18. Gestion du stress
La notion de stress devient de moins en moins claire au fur et à mesure qu’elle perd de ses racines biologiques pour se trivialiser dans une pop-psychology de l’adaptation. Elle est cependant utile pour étudier les relations entre la maladie physique, les événements et les mécanismes cognitifs d’appréciation du stress (Monat et Lazarus, 1991). Des échelles permettent de mesurer le stress et l’adaptation au stress (Bruchon et al., 1994). De même, le stress psychologique au travail et le harcèlement moral sont devenus des thèmes récurrents dans la société au point que de nombreux ouvrages pratiques leur ont été consacrés. De nombreux ouvrages destinés au grand public présentent maintenant des méthodes d’autogestion du stress (Cungi, 2003).
Ce chapitre a pour objectif de faire brièvement le point sur un concept controversé et surtout de présenter en détail un programme de gestion du stress qui peut s’appliquer à beaucoup de problèmes cliniques, tels que les conflits au travail, les colères pathologiques, la préparation sportive ou universitaire, l’hypertension artérielle bénigne, le schème comportemental de type A, l’anxiété de performance (le « trac »), le stress post-traumatique, certaines somatisations comme les crampes de l’écrivain, l’anxiété et la dépression qui précèdent, accompagnent ou suivent une maladie physique. Nous avons testé ce programme avec des patients cardiaques (Chevalier et al., 2006).
Dans ces problèmes cliniques, on retrouve un conflit avec l’environnement, associé à des phénomènes physiques et un certain degré d’anxiété et de dépression. C’est là qu’apparaît l’utilité sociale du concept de stress qui permet, parfois, un dialogue plus facile entre les thérapeutes et les patients qui n’osent parler d’anxiété, de dépression ou de conflits avec les autres, ou de leurs sentiments d’impuissance et d’hostilité vis-à-vis d’un environnement social de plus en plus contraignant avec l’évolution de la crise économique.
Stress et ajustement au stress
Selon Hans Selye (inMonat et Lazarus, 1991), le stress est une réponse non spécifique de l’organisme aux exigences de l’environnement. Il représente aussi l’état d’un organisme dont le bien-être est menacé et qui n’a pas de réponse immédiate pour la réduction de cette menace. Il s’agit donc d’une réaction défensive d’alarme qui évolue en trois phases :
• une réaction d’alarme avec une sécrétion d’ACTH par l’hypophyse antérieure, stimulant la sécrétion d’hormones corticosurrénales. De plus, on pense actuellement que l’endorphine serait libérée sous l’effet du stress et exercerait une action locale en contrôlant les influx nociceptifs et une action centrale sur les structures sans barrière hémato-encéphalique, en modulant le fonctionnement des neurotransmetteurs ;
• un état de résistance, si le stimulus stressant continue. Il s’agit donc d’un syndrome général d’adaptation au stresseur ;
• un stade d’épuisement où l’hypophyse antérieure et le cortex surrénal perdent leurs capacités de sécrétion adaptative.
En étudiant le syndrome du sujet « malade, sans maladie précise », puis en effectuant dès 1936 une série d’expérimentations animales, Selye avait montré en particulier la création d’ulcères par mécanisme sympathique et également sécrétion de corticoïdes.
Il s’agit d’un syndrome non spécifique qui pourrait apparaître dans n’importe quel type de maladie ou de stimulation physique et auquel le sujet s’adapte ou non (syndrome général d’adaptation).
Stresseurs et réponse de stress
Certains facteurs produisent le stress et sont appelés stresseurs. On peut y inclure des situations comme celle d’un pilote d’avion ayant la responsabilité de deux cents passagers, celle d’une personne dans l’attente de la mort d’un parent, ou celle du sportif de haut niveau qui s’apprête à un championnat décisif.
