Fonctionnement de l’atelier
L’atelier d’écriture , qui existe depuis 1998 et que nous animons depuis sa création, a lieu une fois par semaine, à la CMME, dans le service du professeur Frédéric Rouillon. C’est un atelier en groupe avec des patients adultes, soit en traitement ambulatoire, soit hospitalisés ; les séances durent d’une heure et demie à deux heures et se divisent en trois temps principaux.
Mais, a contrario, la possibilité d’être félicité a une importance considérable car elle permet une restauration de l’estime de soi. Par ailleurs, le fait même de lire son écrit face au groupe constitue un exercice qui renforcerait la confiance en soi. Néanmoins, la difficulté d’orchestrer un groupe où d’éventuelles félicitations sont adressées aux uns et pas aux autres est ici patente. Effectivement, même s’il peut être plaisant d’être félicité, il persiste une certaine méfiance vis-à-vis de celui ou de ceux qui félicitent ; il peut même arriver qu’une remise en question du cadre de l’atelier et des règles qui le régissent apparaisse. Par exemple, nous entendons ce genre de phrase : « Vous dites ça parce que c’est ce qu’il est préférable de dire » ; ou encore : « C’est un atelier où règne le respect, alors vous n’allez pas me dire que c’est nul ce que j’écris. » Certes, il s’agit d’un atelier où règne le respect, mais nous ne laissons pas sans réaction ni réponse ce genre de doute ou de phrase ainsi lancée. Alors nous parlons encore une fois du cadre, ainsi que du processus d’écriture , de l’écriture elle-même. Nous commençons par exemple à évoquer la notion du beau, de l’esthétisme, nous donnons notre avis sur ce qui n’est qu’un ressenti personnel et qui n’a aucune légitimité ; par exemple, nous pouvons aimer Kundera alors que certains participants de l’atelier peuvent, eux, considérer que celui-ci n’est même pas digne d’être envisagé comme un écrivain. Ensuite nous évoquons la capacité du patient à réagir presque « sur commande », dans un temps limité, à une consigne qui n’a pas toujours une forme et/ou un fond évident. Nous leur montrons ainsi que la première étape de leur accomplissement est réussie. Nous abordons ensuite le ressenti du lecteur et nous évoquons une notion que nous considérons plus appropriée que le beau ou l’esthétique. Nous parlerons alors de « ravissement ». Du latin rapere, raptus, sa signification étymologique est « emporter avec force », et son sens figuré « transporter l’âme ». Tout en insistant sur le fait que ce qui peut dans l’atelier ravir Jane A. ou Gustave F. peut ne pas ravir Marguerite D. ou Lewis C.
Dans cet exemple bien précis se pose une problématique magistrale : la question de la place. Nous voyons bien la fragilité de la place de chacun dans le groupe au cours de l’atelier : comment trouver sa place dans un groupe, en faire partie tout en restant autonome ? Avoir par conséquent des avis différents mais pouvoir encore faire partie de ce tout ? D’où l’importance de ces phrases jetées dans le vide, mais intensément chargées de sens, qui nécessitent une ou plusieurs réponses.
Notre réponse interviendra toujours après avoir indiqué à nouveau le cadre ; la réassurance faite, nous les interrogeons alors sur le ressenti de leur insatisfaction, de leur déception pour leur écrit du jour : s’agit-il d’une extrême exigence ? D’une insatisfaction quasi permanente ? Ou s’agit-il plutôt d’un décalage entre ce qu’ils avaient envie d’écrire et ce qu’ils ont écrit ? Chaque réponse sera prise en considération et replacée dans le contexte de l’atelier. Nous n’insistons pas par exemple sur la difficulté d’écrire dans un temps limité, mais sur le fait que le texte écrit a déjà le mérite d’exister. Même s’ils considèrent que leur production est quasiment terminée, nous leur rappelons qu’ils ont le choix entre la laisser telle quelle et la retravailler. Nous leur donnons comme référence le cheminement du travail des peintres en leur montrant combien certains croquis sont l’ébauche d’une œuvre à venir, alors que d’autres en resteront au stade du croquis ; l’exemple le plus fréquemment donné est celui de Léonard de Vinci qui, rappelons-le, était aussi un poète. Nous évoquons aussi les croquis de peintres moins connus que ce dernier, et qui sont exposés dans des musées nationaux et internationaux. Nous mettons ainsi l’accent dans un premier temps sur la richesse et l’importance d’une esquisse et, dans un second temps, sur la « recentration » sur soi qui n’est pas du registre du jugement ou de l’évaluation – « ai-je bien fait ? » – mais du registre du plaisir et de l’interrogation à propos de son propre plaisir : « Ai-je envie de retravailler ce texte ? » Cela rejoint ce que nous avions noté plus haut à propos de l’appropriation ou de la réappropriation de son individualité. Mais nous touchons ainsi une autre dimension qui est celle de l’inscription dans la temporalité : si doit avoir lieu une transformation ou, plus habituellement, une continuation du texte, alors le rapport au temps sera perçu inégalement – et nous avons bien vu dans la partie théorique l’importance de l’aspect temporel. D’ailleurs, certains patients travaillent mieux chez eux en disposant d’un temps plus long, alors que d’autres ne peuvent écrire qu’en atelier. Nous leur donnons ainsi la possibilité de se recentrer sur leur propre désir, qui peut être différent de celui des autres.