Fractures de Fatigue du Col du Fémur

24. Fractures de Fatigue du Col du Fémur

J. De Lecluse* and H. De Labareyre**



Les fractures de fatigue du col fémoral sont particulières pour au moins deux raisons. L’une est le fait d’une symptomatologie clinique peu spécifique, l’autre raison est leur potentiel de déplacement qui peut entraîner une invalidité prolongée et parfois des séquelles définitives.

Le premier cas rapporté de fracture de fatigue au col du fémur date de 1905 d’après Blickenstaff et Morris [1]. Mais la description détaillée de cette localisation revient à Asal [2] qui publie six cas en 1936 chez des militaires. Il faut attendre 1977 pour que le premier cas chez un enfant soit rapporté [3] et 1998 pour la première observation de fracture bilatérale [4].


ÉPIDÉMIOLOGIE

L’incidence des fractures de fatigue du col fémoral est probablement encore sousestimée. Outre sa méconnaissance, il existe d’authentiques formes asymptomatiques de découvertes fortuites [5, 6]. De plus, la grande variété des séries publiées ne facilite pas la détermination exacte de leur fréquence. Au fil des ans le pourcentage de fracture de fatigue du col fémoral a augmenté du fait d’une meilleure connaissance de cette pathologie associée à une imagerie plus performante. La localisation au col fémoral est cependant la plus fréquente des fractures de fatigue du bassin et du fémur [7].

La majorité des grandes séries concerne de jeunes recrues militaires soumises à une intense activité d’entraînement physique. La fréquence des fractures de fatigue du col fémoral de cette population de militaires est passée de 3 % en 1966 [1], à 5 % dans les années 90 [8, 9, 10] pour atteindre 8 % en 2008 [11] de l’ensemble des fractures de fatigue recensées chez les nouvelles recrues. En 1991, dans l’étude de 1 400 recrues de la marine royale britannique âgées de 16 à 27 ans, Stonenham et Morgan [12] trouvent une incidence de fracture de fatigue du col fémoral de l’ordre de 3/1 000. Pihlajamaki et al. dans leur étude publiée en 2006 [13] concernant des recrues incorporées dans l’armée finlandaise entre 1987 et 1994, ont une incidence de 3,2/1 000 recrues, et enfin Talbot et al. [11], en 2008, sur 16 713 recrues anglaises évaluent l’incidence des fractures de fatigue du col fémoral à 1,2/1 000. Sur 2 962 recrues féminines du corps des marines américain, Shaffer et al. [14] recensent 181 fractures de fatigue des membres inférieurs (5,1 %), dont 11, soit 6 % intéressant le col fémoral.

Les autres publications concernent des cas isolés de sportifs, essentiellement des coureurs de longues distances et des marcheurs [151617 and 18]. L’incidence des fractures de fatigue du col fémoral est estimée à 11 % des fractures de fatigue des athlètes [8, 10, 19].

D’autres cas de fracture de fatigue ont été rapportés chez des sujets pratiquant des sports à très haut degré d’impulsivité tels que la danse ou l’aérobic [18].


PATHOGÉNIE

Une augmentation rapide et importante de l’activité physique, avec un risque maximum à partir de 96 km de course par semaine chez le coureur, et plus de 5 heures par jour d’entraînement chez la danseuse, sont des facteurs de risques classiques de fracture de fatigue. Un surpoids, une densité osseuse basse et un IMC bas sont considérés comme des facteurs potentiellement aggravants [5, 13, 14, 2021 and 22]. Mais aucune étude ne révèle de façon formelle un facteur de risque lié à une morphologie particulière du col fémoral ou de la hanche [23, 24].


CLINIQUE

Il n’existe aucun tableau clinique spécifique, ce qui explique la difficulté du diagnostic. Les douleurs projetées sont fréquentes et de nombreux autres diagnostics peuvent être évoqués à tort et retarder le diagnostic. Les symptômes sont parfois si discrets qu’ils n’amènent que tardivement le patient à consulter. Ainsi, le retard diagnostique est habituel. Le délai diagnostique, bien qu’il ait tendance à raccourcir, varie suivant les séries de 15 jours à 14 semaines [16, 25, 26].