Les stresseurs qui sont des « stimuli » sont à distinguer du « stress » qui est une réponse, toujours la même, qui consiste en une adaptation de l’organisme aux exigences environnementales. Le stress n’est pas une simple tension nerveuse, car on le retrouve chez des animaux et les plantes. Ce n’est pas non plus une réponse spécifique à un dommage tissulaire : il peut apparaître après une émotion comme la joie. Le stress est lié à la vie elle-même et ne peut être évité. Le syndrome général d’adaptation évolue en trois phases : le « stade d’alarme », le « stade de résistance » et le « stade d’épuisement ».
Pour maintenir l’homéostasie au niveau intérieur, deux types de réponse biochimique vont avoir lieu : une réponse qui adapte l’organisme à l’« hôte » étranger (syntoxique), et une réponse qui lutte contre celui-ci (catatoxique). Les hormones adaptatives sont essentiellement les corticoïdes. Le système immunitaire avec son rejet des greffes est un modèle de réponses de lutte. Ces réponses d’adaptation ou d’attaque peuvent se reproduire dans les comportements. Les sujets cherchent à tout prix à contrôler l’environnement en attaquant, au lieu de s’adapter aux circonstances.
Trois mécanismes principaux sont en œuvre dans le syndrome général d’adaptation :
• le premier mécanisme, nerveux, inclut des réactions de défenses innées ou conditionnées et des réponses automatiques liées aux neurohormones ;
• le deuxième est immunitaire : il aboutit à l’activation du système réticulo-endothélial et à la formation d’anticorps ;
• le troisième est hormonal : il travaille par des hormones syntoxiques qui accroissent la tolérance (certains corticoïdes) ; d’autres stéroïdes sont catatoxiques et accélèrent la biodégradation des agents toxiques sans réaction tissulaire.
Psychologie du stress
Les développements récents se sont centrés sur les aspects psychologiques du stress. Chez l’homme les situations sont plus complexes et les phénomènes psychologiques apparaissent importants dans les réponses de stress. En effet, phylogénétiquement, le syndrome d’alarme ou de la réponse de fuite ou de combat (flight or fight) avait une valeur de survie, car il préparait à l’action. Ce « pattern » de réponse a lieu encore chez l’homme, en présence de situations stressantes qui sont plus subtilement coercitives, mais interdisent le passage au combat ou à la fuite. La culture, ainsi, oblige l’individu à adopter d’autres stratégies que ces réactions primitives, d’où une souffrance psychologique et physique. Monat et Lazarus (1991) distinguent trois types de stress :
• le stress systémique ou physiologique qui correspond aux phénomènes neurohormonaux ou neurohumoraux et tissulaires ;
• le stress psychologique, qui est l’appréciation subjective d’une situation comme stressante qui va entraîner les réponses physiologiques. Le stresseur est appréhendé et apprécié comme une menace en fonction de la signification de la situation pour l’individu à un moment donné et également en fonction de caractéristiques émotionnelles propres à l’individu. Les capacités individuelles d’adaptation et de maîtrise de l’individu sont essentielles dans cette réponse et permettent d’aboutir au « coping » ou ajustement ;
• le stress social qui correspond à la rupture d’une unité sociale (couple, famille) ou d’un système social.
L’ajustement, ou l’adaptation au stress (coping), peut se faire par une action directe sur la menace, en l’évitant, en l’attaquant ou en l’affrontant. L’alcool et les tranquillisants peuvent être utilisés pour atténuer les effets psychologiques et physiques du stress. Enfin, des mécanismes cognitifs comme la dénégation ou l’intellectualisation de la menace peuvent être mis en place pour gérer le stress.
Stress et maladie
Maladies physiques et stress
Si l’on examine les facteurs de risque d’une maladie comme l’insuffisance coronarienne, on s’aperçoit qu’ils sont liés à des comportements qui peuvent tous s’interpréter en termes d’apprentissage social, de perte de l’autocontrôle ou de distorsions cognitives : l’ingestion des graisses animales en trop grande quantité, le tabagisme, l’absence d’activité physique, l’ingestion de trop de calories, le schème comportemental de type A. Ce dernier est un pattern stable de comportement qui consiste en un sens de l’urgence du temps et la volonté d’obtenir le maximum de choses mal définies dans le minimum de temps. Et ce quels que soient les obstacles. Ce qui entraîne des conflits avec les autres : l’hostilité que manifeste alors le type A est typique de son fonctionnement. C’est aussi le trait psychologique le plus corrélé avec la maladie coronarienne.
