14. Item 117 – Lupus érythémateux disséminé. Syndrome des antiphospholipides
ECN
◗ Diagnostiquer un lupus érythémateux disséminé et un syndrome des antiphospholipides.
Cofer
◗ Savoir reconnaître les signes cliniques et biologiques, les examens complémentaires utiles à la confirmation du diagnostic de lupus érythémateux disséminé (LED) et de syndrome des antiphospholipides (SAPL).
◗ Connaître les objectifs, les moyens médicamenteux et non médicamenteux et les grandes indications thérapeutiques en fonction de la sévérité du LED.
◗ Connaître les principaux éléments utiles au suivi, à la surveillance de l’efficacité et de la tolérance du traitement du LED et du SAPL.
◗ Connaître les principes thérapeutiques d’un SAPL en cas de risque thrombotique et/ou de risque obstétrical en particulier chez la femme enceinte.
◗ Connaître les particularités de la contraception et de la grossesse chez une patiente lupique.
I. Définitions
Le lupus érythémateux disséminé (LED) est une des principales Maladie auto-immunemaladies auto-immunes systémiques. Cette affection est caractérisée par un important polymorphisme clinique, marqué essentiellement par des signes rhumatologiques, dermatologiques, hématologiques et néphrologiques. Le mot lupus, qui signifie « loup » en latin, est employé dès la fin du Moyen Âge pour décrire des lésions cutanées de la face. Ce n’est que bien longtemps après, dans les années 1850, que ce terme a été utilisé pour désigner des lésions dermatologiques du visage du LED, ressemblant aux masques de carnaval.
Le syndrome des antiphospholipides est une maladie auto-immune individualisée au cours des années 1980, caractérisée par l’association d’anticorps antiphospholipides et d’un syndrome d’hypercoagulabilité, pouvant affecter les gros vaisseaux sanguins (veines et artères), se manifestant par des accidents thrombotiques ou emboliques, ou les vaisseaux plus petits (veinules, artérioles et capillaires), se manifestant alors par une microangiopathie thrombotique. Ces accidents thrombotiques peuvent potentiellement concerner n’importe quel organe du corps humain et entraîner des complications au cours de la grossesse.
II. Épidémiologie
Le LED est la maladie systémique la plus fréquente après le Syndrome de Gougerot-Sjögrensyndrome de Gougerot-Sjögren. Dans une population caucasoïde, la prévalence est évaluée de 10 à 60 pour 100 000 habitants. Il touche électivement l’adulte jeune, en particulier la femme, avec un sex-ratio de 8 femmes pour 1 homme. L’incidence est maximale entre 15 et 45 ans. Cette affection est plus fréquente et souvent plus sévère en Asie, en Amérique du Sud et chez les Afro-Américains.
La prévalence des anticorps antiphospholipides est évaluée de 1,2 à 2,7 % (anticoagulant lupique) et de 1 à 5,6 % (anticorps anticardiolipine) chez les sujets sains, alors qu’elle est comprise entre 11 et 30 % (anticoagulant lupique) et entre 17 et 86 % (anticorps anticardiolipine) chez les sujets lupiques, ces grandes disparités étant attribuables à l’hétérogénéité des maladies lupiques et des méthodes de détection utilisées dans ces études épidémiologiques.
L’estimation de la prévalence du syndrome des antiphospholipides au cours du LED est généralement de l’ordre de 30 %.
III. Pathogénie
A. Mécanismes lésionnels
Le LED est une Maladie auto-immunemaladie auto-immune, ce qui suggère un dérèglement du fonctionnement du système immunitaire. Globalement, on observe une hyperactivité du système immunitaire humoral et cellulaire qui se traduit par une cascade d’événements inflammatoires à l’origine de la production de différents autoanticorps et de diverses lésions tissulaires. Les phénomènes à l’origine de la plus grande fréquence de lésions de certains organes s’expliquent probablement par différents mécanismes :
• dépôts non spécifiques de Complexes immunscomplexes immuns circulants dans certains organes prédisposés (rein, peau, tissu synovial) ;
• formation « locale » de dépôts d’immuns complexes intratissulaires, dirigés contre des autoantigènes tissulaires spécifiques de certains organes (rein, peau, etc.).