Il faut insister sur le contexte mécanique sportif et l’absence de traumatisme avéré qui doivent faire évoquer ce diagnostic. Un délai diagnostique court joue un rôle favorable dans les possibilités thérapeutiques, en particulier en ce qui concerne les chances de réussite du traitement fonctionnel. La méconnaissance de la fracture peut conduire à son déplacement si les activités sont poursuivies.

Le symptôme initial le plus fréquent est une douleur inguinale mécanique de survenue progressive lors de la course ou de la marche [25]. Elle irradie plus ou moins vers la face antérieure de la cuisse, parfois vers la face médiale, parfois jusqu’au genou. La boiterie est inconstante, se majorant lors des activités lorsque la douleur augmente. Le dérouillage à froid est fréquent mais sans aucune spécificité. Des douleurs nocturnes sont parfois mentionnées. Exceptionnellement la douleur peut être fessière avec un réveil de celle-ci en flexion abduction et rotation externe de hanche [27].

L’examen clinique oriente vers une souffrance de l’articulation de la hanche.

L’appui monopodal et surtout le sautillement unipodal sont habituellement douloureux, voire impossibles. Les amplitudes de la hanche sont conservées ou discrètement limitées de quelques degrés (5 à 20°) : les flexions directe et croisée ainsi que la rotation interne sont les plus fréquemment mentionnées ; vient ensuite la rotation externe alors que les autres secteurs sont généralement épargnés. On réveille plus systématiquement une douleur en fin d’amplitude.

Le testing isométrique de la hanche donne des résultats variables. L’impossibilité de décoller du plan du lit le membre inférieur en extension complète serait un bon signe.

Il est parfois mentionné un œdème ou une tuméfaction inguinale. La palpation de la région est très fréquemment sensible.

Une douleur aiguë inaugurale traduit souvent le déplacement de la fracture. Elle provoque au minimum une boiterie douloureuse à la marche. Dans d’autres cas, l’impotence fonctionnelle est totale d’emblée avec un sportif qui se présente dans l’attitude classique de fracture du col du fémur, en flessum et rotation externe du membre inférieur. Une ecchymose dans la région inguinale peut alors apparaître.

L’interrogatoire, dans ces formes à début brutal, doit rechercher la présence de petits symptômes douloureux considérés comme anodins au préalable.

Un sportif, dans un contexte douloureux plus ou moins ancien, qui présente une démarche en rotation externe et une boiterie manifeste explicable par une importante inégalité de longueur des membres inférieurs doit faire évoquer le déplacement d’une fracture de fatigue du col fémoral. L’importance de l’amyotrophie du quadriceps reflète alors l’ancienneté de la fracture.

On rappelle qu’une fracture de fatigue du col fémoral peut être initialement asymptomatique ou paucisymptomatique et de découverte fortuite lors d’un bilan d’imagerie [5, 6].

L’éventualité de forme bilatérale est loin d’être négligeable. Ces formes représentent 6 % des cas pour Pihlajamaki [25]. Pour les symptômes prédominant ou n’existant que d’un seul côté, c’est souvent l’imagerie (scintigraphie ou IRM) qui en fait le diagnostic.


IMAGERIE


Radiographies

Comme toujours la radiographie est en retard sur la symptomatologie clinique. L’analyse fine des clichés peut montrer la fracture dans des délais qui ne descendent généralement pas en dessous de 2 semaines et approchent bien souvent les 3 à 4 semaines [28]. Parfois la radiographie reste négative [29].

Les clichés demandés sont la face et le profil vrai de hanche. Il convient, en effectuant un cliché en légère rotation externe du membre inférieur, de s’assurer que le grand trochanter ne vienne pas masquer la partie la plus externe du bord supérieur du col et cacher une effraction corticale.