Cardiologie et stress : un exemple le traitement des patients sous défibrillateur
Un des domaines les plus investigués est celui des relations entre le stress, l’anxiété et les maladies cardiaques. Par exemple, trois études épidémiologiques prospectives ont suggéré que l’anxiété est non seulement associée à un risque accru de maladie coronarienne, mais aussi de morts subites d’origine cardiaque. Les personnes avec les plus hauts niveaux d’anxiété ont quatre à six fois plus de risque de mort subite que les patients sans symptomatologie anxieuse. La conséquence d’une diminution du tonus vagal sur le système cardiovasculaire, à savoir une anomalie de la variabilité du rythme sinusal, a récemment été mise en évidence chez les personnes anxieuses. Ainsi, des personnes ayant des troubles anxieux qui peuvent résulter de stresseurs voient diminuer la variabilité du rythme cardiaque et sont à risque de mort subite (Kawachi et al., 1994 and Kawachi et al., 1995). Dans un travail résultant de la collaboration de mon équipe et d’une équipe de cardiologie, nous avons étudié des patients auxquels on avait implanté un défibrillateur après un infarctus du myocarde suivi de troubles du rythme. En cas de fibrillation ventriculaire, le défibrillateur, qui est implanté dans l’abdomen, délivre un choc électrique qui remet le cœur en rythme sinusal. Des chocs répétés ont souvent un effet anxiogène comparable au stress post-traumatique. Dans un protocole randomisé, nous avons ajouté six sessions de gestion du stress au traitement habituel qui ont entraîné une diminution significative des chocs générés par le défibrillateur, ainsi qu’une réduction de l’anxiété et une augmentation de la variabilité cardiaque. Ce qui signifiait que les troubles du rythme étaient moins fréquents dans le groupe qui avait reçu la gestion du stress. Ces résultats ne se maintenaient pas au suivi ; cependant, l’augmentation de la variabilité du rythme cardiaque (qui est de bon pronostic) se maintenait au suivi (Chevalier et al., 2004).
Somatisation et maladie physique
Ce modèle permet aussi de conceptualiser les maladies et les interventions comportementales comme les crampes de l’écrivain (Cottraux et al., 1983). Celles-ci ressortent classiquement du domaine de l’hystérie de conversion. La crampe de l’écrivain peut être comprise comme une réponse opérante qui devant une situation de stress au travail va être renforcée par l’évitement de la situation déclenchante.
Stress, dépression et maladie physique
On a pu mettre en évidence, depuis longtemps, que les troubles immunitaires résultent du conditionnement classique. Les relations entre le stress, la dépression, l’immunité et la carcinogenèse ont été particulièrement étudiées ces dernières années. Calabrese et al. (1987) ont montré les relations entre la dépression, l’hypercortisolémie, la perte de l’immunité cellulaire et la genèse du cancer. La psycho-immunologie pourrait ainsi trouver une application psychothérapique dans les diverses méthodes de gestion ou d’inoculation du stress.
Critique de la notion de stress
En appliquant la notion de stress à tout le monde, on risque d’aboutir à une psychobiologie de l’adaptation émotionnelle aux événements de vie, qui ne représente rien de plus qu’une bannière commode pour rallier patients et thérapeutes. En ne l’appliquant à personne, on pourrait avantageusement faire l’économie d’un concept flou et se limiter à étudier les conséquences psychobiologiques des situations anxiogènes et dépressogènes sur les émotions et leurs conséquences biologiques sur les axes corticotropes et végétatifs, ainsi que l’immunité. Ainsi s’expliquerait leur effet sur certains organes. Par exemple, dans les dépressions graves, on a mis en évidence les effets négatifs de l’hypercortisolisme sur les fonctions du lobe temporal. De même ont été étudiés les effets des attaques de panique sur les troubles coronariens, les deux maladies correspondant peut-être à une diathèse commune. Pour sauver le concept scientifique de stress, il faudra en maintenir une conception à la fois très biologique et très spécifique quant aux effets sur un système organique particulier.
