5. Fonctions Sensorielles
DÉFICIENCE VISUELLE
CATÉGORISATION ET PRÉVALENCE
Le terme « déficient visuel » est utilisé pour qualifier à la fois des sujets aveugles et des sujets malvoyants. Le taux d’invalidité en cas de malvoyance est déterminé par l’ophtalmologiste. Cependant le pédiatre doit avoir connaissance de la catégorisation présentée au tableau 5.1 et des aides disponibles selon la sévérité de la déficience [1].
*L’acuité est mesurée en mètres. Par exemple, 3/60 (en mètres) est l’équivalent d’une acuité visuelle de 20/400 ; 6/6 = 20/20. Une acuité visuelle inférieure à 20/200 définit légalement la cécité. | |
**Absence de perception de la lumière. | |
Acuité* (du meilleur oeil avec la meilleure correction de la réfraction) | Terminologie |
---|---|
< 6/18 à 6/60 (< 20/30 à 20/200) | Déficit léger |
< 6/60 à 3/60 (< 20/200 à 20/400) | Déficit sévère (légalement aveugle) (compte les doigts à 6 mètres ou moins) |
< 3/60 à 1/60 (< 20/400 à 20/2 400) | Cécité profonde (compte les doigts à moins de 3 mètres) |
< 1/60 à APL** (< 20/2 400 à APL) | Cécité presque totale (compte les doigts à 1 mètre ou moins) |
Pas de perception de la lumière | Cécité complète |
Enfin lorsque les investigations complémentaires sont nécessaires, les pédiatres sont souvent en difficulté pour interpréter les résultats: il faut communiquer avec les électrophysiologistes ou neuro-ophtalmologistes. Des bases sur les potentiels évoqués visuels (PEV) et l’électrorétinogramme (ERG) sont fournies en annexe.
SITUATIONS ET SIGNES D’ALERTE
Groupes à risque
On demandera très tôt l’avis du spécialiste pour les enfants appartenant aux groupes suivants:
– les anciens prématurés (en raison des risques de l’oxygénothérapie, des conditions de vie des premiers mois, de la fréquence de la myopie) ;
– les nourrissons ayant des anomalies neurologiques ;
– les nouveau-nés ayant des antécédents familiaux (malvoyance, strabisme, amblyopie unilatérale, forte amétropie).
– les nouveau-nés chez lesquels le pédiatre aura constaté des anomalies au cours de l’examen visuel néonatal.
Observations des parents
Avant 6 mois:
– absence de fixation, manque d’intérêt aux stimuli visuels ;
– absence de réflexe de défense à la menace ;
– pauvreté de la mimique et du sourire-réponse ;
– retard d’acquisition de la préhension des objets ;
– strabisme persistant après 3 mois ;
– larmoiement, oeil rouge.
Entre 6 mois et 3 ans:
– peu de déplacements de l’enfant ;
– jeu pauvre, faible intérêt pour les objets ;
– sursauts lorsqu’on s’approche de l’enfant sans bruit et sans parler ;
– chutes fréquentes, l’enfant se cogne souvent contre les meubles ;
– crainte de la lumière, plissement des paupières ;
– positions bizarres de la tête (compensatrices).
Constatations du pédiatre à l’examen néonatal
Par la simple observation: mouvements anormaux (errance du regard, nystagmus), opacité cornéenne, reflet blanchâtre d’une ou des deux pupilles.
Par une recherche de la fixation-poursuite avec une cible telle que l’« oeil de boeuf » (cercles concentriques noirs et blancs sur papier brillant): elle peut être absente ou difficile à obtenir.
Par la recherche du reflet pupillaire avec un crayon lumineux: un reflet rouge bilatéral est normalement observé. Si la pupille est blanche d’un ou des deux côtés, il faut suspecter immédiatement un rétinoblastome ou une cataracte qui représentent une urgence.
Par la constatation d’un comportement visuel anormal: photophobie ou attirance trop grande vers les sources lumineuses.
Par la palpation du globe oculaire: une dureté excessive du globe, avec ou sans buphtalmie, fait suspecter un glaucome congénital, qui est une urgence.
(Pour de plus amples informations, consulter un livre d’ophtalmologie pédiatrique [2].)