La phase initiale serait médiée par le matériel antigénique des cellules en apoptose capté par un type particulier de cellules dentritiques fournissant des antigènes et stimulant la production d’interféron (IFN). Une fois le processus initié, la production d’IFN provoque l’activation des cellules autoréactives (B et T), la maturation et la survie des B autoréactifs. Les autoanticorps produits forment des complexes immuns constitués de molécules dérivées des cellules apoptotiques. Ces effets combinés aboutissent au « cercle vicieux » du processus auto-immun.
Le rôle pathogène des anticorps antiphospholipides a été confirmé in vivo sur différents modèles animaux ayant permis d’étudier les mécanismes des thromboses vasculaires, de l’activation des cellules endothéliales et des fausses couches. Ainsi, les anticorps antiphospholipides induisent l’activation des cellules endothéliales, conduisant à une surexpression des molécules d’adhésion (ICAM-1, VCAM-1 et sélectine E) et à une production de facteur tissulaire ( Tissue Factor, TF). Ils induisent par ailleurs l’activation des plaquettes et interagissent avec différents éléments de la cascade de la coagulation. Ils activent finalement la cascade du complément, ce qui aboutit à des lésions des cellules endothéliales, responsables d’un état d’hypercoagulabilité se compliquant d’accidents thrombotiques.
B. Facteurs étiologiques
1. Facteurs génétiques
Le « poids » de la génétique est difficile à apprécier dans cette affection multifactorielle. Néanmoins, il existe des cas familiaux dans 2 à 5 % des cas avec, en cas de jumeaux monozygotes, une concordance de l’ordre de 30 %. Il est intéressant de noter que, dans certaines familles, si l’on ne retrouve pas d’authentique lupus, plusieurs autres membres de la famille sont atteints d’autres maladies auto-immunes — polyarthrite rhumatoïde, syndrome de Gougerot-Sjögren, thyroïdite —, ce qui suggère qu’il n’y a pas de gène totalement spécifique d’une maladie auto-immune.
Différents facteurs génétiques ont été précisément décrits dans le lupus, en particulier les gènes des protéines du Complémentcomplément (C1Q, C2, C4), les gènes associés à l’haplotype A1 B8 DR3. Il existe vraisemblablement d’autres gènes intervenant dans la réaction immunitaire dont certains sont portés par le chromosome 1.
2. Facteurs immunologiques
Différents facteurs immunologiques favorisent le lupus. On citera notamment des anomalies de l’apoptose, avec un déficit de clairance des corps apoptotiques ; des anomalies de signalisation intracellulaire concernant les cellules T, avec une diminution de l’expression de la chaîne ζ du récepteur des cellules T et de la protéine kinase C ; ainsi que des anomalies du réseau cytokinique, avec notamment une surexpression de l’interféron de type I et une diminution de la production d’interleukine 2. Plus récemment, les polynucléaires neutrophiles ont été impliqués.
Le rôle de cellules dendritiques plasmacytoïdes et de leur production importante d’IFN alpha (de type I) dans la physiopathologie de l’inflammation lupique a été souligné depuis quelques années. Il s’agit de la signature interféron.
3. Facteurs d’environnement
Les facteurs d’environnement les plus influents dans cette maladie sont certainement les rayonnements ultraviolets (UV), capables d’induire des lésions cutanées mais également des poussées évolutives de la maladie. Les facteurs toxiques (tartrazine) ou des médicaments peuvent également avoir un rôle, mais ne sont responsables que d’une minorité (moins de 10 %) de maladies lupiques. Le rôle d’agents infectieux, en particulier viraux (rétrovirus), est suggéré par l’étude de modèles animaux et est toujours étudié.
4. Facteurs endocriniens
Ces facteurs sont particulièrement importants dans le lupus car la prise d’ Œstrogènesœstrogènes (pilule contraceptive, hormonothérapie substitutive) ou la grossesse peuvent déclencher une poussée de la maladie.