Smith et Lazarus (1990) ont proposé de remplacer la notion trop floue et peu pertinente de stress par celle d’adaptation émotionnelle dont la valeur fonctionnelle varie en fonction de l’effet des émotions sur l’environnement.
Ainsi, la colère supprime la menace ou l’annule, la culpabilité répare les menaces vis-à-vis des autres et favorise un comportement socialement responsable, l’anxiété évite un danger potentiel, la tristesse permet d’obtenir du soutien et de se dégager d’une situation surinvestie, l’espoir permet des activités soutenues d’ajustement et d’adaptation.
La gestion du stress
Nous présenterons ici une synthèse de différents programmes de gestion du stress disponibles sur le marché, en particulier un programme développé par Jacqueline Avard à l’université de Montréal qui a été complexifié à partir des données issues des thérapies cognitives. Après une explication didactique de ce qu’est le stress, un programme de gestion de stress comprend en général cinq composantes : la relaxation, les stratégies cognitives, les compétences de communication, la résolution de problème et le développement des capacités d’ajustement aux situations stressantes. Ces composantes peuvent être enseignées en groupe sur une période de cinq semaines à raison de deux heures par semaine. Elles peuvent être aussi enseignées en thérapie individuelle. Elles mettent plus l’accent sur la résolution des problèmes que sur la gestion des émotions.
Explication didactique
Le thérapeute doit véhiculer dans un langage simple les messages suivants. Le phénomène de stress peut être divisé en cinq étapes, dans une perspective thérapeutique :
• Évaluation-interprétation : en fonction de ses caractéristiques, l’individu interprète l’événement et sa gravité pour lui. L’événement peut être exagéré ou minimisé. Il n’existe donc pas de relation linéaire entre l’événement et l’émotion suscitée, ce qui correspond aussi aux réflexions actuelles sur le stress post-traumatique (DSM-IV, 1994).
• Recherche d’un ajustement au stress : les stratégies adaptatives peuvent être des stratégies d’approche caractérisées par la vigilance, la recherche d’informations et de moyens pour agir sur le stresseur et contrôler les émotions qu’il suscite ; ou bien stratégies d’évitement : l’individu se soustrait à la confrontation avec le stresseur et peut aller jusqu’à nier les réponses de stress qu’il émet. Le déni, l’évitement et l’intellectualisation sont des façons de gérer le stress, de même que l’attaque des stresseurs, et ils doivent parfois être respectés, surtout dans certaines professions (pilotes, médecins, etc.) où ils sont utiles. De toute manière, ils ne doivent pas être critiqués ou culpabilisés, mais expliqués et remplacés par des stratégies d’ajustement meilleures si cela est possible.
• Les réponses de stress se manifestent aux niveaux physiologique (tachycardie, sudation, hyperventilation, hypersécrétion gastrique), moteur (hyperactivité, agitation, ou inhibition) et verbal (plaintes concernant des sentiments de détresse et d’impuissance, agressivité, négation des problèmes). La tonalité de ces réponses peut être anxieuse, dépressive ou coléreuse. Elles sont sous-tendues par des cognitions négatives et aboutissent souvent à des difficultés dans la vie professionnelle et familiale.
• Retentissement physique et psychologique de la réponse de stress chronique sur la santé : le stress chronique constitue un facteur de risque pour les maladies cardiaques ou gastro-intestinales par exemple. Il peut aussi contribuer à déclencher des manifestations anxieuses et dépressives.

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Full access? Get Clinical Tree