DÉPISTAGE UNIVERSEL DE L’AMBLYOPIE ENTRE 24 ET 30 MOIS
L’amblyopie désigne une baisse de l’acuité visuelle, quelle que soit son origine, non améliorable par la correction optique ; elle peut être secondaire à une cause organique de la voie visuelle, ou elle peut être fonctionnelle, uni ou bilatérale. L’amblyopie fonctionnelle unilatérale (un oeil n’est pas utilisé) est une cause majeure de malvoyance lorsqu’elle n’est pas dépistée assez tôt pour être corrigée. Elle est due essentiellement à deux causes:
– l’anisométropie (inégalité du pouvoir réfringent des yeux) ;
– le strabisme (déviation objective des axes visuels avec perturbation de la vision binoculaire).
L’amblyopie fonctionnelle est accessible à la rééducation (occlusion, secteurs, verres correcteurs) si celle-ci est suffisamment précoce. L’espoir de bons résultats diminue avec l’âge de l’enfant au début du traitement: ainsi on estime les chances de succès à 90 % avant 2 ans, à 80 % entre 2 et 3 ans, à 50 % entre 3 et 4 ans et à 30 % entre 4 et 6 ans. L’amblyopie négligée est une catastrophe que le pédiatre doit tout faire pour éviter. Cela justifie une consultation ophtalmologique systématique autour de 2 ans. Il faut aussi redire que tout strabisme persistant au-delà de 3 mois, même s’il est intermittent, doit être exploré. Le test de l’écran peut être fait par le pédiatre avant d’envoyer l’enfant en ophtalmologie [2].
PARTICULARITÉS CHEZ L’ANCIEN PRÉMATURÉ
Rétinopathie du prématuré
Cette pathologie ne sera pas étudiée ici, en effet elle est dépistée dans les USI, en particulier dans le groupe particulièrement à risque des nouveau-nés de moins de 1 250 g ou de moins de 30 SA. Le diagnostic est donc fait avant le retour à la maison et la surveillance organisée par l’ophtalmologiste. Les formes sévères sont heureusement rares, mais dans les formes plus légères, il faut systématiquement redouter des déficiences associées telles que baisse de l’acuité visuelle, strabisme, trouble de réfraction (myopie, astigmatisme).
Déficiences visuelles d’origine centrale (DVOC)
Ces déficiences sont le résultat d’une HI périnatale ayant entraîné des lésions des voies optiques rétrogéniculées alors que l’oeil lui-même est normal. Cette pathologie n’est pas spécifique de la prématurité, mais le risque dans ce groupe est particulièrement élevé, beaucoup plus élevé que celui de la pathologie rétinienne.
Une baisse d’acuité visuelle, une atteinte du champ visuel, une baisse de la sensibilité au contraste, des troubles oculomoteurs ou visuocognitifs sont les signes les plus habituels: ils attirent peu l’attention. Il faudra les rechercher systématiquement pour proposer le plus tôt possible une réadaptation spécifique [3]. Il faut savoir que quelques ophtalmologistes seulement sont formés à ces dépistages, un examen ophtalmologique de routine n’est en rien rassurant.
DÉMARCHE CLINIQUE
Une démarche de dépistage des troubles visuels ne supporte pas l’« à-peu-près ». La responsabilité du pédiatre est largement engagée, il lui faudra tout écrire. Les programmes de dépistage doivent être simples, ne pas nécessiter d’équipements coûteux. Les étapes proposées sont les suivantes:
– l’interrogatoire de la femme enceinte sur les antécédents familiaux de déficience visuelle pourra conduire à une consultation génétique. On interrogera sur le port de lunettes dès l’enfance chez le père ou la mère ;
– l’examen attentif du globe oculaire à l’échographie de 20 SA pourra déceler des malformations des globes oculaires ;
– l’examen néonatal selon les propositions faites plus haut, avec constatations écrites et orientation immédiate éventuelle vers un service d’ophtalmologie (le dépistage précoce de cataracte et de glaucome a un impact fonctionnel évident, celui du rétinoblastome un impact vital) ;
– l’examen du 4e mois recherche une anomalie persistante de la fixation-poursuite, un strabisme, un nystagmus, une pupille blanche, une cornée opaque, une anomalie du globe oculaire ;