146 Goutte
Introduction
Les arthropathies microcristallines sont des maladies causées par la précipitation de cristaux pro-inflammatoires dans les espaces synoviaux ou ténosynoviaux. Ce caractère pro-inflammatoire tient à la nature particulière de certains cristaux. Dans le système musculosquelettique, le cristal pro-inflammatoire le plus commun est l’urate de sodium, responsable de la goutte. Ce chapitre traite de la physiopathologie de la formation de cristaux d’acide urique dans les espaces synoviaux, des différents tableaux cliniques de la goutte et des traitements respectifs de ces entités nosologiques.
Étiologie et pathogénie
L’incidence cumulée de la goutte sur une période de 20 ans est d’environ 8 %, avec une prédominance masculine. Le risque d’une attaque de goutte aiguë augmente avec la concentration sérique d’acide urique. À un taux sérique d’urate de 9 mg/dl, le risque de développer la goutte est environ 5 fois plus élevé que chez une personne avec un taux normal. Bien que le taux sérique soit élevé chez la plupart des patients, il peut être faussement bas, en particulier lors d’une exacerbation aiguë de la maladie, lorsque l’acide urique est consommé dans les espaces synoviaux par le processus de cristallisation.
L’acide urique est un catabolite provenant de la dégradation biochimique des purines ; il est éliminé et sécrété principalement par voie rénale. Une élévation de la concentration sérique d’acide urique et la goutte qui en résulte passent par l’un des trois mécanismes suivants : une excrétion rénale insuffisante, un défaut génétique causant une surproduction ou un renouvellement cellulaire élevé.
Une excrétion rénale insuffisante est responsable de 85 à 90 % des cas de goutte clinique. Dans certains cas, ce défaut est dû à une anomalie génétique présumée dans le traitement de l’acide urique par le rein. Cette diminution d’excrétion peut également faire suite à une atteinte tubulaire (avec une clairance de la créatinine normale) ou à une maladie entraînant une diminution de la fonction rénale globale. Des médicaments et diverses substances diminuent l’excrétion rénale de l’acide urique, comme les diurétiques thiazidiques et les diurétiques de l’anse, la ciclosporine, l’éthambutol, l’alcool, le plomb et l’aspirine à faible dose ; tous peuvent entraîner une excrétion insuffisante et une hyperuricémie.
Les anomalies génétiques dans la voie biochimique d’élimination des purines aboutissant à la surproduction d’acide urique causent 5 % des cas de goutte clinique (figure 146.1). Une activité accrue de la PRPP synthétase (la consommation d’alcool se traduit également par une activité accrue de cette enzyme) et un déficit partiel ou complet de l’enzyme HGPRT de la voie de récupération des purines sont les anomalies enzymatiques les plus fréquentes impliquées dans ce mécanisme de l’hyperuricémie. Un déficit complet de l’enzyme HGPRT est responsable du syndrome de Lesch-Nyhan avec ses séquelles neurologiques. Ce syndrome s’observe presque exclusivement chez l’enfant.
Des renouvellements cellulaires accélérés causent une surproduction d’acide urique chez des patients dont la voie biochimique des purines est normale (goutte secondaire). Cela peut survenir, notamment, dans les cancers hématologiques, en particulier le myélome multiple chez les patients âgés, durant une chimiothérapie contre un cancer hématologique ou métastatique, au début du traitement d’une anémie pernicieuse et dans certaines affections cutanées exfoliatives comme le psoriasis (voir la figure 146.1).
Tableau clinique
Goutte aiguë
La goutte aiguë classique touche généralement l’articulation métatarsophalangienne du gros orteil. Cette monoarthrite aiguë, connue sous le nom de « podagre », survient de manière soudaine, habituellement dans les premières heures de la matinée. Érythème, chaleur et douleur aiguë se développent sur la face dorsale de l’articulation et peuvent impliquer les tendons extenseurs ainsi que les tissus environnants. La douleur est habituellement violente et disproportionnée par rapport à l’aspect clinique ; les patients décrivent fréquemment la podagre comme la pire douleur qu’ils aient jamais éprouvée. Ils disent ne pas pouvoir tolérer le contact de l’articulation concernée avec un mince drap de lit ou avec l’air froid. Sans traitement, l’attaque peut durer 5 à 7 j ; lorsqu’elle disparaît, la peau couvrant l’articulation concernée tend à desquamer. Les attaques récurrentes sont fréquentes, pouvant survenir tous les mois, ou sont sporadiques, les crises ne se reproduisant qu’à intervalles de quelques années.