Si la fracture est non déplacée, les signes radiologiques sont souvent discrets. Parfois il s’agit d’une ligne fracturaire visible au bord supérieur du col fémoral ou à sa base (figure 1). D’autres fois, seul un processus de guérison est visible sous la forme d’une densification osseuse en bande naissant du bord endostal de la corticale interne, ou d’un discret épaississement de la corticale correspondant à une réaction périostée.








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Figure 1
Radiographie de face : fracture incomplète à la base du col.



Scintigraphie osseuse aux phosphonates 99mTC

Cet examen extrêmement sensible mais non spécifique [30] était considéré comme l’examen « gold standard » jusqu’au développement de l’IRM. Il a permis d’abaisser les délais diagnostiques de 6 semaines faits par la radiographie [31, 32] à 25 jours [12]. Mais la scintigraphie ne serait positive que dans 96 % des cas de fracture de fatigue [333435 and 36].

L’image typique est une hyperfixation linéaire perpendiculaire au grand axe du col, dans la région sous-capitale ou en avant de la ligne intertrochanterienne. En phase aiguë, aussi bien les images précoces que les images tardives sont positives. Lors du processus de guérison, l’accumulation du marqueur isotopique est uniquement visible sur les images tardives.


IRM

Devenu l’examen de référence, l’IRM a permis de raccourcir le délai diagnostique de fracture de fatigue du col fémoral à 12,4 jours [28]. Sa sensibilité et sa spécificité sont proches de 100 % pour les fractures non déplacées [30]. En phase radiologiquement occulte, l’IRM permet de poser le diagnostic de manière très précoce, avant même le stade fracturaire.

L’aspect IRM initial de la fracture de fatigue est univoque. En T1 on observe une fine image linéaire en hyposignal dans l’os spongieux ou appendu perpendiculairement à la corticale osseuse, entourée d’une plage d’œdème médullaire en hyposignal moins marqué. En T2, la ligne d’hyposignal persiste mais la zone périphérique augmente d’intensité.

Les séquences avec suppression du signal de la graisse (STIR par exemple) permettent de mieux différencier le trait de fracture de son environnement œdémateux.

Après consolidation, une fine image linéaire résiduelle en hyposignal sans œdème médullaire permet un diagnostic rétrospectif. L’hypersignal visible en séquence STIR disparaît en 6 mois dans 90 % des cas [37].


CLASSIFICATION


Classification de Devas [38]

À partir de considérations biomécaniques, Devas distingue deux types de fracture :


– les fractures en distraction qui siègent sur le bord supérieur du col. Il existe une minuscule rupture corticale. Il dénomme également ces fractures sous le terme de fractures transverses car le trait a une direction perpendiculaire aux lignes de force du col. Ces fractures sont susceptibles de se déplacer ;


– les fractures en compression qui siègent au niveau du bord inférieur du col. Il n’y a pas de rupture corticale. Ces fractures sont sans risque de déplacement.


Classification de Blickenstaff et Morris [1]

Le critère « déplacement » étant le paramètre d’appréciation principal, cette classification distingue trois types de fractures :


– le type I, où il existe un cal de consolidation sans ligne de fracture, ni déplacement ;


– le type II, où il existe une ligne de fracture dans l’éperon de Merckel où à travers le col, sans déplacement ;


– le type III, où il existe un déplacement.


Classification de Fullerton et Snowdy [8]

Selon la localisation, l’évolution et le déplacement de la facture, les auteurs distinguent trois catégories de fractures :


– la catégorie I, concerne les fractures en tension du bord supérieur du col. Tardivement apparaît un cal endosté ou périosté ou, au contraire, une ligne fracturaire ouverte sur le bord sous tension du col. Ultérieurement, cette ligne peut s’élargir sans atteindre la corticale du bord inférieur du col. Un déplacement peut être le terme évolutif final, une fois la deuxième corticale atteinte ;

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May 18, 2017 | Posted by in Uncategorized | Comments Off on Fractures de Fatigue du Col du Fémur

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