Ces facteurs hormonaux expliquent aussi la gravité des lupus masculins survenant chez les patients atteints de syndrome de Klinefelter et le rôle bénéfique, au moins expérimental, de l’hormonomodulation antiœstrogénique.
IV. Quand faut-il évoquer le diagnostic de lupus ?
Le diagnostic initial peut être difficile mais il doit être fait précocement car certaines manifestations viscérales peuvent mettre en jeu le pronostic vital. Le début d’un LED peut être progressif, marqué par l’apparition successive de plusieurs signes cliniques, ou assez brutal, déclenché par une exposition solaire, une grossesse, un épisode infectieux, un traumatisme psychique ou physique ou la prise d’un médicament.
Différentes manifestations clinicobiologiques peuvent faire évoquer un lupus. Leur prévalence est résumée dans la figure 14.1. Aucune lésion n’est constante et les pourcentages indiqués correspondent à la prévalence tout au long de l’évolution de la maladie.
Fig. 14.1 |
La maladie auto-immune associée au lupus la plus fréquente est le syndrome de Gougerot-Sjrögren.
A. Circonstances cliniques évocatrices
1. Signes généraux (50 à 80 % des cas)
Au cours de l’évolution de la maladie, il est fréquent d’observer des signes généraux (fièvre, asthénie, anorexie). Il s’agit souvent de signes d’évolutivité de la maladie.
2. Manifestations articulaires et osseuses (60 à 90 % des cas)
Les manifestations articulaires et osseuses sont fréquentes, polymorphes et souvent inaugurales. Il s’agit d’arthralgies migratrices des petites articulations (doigts et poignets) (25 %), assez souvent d’arthrites (65 % des cas), avec parfois un véritable tableau de Polyarthritepolyarthrite qui se différencie de la polyarthrite rhumatoïde par l’absence de synovite importante et surtout d’érosions osseuses. Exceptionnellement, on observe des déformations liées à une subluxation des tendons des doigts dénommée Rhumatisme de Jaccoudrhumatisme de Jaccoud (figure 14.2). Des Ténosynoviteténosynovites (surtout des fléchisseurs des doigts) sont possibles.
Fig. 14.2 |
Les atteintes osseuses sont beaucoup plus rares (5 % des cas). Il s’agit essentiellement d’ Ostéonécrose aseptiquesostéonécroses aseptiques (tête fémorale, tête humérale) qui sont habituellement induites par la corticothérapie. Ces ostéonécroses pourraient être plus fréquentes quand il existe un Syndrome des antiphospholipidessyndrome des antiphospholipides.
3. Atteintes cutanéomuqueuses (60 à 75 % des cas)
Les lésions cutanées (14.3, 14.4 and 14.5, cf. cahier couleur) sont parfois déclenchées ou aggravées par l’exposition solaire, ce qui explique leur localisation caractéristique dans les zones photoexposées (visage, décolleté, mains). Si l’atteinte du visage est caractéristique, il existe de nombreuses autres localisations assez polymorphes dont la fréquence est variable :
• une éruption érythématosquameuse en Vespertiliovespertilio (ou en « ailes de chauve-souris ») touchant les racines du nez, s’étendant vers les pommettes (en respectant les paupières) (10 à 50 % des cas) ;
• des plaques érythématosquameuses des zones photoexposées (10 à 60 % des cas) ;
• une photosensibilité (15 à 50 % des cas) ;
• des lésions discoïdes à limites nettes avec un centre atrophique (lupus discoïde) (10 % des cas) ;
• des lésions de vascularite se manifestant par un purpura, rarement par une nécrose ou des lésions infiltrées urticariennes (5 à 20 % des cas) ;
• des ulcérations muqueuses le plus souvent buccopharyngées (1 à 30 % des cas) ;
• une Alopéciealopécie en plaques ou, plus rarement, diffuse et complète. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une chute modérée de cheveux au brossage quotidien ;
• un Acrosyndromeacrosyndrome, avec parfois un authentique Phénomène de Raynaudphénomène de Raynaud (30 % des cas), exceptionnellement compliqué de troubles trophiques ;
• des lésions évoquant un syndrome des antiphospholipides : livedo, ulcère veineux pseudophlébitique, hémorragie sous-unguéale (moins de 10 % des cas).
