en France.
c. Modalités d’administration
La posologie initiale dépend de la maladie à traiter, de sa sévérité et de la sensibilité individuelle du patient (réponse et tolérance).
On peut schématiquement opposer :
• la Polyarthrite rhumatoïdepolyarthrite rhumatoïde sans manifestations extra-articulaires, pour laquelle on recommande une faible posologie (objectif de dose quotidienne inférieure à 0,15 mg/kg) et où l’ajustement posologique se fait au milligramme ;
• la Maladie de Hortonmaladie de Horton ou les formes graves de vascularites systémiques, qui requièrent à l’inverse des doses moyennes (0,5 mg/kg par jour) ou fortes (1 mg/kg par jour) de prednisone, qui seront maintenues jusqu’à ce que l’affection soit contrôlée.
Il est classiquement conseillé d’administrer les corticoïdes en une prise matinale unique pour limiter leur action frénatrice sur l’axe hypothalamo-hypophysaire. Mais dans la polyarthrite rhumatoïde, le fractionnement de la dose en deux prises (deux tiers le matin, un tiers le soir) assure une meilleure couverture du nycthémère, sans obliger à augmenter la posologie. De même, les fortes doses sont volontiers divisées en deux ou trois prises journalières, notamment à la phase initiale du traitement.
d. Mesures adjuvantes
Elles essaient de prévenir ou limiter les complications attendues de la corticothérapie.Elles sont d’autant plus justifiées que la durée prévisible du traitement est supérieure à 2 semaines et que la posologie de prednisone dépasse 15 mg par jour. Il convient de les mettre d’emblée en œuvre en les adaptant au terrain du patient. Elles consistent principalement en :
• des mesures hygiénodiététiques : restriction, voire suppression des sucres d’absorption rapide ; limitation des apports sodés et supplémentation en potassium (selon le type de corticoïde et sa dose) ; régime enrichi en laitages et protides ; activité physique régulière (si l’affection l’autorise) ;
• prévention de la déperdition osseuse : fonction de l’état hormonal et squelettique initial. Elle comporte au minimum un apport calcique suffisant associé à de la vitamine D (800 UI par jour), complété par un Bisphosphonatebisphosphonate chez les sujets à risque, nécessitant une corticothérapie prolongée supérieure à 3 mois par voie générale et à dose supérieure à 7,5 mg par jour d’équivalent prednisone ;