La biopsie cutanée permet la recherche en immunofluorescence de dépôts d’ Immuns complexesimmuns complexes (IgG, IgM) et de complément à la jonction dermoépidermique en peau lésée, mais aussi en peau saine. Néanmoins, cette biopsie n’est justifiée que quand les lésions cutanées sont atypiques.
4. Atteintes rénales (30 à 50 % des cas)
L’atteinte rénale, qui peut être révélatrice, est glomérulaire. Elle se traduit par des anomalies biologiques urinaires (protéinurie, hématurie, leucocyturie), parfois par un véritable syndrome néphrotique (surtout dans les formes extramembraneuses). Elle survient souvent au cours des premières années d’évolution. Dans les formes sévères, l’évolution peut se faire vers une insuffisance rénale associée ou non à une hypertension artérielle (10 à 30 % des cas).
La Biopsie rénalebiopsie rénale est justifiée dès qu’il existe des anomalies biologiques urinaires inexpliquées. Il faut savoir qu’il n’y a pas forcément de parallélisme entre les anomalies urinaires et les lésions histologiques. L’étude immunohistologique permet d’identifier différents tableaux de gravité variable définis par une classification de l’OMS :
• lésions glomérulaires minimes (type 1) ;
• glomérulonéphrite mésengiale (type 2) ;
• glomérulonéphrite segmentaire et focale (type 3) ;
• glomérulonéphrite proliférative diffuse (forme la plus sévère) (type 4) ;
• glomérulonéphrite extramembraneuse (type 5) ;
• glomérulonéphrite avec sclérose diffuse (type 6).
5. Manifestations cardiovasculaires
a. Manifestations cardiaques (10 à 30 % des cas)
La Péricarditepéricardite (figure 14.6) est la complication la plus fréquente, souvent asymptomatique, révélée par l’échographie. La tamponnade est rare mais possible. La Myocarditemyocardite, également rare (5 à 15 % des cas), ne se traduit souvent que par des signes électriques. Les risques de troubles du rythme et/ou de la conduction ou d’insuffisance cardiaque sont faibles (moins de 10 % des cas).
Fig. 14.6 |
L’ECG doit être systématique.
Des lésions de l’endocarde peuvent être observées, surtout sur la valve mitrale. L’échographie peut montrer des végétations aseptiques, ce qui explique que l’on parle d’« Endocardite verruqueuse de Libmann-Sachsendocardite verruqueuse de Libmann-Sachs ». Les complications sont rares, mais des embolies ou exceptionnellement des greffes septiques sont possibles.
b. Atteintes vasculaires (1 à 15 % des cas)
Les vascularites lupiques, qui n’ont aucune spécificité histologique, peuvent toucher les vaisseaux de presque tous les calibres. C’est une complication rare au cours du lupus.
c. Syndrome des antiphospholipides (30 % des cas)
Syndrome des antiphospholipidesLes thromboses veineuses ou artérielles répétées caractérisent le syndrome des antiphospholipides. Ce syndrome, observé dans 20 à 30 % des lupus, peut être particulièrement sévère (embolie pulmonaire, nécrose d’origine artérielle).
6. Atteintes pleuropulmonaires (15 à 40 % des cas)
Les atteintes les plus fréquentes sont des pleurésies souvent sérofibrineuses (15 à 40 % des cas). Les autres atteintes pulmonaires (atteintes interstitielles) sont exceptionnelles (1 à 10 % des cas). Une Hypertension artérielle pulmonairehypertension artérielle pulmonaire secondaire postembolique ou primitive peut être parfois observée.
7. Manifestations neuropsychiatriques (20 à 50 % des cas)
Les atteintes neurologiques périphériques sont assez rares. En cas de mononeuropathie multiplexe, il faut penser à une éventuelle vascularite lupique.
Le neurolupus central est une entité polymorphe comprenant :
• des manifestations comitiales généralisées ou localisées ;
• des signes localisés liés à une vascularite cérébrale ;